«Le droit à l objection de conscience»
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- Félix Lajoie
- il y a 4 ans
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1 «Le droit à l objection de conscience» Me Garandi LEGA IBRAHIM, Barreau du Tchad Merci de nous donner la parole. Je suis animé d un sentiment d assurance au moment où je prends la parole devant vous. Car je sais que je ne plaiderai pas dans le vide du haut de cette tribune. Oui je plaide devant des hommes et des femmes capables de comprendre la souffrance humaine ; capables de comprendre ce qu un homme peut endurer dans sa chair lorsque ses droits et libertés les plus absolus sont violés, foulés au pied ; capables de comprendre l injustice que subit un homme qui croupit en prison pour un supposé crime qu il aurait commis, et à cause de cela il passe toute sa vie en prison sans avoir la joie et le bonheur de fonder une famille, d avoir des enfants et de les voir grandir ; ou encore de s occuper de ses parents devenus âgés. Je suis rassuré parce qu au fond de moi je sais que vous pouvez comprendre cela, car vous êtes avant tout des humains avec des sentiments, mais également des hommes de loi, les dépositaires de la loi. Vous ne pouvez permettre que la loi soit violée, que les droits soient bafoués. Vous êtes contre l injustice, contre la violation des droits. permettez-moi de vous poser une question. Que ressentirez-vous si votre fils, votre frère ou votre ami est derrière les barreaux depuis vingt ans en train d attendre un procès, (qui, peut-être ne s ouvrira jamais), accusé d un quelconque «crime» qu on a jamais défini et que malgré cela vous n avez pas le droit de lui rendre visite, ni de lui trouver un avocat pour le défendre? Que sera votre sentiment? C est pourtant ce qu endurent les parents, amis et coreligionnaires de Paulos Eyassu, Negede Teklemariam et Isaac Mogos, détenus depuis plus de vingt ans aujourd hui dans une des prisons les plus âpres de l Erythrée. Et, mesdames et messieurs dites-vous bien que leur souffrance est bien loin de prendre fin. Depuis leur arrestation le 24 septembre 1994, ils n ont jamais été présentés devant un tribunal pour répondre des faits qui leur sont reprochés, même pas 61
2 un instant. Leur droit à un procès équitable est méconnu, violé. On ne leur reconnaît pas ce droit. Pourtant l article 2 de la loi fondamentale érythréenne dispose que «la constitution est l expression légale de la souveraineté populaire. Elle sert de base à la légitimité gouvernementale et est la base de la protection des droits, libertés et dignité des citoyens». Où est donc la protection des droits et libertés dans le cas de l espèce? On constate avec amertume que ces belles paroles ne sont écrites que pour embellir la constitution de l Erythrée. Toute personne a droit à la vie, à la liberté et à la sureté de sa personne, nous dit la Déclaration Universelle des Droits de l Homme (1948). Ces hommes n ont-ils pas droit à la vie, à la liberté ou la sureté de leur personne? Personne n a le droit d être détenu de manière arbitraire. Personne n a le droit de croupir injustement en prison. Et pourtant il y a non loin d ici trois personnes qui croupissent injustement en prison depuis plus de vingt années sans que leur cause ne soit entendue par une juridiction.. Venons-en aux faits. Qu est-ce qu on leur reproche? Paulos, Negede et Isaac appartiennent à la religion des Témoins de Jéhovah et en raison de leurs profondes convictions religieuses, ces derniers refusent d effectuer le service militaire imposé par les autorités érythréennes. Voilà le crime qui leur est reproché. Et c est à cause de cela qu ils doivent passer leur vie en prison. Vingt-deux années qu ils sont en prison. On les prive pour ainsi dire du droit à la liberté qui est un droit absolu. Cette situation est insoutenable. On ne peut permettre une telle violation de droits de l Homme. L Erythrée ne peut se permettre de violer ainsi les droits de ses citoyens. 62 Concours international de plaidoiries pour les droits de l Homme de Mauritanie 2017
3 figurez-vous que chaque année depuis 2004, le ministère américain des affaires étrangères classe l Erythrée parmi les «Etats source d inquiétude» c est-à-dire «tout pays dont le gouvernement commet ou tolère des violations particulièrement graves de la liberté de religion, de façon systématique, permanente et flagrante». C est dire combien de fois la situation en Erythrée est inquiétante, pas seulement pour Paulos Eyassu, Negede Teklemariam et Isaac Mogos, mais aussi pour beaucoup d Erythréens qui vivent chaque jour dans la peur la plus totale. On ne peut rester insensible face à cette situation. Non. Refuser d effectuer le service militaire à cause de ses convictions religieuses reviendrait-il à être coupable d un crime? Que nous dit l article 8 de la Charte Africaine des droits de l Homme et des Peuples? «La liberté de conscience, la profession et la pratique libre de la religion, sont garanties». La Déclaration Universelle de Droits de l Homme (1948) de rappeler que «toute personne a droit à la liberté de religion». Ainsi la liberté de religion est un droit fondamental. Pratiquer sa religion, respecter ses convictions religieuses n est pas un crime, sauf pour les autorités érythréennes. On reproche à Paulos Eyassu, Negede Teklemariam et Isaac Mogos d avoir objecté. L objection de conscience n a jamais été un crime et elle ne le sera pas. Et la Cour européenne de droits de l Homme l avait si bien fait remarquer. Dans l affaire Bayatyan contre l Etat d Arménie 1 qui a fait jurisprudence, elle avait estimé que «l opposition au service militaire lorsqu elle est motivée par un conflit grave et insurmontable entre l obligation de servir dans l armée et la conscience d une personne, constituait une convection atteignant un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d importance pour entraîner 1/ Affaire Bayatyan c/arménie numéro 23459/03 du 7 juillet
4 l application des garanties de l article 9 2. La cour européenne a ainsi estimé que l Arménie devrait instituer un service civil alternatif au service militaire». La position de la cour est donc claire. L opposition au service militaire ne peut en aucun cas constituer un crime. C est plutôt un droit. Cette jurisprudence a été confirmée dans une autre affaire ou saisie par un Turc d origine Kurde objecteur de conscience la Cour a affirmé dans l arrêt Savda c/turquie 3 qu «un système qui ne prévoit aucun service de remplacement ni aucune procédure effective et accessible au travers de laquelle l intéressé a moyen de faire établir s il peut ou non bénéficier du droit à l objection de conscience, ne ménage pas un juste équilibre entre l intérêt de la société dans son ensemble et celui des objecteurs de conscience. Il s ensuit que les autorités compétentes ont manqué à leur obligation tirée de l article 9 de la Convention». Eu égard à ces jurisprudences combien édifiantes de nos amis européens, l on est en droit de se poser la question, nous Africains : l objection de conscience doit-elle être considérée comme un crime ici en Afrique? Si oui, à quoi serviront les Chartes, les Constitutions, les lois que nous avons édictées? Serviront-elles à embellir nos livres, nos bibliothèques ou pour bourrer la tête de nos enfants de belles paroles dans les écoles ou dans les universités? Non il est temps de changer, il est temps. Il est temps que certains pays africains qui se croient encore dans l Etat de nature changent leur manière d agir envers leur population. Qu ils arrêtent de les persécuter pour quelque raison que ce soit. On a trop souffert. Nous ne permettrons jamais à l Erythrée de violer ainsi les droits humains, non. On ne peut pas le laisser faire. Et vous, mesdames et messieurs vous ne pouvez permettre cela. 2/ L Article 9 de la Convention européenne de droits de l Homme qui est à peu prés l équivalent de l article 8 de la Charte africaine de droits de l Homme et des peuples dispose que «1-toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l enseignement, les pratiques et l accomplissement des rites. 2-La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l objet d autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la protection de l ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d autrui». 3/ Affaire Savda c/ Turquie numéro 42730/05 du 12 juin Concours international de plaidoiries pour les droits de l Homme de Mauritanie 2017
5 Rappelons l Erythrée à l ordre. Ce qui se passe en Erythrée n est qu une persécution envers des personnes qui appartiennent à une communauté religieuse. Qui ne font que servir leur Dieu à leur façon selon leurs propres convictions. Cela ne doit pas constituer un crime de nature à les priver de leur liberté, de leur vie, de leur avenir Faites qu on libère Paulos Eyassu, Negede Teklemariam et Isaac Mogos, ces pauvres innocents qui croupissent injustement en prison depuis 22 années. 65
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