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3 À ma maman

4 Conceptrice en publicité, Amélie Couture a rencontré un beau succès avec ce premier roman qui a figuré sur la première liste des titres recommandés par l Éducation nationale en cycle Illustration de couverture : Marc Boutavant Éditeur : François Martin assisté de Fanny Gauvin Directeur de création : Kamy Pakdel Actes Sud, 2002, 2014 ISBN Loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

5 ROMAN LA GRÈVE DE LA VIE AMÉLIE COUTURE ACTES SUD JUNIOR

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7 1 NON, NON ET NON Aujourd hui, on est mercredi 1 er juillet et c est le premier jour des grandes vacances. Mais moi, je n irai pas en vacances. Je vais rester enfermée dans ma chambre tout l été, et même plus. Je ne veux pas aller en colonie, je ne veux pas partir d ici. Ça ne m intéresse pas. Demain matin, quand Papa voudra m emmener à la gare, je lui dirai non, non et non, je ne veux pas y aller. Parce que j ai décidé de ne plus m amuser. Jamais. J entame une grève de la 7

8 vie. Quand on fait la grève, c est qu on n est pas content. Il y en a qui arrêtent de travailler parce qu ils ne sont pas contents de leurs patrons. Il y en a qui arrêtent de manger parce qu ils ne veulent pas retourner dans leur pays et qu on veut les forcer. La grève, c est pour dire non. C est pour forcer les gens à se rendre compte que vous n êtes pas content. Moi, je vais faire une grève de la vie pour dire non, je ne suis pas contente. Je ne suis pas contente d être ici, avec Papa et Isabelle et mon demi-frère. Je ne suis pas contente qu on m envoie en colonie. Je ne suis pas contente d habiter en ville. Je ne suis pas contente que ma mamie soit morte. Alors, je vais rester dans ma chambre et je ne vais plus m amuser ni rien faire. Ma mamie, c est elle qui m a élevée. C était une vraie mamie de dessin animé, 8

9 grosse avec des joues toutes roses. Sauf que, dans les dessins animés, les mamies, elles meurent jamais et les enfants, ils grandissent pas. Ils continuent toujours à courir dans les champs et à rigoler et à manger des tartes pour le goûter. Moi, j ai plus de tartes et plus de champs et plus tous mes amis du village. Ma mamie, elle est tombée malade l année dernière, au mois de novembre, juste avant mes sept ans. Elle est allée à l hôpital et je suis venue habiter ici, avec Papa et sa nouvelle femme, Isabelle. J ai changé d école mais je suis quand même allée chez Mamie pour Noël et à toutes les vacances, alors ça allait à peu près. Et puis, cette année, au mois de décembre, Mamie est morte toute seule, chez elle, pendant son sommeil. On n est même pas allés à son enterrement parce qu Isabelle allait accoucher 9

10 et que Papa voulait pas la laisser toute seule. C est trop compliqué, il a dit. Voilà. La ferme où on habitait avec Mamie, je ne peux plus y aller, alors Papa m a trouvé une colonie de vacances dans la même région, pour me faire plaisir. Mais moi, ça ne me fait pas plaisir. Je ne veux pas y aller. Je veux ma vie d avant. Et comme c est pas possible, je ne suis pas contente. Je suis fâchée contre tout. Et je resterai fâchée toute ma vie. Ce matin, j aurais dû partir en colonie. Le train était à neuf heures. Je le savais mais je n avais pas fait ma valise ni rien puisque je ne voulais pas partir. J ai essayé de dire une dernière fois à Papa que je préférais rester ici mais il s est mis à crier. Alors je me suis enfermée dans ma chambre. Avec la clef que j avais volée dans le tiroir de la 10

11 table de l entrée. Il m a demandé mille fois d ouvrir mais je n ai pas répondu. Je l ai entendu parler avec Isabelle et crier parce qu il n y avait pas de deuxième clef pour cette porte et que ce n était pas normal qu une enfant de huit ans fasse la loi ici. Il m a dit que j étais capricieuse et que je lui compliquais la vie et que j irai dans cette colonie que je le veuille ou non, qu il m y emmènerait en voiture puisqu on avait raté le train mais que c était comme ça, un point c est tout. Je n ai pas pleuré. Je n ai pas répondu. Je suis restée dans ma chambre, un point c est tout. Papa est finalement parti travailler et Isabelle a essayé de me faire ouvrir la porte de ma chambre pour me parler. J ai dit non. Et puis, plus tard, elle m a demandé de venir déjeuner et j ai encore dit non. Quand elle est partie se promener avec 11

12 Lucas, je suis allée dans la cuisine parce que j avais très faim. Il y avait une assiette avec de la viande et de la purée à faire réchauffer. J ai tout mangé et puis j ai pris des provisions pour le dîner. Des gâteaux et des fruits. Après, je suis retournée dans ma chambre et j ai dormi tout l après-midi. Quand Papa est rentré du bureau, il est venu me parler à travers la porte. Il m a demandé ce qui n allait pas mais je n avais pas envie de lui répondre. Ma tante Irène, qui est docteur et qui est la sœur de Papa, est venue dîner. Elle m a posé des tas de questions pendant au moins une heure. J ai répondu non, non et encore non à tout ce qu elle m a demandé. Ça faisait une drôle de conversation parce que des fois, le non, ça n allait pas comme réponse. Mais j avais pas envie de dire oui, jamais. Pas envie 12

13 d être gentille. Alors, c était bizarre. Elle m a dit pourquoi tu ne veux pas aller en colonie et j ai répondu non. Tu es triste de ne plus pouvoir aller à la ferme, c est ça? Non (alors qu en fait, c est oui). Tu es fâchée contre nous? Non. Tu ne veux pas ouvrir la porte de ta chambre? Non (mais là, c était vrai). À la fin, tante Irène est partie. Ils ont parlé longtemps dans la cuisine mais je n entendais pas ce qu ils disaient. Avant de se coucher, Papa est revenu me parler à travers la porte. Il m a dit que je n irai pas dans cette colonie puisque je n en avais pas envie, qu il n allait pas me forcer. Estce que je voulais bien ouvrir la porte? J ai encore dit non pour la millième fois de la journée. Alors, il m a demandé de lui dire pourquoi je me conduisais de cette manière. J ai répondu que je faisais la grève de la 13

14 vie. Il y a eu un long moment de silence puis Papa a répété doucement : la grève de la vie? Là, je me suis mise à pleurer et j ai dit que je n étais pas contente et qu il fallait me laisser, que je ne voulais plus m amuser, que je voulais rester enfermée, que je les détestais tous. Papa m a demandé si je ne voulais pas qu il me console. Je n ai pas répondu. Il est resté un peu encore derrière la porte, puis il a soupiré très fort et il est parti. Moi, j ai mangé une pomme et je me suis couchée. J ai encore pleuré en pensant à Mamie et puis, à la fin, je me suis endormie. 14