DÉPARTEMENT D HISTOIRE. Faculté des lettres et sciences humaines. Université de Sherbrooke PROCÉDURES JURIDIQUES EN NOUVELLE-FRANCE :

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1 DÉPARTEMENT D HISTOIRE Faculté des lettres et sciences humaines Université de Sherbrooke PROCÉDURES JURIDIQUES EN NOUVELLE-FRANCE : ANGÉLIQUE ET L INCENDIE DE MONTRÉAL par PATRICIA BOSSÉ travail présenté à CHRISTINE HUDON dans le cadre du cours HST 104 Histoire du Canada avant 1840 Sherbrooke 23 SEPTEMBRE 2008

2 «Les avocats sont bannis du barreau, chacun plaide sa cause, les muets y sont malheureux et les femmes heureuses», rapporte avec humour le curé de Saint-Anne de Beaupré, Joseph Navières. 1 Cet humour, dont M. Navières fait mention, fait un lien à travers ce que dévoile le procès de Marie-Joseph-Angélique sur la justice pratiquée en Nouvelle-France. Angélique est une esclave noire, accusée d avoir mis le feu à la maison de sa maîtresse et du même coup d avoir déclenché l incendie qui a rasé une partie de la ville de Montréal le soir du 10 avril Cette histoire convient très bien au motif de ce texte, car elle met en contexte plusieurs personnages importants de la justice de l époque et puisqu elle va jusqu au bout des procédures les plus sévères instaurées alors. Enfin, une argumentation tentera de résoudre, bien qu il soit évidemment trop tard, la véritable question sur la culpabilité d Angélique. Marie-Joseph-Angélique est une esclave noire acquise par monsieur François Poulin de Francheville, mais dorénavant propriété de madame Thérèse de Couagne, sa veuve. Le soir du 10 avril 1734, lorsque le feu prend dans le grenier de la veuve et détruit 45 maisons en plus de l Hôtel-Dieu, tous les doigts sont pointés sur Angélique et son amant de race blanche, Claude Thibault. Suite à son arrestation suivent des témoignages de gens susceptibles de prouver la culpabilité de l esclave : Marie, une esclave Panis 2, déclare l avoir entendu raconter que sa maîtresse ne dormirait pas dans sa maison le soir même, Marguerite-César, accoudée à sa fenêtre, dit avoir vu l esclave beaucoup plus agitée qu à l habitude, Louise Poirier, une servante chez les Francheville, dénonce son entêtement, etc. 1 HARDY, Jean-Pierre, Chercher fortune en Nouvelle-France, Montréal, Libre Expression, 2007, p Esclave d origine amérindienne, le nom vient de la tribu Pawnee. 2

3 Tout d abord, bien avant d expliquer le déroulement du procès, il faut être en mesure de distinguer les différentes personnes impliquées dans un procès en Nouvelle- France et savoir que chacune à un rôle particulier. Pour les besoins de la cause, il traitera seulement d une forme de justice, la juridiction royale, située dans la Cour de première instance qui est le tribunal le plus affairé en Nouvelle-France. On peut d abord parler du bourreau, qui avait la lourde et terrible charge d effectuer les peines capitales et corporelles. Puis, l huissier était chargé des poursuites contre l accusé pour des fins d arrestation ainsi que de la saisie des biens lorsqu il y avait lieu. Ensuite, le greffier devait tenir les registres juridiques telle que la convenance l indiquait en Nouvelle-France (tout doit être mis à l écrit). Le rôle du procureur du roi était d agir à titre d avocat de la Couronne. Il garantissait également le bon déroulement du procès. On lui facilitait la tâche, dû au fait qu il n avait aucun adversaire, si vous vous rappelez toujours la phrase de M. Navières. Puis, il y avait un juge (nommé également lieutenant général civil et criminel), qui surveillait l enquête et avait le dernier mot ou presque, puisque le Conseil supérieur de la haute justice, situé à Québec et dirigé par l intendant lui-même (représentant de la justice dans toute la Nouvelle-France), devait parfois juger les causes mises en appel (lors d un crime sévère). Le Conseil supérieur jugeait la sentence administrée par le juge et l allégeait selon les circonstances et parfois l abus. Subséquemment, le procès de Marie-Angélique nécessitant la pleine procédure juridique, il ouvre la porte afin de s entretenir des grandes étapes d un procès en Nouvelle-France mentionnées dans la Grande Ordonnance royale 3 de Chacun des 3 Appliquée au même titre que le code criminel instauré aujourd hui, sans toutefois avoir été enregistrée au Conseil supérieur de Québec. 3

4 personnages mentionnés plus haut prend place dans l histoire d Angélique selon la chronologie juridique exercée alors. Sachez de prime abord qu en ces lieux, l accusé est jugé coupable jusqu à preuve du contraire et que le but ultime de la Grande Ordonnance est de faire avouer son crime à l accusé. La plainte émise au sujet de la culpabilité d Angélique et de son dit complice n était qu une rumeur circulant dans le village selon laquelle elle aurait dit : «que sa maitresse et bien d'autres ne Coucheraient pas dans leurs maisons.» 4 Suite à cette plainte, le procureur du roi établi une requête pour l arrestation des deux coupables autorisée par le juge. On retrouve Angélique, puis on procède à l information, qui consiste à recueillir tous les témoignages (recueillis séparément) susceptibles de prouver la culpabilité de l esclave. «Les témoins ne sont pas là pour décharger l accusé, mais plutôt, à partir de ce qu ils ont vu ou savent de l affaire, pour appuyer les propos du plaignant qui les a amenés devant le tribunal.» 5 L accusé est interrogé afin de lui tirer les vers du nez. Puis, le juge peut, si besoin est, assigner quelques témoins supplémentaires à comparaître. Normalement, l accusé n est interrogé que trois fois, mais peut l être autant de fois que nécessaire. Dans le cas d Angélique, son premier interrogatoire a eu lieu avant la déposition des témoins, puis une deuxième fois après celle-ci et une troisième fois suite à des additions d informations de certains témoins. Ensuite, le procureur du roi demande au juge de procéder «au règlement à l Extraordinaire». On effectue alors un récolement des témoins (relecture de leur déposition afin de savoir s ils ont des informations à y ajouter ou à y soustraire) ainsi 4 Archives nationales du Québec, Centre de Montréal, Procedure Criminel contre Marie Joseph Angélique negresse Incendiere, 1734, TL4 S1, 4136, Juridiction royale de Montréal, Requête du procureur du roi pour l'arrestation d'angélique et de Claude Thibault, 11 avril 1734, 1. [en ligne], consultée le 10 septembre LACHANCE, André, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montréal, Boréal Express, 1984, p. 21 4

5 qu une confrontation avec l accusé (lecture de la déposition du témoin devant l accusé) où celui-ci est libre de s opposer aux faits. Entre temps, on interroge Angélique pour la quatrième fois. C est alors qu apparaît la petite Amable Lemoine Monière, âgée de cinq ans, qui, pour la première fois au cours du procès, relate avoir vu de ses yeux l esclave prendre du feu sur une pelle et monter au grenier. Selon la gravité du crime, on peut choisir d interroger l accusé en la présence de plusieurs juges avant de prononcer la sentence, ce que l on appelle «la sellette 6» dans le cas d Angélique. Deux fois elle sera interrogée puis confrontée à sa maîtresse madame de Couagne et à cette enfant. Le jugement est rendu : Angélique sera condamnée à la question 7 ordinaire et extraordinaire afin de déclarer ses complices, à faire amende honorable 8, à avoir le poing coupé, à être brûlée vive et ses cendres à être répandues au vent. La sentence se doit d aller en appel au Conseil supérieur où on révise la sentence en ne lui coupant pas le poing et en la pendant avant d être brûlée. Angélique subit le supplice des brodequins 9 pour finalement avouer sa culpabilité sans complice, puis est exécutée selon le jugement du tribunal le 21 juin Malgré l ordonnance de l intendant au huissier pour l arrestation de Claude Thibault, on ne retrouva jamais aucune trace du dit complice. Selon moi, Angélique est non coupable, puisque de nombreuses autres explications auraient pu être à l origine de ce feu. D abord, Claude Thibault s accuse de 6 Interrogatoire effectué sur un très petit banc de bois ayant souvent comme objectif de troubler l accusé. 7 Façon de parler de la torture à l époque. La question ordinaire consistait à donner quatre coups et la question extraordinaire à en donner quatre de plus. (Voir brodequins) 8 L accusé était agenouillé dans un lieu public (comme une église) en portant une torche ardente et était forcé d avouer son crime et de faire des excuses. 9 On attachait les jambes des accusés avec des morceaux de bois et on enfonçait des coins de bois entre ceux-ci afin de broyer les os. 5

6 lui-même en fuyant l incendie sans avoir même aidé à le combattre. Voulant probablement s enfuir avec Angélique, il aurait facilement pu mettre le feu alors qu elle était dehors, afin de la délivrer de son futur imminent vers les Antilles. Ensuite, les lois utilisées alors sont cruelles et sans compassion. Certes, la condamnation d Angélique n est pas plus cruelle que celle donnée à une femme s avortant elle-même ou à un homme qui se suicide, mais on voit sans aucun doute la comédie mise en œuvre uniquement dans le but de dérouter l accusé qui n a absolument aucun pouvoir (bien qu Angélique ait mentionné maintes fois son innocence, personne n y a vraiment porté attention). De plus, certains témoins, selon moi, n ont aucune crédibilité, puisque Marguerite César a été déclarée aliénée 10 et qu Amable Lemoine Monière, qui a condamné Angélique, n était qu une enfant naïve de cinq ans. Enfin, le fait que l incendie ait pu être tout à fait accidentel (feu de cheminée) est hors de tout doute. Suite aux lectures faites des documents à propos des procédures en cas de feu instaurées alors, la crainte du feu et le manque de connaissance en construction et en protection renforce l argument. Bref, la juridiction royale a fait ce qu elle croyait être juste et exemplaire selon la gravité et les croyances du moment, mais leur rapidité de jugement, vu la longueur du procès, suite à un témoignage qui aurait pu être totalement non fondé ou même truqué laisse planer le doute quant à sa culpabilité. Bien que les positions diffèrent toujours à ce propos, on ne saura jamais ce qui aurait pu arriver à Angélique suite à un témoignage positif. 10 Certificat d Antoine Déat, curé de Montréal, sur la santé mentale de Marguerite César dit Lagardelette, 1 septembre 1734 [en ligne], consulté le 11 septembre 2008, 6

7 Bibliographie Livres : BEAUGRAND-CHAMPAGNE, Denyse, Le procès de Marie-Josèphe-Angélique, Montréal, Libre Expression, 2004, p COOPER, Afua, La pendaison d'angélique: l'histoire de l'esclavage au Canada et de l'incendie de Montréal, Montréal, Éditions de l'homme, 2007, p HARDY, Jean-Pierre, Chercher fortune en Nouvelle-France, Montréal, Libre Expression, 2007, p LACHANCE, André, Crimes et criminels en Nouvelle-France, Montréal, Boréal Express, 1984, p , Site Web : Projet : Les grands mystères de l histoire canadienne, La torture et la vérité: Angélique et l incendie de Montréal [en ligne], consulté le 10 septembre VACHON, André, Marie-Joseph-Angélique, Dictionnaire biographique du Canada [en ligne], consulté le 13 septembre 2008 Document visuel : LEPAGE, Marquise. Le rouge et le noir au service du blanc. Enregistrement vidéo, Jean Huppé, Montréal, Groupe ECP, minutes, couleur. Documentaire diffusé sur TV5. 7