1. Mme A., née en 1962 et domiciliée à Y. (commune de V.), a travaillé en tant que salariée auprès de B. SA, également à Y., de 1987 à 2004.



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Droit fiscal Décision de la CCR du 20 avril 2011 CCR 16/2010 Impôt sur le bénéfice des personnes morales --Conditions permettant d admettre une distribution dissimulée de bénéfice, en particulier en relation avec l obligation de non-concurrence à laquelle est astreint l administrateur et employé d une société anonyme (art. 58 al. 1 let. a et b LIFD, art. 81 LF, art. 321a al. 3 et 717 al. 1 CO ; consid. 2 et 3). Réf. CH: art. 58 LIFD, art. 321a CO, art. 717 CO Réf. VS: art. 81 LF Gewinnsteuer bei juristischen Personen --Voraussetzungen um eine verdeckte Gewinnausschüttung anzunehmen, insbesondere im Zusammenhang mit dem Konkurrenzverbot, an das der Verwalter und Angestellte einer Aktiengesellschaft gebunden ist (Art. 58 Abs. 1 lit. a und b DBG, Art. 81 StG, Art. 321a Abs. 3 und 717 Abs. 1 OR; E. 2 und 3) Ref. CH: Art. 58 DBG, Art. 321a OR, Art. 717 OR Ref. VS: Art. 81 StG Faits 1. Mme A., née en 1962 et domiciliée à Y. (commune de V.), a travaillé en tant que salariée auprès de B. SA, également à Y., de 1987 à 2004. 2. Par convention de cession d actions du 7 juillet 2004, Mme A. a acquis l entier du capital-social de B. SA. Elle en est l unique actionnaire et administratrice. Par ailleurs, elle est salariée de la société anonyme, selon un taux d occupation de 100%. Le fondateur de B. SA est décédé le 30 août 2004. 3. Le 24 octobre 2006, respectivement le 19 octobre 2007 et le 27 octobre 2008, la société anonyme précitée déposa sa déclaration en matière d impôts cantonaux et communaux et d impôt fédéral direct pour l année 2005, respectivement 2006 et 2007, en déclarant les bénéfices nets ainsi que les chiffres d affaires bruts suivants : Année 2005 2006 2007 Bénéfice net Fr. 106'694.-- Fr. 50'481.-- Fr. 44'366.-- Chiffre d affaires brut Fr. 1'695'020.-- Fr. 1'702'046.-- Fr. 2'138'877.--

4. Le 2 octobre 2006, respectivement le 24 septembre 2007 et le 23 septembre 2008, Mme A. déposa ses déclarations personnelles en matière d impôts cantonaux et communaux et d impôt fédéral direct pour l année 2005, respectivement 2006 et 2007. Elle déclarait un montant de Fr. 261'842.-- pour l année 2005, respectivement de Fr. 260'257.-- pour l année 2006 et de Fr. 47'046.-- pour l année 2007 au titre de revenu d une activité indépendante (après déduction des cotisations sociales). 5. Le 18 avril 2008, Mme A. fit inscrire auprès du Registre du commerce de C. une raison individuelle sous le nom de D. 6. Le 23 décembre 2008, la raison sociale de B. SA fut modifiée et devint Z. 7. Le 26 mai 2009 et les jours suivants, le Service cantonal des contributions (SCC) procéda à un contrôle des comptes de Z. portant sur les exercices 2005, 2006 et 2007. Le rapport d expertise du 6 juillet 2009 relevait notamment ce qui suit : «En examinant, parallèlement à celui de la SA, le dossier personnel de l actionnaire, Mme A., il a été constaté que celle-ci a encaissé personnellement des commissions de courtage à partir de 2005. En effet, alors que, jusqu en 2004, elle n était que salariée de B. SA, dès 2005, elle a encore déposé une comptabilité individuelle et déclaré un revenu d activité indépendante bien qu elle ne soit pas inscrite au registre du commerce. Les recettes sont exclusivement des commissions de courtage. Ce type d affaires relève du champ d activités de la société B., à laquelle, selon la loi et la jurisprudence, Mme A. n est pas autorisée à faire concurrence Les honoraires de vente encaissés par Mme A. doivent dès lors être repris auprès de la société (distribution déguisée de bénéfices)». L expert proposait ainsi de reprendre les montants suivants : 2005 2006 2007

Honoraires de vente encaissés par Mme A. Fr. 515'798.-- Fr. 317'754.-- Fr. 107'600.--./. TVA Fr. 32'132.-- Fr. 9'539.-- Fr. 6'465.-- A reprendre Fr. 483'666.-- Fr. 308'215.-- Fr. 101'144.-- Le rapport d expertise relevait en outre que l actionnaire unique de la contribuable avait reçu les salaires bruts suivants (salaires mensuels et compléments annuels) : Fr. 213'799.-- en 2005, Fr. 204'219.-- en 2006 et Fr. 333'704.-- en 2007. L expert estimait que «le salaire 2007 est à première vue excessif, mais compte tenu des reprises proposées, il peut être admis». 8. La Commission d impôt des personnes morales (CIPM) suivit les propositions de l expert relatives aux reprises ci-dessus mentionnées. Par écriture du 10 août 2009, la contribuable fut informée de l ouverture d une procédure en rappel d impôt pour l année 2005, certains faits inconnus ayant conduit à une taxation erronée pour cette période. Par ailleurs, considérant que Mme A. avait encaissé personnellement des commissions de courtage immobilier qui auraient dû revenir à la société (Fr. 483'666.-- en 2005, Fr. 308'215.-- en 2006 et Fr. 101'144.-- en 2007), la CIPM informa également la contribuable que ces montants seraient ajoutés à son bénéfice net, pour les années en question. Les bordereaux modifiés lui seraient prochainement adressés. 9. Par bordereaux datés du 21 août 2008, le bénéfice net de la contribuable fut ainsi fixé à Fr. 603'300.-- pour l année 2005, à Fr. 377'616.-- pour l année 2006 et à Fr. 226'773.-- pour l année 2007. 10. Contre ces prononcés, la contribuable, représentée par X., à W., éleva réclamation par écriture du 1 er septembre 2009, en contestant les reprises telles qu opérées au titre de distributions dissimulées de bénéfice en relation avec les commissions de vente encaissées à titre personnel par Mme A. 11. A la demande du mandataire de la contribuable, une séance fut organisée le 7 octobre 2009 entre ce dernier et l expert ayant procédé au contrôle des comptes de la société pour les années 2005 à 2007.

Dans son rapport complémentaire du 30 novembre 2009, l expert concluait que les pièces complémentaires et les explications données par le représentant de la contribuable n apportaient aucun argument nouveau susceptible de modifier son précédent rapport. 12. Par décision sur réclamation du 5 février 2010, la CIPM rejeta la réclamation. La CIPM exposait pour l essentiel que les commissions de courtage encaissées par l actionnaire unique de la contribuable, par l intermédiaire de sa raison individuelle (Fr. 483'666.-- en 2005, Fr. 308'215.-- en 2006 et Fr. 101'144.-- en 2007), par rapport aux salaires bruts alloués par la société anonyme à cette dernière (Fr. 213'799.-- en 2005, Fr. 204'219.-- en 2006 et Fr. 333'704.-- en 2007) démontraient une concurrence manifeste dérogeant au principe du devoir de fidélité. La CIPM était en effet d avis qu un salarié d une SA était lié à son contrat de travail et lui devait un devoir de fidélité. Les revenus acquis par l actionnaire unique durant le temps de travail et au moyen des infrastructures de la recourante devaient revenir à cette dernière. 13. Contre ce prononcé, la contribuable, par son mandataire précité, interjeta recours auprès de la Cour de céans le 16 mars 2010, en concluant à l annulation des reprises de Fr. 483'666.-- en 2005, de Fr. 308'215.-- en 2006 et de Fr. 101'144.-- en 2007. Une indemnité équitable à titre de dépens était également demandée. A l appui de ces conclusions, elle exposait pour l essentiel que le SCC s appuyait sur un arrêt du Tribunal fédéral du 27 octobre 1997 (affaire AFC contre V. SA) pour motiver sa position ; que cependant, sa situation était différente de celle traité par ledit arrêt ; que l activité de son actionnaire et administratrice unique, au travers de sa raison individuelle, n entrait pas en concurrence avec sa propre activité ; que cette personne n utilisait pas son infrastructure pour effectuer ses affaires personnelles ; qu il n y avait pas de situation de concurrence ; qu un bon nombre de gens refusaient de devenir ses clients, raison pour laquelle son administratrice unique avait dû se résoudre à encaisser une partie des commissions au travers de sa raison individuelle ; qu elle n avait jamais acquis les clients de la raison individuelle, puisqu ils refusaient de travailler avec la

société anonyme ; qu il y avait donc pas de situation de concurrence, et par conséquent pas de rupture du devoir de fidélité ; que les locaux utilisés à titre personnel par l actionnaire étaient dûment équipés ; que la raison individuelle était inscrite auprès du Registre du commerce ; que la succession de feu M. E. avait ouvert une action en contestation des dispositions prises par celui-ci envers son actionnaire unique ; que, devant l insécurité juridique pesant sur le sort de cette procédure, Mme A. avait été contrainte d assurer ses arrières en constituant sa propre raison individuelle ; et que, dans le cadre d un contrôle de la TVA, l Administration fédérale des finances avait admis la coexistence des deux entités juridiques. 14. Par détermination du 5 novembre 2010, le SCC conclut au rejet du recours, en relevant notamment que pour les années litigieuses, Mme A. était non seulement salariée de la recourante, mais également son administratrice unique ; que le devoir de fidélité découlant de cette dernière fonction était plus étendu que celui découlant du droit du travail (JdT 2004 I 223) ; que l activité de courtage exercée à titre personnel par l actionnaire concurrençait de manière directe l activité de la recourante ; que cette pratique n aurait pas été acceptée pour un autre employé et n avait été possible qu en raison de son statut d actionnaire et d administratrice unique de la recourante ; que celle-ci, en autorisant cette activité concurrente et en n exigeant pas le versement des commissions de courtage lui revenant, avait opéré une distribution dissimulée de bénéfice. Le SCC soulignait encore que la recourante n avait pas pu démontrer l existence d une structure propre abritant son activité personnelle. 15. Par réplique du 25 novembre 2010, la recourante compléta son argumentation en soutenant notamment, photos à l appui, que son actionnaire unique avait bien une structure indépendante pour son activité de courtière à titre personnel. Les autres faits et motifs seront repris ci-dessous dans la mesure utile. Droit 1. a) Le recours porte d'une part sur les impôts cantonaux et communaux, et d'autre part sur l'impôt fédéral direct, et concerne plusieurs périodes. L'état

de fait étant identique, les questions à résoudre, semblables, et la présente Cour, compétente pour les diverses matières (art. 150 de la loi fiscale du 10 mars 1976 LF ; RS/VS 642.1 et 140 de la loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l'impôt fédéral direct LIFD ; RS 642.11), il en sera traité dans un seul prononcé. ( ) Impôt fédéral direct 2. a) L article 58 alinéa 1 lettres a et b LIFD traitant de la détermination du bénéfice net imposable des personnes morales pose ce qui suit : «Le bénéfice net imposable comprend : a. le solde du compte de résultats, compte tenu du solde reporté de l exercice précédent ; b. tous les prélèvements opérés sur le résultat commercial avant le calcul du solde du compte de résultat, qui ne servent pas à couvrir des dépenses justifiées par l usage commercial, tels que : les frais d acquisition, de production ou d amélioration d actifs immobilisés ; les amortissements et les provisions qui ne sont pas justifiés par l usage commercial ; les versements aux fonds de réserve ; la libération du capital propre au moyen de fonds appartenant à la personne morale, à condition qu ils proviennent de réserves constituées par des bénéfices qui n ont pas été imposés ; les distributions ouvertes ou dissimulées de bénéfice et les avantages procurés à des tiers qui ne sont pas justifiés par l usage commercial ;». a1) Conformément à la doctrine et à la jurisprudence, les frais justifiés par l'usage commercial doivent être organiquement liés à la réalisation du bénéfice, et être nécessaires à son acquisition ou à la bonne marche de la société (cf. notamment Xavier Oberson, Droit fiscal suisse, éd. 1998, p. 166; Jean-Marc

Rivier, Droit fiscal suisse, L'imposition du revenu et de la fortune, éd. 1998, p. 348ss; Walter Ryser et Bernard Rolli, Précis de droit fiscal suisse, éd. 1994, p. 185ss). D'autre part, selon le principe posé par la doctrine et la jurisprudence, chacune des parties doit établir les faits dont elle entend faire dériver des droits à son avantage, et, naturellement, supporter le fardeau de la preuve de ces faits. Ainsi, l'autorité fiscale doit-elle, par exemple, établir l'existence des conditions de l'assujettissement et l'existence des faits constituant le fondement d'une imposition ou d'une infraction, alors que le contribuable devra apporter la preuve de la réalité et de l'admissibilité des charges qu'il entend déduire de son revenu (cf. notamment Walter Ryser et Bernard Rolli, opus cité, p. 58). a2) Parmi les frais non justifiés par l'usage commercial, figurent les distributions dissimulées de bénéfice. La notion de distribution dissimulée de bénéfice est largement répandue en droit fiscal, et ce tant au niveau de l impôt fédéral direct que des impôts cantonaux. Elle désigne les prestations appréciables en argent qu'une société fait à ses actionnaires, aux membres de son administration ou à des personnes les touchant de près, sans recevoir une contre-prestation correspondante. Plus précisément encore, la jurisprudence admet qu'il y a répartition ou distribution dissimulée de bénéfice lorsque les trois conditions suivantes sont réunies (cf. notamment ATF 85 I p. 253ss) : la société n'a pas reçu en retour de sa prestation une contre-prestation équivalente, et le résultat de l'exploitation en est affecté, un sociétaire ou une personne le touchant de près est favorisé et la prestation est insolite, en ce sens qu'elle n'aurait pas été accordée, ou du moins pas dans la même mesure, à une personne étrangère à la société, la disproportion entre la prestation accordée et celle qui a été faite en retour était reconnaissable pour les organes sociaux. Les distributions dissimulées de bénéfice sont généralement faites aux personnes qui dominent la société, que ce soit économiquement ou

juridiquement. Les personnes qui touchent la société de près sont des personnes qui ont une relation étroite avec elle. Cette relation peut découler de liens de parenté ou d'amitié (cf. notamment Jean-Marc Rivier, Droit fiscal suisse, éd. 1980 p. 124 et 225). b) Selon l article 321a alinéa 3 du Code des obligations du 30 mars 1911 (CO ; RS 220), «pendant la durée du contrat, le travailleur ne doit pas accomplir du travail rémunéré pour un tiers dans la mesure où il lèse son devoir de fidélité et, notamment, fait concurrence à l employeur». L article 717 alinéa 1 CO pose que «les membres du conseil d administration, de même que les tiers qui s occupent de la gestion, exercent leurs attributions avec toute la diligence nécessaire et veillent fidèlement aux intérêts de la société». c) En l espèce, l autorité inférieure a opéré une reprise de Fr. 483'666.-- pour l année 2005, de Fr. 308'215.-- pour l année 2006 et de Fr. 101'144.-- pour l année 2007, au titre de distributions dissimulées de bénéfices. Ces montants correspondent à des commissions de courtage encaissées personnellement par l actionnaire et administratrice unique de la recourante, et déclarées par celle-ci en tant que revenus d une activité indépendante. La recourante demande l annulation de ces reprises, en soutenant pour l essentiel que l activité exercée par son actionnaire au travers de sa raison individuelle n entre pas en concurrence avec la sienne. Ces positions contradictoires appellent les observations suivantes : d) Il n est ni contesté ni contestable que l actionnaire unique de la recourante est également son administratrice unique et son employée selon un taux d activité de 100%. d1) L article 717 CO ne mentionne pas expressément une obligation de nonconcurrence pour les membres du conseil d administration et les tiers s occupant de gestion. Toutefois, selon la doctrine, les personnes chargées de la gestion d une société sont soumises à une telle obligation (Henri

Peter/Francesca Cavadini, Commentaire romand du Code des obligations, ad article 717 No 12 in fine). d2) Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les personnes physiques qui travaillent pour une société anonyme ont envers cette société un devoir de fidélité. Elles doivent s abstenir d exercer des activités qui pourraient concurrencer cette société anonyme. Si la société autorise néanmoins ces personnes à exercer une telle activité et qu elle renonce à exiger d eux les recettes qui d après leur nature lui reviennent, elle leur verse une prestation appréciable en argent lorsque la renonciation en question s explique par les rapports de participation (arrêt du 27 octobre 1997 publié aux Archives No 67, p. 216 ss). La Cour de céans a récemment porté deux décisions se basant sur cette jurisprudence. Dans la première, il s agissait du cas d un associé gérant qui exerçait une activité indépendante faisant directement concurrence à celle de la société à responsabilité limitée pour laquelle il travaillait. La présente Cour a considéré qu il s agissait d une prestation appréciable en argent (décision CCR du 24 février 2010 en l affaire B. C. Sàrl). Dans la deuxième décision, la présente Cour a confirmé que des revenus déclarés auprès de l actionnaire principal d une société anonyme en tant que revenus de l activité dépendante constituaient des recettes de ladite société, car ils étaient en relation avec son secteur d activité (décision CCR du 24 mars 2010 en l affaire A. A. E. P. & P. SA). d3) Le Tribunal fédéral a précisé ce qui suit au sujet du devoir de fidélité du travailleur : «A raison de son obligation de fidélité, le travailleur est tenu de sauvegarder les intérêts légitimes de son employeur (art. 321a al. 1 CO) et, par conséquent, de s'abstenir de tout ce qui peut lui nuire (ATF 117 II 72 consid. 4a, 560 consid. 3a). L'employeur a un intérêt tout particulier à pouvoir se fier à la rectitude absolue du travailleur lorsque ce dernier exerce une fonction à responsabilités où il devrait être à même d'agir seul sans le contrôle de son employeur et sans exposer celui-ci à un dommage (ATF 108 II 444 consid. 2b p. 449, s agissant d une violation de l obligation de diligence) ; il en va ainsi, par exemple, lorsque le travailleur se trouve en contact direct avec la clientèle (ATF 116 II 145 consid. 6b, p. 151 ; 101 Ia 545 consid. 2c p.

549, s agissant de la violation de l obligation de fidélité)», (ATF 124 III 25 consid. 3a). d4) Dans un arrêt du 9 janvier 2004, le Tribunal fédéral a traité d une situation où un contrat de travail liait la demanderesse, une société anonyme, et le défendeur, lequel était également administrateur de ladite société. La Haute Cour a posé à ce sujet ce qui suit : «La question se pose dès lors de savoir quelles normes fondent le devoir de fidélité du défendeur vis-à-vis de la demanderesse Pour être correcte, la qualification du rapport juridique doit être faite sur la base des circonstances concrètes du cas (ATF 128 III 129 c. 1a/aa, JdT 2003 I 10, p. 12 ss). Le critère décisif est de savoir si la personne concernée se trouvait dans une relation de subordination, dans ce sens qu elle recevait des instructions. Si cela est admis, il s agit d une relation relevant à la fois du droit du travail et du droit des sociétés La double qualification de cette relation a pour conséquence que l organe qui est en même temps un employé doit respecter non seulement le devoir de fidélité de l employé (art. 321a CO), mais aussi le devoir de fidélité d un membre du conseil d administration ou de la direction selon l art. 717 CO Si une violation du devoir de fidélité est en cause, on doit donc examiner séparément si c est l un ou si c est l autre qui a été violé. Il s avère en règle générale que le devoir de fidélité découlant du droit des sociétés va plus loin que celui qui découle du droit du travail» (ATF 130 III 213 = JdT 2004 I 223). e) L administratrice unique et employée de la recourante a conclu pour son propre compte (raison individuelle) des affaires immobilières et a ainsi encaissé personnellement des commissions de courtage y relatives. Cette activité exercée en son propre nom relève du même champ d occupation de la recourante, au vu de l ensemble des éléments déterminants suivants : e1) En premier lieu, la dénomination de la raison individuelle est des plus claires en ce qui concerne son champ d activité («D.»). e2) Deuxièmement, l examen des comptes de la raison individuelle (absence de frais d annonces, forfaits pour les frais de bureau, forfaits pour les frais de

représentation) démontre clairement que l activité indépendante est en étroite relation avec l activité de la recourante. e3) Troisièmement, la recourante affirme que si son administratrice et employée n a pas eu d autre choix que de «se résoudre à encaisser une partie des commissions au travers de sa raison individuelle, c est justement en raison du refus absolu d un bon nombre de personnes de devenir précisément clients de B. SA». Cet argument se retourne tout d abord contre la recourante, car celle-ci reconnaît que son champ d activité est le même que celui de la raison individuelle. A l appui de son argument, la recourante a déposé plusieurs attestations signées par les principaux clients personnels de son administratrice. La recourante argue que ceux-ci ne lui auraient en aucun cas confié leurs affaires. Cependant, à l examen, ces diverses attestations confirment simplement qu un mandat a bien été confié à l entreprise individuelle, et non à la recourante. Aucun client à titre individuel de l administratrice n affirme qu il n aurait jamais confié ses affaires à la recourante. e4) Quatrièmement, la recourante soutient que son administratrice et employée dispose de structures propres et indépendantes pour son activité individuelle. Elle a notamment déposé des photos du bureau de la raison individuelle. Dans sa réplique, la recourante informe que le bureau a «aujourd hui malheureusement disparu». A l examen, les photos n apportent cependant aucun élément de preuve quant à l existence d une structure propre à la raison individuelle. L aménagement du bureau peut même avoir été mis en place postérieurement aux remarques de l autorité inférieure contestant l existence d une structure propre et soutenant que le local en question était utilisé pour les archives de la recourante. Cette question peut même demeurer ouverte, car l utilisation ou non des infrastructures de la recourante pour l activité personnelle de son administratrice n est pas un élément important pour la détermination d une activité concurrente. Qu elle dispose ou non d une structure indépendante ne modifie en rien le devoir de fidélité de l actionnaire et employée de la recourante vis-à-vis de celle-ci.

e5) Cinquièmement, la recourante conteste l affirmation mentionnée dans le rapport d expertise du 6 juillet 2009 selon laquelle la raison individuelle n était pas inscrite auprès du registre du commerce. Il est vrai que ladite inscription a été faite. Cependant, elle date du 18 avril 2008 et est donc postérieure aux années litigieuses. e6) Enfin, la recourante fait référence à une prise de position de l Administration fédérale des contributions (AFC), intervenue dans le cadre d un contrôle TVA de l administratrice de la recourante. La recourante avance à ce sujet ce qui suit : «l administration fédérale a, dans un premier temps, remis en cause l existence de deux entités juridiques et demandé la radiation de Mme A. du registre des contribuables TVA. L Administration fédérale des contributions s est ensuite ravisée en date du 27.6.2008 et a admis le principe de l existence des deux entités». Cependant, la position de l AFC ne saurait lier les instances fiscales cantonales. De plus, l écriture du 27 juin 2008 informe uniquement que la radiation du registre des contributions de Mme A. a été radiée. L autorité fédérale ne s est pas prononcée sur la question de la concurrence. f) Au vu de tout ce qui précède, et en application de la jurisprudence citée cidessus, il y a bien eu violation du devoir de fidélité de l administratrice et employée de la recourante vis-à-vis de celle-ci, tant sous l angle du droit du travail que du droit des sociétés. Il y a en effet une situation de concurrence entre la raison individuelle et la recourante. Cette dernière a renoncé à exiger les recettes de l activité indépendante de son administratrice, et ce sans aucune contre-prestation. Par ailleurs, la disproportion entre la prestation accordée et celle qui a été faite en retour (en l occurrence aucune) était à l évidence reconnaissable pour les organes sociaux de la recourante. Enfin, l actionnaire et administratrice unique est manifestement une personne touchant de près la recourante, et la renonciation à encaisser les commissions de courtage s explique par le rapport de participation existant entre les deux parties. Il appert dès lors que les conditions d une distribution dissimulée de bénéfice sont réalisées. Le fait pour la recourante d accepter que son actionnaire

administratrice unique exerce une activité indépendante lui faisant directement concurrence constitue une prestation appréciable en argent dont la valeur correspond au revenu net retiré pour la personne physique, soit Fr. 483 666.-- en 2005, Fr. 308 215.-- en 2006 et Fr. 101 144.-- en 2007. D autre part, il n y a pas lieu de porter en déduction de ce montant un salaire de l associé gérant, puisque les montants repris se rapportent effectivement à l exercice d une activité indépendante, et non pas à celui d une activité salariée. Le recours doit ainsi être rejeté en tant qu il concerne l impôt fédéral direct. Impôts cantonaux et communaux 3. Hormis des différences irrelevantes en l'espèce, l'article 81 LF pose les mêmes règles que l'article 58 LIFD. Par ailleurs, les articles 321a alinéa 3 et 717 CO s appliquent également en ce qui concerne les impôts cantonaux et communaux. Cela étant, le raisonnement développé ci-dessus en matière d'impôt fédéral doit être repris ici, et le recours, rejeté également en tant qu'il concerne les impôts cantonaux et communaux.