Et si les femmes révolutionnaient le travail?



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Transcription:

Et si les femmes révolutionnaient le travail? Actes des auditions organisées par la Fondation Gabriel Péri et la commission nationale du PCF «Droits des femmes/féminisme». Auditions d Emmanuelle Boussard-Verrechia, Maryse Dumas, Bernard Friot, Françoise Milewski, Sophie Pochic, Hervé Tourniquet et Marie-Christine Vergiat. Brochure sous la direction de Laurence Cohen, sénatrice, membre du Conseil d Administration de la Fondation Gabriel Péri. Avec la participation d Elisabeth Ackermann, Caroline Bardot, Hélène Bidard, Yannick Marin et Francine Perrot.

2 Et si les femmes révolutionnaient le travail?

«Et si les femmes révolutionnaient le travail?» Laurence Cohen 3 Introduction : Et si les femmes révolutionnaient le travail? Laurence Cohen Orthophoniste en exercice, elle est conseillère régionale d Ile-de-France depuis 2004, sénatrice du Val-de-Marne depuis 2011, membre de la direction nationale du Parti Communiste Français depuis 2000 avec la responsabilité des questions des droits des femmes et du féminisme depuis 2003. Elle est également membre du Conseil d Administration de la Fondation Gabriel Péri depuis 2012. Cet ouvrage collectif repose sur l engagement d un groupe de travail issu de la commission nationale du Parti Communiste Français : «Droits des femmes/féminisme» et de la Fondation Gabriel Péri. Il s est imposé aux militantes politiques que nous sommes pour, à partir de notre expérience, de notre engagement, lever le voile sur les blocages de la société qui empêchent de reconnaître, dans les faits, l égalité entre les femmes et les hommes. En effet, les inégalités subies par les femmes sont loin d être marginales, elles se retrouvent à tous les niveaux de hiérarchie, bloquent toute évolution de carrière, amputent salaires et retraites, allant même jusqu à réduire le choix de certains métiers à ceux reposant sur les qualités dites «naturelles» des femmes! Ces inégalités sont d autant plus vivaces qu elles sont «justifiées» par le rôle social qui leur est attribué. Il nous est apparu important, dans une période de crise, de contribuer à éclairer ce phénomène de masse pour qu une prise de conscience collective ait enfin lieu. La question qui se pose, au fond, est la suivante : pourquoi cette injustice notoire n est-elle pas prise en compte à la hauteur nécessaire par les syndicats et les partis politiques? Pendant plusieurs mois, nous avons donc mené des auditions avec des syndicalistes, des sociologues, des avocat-es, des économistes

4 Et si les femmes révolutionnaient le travail? de sensibilités diverses. Ces auditions ont été passionnantes, les contributions qu elles et ils nous ont remises et que vous découvrirez dans ce livre, en témoignent. Elles ont contribué à enrichir notre réflexion, à bousculer nos certitudes, à élaborer des propositions, à ouvrir de nouvelles pistes de travail pour qu un véritable changement de société s impose. Processus durant lequel luttes contre le capitalisme et contre le patriarcat doivent avancer dans un même mouvement. Partout il faut se battre pour démontrer que l égalité entre les femmes et les hommes n est pas un supplément d âme. Et force est de constater que, même si les mobilisations féministes ont permis d arracher des droits nouveaux pour les femmes, les inégalités de genre demeurent vivaces en 2013. Le sujet de cette brochure n est pas d analyser l ensemble des inégalités que vivent les femmes mais de mettre un coup de projecteur sur ce qu elles subissent, en France, dans le monde du travail. Alors que les femmes représentent près de la moitié de la population active, elles n ont toujours pas obtenu l égalité professionnelle. Margaret Maruani et Monique Meron ont décrypté les chiffres du travail des femmes en France de 1901 à 2011. (1) Leur livre est un outil précieux car il renseigne les statistiques de manière sexuée mettant plus que jamais en évidence le fait que l invisibilité du travail des femmes est une construction sociale. Depuis la reconnaissance du principe de l égalité de rémunération de 1972 à la loi Roudy sur l égalité professionnelle de 1983 en passant par la loi Génisson de 2001, sans oublier celle sur l égalité salariale de 2006, plusieurs lois ont été votées pour tenter d obtenir l égalité professionnelle mais aucune n est appliquée. Pourquoi de telles résistances? 1 «Un siècle de travail des femmes en France» éditions La découverte 2012.

«Et si les femmes révolutionnaient le travail?» Laurence Cohen 5 Pour au moins deux raisons majeures. - Tout d abord parce que le patronat utilise le travail des femmes comme un laboratoire d expérimentation afin d étendre précarité, temps partiel, flexibilité à l ensemble du monde du travail (et qui dit temps partiel dit salaires partiels et retraites partielles!). - Mais également parce que d une manière générale, la société patriarcale maintient les femmes dans un statut d infériorité. Ainsi, investies d un rôle prédéterminé, les femmes sont ou se sentent obligées de raccourcir ou d aménager leur temps de travail pour suppléer au manque criant des modes de garde permettant à leurs conjoints de travailler plus. Révolutionner le travail des femmes aurait une incidence sur les conditions d exercice de leur activité professionnelle mais également sur l articulation des temps sociaux. Si les femmes se rassemblaient pour dire STOP, ça suffit! N est-ce pas toute l organisation de la société qui serait remise en cause, pour un mieux vivre ensemble dans le respect et l égalité? Et les auditions le démontrent sans conteste, toute amélioration des conditions de vie des femmes, dans l entreprise, dans le foyer comme dans la sphère publique et politique, hisse l ensemble de la société vers un mieux-être. C est l une des raisons pour laquelle il est urgent de prendre cette question à bras-le-corps. Entre le début et la fin des auditions que nous avons réalisées, la majorité politique a changé, un Ministère des Droits des Femmes a été créé. C est une bataille que nous avons portée avec les mouvements féministes et nous nous réjouissons qu un tel Ministère ait été mis en place avec une ministre de plein droit qui veut travailler de manière transversale avec l ensemble des ministères. Mais dans ce domaine comme dans les autres, le changement, c est maintenant. Nous sommes disponibles pour y contribuer dans la réflexion comme dans l action.

6 Et si les femmes révolutionnaient le travail? Discriminations sexuelles au travail Emmanuelle Boussard-Verrechia Avocate depuis plus de vingt ans, spécialiste en droit du travail, et titulaire d une qualification spécifique en Discrimination, Emmanuelle Boussard-Verrechia s occupe essentiellement de questions de discrimination au travail. L égalité professionnelle entre les hommes et les femmes s est imposée naturellement à elle comme le domaine privilégié, compte tenu de sa sensibilité au sujet et du nombre croissant de femmes qui sont venues la voir ces dernières années et qui ne supportaient plus d être en situation de discrimination. Son expertise provient de la discrimination syndicale, domaine dans lequel elle travaille depuis 15 ans avec la CGT, notamment avec François Clerc, syndicaliste CGT chez Peugeot. Ensemble ils ont cherché à transposer la méthode d analyse qu il a développée pour les syndicalistes aux salariés en situation de discrimination pour un autre motif. Son apport est aujourd hui uniquement basé sur cette expérience. Empirique, il n a selon ses propres mots aucune prétention scientifique. Les situations de discrimination sexuelle (qui regroupe l ensemble des problématiques des femmes, appartenance au sexe féminin, grossesse, maternité, situation de famille) sont protéiformes et présentes tout au long de la carrière des femmes, avec des pics de risque autour de la maternité, notamment de rupture de contrat de travail. Bien évidemment, la discrimination sexuelle au travail ne peut pas être combattue sans qu une action globale, qui dépasse largement le droit du travail, soit engagée. C est une question de volonté politique, de priorité politique, et la lutte contre les discriminations envers les femmes est nécessairement une politique «intégrée», c est-à-dire présente dans tous les champs de l action publique, et devait l être également au sein des entreprises privées.

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 7 Cependant, la place des femmes dans le monde du travail est capitale, puisque c est le travail qui permet l autonomie des femmes, et donc participe à l égalité réelle. Deux constats sont préalablement nécessaires, car ce sont eux qui détermineront nos points de vigilance : Premier constat : surmortalité contractuelle, hypotrophie du développement, un exemple théorique, mais si courant La relation contractuelle de travail d une femme est bien plus fragile que celle d un homme. Il existe de multiples occasions qu elle soit rompue, ce que ne subissent pas les hommes. C est ce que j appelle habituellement «la surmortalité contractuelle du contrat de travail des femmes». Par ailleurs, l évolution professionnelle d une femme au travail a bien plus de risques d être moindre que celle d un homme, à caractéristiques égales de départ. C est «l hypotrophie de l évolution professionnelle». Ces deux caractéristiques se conjuguent, ce qui engendre des carrières discontinues, mal rémunérées, parsemées de périodes de chômage, de congés parentaux plus ou moins subis, de temps partiels plus ou moins choisis, et aboutissent à ce que des femmes, ayant une activité toute leur vie, ont de faibles montants de retraite. Il faut imaginer le parcours-type d une femme ordinaire pour se rendre compte du nombre de risques que sa relation de travail encourt. Suivons une jeune femme qui vient d être embauchée, surmontant ici le 1 er risque, celui de ne pas être embauchée quand on est une jeune femme. Elle est embauchée, 2 e risque, à un niveau de salaire inférieur à celui d un collègue masculin effectuant le même travail. Elle annonce la grossesse de son premier enfant pendant la période d essai, 3 e risque, une rupture de son contrat de travail sans obligation de motivation de l employeur. Je rappelle que la jurisprudence n a admis que récemment que la rupture en période d essai d une femme enceinte pouvait s analyser comme

8 Et si les femmes révolutionnaient le travail? une discrimination à raison de la grossesse. Elle passe ce cap, mais n obtient pas l augmentation de salaire qui semblait pourtant acquise. Elle part en congé maternité. Son retour est problématique, 4 e risque. En effet, l entreprise est en réorganisation, et son poste a été dispersé, en son absence, ente deux autres personnes, sa fonction n existe plus. Elle doit se rechercher un nouveau poste, elle subit une période sans travail de quelques semaines, quelques mois. Changement d activité et de poste, elle n est pas incluse dans le prochain train d augmentation, puisqu elle doit faire ses preuves dans ce nouveau poste. Cette situation peut se reproduire au 2 e enfant, au 3 e enfant (5 e et 6 e risques), les motifs de rupture peuvent varier (économique, insuffisance professionnelle, rupture conventionnelle etc.), la projection d indisponibilité de la salariée par l employeur s accroît et les décisions favorables en termes de rémunération et d évolution s espacent. Agacée d avoir vu les promotions promises attribuées à d autres parce qu elle était enceinte ou revenait de congé maternité, elle a différé sa 3 e grossesse pour obtenir le poste qui lui était promis depuis plusieurs années. Après sa 3 e grossesse, elle prend un congé parental de 1 à 3 ans, se croyant protégée par la loi, qui oblige l employeur à la reprendre à l issue de son congé parental, 7 e risque : l entreprise en réorganisation, ou en plan social, dans laquelle, pendant le long délai d absence, les techniques ont changé, le poste n existe plus, proposition de licenciement «arrangé», l employeur s est habitué à son absence et ne tient guère à son retour etc. Elle reprend à temps partiel 4/5 e, convaincue par la lecture d un accord Égalité signé dans son entreprise de ce que ce temps partiel ne nuira pas à son évolution professionnelle. Elle a de la chance, l employeur ne soutient pas que son activité n est pas compatible avec un temps partiel (8 e risque). Cependant, son travail reste le même en volume (personne ne vient la décharger pour 1/5 e ), mais également, ses augmentations sont moindres, ou moins fréquentes. Sa formation est négligée par l employeur (9 e risque). Elle reprend à plein-temps lorsque le dernier enfant rentre à l école primaire ou au collège.

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 9 Alors qu à son niveau hiérarchique les femmes sont nettement majoritaires, le niveau hiérarchique supérieur auquel elle postule en vain, est occupé à 85 % par des hommes. Elle a atteint le plafond de verre (10 e risque). Puis elle prend sa retraite. Elle fait les comptes et elle constate que tout au long de sa carrière, son niveau de rémunération a été souvent impacté par les incidences de sa vie de femme et de mère (11 e risque). Ses collègues masculins embauchés en même temps qu elle au même diplôme, ont tous été promus à des niveaux supérieurs (12 e risque) ; elle observe aussi que font le même travail qu elle, des collègues masculins plus jeunes, mais que ces derniers ont un niveau de classification supérieur et souvent une rémunération supérieure. Ils ont du potentiel, dit-on. Elle se dit que ce n est pas juste, mais qu elle a eu de la chance, elle n a pas été licenciée, n a pas été harcelée sexuellement ou moralement par un supérieur hiérarchique qui aurait mal accepté la présence d une femme, ou d une mère, ou ses congés maternité, ce qui aurait conduit, après un long arrêt maladie, à un licenciement pour inaptitude constatée par le Médecin du travail pour la soustraire au harcèlement (13 e risque). Mais elle dit à sa fille de se battre et de ne pas se laisser faire. Ce profil et ses variantes plus ou moins graves dans le degré d atteinte aux droits, à tous les stades de la vie professionnelle, je le vois tous les jours et peux le décliner pour les ouvrières, les employées, les cadres, de la salariée d une salle de marchés de banque comme à la responsable de logistique dans une PME Il est partout le même, procède des mêmes stéréotypes, des mêmes comportements masculins de l entre-soi, de la même méconnaissance des mécanismes discriminatoires par les employeurs, même les plus vertueux. Les entreprises discriminantes volent une partie du salaire des femmes, cette qualification brutale est pourtant la plus appropriée lorsqu une femme est sous-rémunérée par rapport à un homme pour un travail de valeur égale, ou lorsqu elle n a pas eu l évolution professionnelle à laquelle elle pouvait prétendre en l absence de discrimination. Elles gâchent l investissement de l Éducation

10 Et si les femmes révolutionnaient le travail? nationale qui est irrémédiablement perdu pour certaines femmes, ou tout du moins, reste sous exploité. La première difficulté est de faire prendre conscience aux femmes elles-mêmes des situations de discrimination dans lesquelles elles se trouvent. Repérer les situations de discrimination n est pas toujours simple, surtout qu une intériorisation d une culpabilité largement entretenue l en empêche souvent. Et si le discours sur la discrimination est diffusé, il reste souvent trop vague, les situations de discrimination ne sont pas toujours qualifiées comme telles. Pour d autres, il s agit de passer du ressenti de discrimination à l action : donner des outils à celles qui sont discriminées pour se battre, exiger d être rétablies dans leurs droits, dans Le Droit, d être indemnisées, repositionnées professionnellement etc. Deuxième constat : une analyse nécessaire, attention à ne pas se tromper de cible! Il y a deux problématiques dans la discrimination des femmes au travail, dont il faut bien comprendre la différence : L égalité salariale On parle d égalité salariale lorsqu est invoquée la règle à «travail de valeur égale» avec un collègue masculin, une salariée doit recevoir la même rémunération (L 3221-2 à 6 du Code du travail). C est une déclinaison spécifique aux femmes de la règle «A travail égal, salaire égal». Spécifique aux femmes car a été pris en compte par la loi, la difficulté d accès des femmes à certains métiers. C est pourquoi la comparaison, voulue par la loi, n est pas «A travail égal», mais «A travail de valeur égale», ce qui permet de comparer la valeur de travaux qui ne sont pas identiques. Cette question s inscrit dans le cadre, plus vaste, de la valorisation de l emploi féminin. Ce débat fait appel à une autre manière de considérer les compétences développées par les femmes dans les emplois fortement féminisées, notamment de ne pas considérer comme naturelles et donc gratuites, un certain nombre

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 11 de compétences. Il s agit là d un long travail de fond (refonte des classifications des emplois, des conventions collectives etc.), qui a été abordé par un groupe de travail de feue la HALDE qui doit rendre prochainement ses travaux. L exigence d égalité professionnelle Ce principe juridique «A travail égal, salaire égal», qui frise l aphorisme, cache souvent une autre réalité, l atteinte à l égalité professionnelle. L inégalité professionnelle est le produit de l ensemble des faits qui engendre une évolution professionnelle des femmes moins favorable que celle des hommes alors que leurs conditions sont égales ou équivalentes au départ (ancienneté ou âge, formation de base). (L 1132-1 et L 1142-1 du Code du travail). Il s agit du cumul des abstentions de l employeur en matière de rémunération, promotion, accès à des postes plus valorisés, formation etc. Le produit de ce cumul sera visible par comparaison avec la situation des hommes placés au départ dans des circonstances similaires. On utilise ici la méthode CLERC, issue de l expérience de la discrimination syndicale, que l on a fait glisser en matière de discrimination sexuelle au travail (panel de comparaison, détermination du repositionnement professionnel et de l écart de rémunération, évaluation du préjudice subi pour le passé). Lorsque l employeur est dans l incapacité d expliquer l inégalité de traitement par des critères objectifs étrangers à toute discrimination, la discrimination est avérée. L atteinte à l égalité professionnelle s observe dans toutes les entreprises, dans tous les secteurs d activité. Envisagée sous cette forme, la différence de rémunération est bien plus élevée que celle de 10 à 20 % selon les sources et les paramètres qui sont communément avancés. Propositions : Il résulte de ce que j ai exposé, que la priorité est de lutter contre l opacité entretenue à dessein par les entreprises sur la situation concrète des femmes dans l entreprise (positionnement, rémunération).

12 Et si les femmes révolutionnaient le travail? En effet, dès lors que la situation de discrimination est visible, elle permet de responsabiliser les femmes d abord, puis les acteurs sociaux dans l entreprise. Les propositions que je peux émettre sont nées de l observation des manques d outils, à la fois des femmes, des acteurs dans l entreprise et des acteurs judiciaires. Les femmes doivent en priorité avoir les moyens de se situer par rapport à leurs collègues masculins dans l entreprise. Les Rapports de situation comparée Les rapports de situation comparée entre les hommes et les femmes (RSC), doivent avoir un intérêt concret et contenir des informations lisibles et utiles à la lutte contre les discriminations. C est déjà en grande partie le cas, notamment en matière d égalité salariale, mais il manque des indicateurs essentiels pour dépister l inégalité en matière d évolution professionnelle. - Améliorer la visibilité de la situation des femmes dans l entreprise Aujourd hui, le RSC prend une «photo» de la place des femmes dans l entreprise et produit donc une vision statique. Il n existe aucun critère croisé âge/rémunération/niveau, qui permette une comparaison dynamique de l évolution professionnelle avec la population masculine. Avec François Clerc, nous avons réfléchi aux indicateurs supplémentaires du Rapport de situation comparée des femmes dans l entreprise. Ces nouveaux indicateurs pourraient permettre une vérification de la situation des femmes dans l entreprise intégrant une dimension d évolution professionnelle. Nous sommes parvenus à des indicateurs faciles à mettre en œuvre par l entreprise, un logiciel simple peut traiter les données que possèdent les employeurs. Il s agit donc seulement d une présentation des données qui permet de «lire» une dynamique dans le temps des salariés par génération et à chaque femme de se positionner au sein de sa communauté de travail.

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 13 C est ce qui manque cruellement aujourd hui dans le RSC. Il s agit, par niveau de formation au sens de l Éducation nationale, (circulaire du 11 juillet 1967), d avoir le positionnement dans l entreprise, ou la rémunération, des femmes et des hommes selon leur âge. (2) Très brièvement, les raisons des critères retenus sont les suivantes : La notion d âge permet de tenir compte de la réalité du salariat d aujourd hui (les salariés ne font plus toute leur carrière dans la même entreprise), de la flexibilité du marché du travail, d intégrer l idée de la sécurisation des parcours professionnels et d une cohérence dans les évolutions professionnelles malgré les changements d employeurs au cours de la carrière professionnelle, et de neutraliser le caractère discontinu des carrières féminines. Le critère du niveau de formation initiale au sens de la circulaire de l EN a l avantage d être un critère commun à tout le territoire national, quelle que soit la branche professionnelle et de tenir compte des grands paliers de niveau de formation. Par ailleurs, ces critères ont l avantage de laisser à la négociation collective l adaptation à la réalité de l entreprise, d où responsabilisation des partenaires sociaux. En effet, restent du domaine de la négociation, la notion de rémunération, le périmètre 2 Rédigé dans l article D 2323-12 du Code du travail, la formulation serait la suivante : «1 dans Conditions générales de l emploi, e) Positionnement dans l entreprise, après Répartition des effectifs par catégorie professionnelle, rajouter : «- Selon le niveau de formation, au sens de la Circulaire II-67-30 du 11 juillet 1967 de l Éducation nationale, acquis par les salariés, répartition de ces salariés selon le niveau de qualification, par tranche d âge» 2 dans «Rémunérations», comme il est écrit «Données chiffrées par sexe et par catégorie professionnelle», rajouter : «données chiffrées par sexe : - Selon le niveau de formation, au sens de la Circulaire II-67-30 du 11 juillet 1967 de l Éducation nationale, acquis par les salariés, répartition de ces salariés selon la rémunération, par tranche d âge» Ces données sont réalisables sous forme graphique, l ensemble de points réalisant une «plume».

14 Et si les femmes révolutionnaient le travail? de l étude (établissement, secteur d activité de l entreprise etc.), les distinctions des qualifications (selon CCN, accords d entreprise etc.) et le niveau de finesse (par coefficients, niveau etc.). - Améliorer la visibilité des ruptures des contrats de travail des femmes lors des retours de congé maternité ou parental La rupture conventionnelle est une catastrophe de ce point de vue, en ce qu elle occulte toutes les causes de rupture, et s adresse particulièrement à des populations fragilisées, comme des femmes au retour de congé maternité ou parental. Il est donc nécessaire que figurent dans le RSC et dans le bilan social le nombre et le taux de rupture des contrats de travail, quel que soit le mode de rupture, dans l année qui suit le retour de congé maternité ou parental, ainsi que le nombre et le taux de rupture par rupture conventionnelle dans l année qui suit le retour de congé maternité ou parental. Ceci permettrait au moins d éviter des pressions excessives pour l acceptation d une rupture durant cette période. Le renforcement des institutions représentatives du personnel dans la lutte contre les discriminations sexuelles Le renforcement du rôle des représentants du personnel dans la lutte contre la discrimination entre les hommes et les femmes dans l entreprise est une voie à approfondir. Dans cette perspective, puisque le droit d alerte des Délégués du personnel (article L 2313-2 du Code du travail) concerne aussi la discrimination sexuelle, il est possible de renforcer le rôle du Délégué du personnel. Il s agirait de lui donner expressément (par décret), dans le cadre de l enquête conjointe avec l employeur, les moyens d avoir accès aux données salariales nominatives des salariés composant le panel de référence adéquat à la situation de la salariée. Les données salariales de ce panel, composé de salariés ayant des conditions comparables (ancienneté, formation de base) conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, sont en effet en la seule possession de l employeur.

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 15 Alors que le principe de la confidentialité des données salariales s opposait catégoriquement, selon les employeurs, à ce que ces données salariales nominatives permettant la comparaison soient transmises aux délégués du personnel, les juridictions ont affirmé au contraire que ce principe de confidentialité ne pouvait faire obstacle à la lutte contre les discriminations, et donc ordonnent leurs transmissions. Cet accroissement du pouvoir d enquête du Délégué peut être éventuellement accompagné d un rappel de l obligation de confidentialité du délégué dans l exercice de son mandat. Cette mesure permet de redonner un rôle concret aux Délégués du Personnel et de valoriser les représentants du personnel, de traduire dans le domaine réglementaire des acquis jurisprudentiels, tout permettant d éviter d avoir recours à une procédure judiciaire, toujours aléatoire, longue et coûteuse. Par ailleurs, il ne faut pas oublier l isolement des femmes en situation de discrimination. Elles subissent dans la solitude, la discrimination, et elles se battent dans la solitude également. Des moyens d action réaffirmés des Institutions Représentatives du Personnel créeraient du lien entre les salariées et les représentants du personnel, leur permettraient de sortir de leur isolement et de trouver du soutien dans l entreprise. Le procès judiciaire Nous en sommes au début de l utilisation de l arme judiciaire. Elle peut progresser vite, car le raisonnement juridique de la discrimination, issu du droit communautaire qui a apporté notamment l aménagement de la charge de la preuve, commence à être mieux appréhendé par les juridictions. Puisque, dire le droit ne suffit manifestement pas, du Traité de Rome aux directives, aux lois de 1972, 1983 etc. il faut un rapport de force judiciaire avec les employeurs qui nous devienne favorable.

16 Et si les femmes révolutionnaient le travail? Pour cela, deux pistes : - Améliorer la visibilité des condamnations judiciaires La connaissance des décisions judiciaires dépend trop du bon vouloir de la presse. Les salariés d une entreprise doivent savoir si leur entreprise fait l objet ou non de procédures en matière de discrimination sexuelle. On peut organiser un système d information interne à l entreprise, telle l obligation d information du CE, de la commission Égalité du CE le cas échéant, des Délégués du Personnel, la mention dans le RSC, de l existence de procédures en cours visant les articles précis sur la discrimination et leur résultat. Voire un affichage dans l entreprise. Par ailleurs, en jouant sur la sensibilité des entreprises à leur image, il peut être prévu une obligation de publication dans la presse (comme en matière pénale), qui pourrait être ordonnée par le Juge civil. À cet égard, il est totalement inadmissible que des entreprises qui ont été condamnées définitivement pour des pratiques discriminatoires puissent posséder le label Égalité, ce qui est le cas actuellement. - Affirmer le caractère punitif des dommages et intérêts Plus délicat est l aspect financier. Pourtant, il est clair que la discrimination ne reculera que lorsqu il existera, non seulement une atteinte à l image des entreprises à être condamnées, mais également lorsqu il leur coûtera cher de discriminer. Bien évidemment des condamnations lourdes et réparatrices sont nécessaires. Sur ce point, les juridictions restent trop timides et sont souvent en deçà des préjudices réels, malgré l affirmation du principe de réparation intégrale du préjudice subi. Ne faut-il pas réfléchir, dans cette matière spécifique, à des dommages et intérêts «punitifs»? La directive dite Refonte de juillet 2006 oblige les états membres à des sanctions «effectives, proportionnées et dissuasives». Le seul aspect dissuasif en France est envisagé sous la forme de la voie pénale, dont on sait qu elle

«Discriminations sexuelles au travail» Emmanuelle Boussard-Verrechia 17 n est pratiquement jamais utilisée. Il faudrait donc qu en matière civile, devant les juridictions naturelles des rapports de travail, le caractère dissuasif soit aussi envisagé sous forme financière, c està-dire que les dommages et intérêts puissent punir les entreprises, et pas seulement indemniser les salariées, de façon à favoriser la prévention. Voici donc quelques pistes de réflexion, non exhaustives évidemment. Elles ont le mérite de n entraîner aucune dépense publique supplémentaire.

18 Et si les femmes révolutionnaient le travail? Travail des femmes et émancipation Le 14 mai 2012 Maryse Dumas Élue au Bureau confédéral de la CGT lors du 45 e congrès de la Confédération, elle quitte la direction confédérale en décembre 2009. Elle est nommée au Conseil économique, social et environnemental en novembre 2010. Elle y siège dans le groupe de la CGT et est membre de la section des activités économiques. Elle est également Vice-Présidente de la délégation aux droits des femmes et à l égalité. Introduction : Radio France a récemment organisé une grande enquête auprès de ses auditeurs sur le thème «quel travail voulons-nous?». 7 000 personnes ont répondu. Sur la plupart des thématiques, on ne constate pas une grande différence entre les réponses des femmes et celles des hommes. Sauf sur l une d entre elles : à la question, le travail est-il pour vous plutôt un droit ou une obligation? La majorité des femmes répondent «un droit», la majorité des hommes «une obligation». Je trouve là une confirmation que le rapport au travail n est pas identique pour les femmes et pour les hommes et que ce rapport est fortement imprégné des problématiques de genre. Le travail salarié est fortement ségrégué. Il reproduit dans la sphère salariée le partage traditionnel des rôles. C est une des causes majeures de la persistance des inégalités professionnelles entre les femmes et les hommes. C est l une des questions principales à faire bouger dans une perspective d émancipation. De plus, les inégalités se creusent entre les femmes. Certaines accèdent à des emplois de responsabilité impensables il y a quelques dizaines d années. Même si elles sont confrontées au plafond de verre et aux discriminations, leur situation s éloigne du plus grand nombre de femmes cantonnées au bas de l échelle et dans des emplois de plus en plus précaires et flexibles dont elles n arrivent pas à sortir.

«Travail des femmes et émancipation» Maryse Dumas 19 Comment alors concevoir des axes de propositions sexuées mais non sexistes cherchant à unir les deux composantes de l humanité dans une perspective d émancipation à la fois des rapports d exploitation et de domination me paraît un enjeu fondamental. 1 ) Un rapport différencié au travail L anthropologue Françoise Héritier explique que depuis toujours dans toutes les sociétés humaines, existe une inégalité entre les sexes toujours au détriment des femmes. Cette inégalité se fonde sur un partage des tâches : aux hommes le pouvoir, la cité, les affaires publiques, aux femmes la sphère domestique, les enfants. Elle estime cette inégalité aujourd hui dépassable par la maîtrise de la fécondité féminine et par l accès des femmes au travail rémunéré : les femmes peuvent ainsi passer du rang d objet au rang de sujet. Il faut en effet distinguer ce qui relève du sexe biologique et ce qui relève du genre : Le genre peut-être défini comme les rapports sociaux de sexe qui imprègnent les sociétés, leurs cultures dominantes. Contrairement aux deux sexes biologiques qu on peut à juste titre considérer intangibles, les rapports sociaux de sexe relèvent des cultures, des civilisations, des conditions historiques : ils peuvent changer, on peut les changer, c est ce qui nous intéresse. On peut avoir pour objectif ambitieux de changer la société en transformant à la fois les rapports sociaux de classes et les rapports sociaux de sexe. La réflexion en termes de genre est d une grande richesse dans la mesure où elle analyse les enfermements et conditionnements réciproques qui nourrissent les inégalités et discriminations et dominations. Ainsi il ne s agit pas seulement de regarder ce qui se passe du côté des femmes, mais d examiner les interactions entre la situation des femmes et celle des hommes. Il ne s agit donc pas d une attitude anti-homme. C est au contraire une ambition qui vise à libérer les femmes et les hommes de préjugés, et de mentalités qui leur assignent des rôles

20 Et si les femmes révolutionnaient le travail? prédéterminés en fonction de leur sexe, dans le travail, la famille la société (monsieur gagne-pain, madame fée du logis). La réponse à l enquête de radio France citée plus haut est donc tout à fait éclairante : le travail est pour les hommes ressenti comme une obligation, tandis qu il est défini comme un droit pour les femmes. On peut en déduire un rapport très différent au travail, selon le genre : Les hommes y investissent leur «virilité», les femmes sont soupçonnées d y perdre en «féminité». L appréhension du travail des femmes en termes de salaire d appoint reste malgré des évolutions incontestables très présentes. Elle explique pour une large part que, dès la petite enfance, filles et garçons (et leurs familles) n investissent pas les mêmes filières, ne se projettent pas sur les mêmes métiers, ces choix obéissant aux hiérarchies sexuées déjà signalées. Les femmes vivent encore le travail comme un droit à conquérir pour leur indépendance financière, donc pour l autonomie qu il permet et aussi pour exister en tant qu individu libre participant à l utilité sociale du travail dans la société. La place des femmes dans le monde du travail reste fragile, pas encore, malgré des progrès considérables, complètement légitime. Si les femmes ont toujours travaillé, ce n est, en effet que très récemment, à l échelle de l histoire, que ce travail s exerce dans la sphère salariée. Leur place y reste contestée : l ampleur des inégalités et discriminations en témoigne. C est, de façon plus ou moins consciente, toujours en rapport avec leur rôle dans la sphère domestique que leur place dans le travail reste difficile. La tolérance sociale au surchômage féminin, aux emplois à temps partiel (féminins à 80 %) à la précarité des femmes témoigne que dans les mentalités, le travail salarié des femmes reste moins naturel que celui des hommes. Cela explique que les femmes se sentent contraintes d emporter avec elles dans le travail salarié les contingences de la sphère familiale : double voire triple journée (les militantes), difficultés