Dabigatran, rivaroxaban et apixaban: le point sur les nouveaux anticoagulants oraux

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Transcription:

, rivaroxaban et apixaban: le point sur les nouveaux anticoagulants oraux Damian Ratano a, Philippe Beuret a, Sébastien Dunner b, Alain Rossier b, Marc Uhlmann b, Gérard Vogel b, Nicolas Garin b Quintessence Les nouveaux anticoagulants oraux (NACO) permettent une anticoagulation aussi efficace que les anti vitamines K, avec moins d hémorragies intracrâniennes. L utilisation des NACO ne nécessite pas de contrôle de routine de l effet anticoagulant. L utilisation des NACO modifie le TP et le PTT, mais ces tests ne sont pas utilisables pour tester le taux d anticoagulation induit par ces molécules. Le respect des limitations d emplois, en particulier la présence d une insuffisance rénale ou d une valve mécanique, est primordial. Assurer une bonne observance thérapeutique reste un enjeu aussi important que le choix d un médicament particulier. Damian Ratano PB: Honoraires de GV: Honoraires de NG: Honoraires de Les autres auteurs n ont pas déclaré des obligations financières ou personnelles en rapport avec l article soumis. Plusieurs molécules utilisables pour l anticoagulation per os sont apparues récemment. Ces nouveaux anticoa gulants oraux (NACO) ont des avantages significatifs sur les anti vitamines K (AVK). L effet anticoagulant s installe rapidement, rendant superflue l utilisation concomitante d un anticoagulant parentéral pendant les premiers jours de traitement. Leur activité anticoagulante très prédictible permet d administrer une dose fixe et de se passer de contrôle biologique. Enfin, le risque de saignement intracrânien semble moindre qu avec les AVK. Néanmoins, ces médicaments présentent également des limitations d indication et des risques spécifiques, notamment du fait de l absence d antidote spécifique. L objectif de cet article est de revoir les situations dans lesquelles les NACO sont une alternative aux AVK, leur utilisation pratique et les questions restant en suspens. Le système de coagulation et les nouveaux anticoagulants oraux Les nouveaux anticoagulants oraux disponibles sur le marché helvétique se répartissent en deux classes: les «xabans» (rivaroxaban ou Xarelto et apixaban ou Eliquis ) inhibent la voie commune de la cascade de la coagulation en neutralisant directement le facteur X activé (Xa); le dabigatran (Pradaxa ) agit à la fin de cette voie en inhibant directement le facteur II activé (IIa) (fig. 1 ). Contrairement à l héparine ou aux AVK qui nécessitent un ajustement posologique basé sur la mesure du PTT et du TP, les NACO ont une activité anticoagulante prédictible et leur usage ne requiert pas d évaluation périodique de la crase. Les NACO modifient cependant certains tests de la crase. A doses thérapeutiques, ils prolongent le PTT et le TP de manière non proportionnelle à leur activité anticoagulante, ce qui fait que ces deux tests ne sont pas utiles pour évaluer leur concentration plasmatique. Par ailleurs, certains tests réalisés lors de recherche d une thrombophilie (dosage de l antithrombine III, de la protéine S, de la protéine C ou recherche d anticorps antiphospholipides) peuvent également être altérés. Certaines situations (hémorragie, chirurgie, récidive d un événement thromboembolique sous traitement) peuvent requérir une évaluation précise de l activité anti coagulante des NACO. Dans ces situations, il convient de recourir, pour les xabans, à la mesure de l activité anti Xa avec un plasma calibré pour le médicament concerné et, pour les gatrans, à un temps de thrombine standardisé, comme le test Hemoclot. Comparativement aux AVK, les NACO ont un potentiel moindre d interactions médicamenteuses et alimentaires. Les taux plasmatiques des trois molécules sont augmentés par les inhibiteurs de la glycoprotéine P (quinidine, vérapamil, amiodarone, clarithromycine, ritonavir, cyclosporine, tacrolimus, antifongiques azolés) et diminués par les inducteurs de la glycoprotéine P (rifampicine, carbamazépine, millepertuis, tenofovir). Les taux plasmatiques du rivaroxaban et de l apixaban sont de plus influencés par les inhibiteurs ou inducteurs puissants du CYP 3A4 (voriconazole, posaconazole, ritonavir, rifampicine, phenytoine, carbamazépine, et phénobarbital) [1 2]. Les répercussions cliniques de ces interactions sont actuellement mal connues. Selon les recommandations du groupe de travail «hémostase» de la Société suisse d hématologie et l information professionnelle du Compendium, l administration concomitante de vérapamil, d amiodarone et de clarithromycine est cependant possible sans adaptation de dose. L association des autres médicaments avec les NACO est déconseillée. En cas de nécessité, elle devrait faire l objet d un monitoring thérapeutique. NACO et maladie thrombo-embolique veneuse Le traitement standard actuel de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV: thrombose veineuse profonde a Service des soins intensifs, Hôpital du Chablais b Service de Médecine, Hôpital du Chablais Forum Med Suisse 2013;13(48):981 985 981

et embolie pulmonaire) comprend une héparine pendant au moins 5 jours relayé par un AVK. Ce schéma largement éprouvé présente des désavantages: une période de chevauchement de deux anticoagulants associée à un risque hémorragique accru, la nécessité d examens sanguins rapprochés et un mode d administration initial parentéral. Les NACO ont été testés dans cette indication. L étude RE COVER a montré la non infériorité du dabigatran, débuté après un traitement initial d anticoagulation parentérale d une durée médiane de 9 jours, comparativement aux AVK [3]. Les études EINSTEIN ont montré la non infériorité du rivaroxaban par rapport au traitement standard dans le traitement initial de la thrombose veineuse profonde et de l embolie pulmonaire [4 5]. L utilisation immédiate du rivaroxaban, sans passer par une phase d anticoagulation parentérale initiale, rend cette modalité de traitement très pratique. Le rivaroxaban est autorisé pour le traitement initial dans ces deux indications aux Etats Unis, mais uniquement dans la TVP en Suisse. Enfin, l étude AMP LIFY a récemment montré la non infériorité de l apixaban, là aussi sans période d anticoagulation parentérale, en comparaison avec le régime standard d hé parine de bas poids moléculaire AVK [6]. La poursuite du traitement anticoagulant au delà de 6 mois chez les patients présentant un épisode thromboembolique non provoqué est souvent discutée, au vu du risque important de récidive sans anticoagulation. La poursuite des AVK est efficace mais au prix d un risque hémorragique non négligeable. Dans cette indication, le rivaroxaban et le dabigatran se sont montrés supérieurs au placebo, avec un risque hémorragique acceptable [5, 7]. Comparé à la warfarin, le dabigatran était non inférieur, avec un risque hémorragique diminué. La surprise est venue de l apixaban, qui, à la dose prophylactique de 2,5 mg deux fois par jour, a permis une diminution de 7,1% du risque absolu de récidive thromboembolique avec un nombre d événements hémorragiques comparable au placebo [8]. Avec moins d hémorragies, une efficacité similaire aux AVK et un confort d utilisation supérieur, ces molécules pourraient donc augmenter le nombre de patients bénéficiant d un traitement prolongé après un premier épisode non provoqué d événement thromboembolique veineux. A faible dose, le rivaroxaban et l apixaban sont admis en Suisse pour la prophylaxie des événements thromboemboliques après chirurgie orthopédique majeure, mais pas chez les patients hospitalisés pour d autres raisons. Figure 1 Sites d action des nouveaux anticoagulants oraux. Tableau 1 Avantages et désavantages des NACO et des AVK. AVK Prix bas Utilisables dans l insuffisance rénale Antidote spécifique disponible Utilisables si valve artificielle NACO Dose fixe Anticoagulation stable Pas de contrôles de crase Moins d hémorragies cérébrales Tableau 2 Avantages des différents NACO par rapport aux AVK dans la FA. Apixaban 110 mg 150 mg Rivaroxaban Accident vasculaire cérébral ou embolie systémique Hémorragies intracrâniennes Hémorragies majeures Données non disponibles Mortalité globale NACO et fibrillation auriculaire La fibrillation auriculaire (FA) confère un risque thromboembolique identique qu elle soit permanente ou intermittente. Celui ci est évalué à l aide des scores CHADS2 et CHA 2DS 2 VASc. Une anticoagulation est recommandée pour tous les patients avec un score supérieur à 0 par les sociétés européennes et américaines de cardiologie. L acide acétylsalicylique ne fait plus partie des options thérapeutiques, sauf éventuellement dans les recommandations américaines pour des patients avec un CHA 2DS 2 VASc égal à 1 [9]. En plus des AVK, le dabigatran, le rivaroxaban et l apixaban sont désormais admis pour l anticoagulation dans la FA non valvulaire. Des études prospectives randomisées chez les patients en FA non valvulaire ont montré que les NACO sont au minimum équivalents aux AVK en terme de prophylaxie thromboembolique et de risque global de saignement [10 12]. Ils sont contre indiqués chez les porteurs de valves artificielles et dans l insuffisance rénale lorsque le taux de filtration glomérulaire est <30 ml/heure. Le rivaroxaban se prescrit une fois par jour, les autres deux fois. Le tableau 1 compare globalement les AVK et les NACO. Si les NACO ont des caractéristiques communes ils diffèrent toutefois sur certains points dans leur comparaison directe aux AVK. Ces différences sont résumées dans le tableau 2. Forum Med Suisse 2013;13(48):981 985 982

Aucune étude n ayant comparé les NACO entre eux il n est pas possible d en recommander un plus particulièrement [13]. Leur utilisation sera conditionnée par la fonction rénale, les effets secondaires et les contre indications. Ils sont peut être plus particulièrement indiqués chez les patients dont l INR est difficile à équilibrer, ceux qui sont à risque hémorragique élevé et ceux qui voyagent (absence de nécessité de contrôle de l INR) mais leur place exacte reste à déterminer. NACO et insuffisance renale Alors que certaines indications classiques de l anticoagulation sont inchangées en cas d insuffisance rénale (embolie pulmonaire, valve mécanique), l attitude en cas de FA est moins bien déterminée. Tant que le stade terminal n est pas atteint, une anticoagulation par AVK semble bénéficier aux patients en insuffisance rénale [14]. Ce bénéfice disparaît au stade terminal, où l anticoagulation pourrait même devenir délétère [15 16]. Les scores habituels tels que CHADS VASc ou HAS BLED ne permettent pas de discriminer correctement les patients qui bénéficient d une anticoagulation de ceux chez qui elle est potentiellement dangereuse. L usage des NACO n est pas établi dans l insuffisance rénale sévère. Dans toutes les études sur le dabigatran et le rivaroxaban, les patients avec un taux de filtration glomérulaire (TFG) inférieur à 30 ml/minute ont été exclus. Seules les études avec l apixaban ont inclus des patients présentant un TFG jusqu à 20 ml/minute. La plupart des adaptations posologiques proposées reposent sur des calculs pharmacocinétiques et pas sur des études cliniques. Du fait de ces exclusions, des données essentielles telles que la biodisponibilité, la liaison aux protéines, la présence de métabolites actifs, l évolution de la demi vie ou de la durée d action en situation d insuffisance rénale ne sont pas connues. En conséquence, la plus grande prudence avec les NACO est recommandée chez les patients insuffisants rénaux ou chez les patients âgés traités par des médicaments pouvant faciliter l apparition d une insuffisance rénale aigue. Gestion perioperatoire des NACO Près de 10% des patients sous AVK sont soumis à une intervention chirurgicale chaque année [17]. Une bonne gestion des anticoagulants pendant la phase périopératoire doit minimiser le risque hémorragique lié à la procédure ainsi que le risque thromboembolique lié à l arrêt du traitement. Le risque hémorragique est principalement lié au type d intervention réalisée. De manière générale, toute inter vention urologique, neurochirurgicale, vasculaire ou cardiaque est considérée comme à haut risque [18]. Certaines interventions dites mineures (pose de gastrostomie percutanée, résection de polype) sont aussi potentiellement à haut risque hémorragique. La stratification du risque thromboembolique proposée par l American College of Chest Physicians, basée sur des évidences indirectes, permet de déterminer si un pa tient sous AVK a besoin d un relai par une anticoagulation parentérale pré et/ou postopératoire [18]. La rapidité d action et la courte demi vie des NACO ont conduit les experts à ne pas recommander de relai parentéral avec ces molécules [17]. Font exception les patients à jeun de manière prolongée et les patients à très haut risque embolique ou hémorragique. Les recommandations pour l arrêt et la reprise du traitement anticoagulant oral sont essentiellement issues de considérations pharmacocinétiques et sont détaillées dans le tableau 3. Les cas les plus complexes devraient faire l objet d une discussion multidisciplinaire lors du bilan préopératoire. Pratiquement, dans l une des rares études à disposition, le dabigatran n a pas augmenté le risque hémorragique ou embolique périprocédural en comparaison avec la warfarin. L intervention a eu lieu plus rapidement chez les patients sous dabigatran, suggérant que la courte demi vie des NACO est un atout lors d une intervention urgente [19]. NACO et complications hemorragiques Comme tous les anticoagulants, les NACO entraînent un risque accru de saignement majeur. Celui ci était de 2,7 Tableau 3 Arrêt et reprise des NACO lors de chirurgie. Substance Dernière dose Nombre de doses à sauter Rivaroxaban 20 mg 1 /j 150 mg 2 /j 3 4 jours avant si fonction rénale diminuée 4 5 jours si fonction rénale diminuée 1 dose 2 3 doses 4 doses 6 8 doses Demi-vie 5 13h 12 14h (jusqu à 35h si insuffisance rénale sévère) Reprise postopératoire J1 si risque hémorragique faible J2 3 si risque hémorragique élevé Apixaban 5 mg 2 /j 3 4 jours si fonction rénale diminuée 4 doses 4 6 doses 8 15h Envisager dabigatran 110 mg, rivaroxaban 10 mg ou apixaban 2,5 mg le soir de l intervention si haut risque embolique. Forum Med Suisse 2013;13(48):981 985 983

à 3,6% par année pour les NACO dans les études sur la FA citées précédemment, comparé à 3,4% par année pour la warfarin. Les facteurs de risque d hémorragie majeure semblent les mêmes qu avec la warfarin. En particulier, l association d antiagrégants plaquettaires augmentait de manière comparable le risque de saignement majeur chez les patients sous dabigatran ou sous warfarin [20]. Néanmoins, l association d antiagrégants plaquettaires aux NACO est possible lorsque les bénéfices attendus surpassent cette augmentation du risque de saignement. Il en est de même pour l association avec des anti inflammatoires non stéroïdiens. La présence d une insuffisance rénale modérée (TFG 30 49 ml/minute) fait passer le taux d hémorragies majeures sous rivaroxaban de 3,4 à 4,5%, comparé à une augmentation de 3,2 à 4,7% sous warfarin. Une insuffisance rénale modérée ou sévère était présente chez plus de 50% des patients présentant une hémorragie majeure sous dabigatran [21]. En cas de saignement sous l un des NACO, il n existe actuellement pas d antidote spécifique. D autre part, l efficacité des facteurs pro coagulants non spécifiques (plasma frais congelé, concentrés de facteurs II, VII, IX et X ou facteur VII activé) n a été testée que lors d études animales ou réalisées sur des volontaires sains [22]. Sur cette base fragile, en cas de saignement mettant en jeu le pronostic vital ou persistant malgré des tentatives agressives de contrôle de la source de saignement, les experts proposent d administrer des concentrés de facteurs II,VII, IX et X (par ex Prothromplex ) à la dose de 50 UI/ kg. L administration de facteur VII activé (Novoseven ) ou de concentrés de facteurs activés (Feiba ) est proposée comme alternative par certains [23 25]. A relever enfin que le dabigatran étant dialysable une hémodialyse peut être utile, particulièrement en cas d insuffisance rénale aiguë associée au saignement. La prise en charge en cas de saignement sous NACO est résumée dans la figure 2. Questions en suspens Comme pour tout nouveau médicament, les études ayant mené à l enregistrement des NACO n ont pas une puissance suffisante pour recenser exhaustivement les effets indésirables rares. Par ailleurs, les patients inclus dans les études de phase 3 sont en général en meilleure santé et font l objet d un suivi plus intensif que la population non sélectionnée à qui le traitement s applique ultérieurement. Ainsi, certaines questions posées à propos des NACO devront faire l objet d un suivi attentif dans le futur. et risque d infarctus L étude RE LY a trouvé une augmentation significative du nombre de syndromes coronariens aigus dans le bras dabigatran comparé au bras warfarin, avec un risque relatif de 1,38. Deux méta analyses ultérieures, dont les résultats étaient largement influencés par RE LY, ont trouvé un résultat similaire [26]. L augmentation du risque absolu d événement sous dabigatran était néanmoins faible. Plus qu un effet indésirable du dabigatran, ces résultats pourraient refléter l efficacité bien établie de la warfarin dans la prévention du syndrome coronarien aigu, efficacité qui manquerait au dabigatran. A contrario, le rivaroxaban avait un effet protecteur visà vis du risque d événement coronarien aigu [27]. NACO et effets indésirables gastro-intestinaux Une augmentation du risque de saignement gastro intestinal en comparaison avec la warfarin a été mise en évidence avec le rivaroxaban dans l étude Rocket AF et avec le dabigatran à la dose de 150 mg dans l étude RE LY. Il n est pas établi si cette augmentation du risque est attribuable à une toxicité spécifique de ces molécules sur le tractus digestif, ou à l intensité de l effet anticoagulant. Par ailleurs, la survenue de symptômes dyspe ptiques était plus fréquente sous dabigatran que sous warfarin. NACO et valve cardiaque mécanique En l absence d études, les NACO ne doivent pas être employés lorsque l indication à l anticoagulation est une valve cardiaque mécanique. Coûts des NACO Plusieurs études ont cherché à évaluer si les NACO avaient un meilleur rapport coût efficacité que les AVK dans la FA. Bien que les modèles utilisés soient parfois sensibles au risque absolu d événement ischémique, hémor ragiques, et à la qualité du contrôle de l INR, ils ont en majorité montré que les NACO étaient une alternative aux AVK économiquement valable [28]. Figure 2 Prise en charge en cas de saignement sous l un des nouveaux anticoagulants oraux. FEIBA = factor VIII inhibitor bypassing activity. Observance thérapeutique et NACO Chez les patients sous AVK, le contrôle de l INR va garantir un suivi régulier et une évaluation de l observance thérapeutique. En prescrivant les NACO, il faut considérer que l observance est au mieux de 80% pour un médicament administré une fois par jour, et diminue avec le nombre de prises journalières [29]. Or, l oubli d une seule prise va déjà aboutir à une disparition de l effet Forum Med Suisse 2013;13(48):981 985 984

anticoagulant au vu de la courte demi vie de ces molécules. En l absence de la routine induite par le contrôle de l INR; il va falloir développer des stratégies de contrôle et de renforcement de l observance. Le suivi des patients et particulièrement de leur compliance sont probablement aussi importants que le choix d un produit particulier. Conclusions L arrivée des NACO élargit les options d anticoagulation dans des pathologies fréquentes comme la fibrillation auriculaire ou la maladie thromboembolique veineuse. Ces molécules présentent une efficacité et un profil de sécurité en tout cas équivalent aux AVK, avec une incidence de saignements intracrâniens diminuée de moitié. L absence de nécessité de contrôle de laboratoire facilite leur utilisation. Néanmoins, le risque hémorragique reste bien réel, notamment chez les patients très âgés et souffrant d insuffisance rénale. Certaines questions de sécurité (absence d antidote, risque coronarien sous dabigatran) méritent une attention persistante. Remerciements Nous remercions le Dr Didier Grob, spécialiste FMH en médecine interne, en pratique privée à Aigle (VD), pour sa relecture soigneuse du manuscrit et ses commentaires. Correspondance: Dr Nicolas Garin Médecin chef, responsable de l unité de gestion Service de médecine, Hôpital du Chablais-Monthey Hôpital du Chablais CH-1860 Aigle Nicolas.Garin[at]hopitalduchablais.ch Références La liste complète des références se trouve sous www.medicalforum.ch. Forum Med Suisse 2013;13(48):981 985 985