Sophie Husset Formatrice et référent pédagogique en français à visée professionnelle Groupe EI Montpellier La formation STT (Sauveteur Secouriste du Travail) : un déclencheur actionnel et social de l apprentissage linguistique Diplômée d un master de FLE de l Université Paul Valéry de Montpellier, enseignante en FLE et FLS pour l Académie de Montpellier, puis chargée de bilan et formatrice dans le cadre du Contrat d Accueil et d Intégration (CAI), Sophie HUSSET intervient maintenant sous la direction pédagogique de Pascal LAMBERT, au sein du Cabinet GROUPE EI sur la conception, l animation et la coordination de divers dispositifs de français à visée professionnelle pour l accès à l emploi et la professionnalisation des publics en difficultés langagières sur les premiers niveaux de qualification. Sophie HUSSET a notamment participé aux travaux de conception des référentiels FOS pour l accès au métier de Maçon VRD (voiries et réseaux divers) et Préparateur de commandes en plate-forme logistique commandés par le Fonds d assurance formation du travail temporaire (FAFTT) en partenariat avec la Direction de l accueil, de l intégration et de la citoyenneté (DAIC). GROUPE EI a en charge la promotion des dispositifs de formation des formateurs et référents pédagogiques pour le déploiement des offres FOS favorisant la professionnalisation et l accès à l emploi des publics issus de l immigration sur les premiers niveaux de qualification. Ces divers travaux sont consultables sur : www.lefospourlemploi.com 1. Présentation du Groupe EI Organisme de formation technique et cabinet d ingénierie des compétences, GROUPE EI est mobilisé au sein des branches professionnelles ou au cœur des territoires sur le rapprochement offre/demande de compétences. Pour ce faire GROUPE EI œuvre notamment à la conception de référentiels de formation, à la mise en place de dispositifs de sourçage et d évaluation de candidats, à l accompagnement de publics vers l emploi. Il est en général admis que plusieurs facteurs tels que les expériences de discrimination, les difficultés linguistiques, la diversité des appréciations de risque de maladies ou de sécurité professionnelle, le manque de connaissances et d informations sur le matériel et outils de travail, augmentent le risque pour la santé dans le travail. De ce fait, il est important que le programme de promotion de la santé dans une entreprise tienne compte du facteur de diversité en termes de modes de vie, codes de représentations, systèmes de valeurs, etc. Il convient également de préciser l importance de la diffusion et la réception d informations. Les employés issus de l immigration ayant des compétences sanitaires et connaissances linguistiques limitées en langue du pays d accueil ont des difficultés à comprendre les informations écrites et orales concernant la promotion de la santé dans l entreprise. La formation préparant à la validation du certificat de Sauveteur du Travail constitue un socle de connaissances et d implication personnelle répondant à une première approche préventive dans l entreprise. 1
2. Présentation du cadre de l expérimentation Répondant à une demande du FAFTT et de la DAIC, GROUPE EI a réalisé deux référentiels FOS pour des premiers niveaux de qualification (métiers de maçon VRD et de préparateur de commandes en entrepôt logistique) puis a mis en œuvre ces formations auprès d un public migrant sous l égide du FAFTT et de la DAIC. Notre expérience s appuie sur la mise en œuvre de la formation FOS maçon VRD sur une période de trois mois à temps plein. Le déroulement de l action s organise autour d une alternance du technique et du linguistique qui intervient en amont et/ou en aval (préparation ou consolidation) mais aussi de binômes favorisant la mise en exergue des liens étroits entre les deux aspects d une même tâche. Le développement des notions de sécurité au travail s est accrue ces dernières années, elle est maintenant devenue un facteur d employabilité pour les salariés et une obligation légale pour l entreprise. Un module «Gestion des risques» : Prévention et Sécurité intègre les savoirs et savoir-faire linguistiques requis pour l appropriation de la formation «Sauveteur Secouriste du Travail». La formation traditionnelle se veut avant tout pratique et actionnelle et les apports théoriques liés au programme sont délivrés en même temps et à travers la réalisation des tâches. Le public cible se situe sur la grille A1/A2 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) ; tout en répondant à ces critères lors de la sélection, le groupe présente des profils très hétérogènes en terme de scolarisation antérieure, de compétences orales et écrites, d autonomie dans l apprentissage. 3. La formation SST : un support performant d apprentissage linguistique s inscrivant dans la perspective actionnelle du CECRL En répondant aux besoins de formation professionnelle des migrants, le FOS à destination des publics de bas niveau de qualification se développe et trouve un cadre pédagogique et méthodologique à sa réalisation dans les fondements du CECRL qui définit «l usager et l apprenant d une langue» «comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l intérieur d un domaine d action particulier. Si les actes de parole se réalisent dans des activités langagières, celles-ci s inscrivent elles-mêmes à l intérieur d actions en contexte social qui seules leur donnent leur pleine signification.» (p.15). De plus, la formation SST porte dans ses propres objectifs la notion de tâches coopératives visant un résultat concret et observable dans sa partie secourisme ainsi qu un positionnement collaboratif dans sa partie prévention s inscrivant dans le contexte social de l entreprise et faisant appel à des activités langagières (actes de paroles, lexique) où l apprenant est considéré comme un acteur social communiquant et agissant. Tel que le propose le CECRL (p.122), une préparation de la tâche ciblée est proposée en amont «en activant au préalable les compétences de l apprenant» sur le plan cognitif et expérientiel tout en apportant des éléments linguistiques nécessaires. Le passage à la formation technique pose l objectif de validation d une certification professionnelle et représente une impulsion forte en termes de reconnaissance des compétences et de valorisation sociale et professionnelle. Cette «macro-tâche» se décline en sous-tâches opérationnelles visant la réalisation d actions finalisées qui mobilisent des compétences cognitives, sociales et linguistiques. La formation SST se déroule sur trois journées, la première, consacrée au linguistique est planifiée dès le deuxième jour suivant le démarrage de l action et la formation technique organisée en binôme est programmée sur deux jours consécutifs la semaine suivante. 1 re journée Le linguistique s appuie sur les savoir-faire pragmatiques, linguistiques et sociolinguistiques repérés dans le module «Prévention et Sécurité des référentiels FOS» sans jamais délivrer de gestes ou de réponses techniques. Cette journée a pour objectif de faciliter la compréhension et l acquisition des savoirs techniques et de préparer la trame sur laquelle ils vont se construire. Elle s organise autour de phases d exploration en alternance avec des phases de fixation. La phase d exploration se construit autour de l échange oral qui permet aux stagiaires de mobiliser leurs compétences linguistiques, leurs expériences antérieures et de souder le groupe dans une dynamique positive et une co-construction du sens. L expression du vécu, dans ce cas souvent empreint d affect, provoque un impact psychoaffectif, moteur d apprentissage et d ancrages signifiants. 2
La «discussion» est retenue comme support privilégié de négociation du sens (linguistique, culturel et social) et d une pédagogie de l interculturel qui s appuie sur le phénomène de l altérité en mettant en perspective les représentations mutuelles ; de plus, elle vise à clarifier de façon explicite «les stéréotypes réciproques et (à) déceler les origines de certaines attitudes» et véhicule une «fonction thérapeutique», selon BEACCO. Par les sujets abordés, le système de référence cible se construit par analogies et oppositions à celui du pays d origine stimulant les transferts et interférences sur le même principe que la construction de l interlangue ; de plus, l émergence d «universaux» s opère naturellement (santé, vie, mort, souffrance, responsabilité, ) et révèle «les évidences invisibles» de la dimension interculturelle. En fin de séance, une activité plus ludique autour du lexique du corps humain à partir d une série d expressions imagées et de variations sur les registres de langue (du langage très familier au langage soutenu) offre une charge culturelle forte et une ouverture vers l implicite. Le formateur utilise les formes syntaxiques qui seront mobilisées lors de la formation technique (afin d en faciliter l accès) et oriente la discussion vers les axes pertinents repérés dans le référentiel : le lexique (du corps humain, de la santé, du médical) et les savoir faire pragmatiques (communiquer en situation de formation, avec la victime et les secours ; alerter et guider les secours) émergent d eux mêmes et prennent sens dans la verbalisation de tâches observées ou réalisées antérieurement. Le formateur a ici un rôle de facilitateur d expression et de communication en opérant des réajustements de sens, en délivrant le lexique utile en situation et les éléments linguistiques élémentaires, il régule ainsi les écarts de niveaux. Tous les apports sont notés au tableau offrant ainsi des supports visuels et une approche contournée des liens et des distorsions oral/écrit avec pour objectif d établir des relations signifiantes (dérivation et composition des mots, synonymes, homophones ). La phase de fixation s appuie sur des activités formelles (exercices systématiques, de réemploi, lacunaires ) qui constituent une étape structurante et formative permettant de consolider et de formaliser l apprentissage ainsi que le passage à l écrit. 2 e et 3 e journée Les deux jours de formation SST sont animés par le formateur technique en binôme avec le formateur linguistique qui intervient en appui en facilitant un accès au sens rapide et la compréhension des contenus. Le programme du SST préconise de délivrer le théorique en même temps que la mise en pratique et vise principalement la réalisation de la tâche à effectuer. Le formateur s appuie sur la méthode heuristique qui amène à conceptualiser à partir du visuel, de la démonstration et de l exemple en convoquant les stratégies mentales à mettre en œuvre pour la résolution du problème. Après avoir défini le contexte d un accident professionnel et les actions à mettre en œuvre, le formateur montre les gestes à effectuer ; les stagiaires se répartissent les rôles (la victime, le SST, le témoin, les secours) et doivent alors s engager physiquement et verbalement devant un public. Ces activités pratiques percent» la bulle de l intime (massage cardiaque, bouche-à-bouche, manutention manuelle du corps), en rendant perméable l ultime territoire de protection interpersonnelle, elles favorisent la chute de freins psychosociaux entre les participants et vis-à-vis du formateur fédérant ainsi une cohésion étroite et durable du groupe. Cette théâtralisation est une opportunité pédagogique pour l apprentissage linguistique : elle dédramatise et «force» la prise de parole même approximative (moment difficile pour les plus réservés), mobilise l ensemble des compétences abordées en phase de préparation tout en détournant l objet linguistique au profit d une action concrète de secourisme ou d un agir social pour la prévention. Cet aspect correspond bien à la typologie des publics concernés pour lesquels la motivation est étroitement liée à une urgence sociale et professionnelle clairement exprimée supérieure à la motivation purement linguistique. La place du non-verbal est ici importante, le formateur s assure de la compréhension en projetant une image représentative de la situation proposée et les explications théoriques de la tâche à effectuer s accompagnent d une gestuelle illustrative et précise. La formation SST traditionnelle s organise autour d une co-réalisation d une tâche simulée qui requière des compétences linguistiques et communicatives spécifiques ; elle véhicule en ellemême l articulation du faire et du dire offrant un cadre propice à la mise en œuvre d une pédagogie actionnelle. 3
4. Les constats et les extensions possibles La pertinence de programmer cette formation en début de parcours : - sur le plan psychoaffectif, elle crée une dynamique de groupe positive et une entrée très favorable vers les apprentissages (évocation et considération positive du vécu, accès à l intime par le corporel, épreuves d une prise de parole et d une mise en représentation de soi), - sur le plan cognitif, elle stimule des stratégies multiples d accès au sens et de conceptualisation (compréhension des consignes et des concepts véhiculés par la formation, repérage visuel et gestuel, respect des procédures d intervention, prise de décisions, activation du langage en corrélation avec une situation réelle). Une inversion de la logique installée de la préséance du linguistique pour s orienter vers un faire qui motive le dire : - valorisation et motivation forte (certification d un titre professionnel, engagement physique, psychique et moral, représentation positive de soi dans une fonction d acteur social et décisionnaire (quel acte ou procédure mettre en œuvre pour résoudre la difficulté?). Une formation aux contenus transférables qui couvrent un spectre large : - d une langue professionnelle vers un français d usage courant (le lexique de la santé, du corps humain trouve un écho important dans une application familiale, les savoir-faire pragmatiques et savoirs syntaxiques peuvent être déplacés versus la communication usuelle : téléphoner, poser des questions, orienter les secours versus s orienter, alerter vers informer ), - de contenus techniques vers un comportement social maîtrisé, reconnu et lisible (le badge de SST l attestant). Les concepts clés de prévention, de secourisme et du rôle des acteurs concernés offrent une entrée pertinente dans l environnement professionnel et institutionnel ; ils visent à positionner le SST dans un agir social, pratique et communicatif. D exécutant, il devient acteur, participant à une mission collective valorisante fortement orientée par la dimension sociale et civique. Le renforcement du discours préventif préconisé par la circulaire 2007 est transversal à l ensemble de la formation, il recouvre des aspects sociaux et sociolinguistiques appréciés et repérables qui constituent un élément d inclusion sociale dans l environnement professionnel. Le SST connaît l entreprise et son organisation des secours, en contribuant à prévenir, il développe une démarche d identification des risques professionnels et d implication dans l entreprise. Sensibilisé à la compréhension des enjeux collectifs, sociaux et sociétaux, la formation consolide en prolongement le sentiment d appartenance à la société d accueil pour le migrant. Cette formation s est révélée performante tant sur le plan des apprentissages techniques et linguistiques qu un vecteur pertinent de valeurs culturelles et citoyennes qui répondent aux postures requises par l entreprise, participent à la découverte de l environnement social et professionnel relayant ainsi les axes de formation civique préconisés par le Ministère en charge de l immigration. La formation SST nous semble répondre aux besoins conjugués et imbriqués d insertion professionnelle, de formation linguistique et à la volonté politique en vigueur en France de professionnalisation des migrants et de découverte d un fonctionnement social et civique. Il s agit donc de s appuyer sur des contenus techniques pour développer les compétences sociales et communicatives en visant l accès au monde professionnel de plus en plus contraignant en termes de formation et de savoir-faire linguistiques. 4
Bibliographie BEACCO J.C., 2000, Les dimensions culturelles des enseignements de langue, Hachette. CICUREL F., BIGOT V., juillet 2005, Les interactions en classe de langue, Le français dans le monde, Recherches & applications, Cle international. CONSEIL DE L EUROPE, 2005, Cadre commun de référence pour les langues, Didier. MOULHRONS-DALLIES F., 2008, Enseigner le français à des fins professionnelles, Didier. PARPETTE Chantal, «Enseignement de la grammaire et discours spécialisé : intérêt et limites de la combinaison», Cahier de l APLIUT n 4 Grammaire et langues de spécialité, Vol. XX/4 : 8-17, juin 2001. ROSEN É. (coord.), janvier 2009, La perspective actionnelle et l approche par les tâches en classe de langue, Le français dans le monde, Recherches & applications, Cle international. ZARATE G., 2006, Prise en compte des la pluralité des identités dans l enseignement du FLE : état des lieux d un débat en cours - Conférence du CASNAV de l Académie de Paris. 5