: par où commencer? Par Jean-Daniel Baillargeon, MD, FRCPC Présenté à la Journée gastro-entérologique de l Université de Sherbrooke pour l omnipraticien, le 30 mai 2003. La diarrhée chronique est une condition assez fréquente : 3 % à 5 % de la population en serait atteinte. Objectivement, elle est définie par une masse fécale de plus de 200 grammes par jour. Lorsque cet état persiste après deux à quatre semaines, il s agit d une diarrhée chronique. Pour le médecin consulté à ce sujet, il s agit d un problème complexe, puisque le diagnostic différentiel est extrêmement large (tableau 2) et qu il existe une variété presque inépuisable de tests en lien avec la diarrhée Tableau 1 La démarche diagnostique Étape 1 1. Interrogatoire 2. Examen physique 3. Bilan de base 4. Analyse des selles Étape 2 1. Tests thérapeutiques 2. Dosage d anticorps antitransglutaminases et immunoglobulines de type A 3. Colonoscopie (courte ou longue) et biopsies Étape 3 1. Colonoscopie complète et biopsies étagées 2. Gastroscopie et biopsies et aspiration du grêle 3. Transit du grêle 4. Tomodensitogramme 5. Hospitalisation et collecte des selles chronique. Il est parfois difficile de savoir par où commencer et quand s arrêter. Le cas de Éva Éva vous consulte pour la première fois. Elle a 45 ans et ne présente aucun antécédent médical. Elle se plaint depuis maintenant deux mois de diarrhées à raison de cinq selles semi-liquides par jour. Elle s en étonne beaucoup, puisque, auparavant, elle était plutôt constipée. Éva n a pas noté de sang dans ses selles, mais elle se plaint de crampes. Par ailleurs, son état de santé général est bon, mis à part une grande fatigue. Elle n a pas perdu de poids depuis qu elle souffre de diarrhées. Elle avoue vivre beaucoup de stress depuis quelque temps, mais ne voit pas le rapport avec les symptômes qu elle présente. Éva est très inquiète : «Ce n est pas normal d avoir de la diarrhée comme ça alors que j ai toujours été plutôt constipée. Je souffre sûrement de quelque chose! La maladie de Crohn? Le cancer? Dites-moi ce que j ai, docteur!» Par où commencer? Doit-on lui recommander certains examens et lesquels? Doit-elle être immédiatement référée en gastro-entérologie? En d autres termes, quelle est votre approche diagnostique? Pour plus de détails, voir la page 8
Questions et réponses sur la diarrhée chronique Questions Réponses Étant médecin de famille, puis-je procéder à l évaluation d un patient qui présente une diarrhée chronique, ou dois-je plutôt référer celui-ci en gastro-entérologie? Vous détenez un rôle essentiel dans la prise en charge initiale du patient qui souffre d une diarrhée chronique. Vous pouvez diagnostiquer bon nombre de cas de diarrhées qui n auront pas à être référés par la suite. Vous avez également le rôle important de savoir quels patients, parmi ceux qui ont consulté pour une diarrhée chronique, doivent être référés et vous devez aussi savoir comment optimiser l évaluation ultérieure. Que dois-je faire lorsque je rencontre un patient qui souffre de diarrhée chronique? Vous devez effectuer un interrogatoire et un examen physique complet, tous deux orientés vers les causes de la diarrhée chronique. Un bilan sanguin de base et un échantillonnage des selles sont également essentiels. Enfin, selon les circonstances, vous pouvez tenter certains tests thérapeutiques. Quand dois-je soupçonner une cause organique? Une cause organique doit être soupçonnée lorsque la diarrhée est récente (moins de trois mois), qu elle est apparue soudainement, qu elle se produit durant la nuit ou qu elle est accompagnée de sang (macroscopique ou microscopique). Une perte de poids inexpliquée (plus de cinq killogrammes) et la présence d anémie ou d hypo-albuminémie sont également des signes d alarme. Lorsqu une cause organique est soupçonnée, il faut alors pousser l investigation plus loin. Dans quelles circonstances dois-je référer le patient en gastro-entérologie? Vous devez référer le patient à un gastro-entérologue : lorsque l évaluation initiale n est pas révéla trice et lorsqu une cause organique est soupçonnée. 72 le clinicien octobre 2003
Afin de faciliter l évaluation des patients qui présentent une diarrhée chronique par le médecin de première ligne, une démarche diagnostique est proposée (tableau 1). Celleci permet de préciser le plus efficacement possible la cause de la diarrhée et de savoir qui référer et quand. Quelle est la démarche diagnostique? L étape 1 La plupart du temps, un interrogatoire rigoureux, un examen physique et un bilan de base permettent de poser le diagnostic, ou du moins d orienter l investigation ultérieure et de minimiser les tests inutiles. L anamnèse devrait comprendre : 1. Une caractérisation des selles 2. L évaluation des symptômes associés : Douleurs abdominales, perte de poids, fièvre, bouffées congestives, etc. 3. L évaluation des facteurs de risques infectieux : Antibiotiques, voyages, aliments contaminés, etc. 4. L évaluation de la diète : Produits laitiers, produits diététiques (sorbitol), alcool, caféine, tisanes, etc. 5. L évaluation de la médication 6. L évaluation des antécédents chirurgicaux 7. L évaluation des autres conditions médicales L examen physique devrait se centrer sur : 1. L état volémique : indique la nécessité d une réhydratation vigoureuse 2. L état nutritionnel : indique la nécessité d un soutien nutritionnel. 3. La recherche de lésions cutanées 4. La recherche d aphtes buccaux 5. La recherche d anomalies thyroïdiennes 6. La recherche d adénopathies 7. La recherche d arthrite 8. L abdomen : recherche de masse, de douleurs ou d organomégalie. Le Dr Baillargeon est professeur agrégé, Faculté de médecine, Université de Sherbrooke, et gastroentérologue, Service de gastro-entérologie, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke. le clinicien octobre 2003 73
9. Le toucher rectal : recherche de fistules, de fis sures ou d abcès. Le bilan de base devrait comprendre : 1. Une formule sanguine complète et la vitesse de sédimentation 2. Le dosage des électrolytes, de l azote uréique du sang et de la créatinine : évalue les conséquences de la diarrhée. 3. La glycémie : dépistage du diabète. 4. La mesure de l albumine et du calcium 5. La mesure de l hormone thyréotrope 6. L examen des selles pour : a) La recherche de sang occulte b) La recherche de leucocytes c) Les cultures bactériennes (à 2 reprises) d) La recherche de parasites (à 2 reprises) e) La recherche de cytotoxine de Clostridium difficile Cette évaluation initiale oriente habituellement le médecin vers une ou quelques hypothèses diagnostiques (tableau 4). Le bilan ultérieur est alors effectué en fonction de ces hypothèses. Lorsque l évaluation initiale n est pas révélatrice, l investigation devrait se poursuivre par l étape suivante. L étape 2 1. Les tests thérapeutiques : a) Tenter l arrêt de consommation de produits laitiers pendant deux semaines. b) Effectuer un essai au métronidazole si une parasitose est soupçonnée malgré l analyse négative des selles. c) Effectuer un essai aux suppléments de fibres s il y a soupçon d une diarrhée fonctionnelle. 2. Recherche d anticorps anti-transglutaminases et dosage des immunoglobulines A (IgA) : Étant donné la prévalence élevée de la maladie cœliaque, Tableau 2 Le diagnostic différentiel 1. Infection Amibiase, Giardia, Clostridium difficile, infections opportunistes (HIV), etc. 2. Inflammation Maladie de Crohn, colite ulcéreuse, colite collagéneuse, etc. 3. Malabsorption Déficit des sels biliaires, insuffisance pancréatique Maladies de l intestin grêle : sprue, maladie de Whipple, intestin court, surpopulation bactérienne, lymphome, etc. 4. Alimentation Caféine, alcool, aliments diététiques (sorbitol), produits laitiers, tisanes, etc. 5. Médication Produits naturels, antiacides, laxatifs, antibiotiques, colchicine, hypotenseurs, diurétiques, théophylline, prokinétiques, antinéoplasiques, etc. 6. Opérations chirurgicales antérieures Gastrectomie, vagotomie, cholécystectomie, résection intestinale, etc. 7. Obstruction Néoplasie, fécalome, etc. 8. Ischémie 9. Radiation 10.Endocrinologie Hyperthyroïdie, maladie d Addison, diabète, carcinoïde, gastrinome, carcinome médullaire de la thyroïde 11.Fonctionnel Côlon irritable certains spécialistes suggèrent de la dépister chez les personnes qui présentent une diarrhée chronique inexpliquée. Les anticorps anti-transglutaminases de type IgA permettent ce dépistage. Une proportion de 15 % des patients ayant une entéropathie au gluten ont cependant un déficit en anticorps IgA, ce qui peut occasionner de faux négatifs. La mesure concomitante des anticorps IgA permet d interpréter le dosage des anticorps anti-transglutaminases. 74 le clinicien octobre 2003
3. Colonoscopie (courte ou longue) et biopsies étagées : Une colonoscopie courte peut être suffisante chez un jeune patient présentant une faible probabilité de maladie organique. Cependant, on pourrait immédiatement opter pour une colonoscopie longue chez un patient âgé de plus de 50 ans (dépistage du cancer colorectal) ou chez celui où règne un haut degré de soupçon pour une maladie organique. Si ce bilan demeure négatif, l investigation ultérieure dépendra de l index de soupçon d une maladie organique, laquelle doit être soupçonnée lorsqu il y a présence de : Diarrhée récente (moins de trois mois) Début soudain Diarrhée nocturne Présence de sang dans les selles (macroscopique ou microscopique) Perte de poids inexpliquée de plus de cinq kg Anémie Hypoalbuminémie En l absence de ces signes d alarme (tableau 3), l observation et un traitement symptomatique peuvent être recommandés. Par contre, si une cause organique est considérée, l investigation devra se poursuivre par une étude endoscopique et radiologique plus approfondie. Une consultation en gastro-entérologie est alors habituellement nécessaire. L étape 3 Le gastro-entérologue poursuivra ensuite l investigation par : 1. Une colonoscopie complète avec biopsies étagées : évalue les conditions qui pourraient n atteindre que le côlon droit (maladie de Crohn, colite collagéneuse). 2. Une gastroscopie avec biopsie du grêle et aspiration duodénale : permet le diagnostic de sprue, de la maladie de Whipple, d un lymphome ou d une giardiase. À retenir... La diarrhée chronique est une condition assez fréquente : 3 % à 5 % de la population en serait atteinte. La plupart du temps, un interrogatoire rigoureux, un examen physique et un bilan de base permettent de poser le diagnostic. En l absence de signes d alarme, l observation et un traitement symptomatique peuvent être recommandés. Cependant, en présence de signes d alarme, l investigation doit être poussée plus loin. Un diagnostic étiologique est posé dans plus de 90 % des cas de diarrhée chronique avec une telle approche systématique. le clinicien octobre 2003 75
La diarrhée chronique La diarrhée chronique 3. Un transit du grêle : documente la maladie de Crohn, le lymphome intestinal ou la diverticulose jéjunale. 4. Un tomodensitogramme abdominal : dépiste le cancer du pancréas, la pancréatite chronique, le lymphome, etc. Si, malgré tout, le diagnostic demeure obscur, une approche physiopathologique peut être utilisée : 1. Diarrhée sécrétoire : toxines, carcinoïde, etc. 2. Diarrhée osmotique : malabsorption, laxatifs, etc. 3. Diarrhée exsudative : maladie inflammatoire intestinale, infections, etc. 4. Diarrhée motrice : neuropathie, postvagotomie, hyperthyroïdie, etc. 5. Diarrhée fonctionnelle La collecte des selles est nécessaire pour différencier ces causes de diarrhée. L hospitalisation du patient pendant 48 à 72 heures est alors utile pour : a) Différencier les causes osmotiques des causes sécrétoires : Sécrétoires si : [osmolalité sanguine] - [2 x (Na + K) fécal] < 40. Osmotiques si : [osmolalité sanguine] [2 x (Na + K) fécal] > 40. b) Mesurer le volume fécal : < 200 g de selles par 24 heures indique une cause fonctionnelle ou une incontinence. c) Doser les graisses fécales : > 7 g/jour indique une malabsorption d) Rechercher la prise de laxatifs par l alcalinisation des selles. Un diagnostic étiologique est posé dans plus de 90 % des cas de diarrhée chronique avec une telle approche systématique. Heureusement, il est rarement nécessaire d aller aussi loin dans la démarche puisque, dans la plupart des cas, l évaluation de base suffit à orienter ou à poser le diagnostic. Il devient nécessaire de référer le patient lorsque l évaluation Agent anti-inflammatoire et analgésique. Monographie du produit offerte sur demande. Il faut respecter les mises en garde générales sur les AINS. CELEBREX MD est une marque de commerce déposée utilisée par Pharmacia Canada Inc. avec l autorisation de G.D. Searle & Co. initiale n a pas donné de résultats et qu il y a présence de signes d alarme ou qu une cause organique demeure soupçonnée. Clin www.stacommunications.com Cet article est disponible en ligne. Visitez Le Clinicien. le clinicien octobre 2003 77
Suggestions de lecture 1. Fine, KD, Schiller, LR : American Gastroenterological Association Medical Position Statement: Guidelines for the evaluation and management of chronic diarrhea. Gastroenterology 116(6):1461, 1999. Tableau 3 Les signes d alarme Diarrhée récente (< 3 mois) Début soudain Diarrhée nocturne Présence de sang dans les selles (macroscopique ou microscopique ) Perte de poids inexpliquée de plus de 5 kg Anémie Hypoalbuminémie 2. Fine, KD, Schiller, LR : AGA technical review on the evaluation and management of chronic diarrhea. Gastroenterology 116(6):1464, 1999. 3. Donowitz, M, Kokke, FT, Saidi, R : Evaluation of patients with chronic diarrhea. N Engl J Med 332(11):725, 1995. 4. Talal, AH, Murray, JA : Acute and chronic diarrhea. Postgraduate Medicine 96(3):30, 1994. 5. Lipsky, MS, Adelman, M., : Chronic Diarrhea: Evaluation and Treatment. Am Fam Physician 48(8):1461, 1993. 6. Drossman, DA, Camilleri, M, Mayer, EA, Whitehead, WE : American Gastroenterological Association Medical Position Statement: Irritable Bowel Syndrome. Gastroenterology 123:2105, 2002. 7. Drossman, DA, Camilleri, M, Mayer, EA, Whitehead, WE : AGA technical review on Irritable Bowel syndrome. Gastroenterology 123:2108, 2002. Tableau 4 Les indices diagnostiques Symptômes et signes Diagnostic à soupçonner Selles huileuses et nauséabondes - - - - - - - - - - - -Malabsorption Selles petites et urgentes - - - - - - - - - - - - - - - - - -Origine colique ou rectale Alternance de diarrhée et de constipation - - - - - - -Origine fonctionnelle Selles nocturnes - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Origine organique Hématochézie - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie inflammatoire intestinale, néoplasie Perte de poids - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Malabsorption, maladie inflammatoire intestinale, hyperthyroïdie, néoplasie Fièvre - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie inflammatoire intestinale, lymphome, hyperthyroidie Bouffées congestives - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Thyrotoxicose, syndrome carcinoïde Signes de malnutrition - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Malabsorption Lésions cutanées - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie inflammatoire intestinale, syndrome carcinoïde Aphtes buccaux - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie intestinale inflammatoire Adénopathies - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Lymphome, maladie de Whipple Arthrite - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie inflammatoire intestinale, maladie de Whipple Fistule ou abcès péri-anal - - - - - - - - - - - - - - - - -Maladie de Crohn Leucocytes dans les selles - - - - - - - - - - - - - - - - -Rectocolite Éosinophilie - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -Parasitose, gastroentérite éosinophilique Hypocalcémie, hypoalbuminémie - - - - - - - - - - - - -Malabsorption 78 le clinicien octobre 2003