VIème journée normande d'anesthésie-réanimation



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Transcription:

Département d'anesthésie, Réanimation Chirurgicale, SAMU VIème journée normande d'anesthésie-réanimation L'alcoolisme chronique Définitions Prise en charge péri-opératoire d'un patient éthylique Bertrand Debaene, François Lebrun. Département d Anesthésie Réanimation CHU de Poitiers Pour les anesthésistes, un patient souffrant d'alcoolisme chronique est un individu absorbant plus de 80 à 100 g d'alcool par jour. L'O.M.S. donne une définition plus complète : "les alcooliques sont des buveurs excessifs dont la dépendance à l'égard de l'alcool est telle qu'ils présentent soit un trouble mental décelable, soit des manifestations affectant leur santé physique ou mentale, leur relation avec autrui et leur bon comportement social et économique, soit des prodromes des troubles de ce genre. Ils doivent être soumis à un traitement". Diagnostic clinique et biologique de l'alcoolisme chronique Le diagnostic de présomption repose sur un ensemble de signes cliniques facilement détectés lors de l'inspection du malade: télangiectasies faciales prédominant au niveau des pommettes, des oreilles, des ailes du nez ; hyperhémie conjonctivale, parfois ictère conjonctival ; tremblement des extrémités non intentionnel (en période de jeûne, disparaissant après ingestion d'alcool) ; démarche maladroite ; gynécomastie, hypertrophie parotidienne maladie de Dupuytren. La présomption clinique sera confirmée par le dosage des marqueurs biologiques de l'alcoolisme. Le dosage simultané du VGM et de la GGT permet de dépister 65 à 85% des alcooliques et cette association est actuellement considérée comme le marqueur le plus performant [1]. Conséquences de l'alcoolisation chronique La plupart des organes et des tissus subissent les effets délétères de l'ingestion chronique d'une quantité élevée d'alcool. Ces effets somatiques sont très variables dont la gravité n'est que partiellement corrélée à la quantité moyenne d'alcool absorbée et à l'ancienneté de l'intoxication. Complications neurologiques La polynévrite alcoolique est la plus fréquente des complications neurologiques de l'alcoolisme chronique. Le plus souvent distale, elle se manifeste très rarement par des formes extensives à type de tétraplégie avec atteinte respiratoire [2]. L'encéphalopathie de Gayet-Wernicke est due à une carence en thiamine. Cette encéphalopathie est souvent associée à une neuropathie périphérique et aux troubles mnésiques du syndrome de Korsakoff. L'éthanol favorise l'apparition de crises comitiales chez tout malade épileptique, mais il peut, par l'intermédiaire d'une atrophie cortico-sous-corticale être directement mise en cause dans la genèse de la comitialité. Les hématomes sous-duraux, fréquents chez l'alcoolique chronique, sont caractérisés par une symptomatologie souvent trompeuse, d'évolution subaiguë, parfois de diagnostic méconnu. Prise en charge péri-opératoire patient éthylique - 08/11/2005 1/5

Toutes ces complications neurologiques vont modifier le risque anesthésique pré et post opératoire. Leurs origines carentielles imposent la correction des troubles hydro-électrolytiques et nutritionnels ainsi qu'une polyvitaminothérapie large (vitamines B1, B6, B12 et folates). Complications digestives de l'alcoolisme chronique La stéatose hépatique due à l'inhibition de la ß-oxydation intrahépatique des acides gras s'associe souvent à des lésions nécrotiques centro-lobulaires évoluant vers la cirrhose. Le risque relatif de pancréatite chronique est lié directement à la consommation quotidienne d'alcool. Les formes cliniques sont variables dont la gravité est dominée par la pancréatite aiguë alcoolique. Ces altérations de la fonction pancréatique endocrine peuvent être responsable d'un diabète. De même, le ralentissement des sécrétions exocrines accentue le syndrome de malabsorption. Complications cardio-vasculaires de l'alcoolisme chronique La myocardiopathie alcoolique entre dans le cadre des myocardiopathies congestives primitives. Son risque relatif est de 7,6 lorsque la consommation d'alcool dépasse 90 g par jour. Son évolution est particulièrement grave. L'hypertension artérielle est plus fréquemment observée chez l'alcoolique chronique (risque relatif = 1,2 pour une consommation supérieure à 50 g/jour) [3]. Les troubles du rythme, le plus souvent supraventriculaire, sont favorisés par le syndrome de sevrage. Complications respiratoires Les bronchopathies obstructives sont fréquentes chez l'alcoolique chronique sans qu'il soit possible de distinguer les responsabilités respectives de l'alcool, du tabac, fréquemment associés. Les complications infectieuses à type de pneumopathies bactériennes, d'abcès du poumon (pneumocoques, hémophilus, bacille gram négatif) et de tuberculose [3] ont une incidence plus élevée chez l'alcoolique chronique. Elles sont favorisées par les inhalations asymptomatiques, l'hypophosphorémie, la neutropénie, la dépression immunitaire. Modifications hématologiques et hémostatiques L'alcoolisme chronique s'accompagne d'une leucopénie responsable d'une plus grande sensibilité aux infections. La macrocytose est fréquente, indépendante du taux sérique d'acide folique. Une anémie est fréquemment rencontrée. L'alcool, à dose modérée, induit une hypoagrégabilité plaquettaire à l'acide arachidonique. A dose plus importante, il existe une hypoagrégabilité à l'adp, au collagène et à l'adrénaline, associée à une diminution de la sécrétion de thromboxane B2. La sécrétion de la prostacycline par l'endothélium vasculaire n'est pas inhibée [4]. Agents anesthésiques et alcoolisation chronique L'alcoolisation chronique peut modifier l'effet des agents anesthésiques par deux mécanismes. processus pharmacocinétique. L'éthanol est un inducteur enzymatique d'un isoenzyme du cytochrome P450 (isoenzyme IIE1) et peut ainsi augmenter la dégradation des médicaments métabolisés par le même complexe enzymatique. processus pharmacodynamique. Il peut exister une tolérance croisée entre l'alcool et certains médicaments au niveau des récepteurs centraux, principalement ceux du système gabaergique inhibiteur. L'acide gammaaminobutyrate (GABA), par fixation sur son récepteur, induit une augmentation de la conductance des canaux chlore responsable d'un effet inhibiteur sur la substance réticulée activatrice. Les récepteurs au GABA sont couplés avec ceux des benzodiazépines, mais pas avec ceux des barbituriques qui sont également capables d'augmenter la conduction des canaux chlore. L'administration chronique d'éthanol, par une augmentation du nombre des récepteurs GABA ("up regulation") pourrait induire une tolérance directe à l'effet des benzodiazépines et indirecte aux barbituriques. Interaction alcoolisation chronique et thiopental Chez l'homme, après un sevrage de 9 à 17 jours, la dose de thiopental nécessaire pour induire le sommeil (estimée par analyse spectrale de l'eeg) n'était pas significativement différente chez les patients normaux et les patients alcooliques (733 ± 218 mg et 823 ± 246 mg respectivement) [5]. Aucune différence pharmacocinétique ni pharmacodynamique n'a été mise en évidence entre ces deux groupes de patients. La concentration plasmatique produisant 50% de l'effet maximal (IC50) et la constante d'équilibre entre le plasma et le compartiment effet (ke0) était comparable entre les deux groupes (IC50 = 18,6 ± 5,7 µg/ml et 19,7 ± 4,2 µg/ml ; ke0 = 0,46 ± 0,15 min-1 et Prise en charge péri-opératoire patient éthylique - 08/11/2005 2/5

0,40 ± 1,13 min-1 chez les patients normaux et alcooliques respectivement) [5]. Aucun effet de tolérance croisée n'a été mis en évidence entre le thiopental et l'imprégnation alcoolique quelque soit le délai du sevrage. Il n'est donc pas nécessaire d'augmenter les doses d'induction du thiopental chez l'alcoolique chronique. Interaction alcoolisation chronique et benzodiazépines Une seule étude s'est intéressée à la tolérance croisée entre alcool et benzodiazépine [6]. Il existe une tolérance à l'effet du diazépam chez le rat intoxiqué de façon chronique par l'alcool par rapport au rat contrôle. Ainsi, les doses de diazépam doivent être augmentées en cas d'intoxication alcoolique chronique pour obtenir le même effet que chez des patients normaux. Interaction alcoolisation chronique et propofol Les doses de propofol nécessaire à l'induction du sommeil (perte du contact verbal, et test de la chute de la seringue) ont été comparées chez 26 patients alcooliques chroniques (avec un sevrage de 24 heures) et 20 patients normaux [7]. Le propofol était administré en perfusion continue au débit de 200ml/min. La dose de propofol était significativement plus élevée chez les patients alcooliques (2,7 ± 0,42 mg/kg) que chez les patients normaux (2,2 ± 0,43 mg/kg) pour obtenir la perte de contact verbal ; ainsi que pour obtenir la chute de la seringue (4,2 ± 1,02 mg/kg contre 3,2 ± 0,75 mg/kg respectivement). Il existe donc une tolérance croisée entre alcoolisation chronique et propofol. Cette résistance au propofol avait été signalée dans deux cas cliniques, où des doses de propofol de 6 mg/kg n'avaient pas été suffisantes pour induire le sommeil chez deux patients alcooliques chroniques [8]. Interaction alcoolisation chronique et morphiniques Les paramètres pharmacodynamiques de l'alfentanil ont été comparés chez des patientes alcooliques chroniques (20-40 g d'alcool consommé quotidiennement) et des patientes totalement abstinentes [9]. Alors que le degré de fixation protéique n'était pas différent entre les deux groupes, les besoins en alfentanil pour obtenir la perte de conscience étaient plus élevés chez les patientes alcooliques (vitesse moyenne de perfusion 3,7 ± 1,2 µg/kg/min) que chez les patientes abstinentes (1,9 ± 0,4 µg/kg/min). La concentration plasmatique pour laquelle la probabilité de non réponse est de 50% (Cp50) était significativement plus importante chez les patientes alcooliques (522 ± 104 ng/ml) que chez les patientes abstinentes (208 ± 26 ng/ml). D'autre part, la concentration plasmatique d'alfentanil à l'extubation était également significativement plus importante chez les patientes alcooliques (372 ± 114 et 179 ± 39 ng/ml respectivement). Ces résultats suggèrent qu'il existe une tolérance croisée entre alcool et alfentanil. Ainsi, pour obtenir le même effet, les doses d'alfentanil doivent être augmentées chez les patients alcooliques par rapport à des patients ne consommant pas d'alcool. Interaction alcoolisation chronique et agents halogénés Une tolérance croisée a été établie entre alcoolisation chronique et agents halogénés. Chez la souris exposée à une intoxication chronique, la CAM de l'isoflurane augmente de 1,33 % à 1,54 % après 10 jours d'intoxication et à 1,69% si l'exposition à l'éthanol se prolonge [10]. La durée de l'induction anesthésique est allongée lors de l'intoxication chronique. L'administration chronique d'éthanol provoque un accroissement du métabolisme hépatique de l'enflurane et du sévoflurane, grâce à l induction du cytochome P450 dont la concentration microsomiale augmente. La concentration plasmatique d'ion fluor peut donc augmenter et entraîner des lésions rénales. Cet effet inducteur ne persiste que pendant les 24 premières heures suivant le sevrage [11]. Anesthésie du patient alcoolique chronique en dehors d'une intoxication aiguë Evaluation préopératoire Evaluation clinique En dehors de l'examen systématique et des impératifs en fonction du contexte chirurgical, le bilan pré-anesthésique d'un patient alcoolique chronique doit s'intéresser à certains points très spécifiques. L'interrogatoire, souvent difficile, du patient et de son entourage doit évaluer l'importance (souvent sous estimée par le patient lui même) et l'ancienneté de l'intoxication. La date de l'arrêt éventuel de l'intoxication, les tentatives de sevrage, et les traitements médicaux suivis sont à préciser. De même, l'intoxication tabagique souvent associée doit être évaluée. Sur le plan clinique, toutes les anomalies pouvant modifier la conduite pré et post anesthésique doivent être recherchées : Prise en charge péri-opératoire patient éthylique - 08/11/2005 3/5

pathologies cardiovasculaires (insuffisance cardiaque, hypertension artérielle), pathologies respiratoires (insuffisance respiratoire chronique, pneumopathie d'inhalation, abcès du poumon, tuberculose pulmonaire); pathologies neurologiques : convulsions, syndrome de sevrage, trouble comportemental, polynévrites. La notion d'éthylisme ancien doit faire rechercher les signes cliniques et biologiques d'une cirrhose. Au terme de ce bilan, l'existence d'un syndrome de sevrage est une contre-indication à l'anesthésie. Si toutefois, l'intervention est impérative, la correction des troubles hydro-électrolytiques et de l'hypoglycémie est indispensable. Evaluation paraclinique Les impressions cliniques sont confirmées par certains signes biologiques particulièrement évocateurs comme une macrocytose (VGM 98 µ3) et l'augmentation de l'activité sérique de la gamma-glutamyl transpeptidase (GammaGT), qui n'est cependant pas spécifique de l'alcoolisation chronique. Une attention particulière doit être apportée à la recherche de troubles de l'hémostase (thrombopathie et/ou thrombopénie) et de troubles métaboliques (hypokaliémie, hypoalbuminémie, hypo ou hyperglycémie). Période peropératoire La prémédication ne comporte aucune particularité en dehors d'une antibioprophylaxie large compte tenue du risque infectieux plus élevé chez ce type de malades. En fonction du type de chirurgie, l'anesthésie loco-régionale n'est pas contre-indiquée sauf s'il existe une polynévrite et/ou une anomalie de l'hémostase. Le choix des agents anesthésiques n'est pas restrictif sauf pour la kétamine et l'enflurane qui doivent être évités chez l'alcoolique épileptique [2]. Il n'est pas nécessaire d'augmenter les doses d'induction du thiopental [5]. Par contre les doses de benzodiazépines [6], de morphiniques [9] et de propofol [7-8] sont plus importantes chez l'alcoolique chronique que chez le patient abstinent du fait de la tolérance croisée entre l'alcool et ces différents agents. L'isoflurane est l'agent halogéné de choix du fait de sa bonne tolérance hémodynamique et de son faible retentissement sur le débit hépatique [12]. Une attention toute particulière doit être apportée lors de l'induction de l'anesthésie du fait du risque important de régurgitation. Cependant la succinylcholine n'est contre-indiquée qu'en présence de myopathies alcooliques en raison du risque d'hyperkaliémie [2]. Période postopératoire La prévention des thromboses veineuses par les héparines de bas poids moléculaire semble nécessaire malgré l'existence d'une thrombopénie ou d'une thrombopathie [13]. L'alimentation postopératoire hypercalorique s'impose afin de corriger la malnutrition et favoriser la cicatrisation. La surveillance de la glycémie, même en l'absence de diabète vrai, est rendue nécessaire par le risque d'hyper ou d'hypoglycémie. Les suites postopératoires sont marquées par le risque de survenu d'un syndrome de sevrage et de complications infectieuses. Le syndrome de sevrage Il survient habituellement après 6 à 8 heures d'abstinence. La fréquence de sa survenue dépend de l'ancienneté et de l'importance de l'intoxication. Il évolue classiquement en trois phases. La première phase est caractérisée par un tremblement fin et distal, des sueurs, suivie de troubles du rythme et d'hypertension. En l'absence de traitement, ce tableau aboutit en 2 à 3 jours au classique delirium tremens. Les autres causes d'agitation postopératoire sont fréquentes (hypoglycémie, sepsis, hypoxémie, encéphalopathie hépatique, embolie pulmonaire etc. ) et le diagnostic de delirium tremens doit rester un diagnostic d'élimination. Le traitement précocement institué vise à calmer l'agitation et à corriger les troubles hydro-électrolytiques. Les benzodiazépines de courte durée d'action tel que le midazolam représentent le traitement de choix dès l'apparition des premiers signes [14]. L'apport de soluté glucosé enrichi en sodium et surtout en potassium est modulé en fonction de la clinique et des examens biologiques [2]. Bien évidemment, la vitaminothérapie B1 (jusqu'à 1 g/j) et B6 est indispensable. Prise en charge péri-opératoire patient éthylique - 08/11/2005 4/5

Les complications infectieuses Favorisées par la diminution des moyens de défense de l'organisme (neutropénie), les surinfections bronchopulmonaires restent les plus fréquentes. D'autant plus que le tabagisme fréquemment associé, la malnutrition, et les troubles de conscience augmentent le risque d'encombrement et d'inhalation. La gravité de ces infections justifie à elle seule le recourt à une antibioprophylaxie fréquente. Autre complication postopératoire Les ictères postopératoires peuvent être la conséquence d'une insuffisance hépato-cellulaire surtout si les fonctions hépatiques étaient altérées en préopératoire. Le diagnostic étiologique précis est parfois difficile, mais celui de l'hépatite toxique médicamenteuse doit rester un diagnostic d'élimination [2]. Conclusion La prise en charge anesthésique d'un patient alcoolique chronique, en dehors de la cirrhose, ne présente pas de difficultés majeures pour peu que l'on ait établit précisément le retentissement clinique et métabolique de cette intoxication. Le risque opératoire dépend directement de ces altérations, de l'importance et de l'urgence de l'acte opératoire. Cependant les interactions entre l'alcoolisme chronique et la pharmacologie des agents anesthésiques ne sont pas aussi stéréotypées qu'il pourrait paraître. Bibliographie [1] Papoz l, Warnet JM, Pequignot G, Eschwege E, Claude JR, Schwartz D. Alcohol consumption in a healthy population. Relationship to gamma-glutamyl transferase activity and mean corpuscular volume. JAMA 245 : 1748-1751, 1981. [2] Bruce DL. Alcoholism and anesthesia. Anesth Analg 62 : 84-95, 1983. [3] Eckardt MJ, Harford TC, Kaelber CT. Health hazards associated with alcohol consumption. J Am Med Assoc 246 : 648-666, 1981. [4] Leroux G, Paraf A. Les répercussions de l'alcool sur les éléments figurés du sang et sur l'hémostase. Rev Prat 35 : 3353-3356, 1985. [5] Swerdlow BN, Holley FO, Maitre PO, Stanski DR. Chronic alcohol intake does not change thiopental anesthetic requirement, pharmacokinetics, or pharmacodynamics. Anesthesiology 72 : 455-461, 1990. [6] Newman, LM, Curran MA, Becker GL. Effects of chronic alcohol intake on anesthetic responses to diazepam and thiopental in rats. Anesthesiology 65 : 196-200, 1986. [7] Fassoulaki A, Farinotti R, Servin F, Desmonts JM. Chronic alcoholism increases the induction dose of propofol in humans. Anesth Analg 77 : 553-556, 1993. [8] du Cailar J, D'Athis F, Eledjam JJ, Bonnet MC. Propofol et éthylisme. Ann Fr Anesth Réanim 6 : 332-333, 1987. [9] Lemmens HJM, Bovill JG, Hennis PJ, Gladines MPRR, Burm AGL. Alcohol consumption alters the pharmacodynamics of alfentanil. Anesthesiology 71 : 669-674, 1989. [10] Johnstone RE, Kulpus RA, Smith TC. Effects of acute and chronic ethanol administration on isoflurane requirement in mice. Anesth Analg 54 : 227, 1975. [11] Pantuck EJ, Pantuck CB, Ryan DE, Conney AH. Inhibition and stimulation of enflurane metabolism in the rat following a single dose or chronic administration of ethanol. Anesthesiology 66 : 255-262, 1985. [12] Debaene B, Goldfarb G, Braillon A, Jolis P, Lebrec D. Effects of ketamine, halothane, enflurane, and isoflurane on systemic and splanchnic hemodynamics on normovolemic and hypovolemic cirrhotic rats. Anesthesiology, 1990, 73, 118-124. [13] Dixneuf B, Pinaud M, Blanloeil Y. Anesthésie chez l'alcoolique. Encycl Méd Chir, Anesthésie-Réanimation, 36659 B10, 1989. [14] Newman LM, Hoffman WE, Miletich DJ, Albrecht RF. Regional blood flow and cerebral metabolic changes during alcohol withdrawal and following midazolam therapy. Anesthesiology 63 : 395-400, 1985 Prise en charge péri-opératoire patient éthylique - 08/11/2005 5/5