Question de Question de Février 2005 Benoît Dassy Quelques lignes d'intro Les difficultés d'accès au logement deviennent de plus en plus criantes, en particulier dans les grandes villes. Au départ d'une enquête menée à Bruxelles, cette analyse souligne les principaux problèmes rencontrés et propose une explication de différents mécanismes qui pourraient être conjugués pour élaborer en Belgique une véritable politique sociale du logement. L'auteur Benoît Dassy est secrétaire fédéral des Equipes Populaires de la région de Bruxelles- capitale. Edité par les Equipes Populaires Rue de Gembloux, 48 à 5002 St Servais 081/73.40.86 -- equipes.populaires@e-p.be Texte disponible sur le site www.e-p.be
Enjeux généraux du logement dans les grandes villes Les problèmes Le problème principal du logement dans les grandes villes est sans conteste le prix des loyers pour les ménages à revenus faibles ou modestes. Une autre manière de voir le problème est de mettre en lumière le manque de logements sociaux, une offre publique insuffisante, ou le trop faible niveau des revenus. Une estimation provenant du cabinet du Ministre Vande Lanotte estime à 46% l'écart entre l'évolution des loyers et l'index des salaires. Cette augmentation est surtout due, dans les grandes villes, à la spéculation immobilière. Le résultat pour Bruxelles est flagrant : les coûts locatifs représentent en moyenne 24,6% du budget d'un ménage bruxellois moyen, contre 20,49% en Wallonie (Enquête sur le budget des ménages, 2000). Le problème de la salubrité des logements est moins criant mais fréquemment relevé lors des enquêtes. Il semble plus généralisé au niveau des logements sociaux que des logements privés. Mais c'est dans ces derniers que l'on trouve sans doute des situations plus rares mais tout à fait indignes. Les Équipes de Bruxelles ont participé à la diffusion et au dépouillement d'une enquête qui met ces différents aspects en évidence. Cette enquête était essentiellement qualitative, centrée sur le logement à Bruxelles. Les personnes interrogées ne sont pas représentatives de la population bruxelloise en général mais plutôt d'un public de milieu populaire. Le confort du logement est estimé par plus de 70% du public cible comme allant de correct à très confortable. L'insalubrité est cependant encore dénoncée dans presque un logement sur vingt. 37,84% des gens payent entre le tiers et la moitié de leur revenu pour leur loyer ou le remboursement de leur prêt. Pour une personne sur 5, c'est même plus de la moitié du revenu qui est nécessaire pour le poste logement de leur budget. Cela souligne que les catégories les plus fragilisées de la société vivent cette question budgétaire de manière plus cruciale. En moyenne, sur toute la population consultée, 55 % des personnes estiment que leur charge logement est trop ou beaucoup trop élevée. Que pourrait-on faire? Il s'agirait à la fois de construire du logement social pour les citoyens à faibles revenus, rénover ceux existant pour améliorer la qualité de vie de leurs occupants, conjuguer ces actions avec d'autres mécanismes afin de fournir du logement à un prix abordable pour les revenus moyens, sans oublier de contrôler certains propriétaires peu scrupuleux ni de mener une politique évitant des dynamiques de quartier négatives... Il y a du pain sur la planche et les finances risquent de faire défaut. De plus, les grandes villes doivent faire face au problème des personnes SDF. Les périodes de grand froid le rappellent chaque année : il manque des places d'accueil qui permettent d'éviter des drames indignes de nos sociétés. - 2 -
Cadre législatif : qui s'occupe de quoi? Le paysage institutionnel étant ce qu'il est dans notre pays, il est souhaitable de s'attarder un petit peu pour voir ce que l'on peut demander à qui... Le logement est principalement une matière régionale. Bruxelles, la Wallonie et la Flandre possèdent la plupart des compétences dans ce domaine. Pour la construction de logements sociaux ou des primes à la rénovation, c'est aux Régions qu'il faut s'adresser. Celles-ci gèrent aussi les agences immobilières sociales et, depuis quelques années, perçoivent les droits d'enregistrements. Le pouvoir fédéral est également concerné via les contrats de bail, la fixation et l'adaptation des loyers, la fiscalité et l'aide sociale offerte par les CPAS. C'est lui aussi qui initie la politique des grandes villes. Les grandes politiques : Les contrats de villes. Les contrats de villes ont comme volonté d'aborder les problèmes de grandes villes dans leur globalité. Leur objectif officiel est de rétablir la convivialité dans les quartiers défavorisés. Il s'agit d'effacer l'image négative d'un quartier touché par une concentration de problèmes tels que le chômage, le délabrement, les problèmes de santé, etc. Cette politique se déroule en collaboration avec les Régions et veut obtenir le concours des habitants. Les contrats de villes se développent sur plusieurs volets. Il existe des mesures fiscales, des plans de sécurité et de mobilité conçus pour des quartiers vulnérables et, bien sûr, un volet logement. Penchons-nous un peu sur celui-ci. Les contrats «logements» s'étalent sur trois ans. Ils sont composés d'une aide à l'investissement destinée aux Régions qui mèneront des projets créateurs de logements dans une approche intégrée. Ces contrats devront donc s'inscrire dans les priorités du gouvernement qui veut augmenter l'offre locative de qualité, favoriser l'accès à la propriété pour les personnes à faibles et moyens revenus, lutter contre l'insalubrité et réinsérer des publics-cibles. Mais ces mesures sont insuffisantes aux yeux de nombreux acteurs de terrain qui revendiquent d'autres actions pour résoudre le problème du logement. Quelques revendications. Il y a, d'une part, les revendications générales concernant les logements sociaux et publics : construction et rénovation afin d'augmenter l'offre de logements. Le Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC) prône la réquisition d'immeubles insalubres pour accélérer la mise à disposition de logements à loyers maîtrisés. Afin de favoriser la mixité sociale, il demande d'imposer un nombre minimum de logements publics sur le territoire des villes et villages. Mais ces revendications ne peuvent se concrétiser qu'à moyen terme (la construction et la rénovation prennent du temps). D'autres idées sont en débat dans les sphères politique et associative. Elle concerne des mesures fiscales qui peuvent être mises en oeuvre plus rapidement. Le MOC défend ainsi une réforme de la fiscalité concernant le logement. Celle-ci permettrait d'alimenter un fonds de «solidarité logement» destiné à divers moyens de régulation du marché (AIS, rénovation...). Dans les grandes villes, touchées de front par l'augmentation des loyers, d'autres revendications existent aussi. Attardons nous ici à la revendication de l'allocation loyer et du contrôle des loyers. - 3 -
L'allocation loyer Elle consiste dans une somme d'argent destinée à diminuer la charge du loyer sur le budget des ménages. Il s'agit de permettre aux ménages modestes de ne pas dépenser plus de 25% à 30% de leur budget dans leur loyer, ceci en attendant que l'offre de logements publics soit suffisante pour équilibrer le marché. Celle-ci peut se concrétiser soit au niveau régional, soit par les CPAS (dont les budgets dépendent du niveau fédéral). Le Rassemblement bruxellois pour le droit à l'habitat (RBDH) soutient, par exemple, une telle proposition d'allocation loyer, pourvu qu'elle soit accompagnée d'un contrôle des loyers. En effet, sans un contrôle des loyers, une telle allocation risque bien de finir dans la poche des propriétaires. Certains propriétaires saisiraient l'occasion d'une augmentation de revenus de leurs locataires pour augmenter leurs loyers. Ceux-ci resteraient donc trop élevés par rapport aux revenus des locataires. C'est parce qu'il craint une telle situation que le MOC ne défend pas une telle proposition. Le contrôle des loyers Comment contrôler les loyers pour éviter de tels effets pervers? Pour le RBDH, le meilleur outil est l'établissement d'un "loyer objectif". Il se baserait sur le revenu cadastral actualisé. Une autre piste consisterait à fixer une fourchette pour les différentes catégories de logements. Le loyer objectif Ce «revenu cadastral» est un montant forfaitaire par habitation qui sert de base au calcul des impôts sur les biens immobiliers. Mais ce montant, calculé sur base des loyers de 1975 n'a été indexé que depuis 1990. C'est pourquoi, le revenu cadastral devrait être indexé depuis 1975 et corrigé en fonction de certains critères pour refléter l'évolution des standards de confort ou l'évolution des quartiers depuis cette époque. Ce revenu cadastral actualisé représenterait un «loyer objectif», hors spéculation immobilière : il s'alignerait sur les loyers de 1975 en tenant compte de l'index et des évolutions au niveau du confort et du quartier. L'arme fiscale Aujourd'hui, malgré une augmentation de 40% pour calculer le revenu locatif (sur lequel est imposé le propriétaire), il y a toujours un écart, surtout dans les grandes villes, entre la valeur fiscale et les loyers perçus. Cet écart existera toujours entre le "loyer objectif" et les revenus locatifs. Le propriétaire et le locataire pourraient mentionner le prix de la location sur leur déclaration d'impôts. Il serait alors possible, et sensé, d'appliquer une taxation graduelle, de manière à ce que le propriétaire qui demande un loyer correspondant au 'loyer objectif' paie moins de taxes qu'actuellement et que ceux qui gonflent les prix soient taxés de manière plus importante. Aujourd'hui, les propriétaires sont taxés sur le revenu cadastral et non sur le revenu locatif. De ce fait, les propriétaires qui louent à des prix «honnêtes» paient autant de taxes que s'ils doublaient leurs loyers. - 4 -
Dans cette perspective, les propriétaires restent libres de fixer les prix de location qu'ils désirent mais la fiscalité les incite à proposer un loyer proche du "loyer objectif". Ce contrôle des loyers devrait également être accompagné d'autres mesures pour rendre ce loyer objectif public, etc. Fixer les loyers Dans une autre approche, envisagée par le MOC de Bruxelles, le "loyer objectif" pourrait aussi être établi en fixant une fourchette de prix par catégorie de logement. Les variations par rapport à ce "loyer objectif" devraient se justifier par des investissements qui améliorent la qualité du logement. Le propriétaire est donc contraint de demander un loyer dans cette fourchette de prix. Ce n'est plus un régime d'incitation fiscale. Une allocation pour les locataires Dans le cadre de loyers contrôlés (par incitation fiscale ou par fourchette de prix), l'allocation au loyer pourrait être envisagée. Elle serait attribuée en fonction de ce "loyer objectif", de manière à ce que les augmentations soient neutralisées par les taxes ou soient justifiées par des investissements dans le logement. La place du loyer dans l'index La Belgique est un des rares pays qui offre aux salariés une indexation automatique de leur salaire. Lorsque l'indice-santé augmente d'un certain seuil, les revenus (mais aussi les loyers) peuvent augmenter d'autant. Cela permet de conserver le pouvoir d'achat. Cependant, la part du loyer dans l'ensemble des prix composant l'indice-santé est largement inférieur à celle qu'elle occupe dans le budget des ménages des locataires (5,5% dans l'assiette de l'indice et parfois jusqu'à 60 % du budget des ménages défavorisés). Pour combler un petit peu cet écart, le MOC de Bruxelles revendiquait que cette proportion soit revue dans l'assiette de l'index. Cette assiette a été revue tout récemment mais la place du loyer dans celle-ci n'a pas été communiquée. Conclusion Plusieurs pistes existent donc à moyen terme pour mettre fin à la hausse des loyers. Au monde politique d'avoir le courage de les mettre en oeuvre. Sources : Art. 23, n 10, 1er trimestre 2003. Art. 23, n 16, 3e trimestre 2004. Art. 23, n 19, 2e trimestre 2005. Memorandum du M.O.C. - Bruxelles : http://www.mocbxl.be/modules.php?op=modload&name=updownload&file=index Du souffle pour l'égalité, fiche n 10, MOC, 2004. Programme politique des grandes villes Plan Logement Contrats logements 2005-2007 Directives, SPP Intégration sociale, 2004. Le logement à Bruxelles : un problème, des questions. Données et récits, CIEP-MOC Bruxelles, 2003-2004. - 5 -