Médicaments et grossesse UE11 Mardi 07 avril 2015 Pr Dominique Breilh Laboratoire de pharmacocinétique et de pharmacie clinique Groupe PK/PD INSERM U1034 et Pharmacie GHS CHU de Bordeaux HISTOIRE DE LA THALIDOMIDE (1) 1953 : Synthèse de la thalidomide par Ciba : absence d utilité 1954 :Cession du produit àune firme allemande Hypnotique sédatif sans effet indésirable!! 1957-1962 :Utilisation dans de nombreux pays sauf USA (véto FDA) 12000 cas de malformations recensés (malformations des membres, anomalies cardiaques et rénales) engendrant par la suite la crainte que n importe quel médicament pris au cours de la grossesse puisse représenter un danger. Entre 1968 1970 : Procès de la thalidomide en Allemagne. Interdiction Internationale de vente.
HISTOIRE DE LA THALIDOMIDE (2) 1954 : Résultats miraculeux chez un patient grabataire atteint de lèpre. Etudes cliniques organisées par OMS. Elles révèlent un taux important de succès. 1990 : Laboratoire CELGENE (USA) Reprend l étude du produit Met en évidence l effet stimulant sur les lymphocytes T. Développe les analogues de la thalidomide (lénalidomide, pomalidomide, ) Un chercheur d Harvard découvre les propriétéantiangiogéniquesde la thalidomide et son possible impact sur certains cancers? 1990 : Publication des premiers résultats dans le myélome. 1998: Thalidomide reconnue dans le traitement de la lèpre aux USA. 1997-2008 : Thalidomide en ATU en France dans diverses pathologie ciblées avec surveillance stricte (+++) 2009 : AMM de la Thalidomide en Europe dans le myélome multiple. C est l histoire de la Thalidomide, médicament tératogène Définition Tératogène: médicament, substance chimique, virus ou polluant qui perturbe le développement normal de l embryon et du fœtus MAIS Malformations congénitales sont mises en évidence àla naissance chez environ 3%de la population générale. La cause précise des malformations est retrouvée dans moins de 50 %des cas. Le risque tératogène n a été correctement étudié que pour très peu de médicaments. Particularités de la prise en charge médicamenteuse au cours de la grossesse La femme enceinte et le futur nouveau-nésont solidairessur les plans physiologique et métabolique. Le placenta n est pas une barrière. Sauf pour de grosses molécules comme l héparine, l insuline, l interféron Tout médicament administréàla mère peut traverser le placentaet peut avoir des répercussions immédiates ou lointaines sur l embryon, le fœtus et le nouveau-né. L analyse du risque médicamenteux nécessite la connaissance : du calendrier de développement de l embryon, des paramètres pharmacocinétiquesde chaque produit et la prise en compte des modifications physiologiquesconsécutives àl état de grossesse.
Nature du risque en fonction de la période de la grossesse (1) Avant l implantation J0 à J12 Echanges pauvres avec la mère On peut penser que le rôle des médicaments est faible Période embryonnaire J13 à J56 Organogénèse Risques d atteinte morphologique +++ Nature du risque en fonction de la période de la grossesse (2) Période fœtale(fin 2 e mois accouchement) Période de croissance, de maturation histologique et enzymatique Agression pendant cette période peut entraîner: Retard Croissance Intra Utérin Anomalies fonctionnelles temporaires ou définitives Cancérogénèse à distance Les troubles de la maturation sont souvent difficiles à déceler à la naissance mais peuvent apparaître à distance Nature du risque en fonction de la période de la grossesse (3) Période néonatale Pendant la vie intra-utérine l organisme maternel est «l organe épurateur»du fœtus A la naissance le nouveau-néa des fonctions d épuration partiellement matures ½vie d élimination est 2 à4 fois plus longue chez le nouveau-né que chez l adulte encore plus longue chez prématuré En tenir compte à l accouchement si un traitement médicamenteux est nécessaire
Nature du risque en fonction de la période de la grossesse (4) Durant toute la grossesse Risque de fausse couche ou mort fœtale Risque àdistance : cancérogénèse (distilbène), troubles du comportement (valproate) Tenir compte du temps de demi-vie d élimination du médicament Modification de la pharmacocinétique chez la femme enceinte (1) Résorption Augmentation: Vidange et temps de transit ph gastrique Sécrétion de mucus Flux sanguin gastrointestinal Diminution: Motilité et péristaltisme intestinaux Rôle de l évolution hormonale Résorption digestive très modifiée dans le sens de l augmentation mais aussi de la diminution Distribution Augmentation : Volume sanguin total et répartition différente des volumes liquidiens Débits sanguins: cardiaque, rénal, utérin et hépatique Rôle de la liaison des médicaments aux protéines?? Distribution modifiée +++ Modification de la pharmacocinétique chez la femme enceinte (2) Métabolisme Activitémétabolique hépatique augmentée Excrétion rénale Filtration glomérulaire augmentée : 100 à170 ml par min
Modification de la pharmacocinétique chez le fœtus et le nouveau-né Variation du flux sanguin placentaire Variation de la vitalité fœtale Fraction libre des médicaments variable Métabolisme placentaire faible Métabolisme fœtal existe (réactions d oxydation) mais les fonctions hépatiques sont immatures Fonction rénale fœtale et du nouveau néimmatures Elimination des médicaments très modifiée : augmentation des temps de demi-vie d élimination d un facteur 2 4 Utilisation des médicaments pendant la grossesse Consommation médicamenteuse non négligeable Selon les études, entre 5 et 10 médicaments pris pendant la grossesse, dont environ 30 % par automédication. Exposition involontaire durant une grossesse à des agents exogènes Arrêt intempestif du traitement (décompensation de la pathologie en cours de grossesse). Mauvaise prise en charge des patientes enceintes et tentation de sous traiter entraîne un risque majeur pour la mère. Interruptions de grossesse non totalement justifiées. Au cours d une grossesse connue (ou prévue) des traitements médicamenteux peuvent être nécessaires voir indispensables. L évaluation correcte du bénéfice attendu d une thérapeutique au regard des risques connus ou potentiels est posée. La notice du VIDAL laisse trop souvent dans l incertitude «Bien que les études tératologiques effectuées sur les animaux n aient pas mis en évidence d effet tératogène comme pour d autres médicaments, on ne doit cependant administrer cette substance au cours de la grossesse ou pendant l allaitement que dans le cas d une réelle nécessitéet sous contrôle direct du médecin». L évaluation correcte va comporter 4 étapes
Etape n 1 : Nuancer le risque Fréquence de base des malformations congénitales dans la population générale : 2 à3 % selon les études. Risque «zéro»n existe pas pour les malformations. La plus dangereuse des expositions ne provoque jamais 100 % de malformations, au pire 20 à30 % (isotrétinoïne Roaccutane et thalidomide). Etape n 2 : Evaluer la balance bénéfice/risque Certaines expositions peuvent présenter unrisque malformatif ou foetotoxique mais sont indispensables à la mère. Bénéfice maternel +++ Perte de chances si abstention thérapeutique Donc médicament «àrisque»ne veut pas forcément dire «contre-indiqué» en cours de grossesse Etape n 3 : Evaluer le risque des médicaments chez la femme enceinte Le croisement des résultats chez l animal et chez l homme détermine un niveau de risque. Principe fondamental : prépondérance des données humaines sur l animal. Un risque identifié n est pas toujours quantifiable (méthotrexate, misoprostol). Prise en compte du bénéfice attendu et du profil pharmacocinétique. Le diagnostic anténatal peut permettre de dépister d éventuelles anomalies en cours de grossesse.
Evaluation du risque tératogène ECHELLE FDA Risque A: études contrôlées démontrant aucun risque chez l homme. Risque B: données animales non tératogènes. Risque C: effets retrouvés chez animal. Evaluer le rapport bénéfice/risque pour chaque cas. Risque D: effets chez fœtus mais réel bénéfice du traitement maternel. Risque X: contre-indiquéau cours de la grossesse car effet tératogène clairement démontréet pas de bénéfice chez la mère. Etape n 4 : Prendre en charge le risque Le diagnostic anténatal peut permettre de dépister d éventuelles anomalies en cours de grossesse. Lithium : cœur Certains anticonvulsivants : acide valproïque Dépakine, carbamazépinetégrétol : tube neural, face, squelette. Anticoagulants oraux : face, squelette. Carbinazole Néomercazole : abdomen, thyroïde. Médicaments tératogènes A proscrire en cours de grossesse, sauf indication exceptionnelle dans certains cas comme l acide valproïque(dépakine, Dépakote, Dépamide ) Antimitotiques : méthotrexate, cyclophosphamide Isotrétinoïne par voie orale (Roaccutane ), Acitrétine(Soriatane ) Mycophénolate(Cellcept, Myfortic ) Thalidomide «Utilisables»en cours de grossesseen l absence d alternative thérapeutique plus sûre (avec diagnostic anténatal adapté) Carbamazépine(Tégrétol ), Lithium Anticoagulants oraux (AVK) Médicaments contre-indiqués pendant la vie fœtale AINS et aspirine à posologie anti-inflammatoire IEC et antagonistes du récepteur à l angiotensine II (sartans)
Exemple 1 : Lithium Malformation cardiaquedans 4 à8 % des cas (communication interventriculaire canal artériel). En cas de grossesse débutée sous lithium il n est pas légitime de conseiller systématiquement une interruption de grossesse. Diagnostic anténatal par équipe spécialisée est recommandé (échographie cardiaque àpartir de la 20 ème semaine). Conduite àtenir: -Contre indication pendant les 45 premiers jours. -Ensuite surveiller +++ la lithiémie(conseillée < 1 mg/l). - Forte réduction doses en fin de grossesse. Exemple 2 : Valproate de sodium Anomalie de fermeture du tube neural (AFTN) dans 1 à2 % des cas (1 dans la population générale) Anomalies des membres et de la face (oreilles, nez...). Diagnostic anténatal par échographie + amniocentèse + alpha foetoprotéine maternelle sanguine Risque de syndrome hémorragique néonatal Utilisation de l acide folique 2 mois avant et 1 mois après la conception sans dépasser 5 mg/24h mais pas de preuve réelle d efficacité. La carbamazépine entraîne des anomalies proches de celles du valproate de sodium apport de Vit K1 recommandé. Exemple 3 : AINS y compris inhibiteurs de la cox2 et aspirine > 500mg/j Toxicitécardio-pulmonairepar constriction partielle ou totale in utero du canal artériel. Insuffisance Cardiaque droite mort in utéro, HTAP post natale, fuite tricuspidienne, hypertrophie de la paroi interventriculaire. Toxicité rénale Insuffisance rénale fœtale et/ou néonatale, oligoamnios, anamnios. Tous les AINS sont formellement CONTRE-INDIQUES àpartir de 5 mois révolus (24 semaines) en prise ponctuelle Y compris les AINS faiblement dosés pris comme antalgiques quelque soit la voie d administration (sauf oculaire) Les AINS doivent être EVITES avant la 24 ème SA Si douleurs seule l utilisation du Paracétamol est possible.
Exemple 4 : Fluoroquinolones(1) Données chez l animal Absence d effet malformatif «classique»pour toutes les FQ. Effet sur le cartilage articulaire Pas décrit lors de l administration pendant la gestation. Effet en postnatalchez le rat et le chien, Effet in vitro chez la souris et le poulet. Exemple 4 : Fluoroquinolones(2) Passage placentaire Etude sur cotylédon humain perfuséin vitro pour 3 FQ. Semble faible : ~ 5 % pour ciprofloxacineet 6 % pour ofloxacine et lévofloxacine. Données cliniques Nombreuses données avec norfloxacine et ciprofoxacine. Ciprofloxacine(Ciflox ) : ~ 700 grossesses au 1 er trimestre : pas d augmentationdu taux de malformations ~ 200 grossesses 2 ème trimestre et/ou 3 ème trimestre : pas d effet fœtal ou néonatal particulier Pas d atteinte fœtale articulaire décrite en transplacentaire quelle que soit la FQ. Exemple 4 : Fluoroquinolones(3) En pratique Pas d inquiétude si exposition àune FQ en début de grossesse. Prescription «possible» avec surveillance+++ Ciprofloxacine(Ciflox ) : quel que soit le terme de la grossesse. 2 ème intention : ofloxacine(oflocet ), lévofloxacine(tavanic ). 3 ème intention : moxifloxacine(izilox ). Pas de problème par voies auriculaire et oculaire (Gouttes auriculaires et collyres).
Exemple 5 : Béta2 mimétiques et Asthme (1) Le maintien d un équilibre thérapeutique de l asthme est indispensable chez la femme enceinte Toutes les mesures destinées à éviter une hypoxie aigue ou chronique doivent être entreprises pour le bénéfice de la mère, du fœtus (gravité +++ de l hypoxie pour le fœtus) et de l enfant. Exemple 5 : Bêta2-mimétiques d action brève (2) 1 ère intention salbutamol et terbutaline 2 ème intention fénotérol(bronchodual ) Données cliniques très nombreuses et rassurantes pour 1 ière intention plus rares pour fénotérol résorption faible après inhalation (10 %) Pas de malformation chez l animal Attention en fin de grossesse pour les formes IV, SC ou orales : la 2 sélectivité disparaît quand les doses augmentent Risques de trouble fœtal et/ou néonatal transitoire : Tachycardie identique àcelle de la mère Perturbations de la glycémie (hypo ou hyperglycémies) Exemple 5 : Bêta2 mimétiques d action prolongée (3) 1ère intention : voie inhalée Salmétérol Formotérol Données nombreuses et rassurantes Passage systémique (résorption) faible 2 ème intention : voie orale Terbutaline LP Bambutérol Possibilitéd effets indésirables en fin de grossesse Préférer la voie inhalée
Prescriptions en cours de grossesse : conduites àtenir (Vidal) Utilisation possible ou envisageable Fonction de la quantité et qualité des données humaines Et de la période concernée par les données Utilisation à éviter par précaution Données parcellaires mais pas d élément inquiétant Utilisation déconseillée Suspicion (homme ou animal) àconfirmer ou à infirmer Ne sont pas des contre-indications Utilisation contre-indiquée Contre-indication Risque prouvé chez l homme mais Si bénéfice maternel ++(médicament indispensable sans alternative thérapeutique) : la contre-indication est alors levée au cours de la grossesse. Avis de spécialiste et suivi renforcé.