CONTRIBUTION DES JUGES A LA SECURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS



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Transcription:

CONTRIBUTION DES JUGES A LA SECURISATION DES PARCOURS PROFESSIONNELS Il est d usage de considérer que la dialectique accord-loi a été tout à la fois à l origine de la création et le moteur du développement du droit de la formation. Et de constater que lorsque ce couple a des relations harmonieuses (au début des années 1980 ou en 2003/2004) le droit s en trouve dynamisé et riche d innovations, alors que des situations plus conflictuelles (en 1993 ou en 2009) font perdre de la force et de la cohérence aux dispositions qui sont adoptées en l absence de véritable consensus sur les finalités poursuivies. Il est également d usage de mettre en cause la gouvernance de la formation professionnelle par l Etat, les Conseils régionaux et les partenaires sociaux, parfois plus occupés à marquer leur territoire qu à rechercher les articulations qui garantiraient le bon fonctionnement du système. L avenir proche nous dira si les perspectives ouvertes par la conférence sociale et le troisième acte de la décentralisation s inscrivent dans un cycle de relations harmonieuses conflictuelles. Dans les deux cas, il est un acteur majeur du droit de la formation professionnelle dont il n est jamais question. C est pourtant lui qui forge depuis des années un droit de l employabilité qui servira certainement de moule à un droit du parcours professionnels en cours d élaboration. Cette chronique a pour objet de mettre en évidence la construction que les juges, par une jurisprudence cohérente et offensive, ont bâtie ces dernières années et qui pourrait alimenter les négociations futures sur la sécurisation des parcours professionnels. 1. La création de l obligation d adaptation au poste de travail A la fin des années 1980, on voit apparaître les premières décisions des tribunaux qui imposent à l entreprise de faire évoluer les salariés lorsque leur poste de travail évolue. Soucieux de privilégier la survie du contrat au détriment de sa rupture, les juges considèrent que lorsque survient un changement d organisation ou une évolution technologique, les deux parties au contrat ont l obligation de s adapter. L employeur en fournissant au salarié les moyens de suivre l évolution ainsi intervenue, et le salarié en se saisissant de ces moyens et en faisant les efforts d adaptation (Cass. soc., 20 avr. 1988, SA Europe Aéro Service c/ Dipace). Ces obligations réciproques auraient pu être fondées sur le caractère successif du contrat de travail qui impose de faire évoluer les termes du contrat pour tenir compte des évolutions de l environnement dans lequel il s exécute. Mais les juges ont préféré se référer à une obligation plus générale : la bonne foi contractuelle. C est le fameux principe adopté en 1992 : tenu d exécuter le contrat de travail de bonne foi, l employeur doit adapter les salariés à l évolution de leur poste de travail (Cass. Soc., 25 1

février 1992, Expovit c/dehaynain ). Cette jurisprudence a été constamment maintenue depuis cette date (Cass. soc., 18 déc. 2000, pourvoi n 98-41.975. Cass. soc., 30 oct. 2000, pourvoi n 98-44.350). L obligation d adaptation sera introduite dans le code du travail par la loi Aubry du 17 janvier 2000, puis précisée par la loi du 4 mai 2004. Dans un premier temps, les contours de l obligation ont pour frontière le contrat de travail. Ancrée dans la relation contractuelle, elle s exerce dans le champ de la qualification professionnelle du salarié. C est ainsi que la Cour de cassation rappellera à de multiples reprises que l employeur n est pas tenu de donner à un salarié la formation initiale qu il n a pas ou de lui délivrer une formation longue et coûteuse (Cass. soc., 12 juillet 2006, Demant c/assoc. Maternité hôpital Sainte-Croix. - Cass. soc., 17 mai 2006, pourvoi n 04-43.022 ; Cass. soc., 3 avr. 2001, pourvoi n 99-42.190, Marzouk et a. c/ SA Aptargroup Holding). Pourtant, le juge n aura de cesse que d étendre cette obligation au-delà des frontières du contrat. 2. De l adaptation au poste à l adaptation à l emploi Le code du travail met à la charge des entreprises plusieurs obligations de reclassement, parfois au moyen de propositions de modification du contrat de travail. Tel est le cas, par exemple, en matière d inaptitude. Selon les articles L. 1226-2 et L. 1226-10 du Code du travail, lorsqu un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail à l exercice de sa fonction, que cette inaptitude ait une origine professionnelle ou non, l entreprise est tenue de procéder à son reclassement, au besoin en lui faisant suivre une formation. L obligation de reclassement peut devenir une obligation de formation. Ainsi, l employeur qui licencie pour impossibilité de reclasser ne respecte pas ses obligations s il apparaît que le salarié aurait pu se voir proposer une autre fonction moyennant une formation d adaptation (Cass. Soc., 28 mai 2008, n 06-45.572). La même obligation de reclassement, au besoin en mettant en œuvre une formation d adaptation, existe également en matière de licenciement pour motif économique, l employeur devant rechercher toute solution de formation avant de procéder au licenciement (C. trav., art. L. 1233-4 ; Cass. Soc., 20 oct. 1998, n 95-45.018). Le droit à formation apparaît également dans les obligations de réintégration des salariés, par exemple dans le cas du congé parental (C. trav., art. L. 1225-59). A défaut de formation à l issue du congé parental, l employeur ne peut licencier un salarié pour insuffisance professionnelle (Cass. Soc., 29 octobre 2002, n 00-40.630). On voit ici le fondement de ces obligations de reclassement : l employeur a l obligation de rechercher tous les moyens de maintenir le contrat avant de pouvoir le rompre. La rupture ne doit être que la solution de dernier recours, lorsque toutes les autres ont été épuisées. 2

Et pour ce faire, l employeur ne peut s en tenir au poste de travail du salarié, ni même à sa qualification professionnelle, le reclassement pouvant supposer une modification du contrat de travail. Il doit raisonner en termes de compétences, qui introduit un horizon nouveau pour la gestion des ressources humaines : le contrat de travail n en constitue plus le bornage strict et la mobilité professionnelle aux fins de reclassement entre dans le champ des obligations contractuelles. En ce sens, les obligations de reclassement peuvent être vues comme obligeant l entreprise à proposer au salarié un parcours professionnel tenant compte de ses compétences réelles et non uniquement de celles pour lesquelles il a été embauché. 3. De l adaptation à l emploi à la gestion de l employabilité A la fin des années 2000, les juges vont à nouveau déplacer la frontière des obligations de l entreprise. Pour ce faire, ils vont s appuyer sur les termes de l article L. 6321-1 du Code du travail qui intègre l obligation d adaptation au poste de travail mais également l obligation de veiller au maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi au regard notamment de l évolution des emplois, des technologies et des organisations. Pour la Cour de cassation, les termes de cet article permettent de fonder non seulement une obligation de gestion des compétences dans l entreprise mais également une obligation de gestion de l employabilité plus large, au regard des évolutions du marché du travail. Pour la première fois en 2007, les juges estiment que des salariés qui n ont bénéficié, en 12 et 24 ans de présence dans l entreprise, que de trois jours de formation ont subi un préjudice leur ouvrant droit à des dommages et intérêts. L insuffisance de formation constitue un manquement de l employeur à son obligation de maintenir l employabilité du salarié, entraînant un préjudice distinct de celui résultant de sla rupture du contrat de travail (Cass. Soc., 23 octobre 2007, n 06-40.950, n 2190 FS P + B, Synd. Professionnel UDO c/soulies et a.) Les arguments de l entreprise, selon lesquels elle avait rempli ses obligations d adaptation au poste et de recherche de reclassement, sont donc inopérants dès lors qu il est constaté que l entreprise n a pas pris en compte l évolution de l environnement externe. 4. De la place de la formation dans la gestion de l employabilité La Cour de cassation a eu l occasion de préciser le contenu exact de l obligation de gestion de l employabilité à propos de plusieurs affaires concernant des salariés qui occupaient des emplois peu qualifiés. La première décision en ce sens date du 2 mars 2010. Des salariés ont été employés en qualité de plongeurs de restaurant par un hôtel et n ont suivi aucune formation pendant les 10 à 20 ans qu ils ont passés dans l entreprise. L employeur considère que ces salariés à qui aucun reproche n a été formulé dans le cadre de leur emploi et qui n ont pas été licenciés n ont subi aucun préjudice. Bien plus, s appuyant sur la jurisprudence de la Cour de 3

cassation, l entreprise considère que pour ces salariés qui maîtrisent mal le français, il ne revient pas à l employeur de leur donner la formation initiale qui leur fait défaut. L argument n est pas retenu par le juge qui considère qu en maintenant dans un emploi à faible contenu et non évolutif des salariés pendant une longue période, l entreprise a contribué à les déqualifier et n a pas compensé cette situation par de la formation. Il en résulte un préjudice que l employeur doit indemniser (Cass. soc., 2 mars 2010, pourvois n 09-40914 à n 09-40- 917). Cette décision a été confirmée par plusieurs autres rendues à l automne 2011. Tout d abord le 28 septembre 2011 à propos de préparateurs de véhicules. La Cour d appel avait débouté les salariés de leur demande d indemnisation de l absence de formation aux motifs que l'employeur n'avait aucune obligation de les former à leur tâche de préparateurs qu'ils occupaient avec succès et dont ils ne prouvaient pas qu'elle ait fait l'objet d'une évolution, et qu'il n'existait pas de tâches d'un niveau plus élevé à leur proposer. Censure de la Cour suprême qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si, au regard de la durée d'emploi de chacun des salariés, l'employeur avait rempli son obligation de veiller au maintien de la capacité des salariés à occuper un emploi (Cass. soc., 28 septembre 2011, n 09-43339). Le 17 novembre 2011, la Cour de cassation se prononce dans le même sens pour une salariée marocaine qui n a suivi aucune formation pendant la durée de son emploi, et notamment pas de formation en français ce qui a rendu plus difficile sa recherche d emploi après son licenciement. Là encore la Cour de cassation reproche à l entreprise de ne pas avoir veillé à la capacité du salarié à occuper un emploi en tenant compte de l évolution des emplois, des technologies et des organisations (Cass. Soc., 17 novembre 2011, n 09.02443). On constatera que toutes les décisions relatives à l employabilité concernent des salariés peu qualifiés. Les juges semblent avoir intégré qu il existe plusieurs manières de se professionnaliser : en exerçant des activités au contenu varié, évolutif et qui permet d accroître ses compétences, ou en se formant. La compétence peut en effet s acquérir soit par le travail, soit par la formation. Ce que la Cour de cassation indique ici aux entreprises c est que lorsque l emploi occupé est fait de tâches simples, répétitives, qui ne permettent pas le développement professionnel, il est indispensable de compenser par de la formation, serait-elle inutile par rapport aux fonctions exercées. En d autres termes, l entreprise qui a la liberté de création des emplois et de leur contenu, doit assumer les responsabilités liées à cette liberté. Elle ne peut laisser des salariés se déqualifier sans veiller à maintenir leur capacité à occuper un emploi, y compris en dehors de l entreprise. Il est évident que cette obligation de maintien de la capacité à occuper un emploi est remplie, et ne crée donc pas un droit particulier à la formation, lorsque l entreprise garantit au salarié soit une situation de travail évolutive soit un parcours professionnel au sein de l entreprise. A l entreprise de déterminer le bon équilibre entre les compétences acquises par l activité et celles qui peuvent l être par la formation. 5. L employabilité, une responsabilité d employeur 4

L obligation d adaptation au poste de travail est le corollaire du pouvoir de direction : l employeur pouvant faire évoluer le contenu des emplois, la bonne foi contractuelle lui impose de ne pas placer le salarié en situation de ne pouvoir exécuter ses propres obligations. Il doit donc lui fournir les moyens de suivre cette évolution de l emploi. L obligation de gestion de l employabilité s alimente à la même source du pouvoir d organisation. L employeur ayant la responsabilité d avoir créé des emplois non évolutifs et constitués de tâches simples et/ou répétitives, il doit s assurer, notamment lorsque le salarié occupe cet emploi pendant une longue période, qu il n a pas contribué à la déqualification du salarié. C est donc le pouvoir de direction, liberté fondamentale reconnue à l employeur, qui constitue le socle de ses obligations, tant il est vrai qu il n y a pas de liberté sans responsabilité. Confrontée à cette responsabilité, une entreprise a tenté de la reporter, au moins partiellement, sur le salarié : aux reproches de ce dernier quant à l absence totale de formation pendant la durée de son emploi, une entreprise de travaux publics a tenté de se justifier par la carence du salarié, aucune demande de formation ne lui ayant été présentée et le salarié ne pouvant se prévaloir d aucun refus de formation de la part de l entreprise. Ce serait-là ajouter une condition à la loi lui répond la Cour de cassation. C est à l employeur de veiller à la capacité d occuper un emploi, pas au salarié (Cass. Soc., 5 octobre 2011, n 08-42909). En l occurrence, la création du DIF ne change rien à l affaire. Si le salarié se voit reconnu un droit d initiative, il ne saurait s agir d une obligation d initiative. Par ailleurs, la décision finale appartient à l entreprise qui donnera suite ou non aux demandes du salarié selon la pertinence qu elle leur accordera. Or c est la capacité de décider, et non de proposer, qui fonde une responsabilité. Cette reconnaissance d un droit d initiative n enlève donc rien à la responsabilité de l employeur. Bien au contraire, elle offre au salarié un outil supplémentaire pour mettre en jeu la responsabilité de l employeur, si des refus étaient opposés à des demandes de formation qui visent à permettre l adaptation du salarié à son poste de travail ou le maintien de sa capacité à occuper un emploi. 6. Du droit au maintien de l employabilité à un droit au parcours professionnel? En un peu plus de 20 ans, la jurisprudence a donc contribué d une part à façonner la loi, à travers la création de l obligation d adaptation au poste, et d autre part à lui donner une portée toujours plus large, en considérant que le maintien de la capacité à occuper un emploi ne s appréciait pas uniquement à l intérieur de l entreprise mais au regard des évolutions du marché du travail. Ce faisant la Cour de cassation a largement contribué à mettre en place ce qui pourrait constituer les bases d un droit à l employabilité, ou à la sécurité professionnelle par l obligation de gestion des compétences des salariés non seulement à court terme (adaptation) mais également à moyen terme (capacité à occuper un emploi). Ce droit à la sécurité professionnelle peut se traduire par un droit à la formation, mais il ne saurait y être réduit : qui dispose d une activité évolutive, qui change d emploi et se professionnalise ne peut réclamer une formation compensant le risque de déqualification. On voit ainsi s élaborer un équilibre entre le droit à la formation pour ceux qui n ont pas de parcours professionnel, et la possibilité de justifier par ce parcours l absence d une formation de maintien de l employabilité, celle-ci étant garantie par le parcours lui-même. A 5

l entreprise de construire un équilibre suffisant entre ces deux modalités pour satisfaire à ses obligations. CONCLUSION La Cour de cassation ne dispose pas d une chambre spécialisée sur les questions de formation professionnelle. Elle a longtemps abordé les questions de la compétence des salariés et de leur employabilité au hasard de contentieux qui portent sur le licenciement pour insuffisance professionnelle ou de résultat, sur le non-respect d une obligation de reclassement ou encore à l occasion d un licenciement pour motif économique. Malgré cela elle a su construire dans le temps une jurisprudence structurée, cohérente et évolutive. Elle a contribué à établir un droit de l employabilité et à définir les places respectives de l activité et de la formation comme modalités d exécution des obligations de l employeur. Même si, à ces occasions, elle n a pas directement abordé la notion de parcours professionnel, on perçoit bien comment cette construction autour de l employabilité du salarié fournit tous les ingrédients dans lesquels les partenaires sociaux pourraient puiser à l occasion de la négociation qui s annonce en matière de sécurisation des parcours professionnels. JML/JPW Octobre 2012 6