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Transcription:

Prix jeune chercheur 2013 de la ville de Clermont-Ferrand Transferts des migrants, aide publique et développement des pays receveurs Maëlan Le Goff École Doctorale des Sciences Juridiques, Économiques et de Gestion Centre d Études et de Recherches sur le Développement International

Introduction Voici ce que l on a pu lire récemment dans la presse : Par Myriam Berber L aide au développement, victime de la crise Pour la première fois depuis quinze ans, l aide des pays industrialisés aux pays en développement a baissé de près de 3% en 2011. Bon nombre de pays riches n honorent pas leurs promesses, la France en tête. Au même moment, nous avons pu également apercevoir cela : Immigration: les transferts d'argent ne connaissent pas la crise 21/11 07:33 mis à jour à 07:44 Les transferts d'argent des migrants vers les pays en développement devraient être plus élevés que prévu cette année et atteindre 406 milliards d'euros, selon la Banque Mondiale. Mais la crise en Europe a freiné les flux vers l'afrique sub-saharienne. DR

Il existe trois sources principales de financement du développement : les investissements directs étrangers, l aide publique au développement et les transferts de fonds des migrants, que l on peut définir comme les flux monétaires envoyés par les migrants résidents dans un pays d accueil à des individus vivant dans leur pays d origine1. Les coupures de presse ci-dessus témoignent de deux choses : 1- les transferts des migrants suscitent une attention croissante de la part de la communauté internationale 2- alors que les flux de capitaux à destination des pays en développement ont été significativement affectés par la crise, en particulier les flux d aide publique au développement, les transferts des migrants ont remarquablement résisté aux aléas de l économie mondiale. Depuis le début des années 1990 jusqu en 2009, les montants globaux des transferts des migrants à destination des pays en développement n ont cessé de croître. Leur montant total a dépassé celui de l aide publique au développement à partir du milieu des années 1990 et représente aujourd hui environ le triple du montant de l aide internationale2. En 2012, les transferts officiels des migrants à destination des pays en développement auraient dépassé les 400 milliards de dollars US, soit une augmentation de plus de 6 pourcents par rapport à 2011. Pour de nombreux pays en développement, les transferts des migrants représentent plus de 10% du PIB, voir plus de 20% dans certains petits pays (Lesotho et Moldavie par exemple). Les 10 pays les plus dépendants des transferts des migrants en 2011 (en % du PIB)3 Cette croissance impressionnante des transferts issus des migrations internationales a peu à peu suscité l intérêt de la communauté internationale pour cette nouvelle source de financement du développement. Alors que la question des effets de l aide publique internationale sur le 1 On utilise dans un souci de simplicité et par convention le terme «transferts des migrants» mais ces flux sont en réalité mesurés par les institutions internationales en agrégeant trois postes de la balance des paiements des pays : les envois de fonds des travailleurs, la rémunération des salariés résidant à l étranger et les transferts des migrants. 2 Sachant en plus, qu une part conséquente de ces flux ne transite pas par les canaux formels et n est donc pas comptabilisée dans ces chiffres officiels (transfert direct à travers le déplacement physique du migrant ou d un émissaire ; envoi d argent par courrier, etc.) 3 Données tirées des bases statistiques de la Banque mondiale.

développement a occupé une place centrale de la recherche en économie du développement depuis les années 1980 (sans qu une conclusion claire ressorte des travaux), les transferts des migrants ont commencé à apparaître dans le champ d analyse des économistes à la toute fin des années 1990. Leurs études, principalement micro-économiques, ont dans l ensemble montré l importance des transferts pour les familles bénéficiaires (réduction de la pauvreté, amélioration du niveau de santé et d éducation des enfants, etc.). Autre atout majeur, les transferts des migrants, dont l objectif principal consiste à améliorer les conditions de vie des membres de la famille restée au pays, semblent réagir significativement à la survenue de chocs négatifs (chocs de revenu, chocs climatiques ou encore chocs financiers) dans les pays d origine et faire preuve d une certaine résilience face à la situation économique des pays d accueil. En effet, les investissements directs étrangers à destination des pays en développement ont dramatiquement fluctué depuis 2008 et ne sont pas revenus à leur niveau d avant la crise. De même, en 2011, les montants de l aide publique au développement ont baissé pour la première fois depuis 1992. Etant donné le durcissement des politiques d immigration dans les pays d accueil affectés par la crise (Grande Bretagne, Espagne, pour n en citer que quelques uns), et le retour d un certain nombre de migrants dans leur pays d origine (cas des Indiens installés aux Etats-Unis), on s attendait à ce que le nombre de migrants internationaux diminuent. De plus, une part importante des immigrés travaillant dans des secteurs particulièrement affectés par la crise (secteur de la construction par exemple), ces derniers ont été particulièrement touchés par les effets de la crise sur l emploi. Ces deux facteurs cumulés laissaient présager un tarissement significatif des transferts des migrants, source de revenu essentielle pour de nombreuses économies en développement. Or, malgré une légère baisse recensée en 2009 et malgré ce qui était annoncé, les transferts des migrants sont restés relativement stables au moment de la crise et ont recommencé à croître très rapidement (voir graphique ci-dessous). La dernière crise économique et financière a ainsi démontré à l échelle mondiale ce qui jusque là avait été constaté au niveau de pays individuels faisant face à des chocs spécifiques: les transferts des migrants, relativement aux autres sources de financement, constituent une source stable de revenu pour les pays en développement et semblent jouer un rôle d assurance informelle pour les ménages. Evolution des sources de financement à destination des pays en développement, 2000-2010 (en milliards de dollars US)4 Investissements directs étrangers Transferts des migrants Aide publique au développement Dette privée et investissements en portefeuille 4 Recueil statistique 2011 sur les migrations et les envois de fonds publié par la Banque mondiale.

Pourquoi cette étude? Le lien entre aide publique et développement ne fait pas consensus dans la littérature. En même temps, les difficultés budgétaires que rencontrent les pays développés depuis plusieurs années et les «atouts» que semblent posséder les transferts (régularité, résilience, rôle d assurance) ont fait naître chez les bailleurs l idée d une possible substitution des transferts à l aide publique en tant que source extérieure de financement du développement. Simple coïncidence ou pas, l évolution opposée de l aide et des transferts que l on observe depuis quelques temps, semble témoigner tout au moins d une substitution de fait, entre les transferts des migrants et l aide publique en tant que source extérieure de financement du développement. Malgré des volumes comparables, l aide publique et les transferts des migrants ont des caractéristiques intrinsèques propres (voir le tableau ci-dessous) qui font que cette question de substituabilité nécessite d aller au-delà du simple aspect quantitatif. Etant donné les particularités des transferts des migrants, et bien que de nombreux travaux de recherche aient mis en évidence l importance de ces flux pour l amélioration du bien-être des ménages ou des individus, il est essentiel de s interroger sur les effets des transferts sur le développement global des pays receveurs. De plus, de nombreux pays en développement font face à une instabilité économique et/ou à des chocs naturels importants et fréquents qui affectent particulièrement les franges les plus pauvres des populations. Or, très souvent les systèmes d assurance formels y sont peu développés, voire inexistants. Alors que l instabilité de l aide publique et ses effets néfastes potentiels ont souvent été montrés du doigt, les transferts semblent être stables dans le temps et répondre significativement aux chocs négatifs dans les pays d origine. Ils semblent jouer ainsi un rôle d assurance pour les familles en cas de choc. Il est donc important d aller plus loin et d étudier dans quelle mesure les transferts permettent d atténuer les effets néfastes des chocs au niveau des pays. D où la problématique soulevée dans cette thèse : Au-delà de leur comparabilité en termes de montants, les transferts des migrants, flux individuels et privés, peuvent-ils se substituer à l aide publique internationale en tant que source de financement du développement? Il en découle trois questions principales : 1- Les transferts des migrants, flux privés émanant de considérations individuelles et arrivant dans la poche des ménages, peuvent-ils favoriser le développement au niveau des pays et à quelles conditions?

Les transferts bénéficiant seulement à certains ménages, quels effets ont-ils sur les inégalités de revenu au sein des pays en développement? Les transferts, qui sont composés de très nombreuses petites sommes et servent souvent à la consommation courante, peuvent-ils avoir un effet significatif sur la croissance économique des pays? 2- les transferts jouent-ils un rôle d amortissement des chocs? Le rôle d assurance des transferts pour les ménages qui les reçoivent tient-il en cas de choc affectant le pays d origine et le pays de départ (cas de la dernière crise financière)? Dépend-il de la force des liens entre le migrant et sa famille? Les transferts permettent-ils d amortir l effet néfaste de l instabilité macroéconomique sur la pauvreté? Leur effet stabilisateur en cas d instabilité macroéconomique est-il différent de celui de l aide publique au développement? 3-Quelle est la relation entre transferts des migrants et aide publique au développement? Les bailleurs de fonds ont-ils tendance à allouer des montants d aide moins importants aux pays en développement qui reçoivent des montants de transferts issus des migrations relativement plus élevés?

Principales différences entre l aide publique au développement et les transferts des migrants Aide publique au développement Transferts des migrants 1 Fruit de décisions étatiques Fruits de décisions individuelles 2 3 4 Possibilité pour les pays donneurs d influencer l affectation de l aide Flux formels, «visibles» Arrive dans les caisses des gouvernements L affectation des montants transférés se fait principalement par la famille restée au pays (surtout besoins de consommation courante des ménages, éducation, santé) Une part importante transite par des voies informelles Arrivent directement dans la poche des ménages et s adaptent aux besoins de leurs destinataires 5 Souvent instable dans le temps, varie en fonction des considérations budgétaires, politiques, économiques Relativement stables et peu influencés par la conjoncture économique 6 Envois ponctuels de sommes importantes Envois réguliers de sommes restreintes 7 Sa réponse aux chocs dans les pays d origine est ambigüe Résultent principalement de considérations altruistes (augmentent en cas de choc négatif dans le pays d origine) 8 Sa réponse aux chocs requiert un délai minimum (contraintes administratives) Peuvent arriver très rapidement aux destinataires en cas de besoin

Méthodologie L Effet des transferts sur le développement Alors que la grande majorité des études se sont intéressés aux effets microéconomiques des transferts (effets au niveau des individus ou des ménages receveurs), la question de la substitution entre transferts et aide en tant que source de développement des pays nécessitait l adoption d une approche empirique macroéconomique. Elle a consisté notamment à utiliser des modèles économétriques nous permettant d étudier l impact des montants de transferts reçus au niveau des pays sur différentes variables mesurant le développement du pays, et de les comparer avec ceux de l aide publique. Le principal problème statistique qu il a fallu corriger était celui de la double causalité. En effet, les transferts pouvant être influencés en retour par la variable de développement, cela peut causer un biais dans nos estimations de l effet des transferts. Exemple : Croissance économique= α Transferts + β autres déterminants de la croissance L effet que l on souhaite mesurer est l effet «α», c est-à-dire l effet des transferts sur la croissance. Cependant, si l on estime cette équation ainsi, l effet «α» que l on observe est biaisé car il est affecté simultanément par la croissance. Nous avons donc utilisé des techniques statistiques nous permettant de corriger ce biais potentiel. De plus, les résultats de la littérature étant souvent ambigus concernant l effet de transferts sur le développement des pays, nous avons supposé que cette divergence pouvait provenir de différences intrinsèques entre les pays receveurs. Afin de lever ces ambigüités, nous nous sommes intéressés aux conditions permettant de favoriser les éventuels effets positifs des transferts des migrants sur le développement économique. Nous avons donc testé si les effets des transferts sur le développement pouvaient varier avec certaines caractéristiques des pays receveurs. Si l on reprend l exemple de la croissance économique, cela peut être testé de la manière suivante: Croissance économique= λ Transferts + δ Développement financier + θ (Transferts x Développement financier) Le terme multiplicatif nous permet ainsi d étudier si l effet des transferts sur la croissance économique peut être favorisé par le niveau de développement financier des pays receveurs.

Le rôle d assurance des transferts En partant s installer dans un autre pays, les migrants permettent de diversifier les sources de revenu de la famille (entendue au sens large) et de jouer ainsi un rôle d assurance pour les membres de la famille restés au pays en cas de choc économique ou naturel affectant le pays d origine.alors que les transferts semblent réagir fortement et positivement aux chocs subis par les ménages dans les pays d origine et jouer ainsi un rôle d assurance, il était important de vérifier que cette capacité était maintenue en cas de choc affectant simultanément le pays d accueil des migrants et leur pays d origine. Pour cela, nous avons interrogés 500 migrants vivant en région parisienne sur leur comportement de transferts depuis l éclatement de la crise financière de 2007-2008 (exemple rare de choc affectant à la fois le pays d accueil et le pays d origine). A partir de ces données d enquête originales, nous avons étudié si le migrant affecté par la crise continue de répondre aux besoins des membres de sa famille restés au pays. Nous avons également considéré le rôle de la force des liens familiaux dans la persistance du rôle d assurance des transferts. Nous avons également étudié le rôle d assurance des transferts au niveau des pays et l avons comparé à celui de l aide publique au développement. A partir d un échantillon composé de nombreux pays en développement, nous avons testé si les transferts et l aide permettent d atténuer l effet néfaste que les chocs macroéconomiques peuvent générer sur l incidence de la pauvreté et sur la croissance dans les pays d origine. La relation entre les transferts des migrants et l aide publique Enfin, dans le but d étudier l éventuelle substitution de fait entre transferts et aide publique, nous avons examiné si les pays recevant relativement plus de transferts ont tendance à recevoir moins d aide publique de la part des bailleurs de fonds, tout en contrôlant pour les autres facteurs pouvant affecter l allocation de l aide. Résultats principaux et implications En raison des nombreuses difficultés statistiques que pose l étude macroéconomique des effets des transferts sur le développement, ces derniers ont surtout été examinés au niveau des individus ou des ménages à partir de bases microéconomiques. Cette thèse, à travers l utilisation d outils adaptés et originaux, s efforce de dépasser ces difficultés statistiques et participe à combler une partie de la littérature sur les transferts en étudiant les effets de ces derniers sur le développement des pays (approche macroéconomique).

Il est particulièrement intéressant de constater à travers cette thèse que les flux de transferts des migrants agrégés, composés de petits envois d argent individuels répondant à des motivations propres à chaque migrant et dont le but est souvent de servir les besoins de quelques individus, sont susceptibles d agir significativement sur le développement des pays d origine des migrants, à certaines conditions. Cette thèse montre tout d abord que les transferts sont favorables à la réduction des inégalités de revenu internes et à la croissance économique dans certains pays. En effet, les transferts issus des migrations internationales ont tendance à réduire les inégalités de revenu internes dans les pays relativement plus développés et dont les coûts de migrations sont faibles (autrement dit, dans les pays où même les individus issus des franges les plus pauvres de la population pourront émigrer et générer des transferts dont bénéficiera leur famille). Les transferts semblent également favoriser la croissance des pays d Afrique sub-saharienne dont le système financier a atteint un certain niveau de développement et dont les institutions sont relativement de bonne qualité (ces paramètres favorisant l investissement «productif» des transferts). Malgré un certain désir de la communauté internationale d orienter les transferts vers des investissements productifs susceptibles d agir davantage sur la croissance économique, l envoi et l utilisation des transferts resteront à la discrétion des migrants et de leur famille. Néanmoins, ces résultats montrent que les Etats receveurs peuvent créer des incitations favorables en améliorant la qualité de leurs institutions et en facilitant l accès de l ensemble de la population au marché du crédit. De plus, les transferts semblent jouer un rôle d assurance pour les ménages, y compris en cas de choc affectant simultanément le migrant et la famille restée au pays (étude réalisée à partir de données d enquête). Toutefois, ce rôle d assurance en cas de choc simultané ne semble tenir que si le choc subi par le migrant n est pas trop important (en cas de perte de son emploi, l effet d assurance ne semble plus jouer). De plus, les transferts permettent de réduire significativement l incidence de la pauvreté, et ce d autant plus que le pays est soumis à de l instabilité macroéconomique. Autrement dit, les transferts des migrants permettent d atténuer les effets néfastes de l instabilité macroéconomique sur la pauvreté au niveau des pays, alors que l aide publique, d après nos résultats, limite davantage les effets négatifs de l instabilité sur la croissance des pays receveurs. Cela souligne la complémentarité des effets de l aide et des transferts qui peut s expliquer par le fait que l aide publique passe par les Etats alors que les transferts ciblent directement les ménages nécessiteux. Enfin, nous montrons que la réception de fonds issus des migrations tend à augmenter significativement les montants d aide perçus par les pays dès lors que les transferts sont investis plutôt que consommés. D une façon plus générale, les résultats de cette thèse soulignent la nécessité de favoriser l accès des zones les plus reculées (souvent les plus vulnérables aux chocs et les moins assurées contre ces derniers) aux services de transferts et aux services financiers, de diminuer significativement le coût des transferts, de soutenir les transferts en cas de choc dans les pays d origine, et enfin, de considérer davantage les transferts et l aide publique comme des compléments plutôt que comme des substituts.