énie ogiciel Véronique Messager Préface de Bernadette Lecerf-Thomas Postface de Françoise Engrand Coacher une équipe agile Guide à l usage des ScrumMasters, chefs de projets, managers et de leurs équipes! Groupe Eyrolles, 2012, ISBN : 978-2-212-13414-8
3 Comment expliquer ce qui se passe? Ce n est pas parce que les choses sont difficiles que nous n osons pas, c est parce que nous n osons pas qu elles sont difficiles. Sénèque, philosophe latin Lorsqu on introduit de nouvelles façons de travailler et de communiquer, apparaissent inévitablement des résistances pour conserver les anciennes pratiques. Ces blocages, aux niveaux comportemental, relationnel et managérial, peuvent s exprimer différemment en fonction du «capital émotionnel» de chacun. En effet, pour la plupart, ils prennent leur source dans les ressentis des acteurs concernés et influencent alors leurs comportements. En outre, l absence de confiance au sein de l équipe ou de l organisation renforce ces influences négatives. Le changement est vécu comme une menace Les changements induits Introduire une approche agile est un changement majeur dans le quotidien des équipes de développement : changement d organisation, changement de pratiques, changement d outils, mais surtout, changement de mode relationnel et de communication. En outre, c est un changement pour le leader de cette équipe qui doit faire évoluer sa propre pratique managériale!
26 Coacher une équipe agile Première partie Quels sont ces changements? Quelles sont les nouvelles pratiques qui apparaissent? Que faut-il faire évoluer dans les comportements? Pour l équipe Constituer une équipe intégrée, multidisciplinaire et travailler avec d autres corps de métier. Accepter une prise de risque (notamment par l introduction du développement itératif). S engager sur un résultat collectif, à partir d estimations fournies par l équipe ; par conséquent, introduire une interdépendance entre les coéquipiers. Prendre des décisions de façon autonome et responsable. Accepter le droit à l erreur pour soi, mais aussi pour les autres, sans condamner. Être transparent sur l avancement de son travail, quotidiennement. S inscrire dans une démarche d amélioration continue. Être solidaire de ses coéquipiers. Adopter une communication sincère et honnête excluant les jeux politiques et les calculs. Les hommes doivent pouvoir être authentiques, à l aise, exprimer spontanément une difficulté, livrer une préoccupation ou manifester leur désaccord avec une décision prise. Etc. Pour le leader Développer des qualités d écoute liées à la nature des échanges facilitant l expression de ressentis ; développer son sens de l empathie pour des problématiques relationnelles et moins techniques. Lâcher son expertise technique et passer à un autre métier pour favoriser les interactions au sein de l équipe, et entre l équipe et les interlocuteurs extérieurs ; «d apporteur de solutions» ou donneur d ordres, il devient «leveur d obstacles». Il doit accepter de ne plus «faire» mais de «faire faire». Déléguer et accepter le droit à l erreur, faire preuve d humilité pour soi-même, marquer la confiance et le respect envers ses collaborateurs. Garantir un processus, la bonne application de la méthode, sans décider des pratiques à adopter. Au-delà de sa propre évolution personnelle, accompagner et soutenir la transformation de son équipe en facilitateur et non en chef. Etc. Ces changements ne sont que des exemples et ne constituent pas une liste définitive.
Comment expliquer ce qui se passe? Chapitre 3 27 Synthèse Tableau 3-1 Synthèse des changements induits Travailler en équipe Prendre des risques S engager L équipe Accepter la solidarité et l interdépendance Être plus visible, plus exposé Changements induits pour Le leader Être «acteur», voire «porteur» du changement Développer son leadership Lâcher prise et trouver une nouvelle légitimité Être dans l écoute empathique Déléguer et donner plus d autonomie Être plus autonome dans la prise de décision Assumer les erreurs de l équipe auprès de la hiérarchie Se remettre en question Adopter une nouvelle posture Interagir et communiquer différemment De nouvelles compétences relationnelles mal développées En résumé, on notera que les changements liés à une transformation agile induisent non seulement l assimilation de nouveaux savoirs et de savoir-faire méthodologiques et techniques, mais aussi l adoption de nouvelles façons de travailler, de collaborer ou de communiquer. Il s agit, en effet, de développer de nouvelles compétences dites relationnelles ou collectives, qui nous sont rarement enseignées, puisqu elles relèvent davantage de nouveaux savoir-être. Dans ce nouveau contexte, les acteurs sont souvent peu préparés à ces nouvelles approches agiles ; de retour d une formation qui leur enseigne les savoirs de base (et non les savoir-être), ils entrent en (inter)action comme ils peuvent, avec leur parcours, leurs expériences, leur vision, leurs règles, leurs ressentis, leurs attentes Bref, en tant que personnes, avec ce qu ils sont. «La régulation relationnelle se fait [alors] de façon empirique, sans cadre, ni méthodologie autre que les quiproquos relationnels, les rapports de force et les jeux d influence.» 1 La dimension psychologique du changement négligée Malheureusement, la dimension psychologique du changement est souvent négligée et l on constate fréquemment que seuls les aspects organisationnels et technologiques sont privilégiés. Dans une démarche top-down, initiée par la direction, les équipes se voient trop souvent mises devant le fait accompli. Elles se projettent difficilement dans l avenir, 1. Bernadette Lecerf-Thomas, Neurosciences et management : le pouvoir de changer, Eyrolles, 2009
28 Coacher une équipe agile Première partie Figure 3-1 Positions face au changement en dépit de la mise en place de cellules dédiées au changement lorsqu elles existent chargées de gérer les fameuses «résistances au changement». Lorsque l initiative émane de l équipe elle-même, celle-ci est impatiente de mettre en application les nouvelles pratiques et de déployer les nouveaux outils ; elle en oublie souvent ou minimise les aspects comportementaux. Pourtant, on sait par expérience qu une proportion de 10 % des individus est systématiquement contre le changement, alors que 10 % sont toujours favorables. Cela laisse une proportion non négligeable (80 % environ) de personnes attentistes, mais influençables, vis-à-vis du changement (figure 3-1). 80 % 10 % 10 % Acteurs du changement Indécis Opposants Les résistances au changement : les indécis (la majorité) vont dans le sens de ceux qui ont le plus d influence ; il faut donc agir sur les extrêmes, pour qu ils soient moteurs et promoteurs du projet et que les opposants ne nuisent pas à ce dernier. Mettre en place un changement induit inévitablement un enjeu personnel pour chaque individu directement ou indirectement concerné : quelles sont les conséquences de ce changement chez chacun, sur ses compétences, ses croyances, ses habitudes, ses alliances avec les autres, etc.? Devons-nous systématiquement vivre le changement dans la douleur et y résister? Le mécanisme de l homéostasie Lorsque nous sortons d un bâtiment chauffé à 20 C pour affronter le grand froid hivernal avec -15 C, se déclenche sans que nous le maîtrisions un mécanisme d adaptation à l agression extérieure, qui s appelle l homéostasie. C est la capacité de l organisme à maintenir un état de viabilité, à se protéger contre tout ce qui menace son intégrité ou son équilibre. Et chacun réagit différemment au froid ; certains s adaptent rapidement, d autres plus lentement, d autres encore renonceront à sortir, ne pouvant affronter ce trop gros écart.
Comment expliquer ce qui se passe? Chapitre 3 29 Un individu est un système ou un organisme qui évolue dans un environnement ; si l environnement global qu est l organisation ou l équipe dans laquelle il travaille est le même pour chaque membre, il n en demeure pas moins que chacun y trouve son positionnement et son équilibre en s appuyant sur des facteurs très personnels. Chacun a sa «zone de confort». Un processus personnel d adaptation avant tout Si son environnement de travail et les modes de fonctionnement avec les autres évoluent, cela nécessite que l organisme ou le système «individu» s adapte pour préserver son équilibre. Et bien évidemment, chacun ayant une perception et une interprétation différentes du changement en question, chacun sachant mieux que quiconque ce qui est bon pour lui, le mécanisme d adaptation ou de «régulation interne» varie d une personne à l autre. Il vise à «enrayer la tentative de déstabilisation» 2. La résistance au changement est donc un mécanisme naturel de protection et d adaptation. Il est spécifique à chacun, en fonction de son vécu, de son référentiel, de son état émotionnel Ce qui est commun, en revanche, c est le passage obligé par les différentes étapes du renoncement ; chacun, à son rythme, traversera ces différentes phases pour intégrer le changement et se projeter positivement dans le futur. Un passage obligé : le renoncement À quoi faut-il renoncer? Reprenons l exemple de nos équipes Alpha, Bêta et Gamma. Observons les renoncements auxquels les acteurs concernés sont confrontés (tableau 3-2). Tableau 3-2 Renoncements induits par la transformation agile Équipe Alpha Équipe Beta Équipe Gamma Pour l équipe Un certain confort lié à une forme d anonymat Une passivité ou une tranquillité relative Une forme de déresponsabilisation Leur prise en charge par le manager Une indépendance totale L exclusivité d une expertise et d un savoir-faire Une compétitivité entre membres Une certaine tranquillité Un confort lié à la maîtrise d un savoir-faire routinier Une forme d autosatisfaction L exclusivité d une expertise La nostalgie du passé 2. B. Lecerf-Thomas, op. cit.
30 Coacher une équipe agile Première partie La reconnaissance de son expertise technique Pour le manager Un rôle central gratifiant d «apporteur de solutions» Un certain paternalisme vis-à-vis de ses collaborateurs Des pratiques anciennes de gestion et de contrôle du projet Une indépendance totale L exclusivité d une expertise et d un savoir-faire Une compétitivité entre membres Une certaine tranquillité Son impatience motrice Un certain confort lié à l évitement des conflits Comment les membres de ces équipes peuvent-ils renoncer à ce à quoi ils sont attachés, consciemment ou inconsciemment? Les étapes du deuil Accepter un changement, c est entrer dans un processus de renoncement, de rupture par rapport à un équilibre existant ; un deuil est donc inévitable. Figure 3-2 Les étapes du deuil Le choc 1 Déni 2 Colère 3 Marchandage 4 Tristesse L engagement 7 Construction 6 Projection 5 Rebond La remise en question La remobilisation Ce processus de deuil 3 sera vécu par chacun à un rythme qui lui est propre. Il comporte sept étapes. 1. Il commence par le déni. On refuse la réalité : «Ce n est pas possible, ce n est pas le moment, ce n est pas pour nous.» 2. Puis vient la colère. On se révolte, on accuse, on en veut à tout le monde ; on cherche «le coupable» à l origine du changement. 3. Une phase de marchandage. Pour changer, il va falloir obtenir quelque chose : «Qu aije à y gagner?» 3. Source : travaux de Elisabeth Kübler-Ross, psychiatre suisse
Comment expliquer ce qui se passe? Chapitre 3 31 4. La résistance se relâche, la personne ressent une sorte de vacuité et de la tristesse : «Il n y a plus rien à faire, de toute façon, ils ont décidé!», «Les autres ont accepté!» 5. Puis vient le moment de l acceptation de l évidence, ce qui permet l apaisement et le rebond. 6. On commence à envisager la suite et à intégrer le changement, à se projeter de façon plus positive dans l avenir. 7. Et enfin, on mobilise son énergie retrouvée pour s investir dans le projet et construire l avenir. Bien sûr, il y a ceux qui traversent ces étapes de façon tout à fait inconsciente, rapide et indolore. Comment utiliser cet outil? Il s agit d une grille de lecture pour vous aider à comprendre les comportements observés et déterminer le type d action à mener. Grâce à votre questionnement et à vos observations, il vous sera plus aisé de repérer à quelle étape du processus se situe l équipe, dans son ensemble, ou une personne en particulier. L objectif est d accompagner tout au long du processus les personnes qui vivent une transformation, pour qu elles amorcent le changement de façon positive, en en étant actrices (deuxième moitié de la courbe, à droite), et non pas en le subissant. Vous pourrez ainsi adapter votre action. Étapes 1 et 2 : écouter, permettre à la personne d exprimer et de verbaliser ses ressentis, informer, être pédagogue. Étapes 3 et 4 : communiquer, faciliter les échanges entre les acteurs du changement, permettre à chacun de commencer à visualiser concrètement le changement. Étapes 5 et 6 : fixer des mini-objectifs, encourager, valoriser les succès, féliciter. Étape 7 : dresser un bilan des objectifs atteints, mesurer les progrès, permettre à la personne d être satisfaite et fière du chemin parcouru. Cet outil peut être utilisé à découvert ou in petto, c est-à-dire sans le présenter ouvertement à votre interlocuteur. Si vous l utilisez à découvert, vous pouvez, pendant un entretien en face à face, demander à la personne de se positionner sur la courbe ; cela constitue un point de départ pour élaborer un plan d actions vers les étapes ultérieures. Attention! Cet outil doit être manipulé avec précaution dans un contexte de changement vécu très difficilement. Voir aussi le chapitre 14, «Dissolution et séparation».