COUR D'APPEL PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL No: 500-09-003117-967 (500-05-020615-967) Le 27 mai 1998 CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD NUSS, JJ.C.A. PHILIPPON, J.C.A.(ad hoc) LASZLO SZASZ, c. APPELANT - Intimé LAKESHORE SCHOOL BOARD (COMMISSION SCOLAIRE LAKESHORE), et INTIMÉE - Requérante LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC À TITRE DE REPRÉSENTANT DE SA MAJESTÉ AU QUÉBEC, plus particulièrement LE MINISTRE DE L'ÉDUCATION Mis en cause LA COUR, statuant sur le pourvoi de l'appelant contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Anne-Marie Trahan), rendu le 9 août 1996 qui a accueilli la requête pour jugement déclaratoire et reconnu la validité des projets d'actes d'établissement de deux écoles secondaires et a également accueilli en partie la requête
-2- reconventionnelle; Après étude, audition et délibér; Pour les motifs énoncés dans l'opinion du juge Joseph R. Nuss, déposée avec le présent arrêt, auquels souscrivent ses collègues les juges Marc Beauregard et Jacques Philippon; REJETTE l'appel avec dépens. MARC BEAUREGARD, J.C.A. JOSEPH R. NUSS, J.C.A. JACQUES PHILIPPON, J.C.A.(ad hoc) Pour l'appelant: (Alarie, Legault, & al.) Me Luc Alarie Pour l'intimée: (Adessky Poulin) Mtre Mark Peacock Date de l'audition: Le 8 octobre, 1997
COUR D'APPEL PROVINCE DE QUÉBEC GREFFE DE MONTRÉAL No: 500-09-003117-967 (500-05-020615-967) CORAM: LES HONORABLES BEAUREGARD NUSS, JJ.C.A. PHILIPPON, J.C.A.(ad hoc) LASZLO SZASZ, c. APPELANT - Intimé LAKESHORE SCHOOL BOARD (COMMISSION SCOLAIRE LAKESHORE), et INTIMÉE - Requérante LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC À TITRE DE REPRÉSENTANT DE SA MAJESTÉ AU QUÉBEC, plus particulièrement LE MINISTRE DE L'ÉDUCATION Mis en cause OPINION DU JUGE NUSS L'appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal (l'honorable Anne-Marie Trahan), rendu le 9 août 1996 qui a accueilli une requête pour jugement déclaratoire et reconnu la validité des projets d'actes d'établisse-ment de deux écoles secondaires. Faits et procédures
-2- Depuis le mois de juin 1989, la Commission scolaire Lakeshore (Commission scolaire) n'offrait pas une instruction de niveau secondaire en français sur son territoire. Pour cette raison, les étudiants ressortissants de son territoire et ayant droit à l'enseignement en français étaient transportés hors du territoire de la Commission scolaire et confiés à la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal afin de poursuivre leurs études à l'école secondaire française Dorval. Dans le but de remédier à cette situation, la Commission scolaire a adopté deux résolutions (no. 96-01-05 & no. 96-01-06) visant l'établissement d'une école secondaire française dans son propre territoire. En raison des ressources limitées de la Commission scolaire, cette nouvelle école, appelée École secondaire Pointe-Claire (ESPC), a été établie dans un immeuble abritant déjà une école secondaire anglaise portant le nom «John Rennie High School» (JRHS). Mécontent des démarches entreprises par la Commission scolaire, l'appelant a contesté la validité des résolutions susdites par voie d'action en nullité. Par jugement rendu le 25 mars 1996, la Cour supérieure (l'honorable Louis S. Tannenbaum) a reconnu la validité de l'acte d'établissement de l'école secondaire Pointe-Claire tel
-3- que formulé dans la résolution no. 96-01-05 tout en imposant certaines conditions supplémentaires à la Commission scolaire: celle-ci devait nommer un directeur d'école pour l'espc et préciser «those parts and rooms» dans l'immeuble abritant les deux écoles secondaires qui seraient utilisés par l'espc, le tout dans les quatre mois du jugement. Le juge Tannenbaum a cependant déclaré la nullité de la résolution no. 96-01-06, ainsi que la partie de la résolution no. 96-01-05 traitant de la création d'un partenariat administratif, au motif que ces décisions n'étaient pas conformes aux dispositions de la Loi sur l'instruction publique (LIP) 1. Il n'y a pas eu appel de la décision du juge Tannenbaum. Pour donner suite à la décision du juge Tannenbaum, la Commission scolaire a entrepris un processus de consultation auprès des représentants des deux écoles, lequel a abouti à l'élaboration des projets d'actes d'établissement pour l'espc et pour JRHS. Ceux-ci prévoient l'usage exclusif de la majorité des salles de cours par l'une ou l'autre des deux écoles, l'utilisation exclusive et alternative d'un autre groupe de locaux tels les ateliers, les laboratoires, les classes de technologie et les gymnases, et l'utilisation conjointe et commune de certains aménagements comme la 1 Loi sur l'instruction publique, L.R.Q., c. I-13.3.
-4- bibliothèque, la cafétéria, et la réception. En bref, l'installation de deux écoles dans un même immeuble et parfois dans les mêmes locaux. L'appelant s'est opposé aux projets d'actes d'établissement par lettre adressée à la Commission scolaire en date du 23 mai 1996. Dans cette lettre, l'appelant prétendait que les projets d'actes d'établissement ne respectaient pas les conditions énumérées dans la LIP, car ils ne réservaient pas, à l'espc, l'utilisation exclusive de tous les locaux mis à sa disposition. La Commission scolaire a alors décidé de saisir la Cour supérieure par voie de requête pour jugement déclaratoire afin de déterminer si les projets d'actes d'établissement qu'elle avait préparés étaient conformes à la LIP. Elle recherchait également une confirmation de son pouvoir de procéder à l'adoption éventuelle de ces projets. En réponse à cette procédure de la Commission scolaire, l'appelant a présenté une requête en irrecevabilité, laquelle était fondée sur les arguments suivants. Dans un premier temps, l'appelant prétendit que les obligations de la Commission scolaire aux termes de la LIP avaient été précisées par le juge Tannenbaum et que ce dernier avait déjà reconnu la
-5- validité de l'acte d'établissement de l'espc. Selon l'appelant, la Commission scolaire ne pouvait donc pas demander à la Cour, par le biais de sa requête pour jugement déclaratoire, de se prononcer sur les questions que le juge Tannenbaum avait déjà tranchées, car ceci aurait violé le principe de la chose jugée. En outre, l'appelant affirmait que la procédure déclaratoire ne pouvait pas être utilisée pour décider de la validité de simples «projets» d'actes d'établissement. Le 9 juillet 1996, la Cour supérieure (l'honorable Denis Durocher) a rejeté cette requête en irrecevabilité. Par la suite, l'appelant a produit une contestation de la requête pour jugement déclaratoire ainsi qu'une demande reconventionnelle. Par cette dernière procédure, l'appelant demandait qu'il fût interdit à la Commission scolaire d'adopter un nouvel acte d'établissement pour l'espc sans d'abord révoquer ou modifier l'acte d'établissement adopté le 29 janvier 1996. Par ailleurs, l'appelant demandait que fussent déclarés nuls, imprécis et illégaux les projets d'actes d'établissement de l'espc. Par lettre du 16 juillet 1996, signée par la présidente du Conseil d'orientation de l'espc et par la présidente du Comité des parents de la même école, la
-6- Commission scolaire a été informée que «le Conseil d'orientation de l'espc avait adopté à l'unanimité le projet d'acte d'établissement de l'école secondaire Pointe-Claire avec le changement d'attribution de la salle 018 2». Le 17 juillet 1996, la Commission scolaire a présenté une requête de bene esse dans le but d'obtenir une prorogation du délai de quatre mois qui lui avait été imparti par la décision du juge Tannenbaum. Le 9 août 1996, la juge Trahan a accueilli la requête pour jugement déclaratoire et a reconnu la validité des projets d'actes d'établissement au regard de la LIP. Elle a également fait droit à la requête de bene esse en accordant à la Commission scolaire un délai supplémentaire pour donner suite aux ordonnances du juge Tannenbaum. La requête reconventionnelle de l'appelant a été accueillie en partie pour les seules fins de déclarer nécessaire l'adoption par résolution des projets d'actes d'établissement. Jugement de première instance La première juge commence son analyse en rappelant 2 M.A., pièce R-11, p. 197.
-7- certains principes de portée générale. Ainsi, elle affirme l'importance du concept de la bonne foi et la pertinence de la règle consacrant le principe de la primauté de l'intérêt de l'enfant. De plus, elle souligne la nécessité de tenir compte du contexte socio-économique. Selon la juge Trahan, l'idée de loger deux écoles de langue différente dans un même immeuble résulte, au moins en partie, des restrictions budgétaires qui sont imposées aux Commissions scolaires. Elle termine cette partie préliminaire de son jugement en déclarant que la Commission scolaire, les parents et les élèves devront apprendre, si cela n'est déjà fait, à s'adapter aux changements qui ne manqueront pas de se produire. Quant au mérite de l'action déclaratoire, elle conclut que les arguments invoqués par l'appelant à l'encontre des projets élaborés par la Commission scolaire sont mal fondés. En outre, elle déclare que l'exercice de "minutage" auquel se livre la Commission scolaire dans les projets d'actes d'établissement ne constitue point une atteinte à l'autorité du directeur de l'espc. Les directeurs d'école ne sont pas des êtres complètement autonomes car ils font partie d'une hiérarchie.
-8- De l'avis de la juge Trahan, l'adoption de normes en vertu de l'article 51 de la LIP par la Commission scolaire pour préciser les moments et les durées d'usage de certains locaux est une façon de faire qui est conforme à la LIP. Cette disposition prévoit que le directeur de l'école détermine l'utilisation des locaux de l'école sous réserve des normes concernant l'utilisation des locaux établies par la Commission scolaire. En outre, le tribunal note que cette dernière ne peut répartir les locaux de façon plus précise. Aller plus loin serait établir une grille horaire, lequel pouvoir appartient au directeur d'école. En ce qui concerne l'argument soulevé par l'appelant selon lequel le tribunal ne peut se prononcer sur la validité de simples "projets", la juge Trahan se déclare liée par la décision rendue par le juge Durocher dans son jugement rejetant à la fois cette prétention et la requête en irrecevabilité présentée par l'appelant. Également, la juge rejette l'argument fondé sur l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne) 3. Elle constate que l'appelant ne fait 3 Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 des la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U.,c.11)]
-9- pas partie de la minorité anglophone au Québec et conclut qu'il ne peut se prévaloir de l'article 23 de ce document constitutionnel. Enfin, la juge déclare que puisque la façon de procéder proposée par la Commission scolaire est conforme à la LIP et, puisqu'elle n'est pas manifestement déraisonnable, la Cour ne peut pas intervenir pour se substituer à la Commission scolaire. Quant à la demande reconventionnelle de l'appelant, la juge déclare que la Commission scolaire pouvait adopter un nouvel acte d'établissement pour l'espc étant donné qu'elle avait respecté son obligation légale de consultation auprès des personnes affectées par les projets soumis. La juge Trahan rejette ensuite la prétention de l'appelant selon laquelle les projets d'actes d'établissement sont nuls, imprécis et illégaux. Argumentation de l'appelant L'appelant soumet que les seules modifications que la Commission pouvait apporter à l'acte d'établissement de l'espc, dont la validité a été reconnue par le juge Tannenbaum, étaient celles ordonnées par ce dernier, à savoir,
-10- la nomination d'un directeur d'école et la désignation des locaux qui seraient mis à la disposition de cette nouvelle école secondaire. Toute modification supplémentaire devait nécessairement se faire en observant les conditions énumérées à l'article 39 de la LIP. L'appelant soutient qu'il n'était aucunement permis à la Commission d'adopter un nouveau projet d'acte d'établissement pour une école (ESPC) qui était déjà établie. Par ailleurs, l'appelant fait remarquer que l'article 38 de la LIP n'exige pas que l'acte d'établissement contienne les normes d'utilisation des locaux ou des immeubles mis à la disposition de l'école, non plus que le temps réservé à leurs utilisation. Tel qu'indiqué à l'article 51 de la LIP, le pouvoir des commissaires d'adopter de telles normes ne peut être exercé que subséquemment à l'adoption de l'acte d'établissement. En outre, l'appelant note l'existence des articles 98 et 211 de la LIP, lesquels prévoient la possibilité d'établir un centre d'éducation des adultes dans les mêmes locaux que ceux mis à la disposition d'une école. L'appelant soumet que, si le législateur avait voulu permettre le partage d'un immeuble entre des enfants de même âge, il aurait pris la peine de le mentionner spécifiquement dans la LIP comme il a
-11- fait pour les centres mentionnés ci-dessus. En bref, l'appelant soumet que le texte de l'article 38 de la LIP ne permet pas d'établir, dans les mêmes locaux, deux écoles ou encore de répartir les locaux entre deux écoles pour une utilisation conjointe ou commune. Selon lui, la finalité de la loi permet de conclure que chaque école a droit à des locaux distincts et doit être considérée comme un établissement d'enseignement distinct. Pour clore son argumentation sur ce moyen d'appel, l'appelant invoque deux derniers arguments, à savoir, l'applicabilité, en l'instance, du principe de la chose jugée et la question de la compétence de la première juge pour accueillir la requête de bene esse de la Commission scolaire. La Commission scolaire soumet que la juge pouvait exercer la compétence inhérente de la Cour supérieure pour accueillir la requête de bene esse et ainsi accorder un délai supplémentaire pour exécuter les directives imposées par la décision du juge Tannenbaum. Je suis d'avis que la Commission scolaire a raison et je ne reviendrai pas sur ce moyen. Par son deuxième moyen d'appel, l'appelant prétend que les projets d'actes d'établissement litigieux sont nuls en
-12- raison de leur imprécision. Selon l'appelant, les plans préconisés par la Commission scolaire ne permettent pas de savoir lequel des deux directeurs d'école sera responsable des locaux utilisés conjointement ou alternativement. Poursuivant, l'appelant interprète la décision de la Commission scolaire d'établir deux écoles dans le même immeuble comme une reconnaissance implicite du droit de chaque communauté linguistique à sa propre école. Étant donné cette reconnaissance et l'article 38 de la LIP, la Commission scolaire avait l'obligation d'indiquer avec précision, dans les projets d'actes d'établissement, les locaux mis à la disposition exclusive de chaque école. Puis, l'appelant conclut à l'illégalité des projets soumis en les caractérisant de documents manifestement incomplets. Il en est ainsi, explique l'appelant, car ces projets ne prévoient aucune norme quant à l'utilisation des locaux communs. Au surplus, cette omission porte atteinte à l'article 72 de la Charte de la langue française 4. En outre, l'appelant affirme que la Commission scolaire ne peut recourir au pouvoir qui lui est accordé par 4 Charte de la langue française, L.R.Q. c. C-11.
-13- l'article 51 LIP pour adopter des normes ayant pour effet de modifier l'acte d'établissement et de retirer à l'école l'utilisation exclusive de ses locaux. Selon lui, l'article 39 énonce qu'une telle modification ou révocation ne peut avoir lieu que pour des motifs sérieux et selon la procédure qui y est énoncée. Ensuite, l'appelant reconnaît que l'article 23 de la Charte canadienne protège les droits de la minorité linguistique d'une province. Il précise cependant que l'établissement de l'école pour la minorité linguistique à "John Rennie High School" doit remplir les conditions minimales formulées par la Cour suprême du Canada 5 quant au caractère distinct de ses locaux. Par ailleurs, l'appelant soumet qu'en matière de droit public, il possède l'intérêt requis pour soulever le droit de la minorité linguistique anglaise à l'obtention de services éducatifs dans un établissement d'enseignement distinct. D'autant plus que, dans le cas sous étude, le droit de JRHS d'être établie de manière distincte implique nécessairement le droit corollaire de l'espc de bénéficier d'un établissement distinct aussi. L'appelant soutient 5 Mahé c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342; Re: Loi sur les écoles publiques (Man.), [1993] 1 R.C.S. 839.
-14- également que son intérêt découle de son droit de s'opposer à la requête pour jugement déclaratoire. Enfin, l'appelant prétend qu'il est en droit de réclamer une école française distincte d'une école anglaise. Pour arriver à cette conclusion, l'appelant se fonde sur, (1) les articles 6 et 72 de la Charte de la langue française qui prévoient que l'enseignement dans les écoles secondaires doit se donner en français; (2) le témoignage du professeur Marc- Philippe Vincent qui, pour des raisons pédagogiques, s'oppose au plan de la Commission scolaire; ainsi que, (3) sur le chapitre troisième de la LIP lequel garantit à l'école le statut distinct et nécessaire à la réalisation de sa mission qui est de dispenser l'enseignement en français dans un contexte français. Argumentation de la Commission scolaire La Commission scolaire prétend à l'inapplicabilité de la doctrine de la chose jugée quant à son droit de s'adresser à la Cour supérieure afin d'obtenir un jugement déclaratoire sur la validité des projets d'actes d'établissement. Elle fait le raisonnement suivant. Le concept de la chose jugée lui-même empêche l'appelant de plaider la chose jugée devant cette Cour. En effet, signale
-15- la Commission scolaire, pour appuyer sa requête en irrecevabilité de la requête pour jugement déclaratoire, l'appelant avait plaidé la doctrine de la chose jugée devant le juge Durocher lequel avait décidé de rejeter cet argument. Puisque l'appelant n'a pas porté ce jugement en appel, la Commission scolaire conclut qu'il ne peut plus se prévaloir de cet argument. La Commission scolaire propose ensuite que les articles 98 et 211 LIP, qui prévoient la possibilité d'établir un centre d'éducation pour adultes dans un immeuble abritant déjà une école, démontrent l'acceptation par le législateur du partage d'un immeuble entre deux écoles. Par ailleurs, la Commission scolaire soutient que les projets d'actes d'établissement respectent les exigences de l'article 38 de la LIP. En effet, ni la loi pertinente en l'espèce ni la jurisprudence qui a interprété cette loi n'indiquent que chaque école a droit à l'utilisation exclusive des lieux mis à sa disposition. Ensuite, la Commission scolaire propose que les projets litigieux ne peuvent être déclarés nuls pour cause d'imprécision car ils sont plus détaillés que d'autres actes d'établissement. En outre, les projets d'actes
-16- d'établissement ne peuvent pas être déclarés invalides parce qu'ils revêtent la clarté et la précision suffisantes pour être compris par les personnes qu'ils visent. Selon la Commission scolaire, le contexte législatif dans lequel s'insère la Loi sur l'instruction publique favorise une interprétation large et libérale de l'article 38 de cette loi. Ainsi, la Commission scolaire a le droit d'établir les écoles en cause en la manière prévue dans les projets d'actes d'établissement. L'interprétation restrictive proposée par l'appelant conduirait nécessairement à des résultats à la fois déraisonnables et inéquitables. Par la suite, la Commission scolaire affirme avoir le pouvoir d'établir des normes régissant le temps ainsi que la durée d'utilisation des locaux en cause et ce en vertu du troisième paragraphe de l'article 51 de la LIP. Dans le cas sous étude, la formulation de telles normes est d'autant plus importante puisque celles-ci sont nécessaires pour assurer une utilisation rationnelle et équitable des aménagements par les deux écoles. Par ailleurs, la Commission scolaire note que l'article 51 n'impose aucune restriction à son pouvoir d'élaborer des normes. Cependant, la loi prévoit que la
-17- discrétion du directeur d'école peut être limitée par des normes énoncées par la Commission scolaire. Conséquemment, l'autonomie du directeur d'école est circonscrite par les normes établies par la Commission scolaire. Afin de répondre aux arguments constitutionnels soulevés par l'appelant, la Commission scolaire plaide que la ségrégation n'est aucunement nécessaire pour permettre à certains étudiants d'exercer leur droit d'être instruits en français (article 72 Charte de la langue française ). La Commission scolaire prétend que la législation portant sur la garantie protège le droit à l'enseignement en français, et non pas le droit à l'enseignement en français dans un milieu physiquement séparé. Enfin, la Commission scolaire soutient que l'appelant ne peut se prévaloir de la garantie prévue à l'article 23 de la Charte canadienne étant donné qu'il n'a pas l'intérêt requis pour ce faire. Cependant, même si cette Cour jugeait que l'appelant possède un intérêt suffisant pour soulever cet argument constitutionnel, l'application des principes régissant l'interprétation de l'article 23 de la Charte canadienne démontrent que les projets soumis par la Commission scolaire ainsi que le modus operandi proposé respectent les exigences de cette disposition.
-18- Analyse et discussion L'appelant soumet que la Commission scolaire ne pouvait pas se servir de la procédure déclaratoire étant donné que les projets d'actes d'établissement n'étaient que des résolutions qui n'avaient pas franchi l'étape de l'adoption. Il est vrai que la jurisprudence 6 traitant de la requête pour jugement déclaratoire établit que cette procédure ne peut être utilisée pour demander que soit résolue une question purement hypothétique. Cependant, dans les circonstances particulières de cette cause, on ne peut affirmer que le litige qui oppose les parties reposait sur une question de pure hypothèse. Par sa procédure, la Commission scolaire cherchait à résoudre une difficulté réelle quant à l'interprétation de l'article 38 LIP. Cette disposition énonce que l'acte d'établissement doit indiquer "les locaux ou les immeubles mis à la disposition [d'une] école" mais ne précise pas si ces termes impliquent une utilisation exclusive par les élèves 6 North Island Laurentian Teacher's Union c. Commission Scolaire de Laurenval et autres, [1984] R.D.J. 651; voir aussi la jurisprudence citée par les auteurs Denis FERLAND et Benoît EMERY dans Précis de procédure civile du Québec, 3 e édition, Vol I, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais, 1997, à la p. 565, note 88.
-19- d'une seule école. La simple lecture de cet article ne permet pas de savoir si l'utilisation conjointe ou alternative "[des] locaux ou [des] immeubles" par deux écoles distinctes, telle qu'envisagée par la Commission scolaire, est permise. En outre, l'opposition soutenue de l'appelant aux démarches de la Commission scolaire, la connaissance de l'intention de l'appelant de contester l'utilisation des locaux en commun et en alternance, l'élaboration de documents qui, en fin de compte, n'avaient plus qu'à être adoptés formellement, l'obligation de respecter le délai imparti à la Commission scolaire pour donner suite à la décision du juge Tannenbaum, ainsi que l'importance de statuer sur le litige avant le début de l'année scolaire sont des éléments qui justifiaient l'utilisation de la procédure déclaratoire. à savoir: Le litige porte essentiellement sur trois questions, 38 et 51 de la LIP; 1) L'interprétation qu'il faut donner aux articles 2) la validité de la législation déléguée de la Commission scolaire; et,
-20-3) la question portant sur l'applicabilité de l'article 23 de la Charte canadienne. Avant de traiter de ces trois questions cependant, je dois considérer l'applicabilité du principe de la chose jugée (res judicata) soulevé à tort par les deux parties en l'instance. La doctrine de la chose jugée Les conditions donnant ouverture à l'application de cette doctrine sont énumérées à l'article 2848 C.c.Q. qui se lit comme suit: 2848. L'autorité de la chose jugée est une présomption absolue; elle n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, lorsque la demande est fondée sur la même cause et mue entre les mêmes parties, agissant dans les mêmes qualités, et la chose demandée est la même. Cependant, le jugement qui dispose d'un recours collectif a l'autorité de la chose jugée à l'égard des parties et de membres du groupe qui ne s'en sont pas exclus. Ainsi, pour invoquer la notion de la chose jugée avec succès, il faut démontrer qu'il y a identité de cause, de parties et d'objet.
-21- En premier lieu, je suis d'avis que l'argument de la Commission scolaire qui invoque la doctrine de la chose jugée est sans fondement. L'appelant a présenté une requête en irrecevabilité de la requête pour jugement déclaratoire de la Commission scolaire. Parmi les motifs à l'appui de la requête de l'appelant se trouvait sa prétention fondée sur la théorie de la chose jugée. Le 9 juillet 1996, le juge Durocher a rejeté la requête en irrecevabilité de l'appelant et a jugé le moyen de procédure employé par la Commission scolaire approprié. En concluant ainsi, le juge Durocher a également rejeté l'argument de l'appelant faisant appel à la notion de la chose jugée. La même doctrine de la chose jugée empêche de remettre en question la validité d'un jugement rendu de façon définitive. Toutefois la décision du juge Durocher était un jugement interlocutoire qui rejetait une requête en irrecevabilité. La jurisprudence en cette matière enseigne qu'un tel jugement n'est susceptible d'appel que lors du
-22- pourvoi formulé à l'encontre de la décision sur le fond 7. Par ailleurs, cette Cour a déjà déclaré qu'un jugement interlocutoire qui rejette une requête en irrecevabilité ne lie pas le juge du fond 8. Avec égards donc, je considère que la première juge pouvait considérer l'argument de l'appelant basé sur la chose jugée puisque la décision du juge Durocher était un jugement interlocutoire qui pouvait être révisé par le jugement sur le fond. Par conséquent, je suis d'avis que l'appelant a le droit d'invoquer l'argument de la "chose jugée" devant cette Cour. Toutefois, il s'avère que cet argument est mal fondé. En effet, l'appelant se contente d'énoncer les trois critères prévus à l'article 2848 C.c.Q. et d'affirmer qu'ils trouvent application sans pour autant en faire la démonstration. La Commission scolaire soumet, à bon droit, que l'objet de l'action en nullité de l'appelant présentée devant le juge Tannenbaum et l'objet de la requête pour jugement 7 8 Martineau c. Caron, [1995] R.D.J. 275 (C.A.), Cousineau c. Petitpas, [1988] R.D.J. 580 (C.A.). Barakett c. Coury [1932], 52 B.R. 131, à la p. 133-134; Outremont (Ville) c. Québec (Régie de l'assurance maladie), (C.A. Montréal, no. 500-09-001399-898, le 15 décembre 1989, jj. Vallerand, Rothman, Proulx; (QL: [1989] A.Q. no. 2268).
-23- déclaratoire devant la juge Trahan ne sont pas les mêmes. Par cette dernière requête la Commission scolaire cherche à faire reconnaître la validité des projets d'actes d'établissement résultant de ses efforts pour respecter la décision du juge Tannenbaum qui imposait à la Commission scolaire le devoir de préciser quelles parties et pièces de l'immeuble abritant les deux écoles secondaires seraient utilisées par l'espc. Dans ces circonstances, je suis d'avis qu'il n'y pas identité d'objet dans les deux litiges et que ce moyen de l'appelant doit échouer. Les articles 38 et 51 de la Loi sur l'instruction publique Il faut déterminer si la Loi sur l'instruction publique permet l'utilisation conjointe ou partagée de certains locaux par deux écoles distinctes. Afin de répondre à cette question, référence doit être faite aux articles 38 et 51 LIP, lesquels se lisent comme suit: 38. L'école est établie par la commission scolaire sous l'autorité d'un directeur. L'acte d'établissement indique le nom, l'adresse, les locaux ou les immeubles mis à la disposition de l'école et l'ordre d'enseignement qu'elle dispense.
-24-51. Le directeur d'école détermine, après consultation du conseil d'orientation, l'utilisation de l'école sous réserve: 1 o des normes sur l'utilisation des locaux que peut établir la commission scolaire; 2 o des ententes que peut conclure à cette fin la commission scolaire; 3 o des obligations imposées par la loi pour l'utilisation des locaux de l'école à des fins électorales. En interprétant l'article 38 de la LIP de façon restrictive, l'appelant conclut que cette disposition ne permet pas l'utilisation des mêmes locaux par deux écoles différentes. Avec égards, je suis d'avis que cette prétention est erronée. La tentative de l'appelant d'introduire une exigence d'exclusivité là où le législateur n'en a pas prévue va à l'encontre de la volonté de ce dernier. En effet, si le législateur avait voulu une telle exigence il l'aurait mentionné. L'article 41 de la Loi d'interprétation 9 énonce, à son deuxième alinéa, que toute disposition d'une loi doit recevoir une interprétation large et libérale afin d'assurer "l'accomplissement de son objet et l'exécution de ses 9 L.R.Q. c. I-16.
-25- prescriptions." J'estime que la LIP, et plus particulièrement son article 38, ne devraient pas faire exception à cette règle. En effet, une interprétation large et libérale de cette disposition permettrait d'atteindre un des buts importants de la LIP, à savoir la disponibilité de services éducatifs à la population habitant le territoire desservi par la Commission scolaire. Ensuite, la Commission scolaire soulève, à bon droit, qu'une interprétation restrictive de l'article 38 de la loi entraînerait un partage nécessairement inéquitable des aménagements de l'immeuble abritant les deux écoles secondaires. En effet, si la Commission scolaire était obligée de répartir tous les locaux de manière exclusive, il est certain que les élèves des deux écoles en sortiraient perdants car chaque groupe n'aurait pas accès à tous les aménagements de l'immeuble. Par exemple, l'attribution, de façon exclusive, des laboratoires de biologie à l'une des deux écoles empêcherait les étudiants de l'autre école de bénéficier de ces locaux spécialisés. Il en serait de même avec les autres laboratoires, les gymnases, et les salles de théâtre. Également, il importe de noter les coûts qu'engendrerait l'installation d'une deuxième cafétéria, d'une deuxième