En Bref La BCE franchit un nouveau cap La BCE a annoncé à l issue de sa réunion de politique monétaire le déclenchement d un programme d achat complémentaire de grande ampleur incluant l achat de titres publics des Etats membres de la zone Euro. La BCE a laissé inchangé son taux de refinancement à 0,05%, son taux de la facilité de prêt marginal à 0,30% et son taux de la facilité de dépôt à -0,2%. Nous vous proposons dans cette note de faire le point sur les modalités de ce nouveau programme d achat, en revenant également sur les éléments déclencheurs de cette action sans précédent de la BCE, et d en préciser les effets attendus. Dans le Détail : A La BCE lance son programme d achat d actifs élargi (EAPP) La multiplication des discours agressifs de membres du comité de politique monétaire de la BCE ces dernières semaines ne laissaient guère de place au doute. C est donc au cours de sa première réunion de l année que la BCE a finalement décidé de compléter ses programmes d achat de titres privés (ABS et Covered Bond) par des achats de plus grande ampleur. Quoi? Ces achats complémentaires porteront sur des titres de dette des gouvernements centraux des pays membres de la zone Euro, des titres d agences (quasi Etats), de certaines institutions supranationales et internationales localisées en zone Euro libellés en Euro. Les titres indexés sur l inflation pour ces différentes catégories de titres seront également éligibles. Les titres répondant aux critères d éligibilité des collatéraux des opérations de refinancement de la BCE sont également éligibles à ce programme d achat complémentaire. Pour être éligibles, ces derniers doivent être notés au minimum BBB-/Baa3/BBBI par au moins une agence de notation extérieure. Des critères d éligibilité additionnels seront appliqués pour les pays actuellement sous-programme d ajustement du FMI et de l Union Européenne ne respectant pas ces critères de notation. Ces achats de titres publics porteront sur des maturités allant de 2 à 30 ans. En cela, la BCE va plus loin que son homologue américain, qui s était limité lors de son dernier programme d achat de titres publics à des maturités inférieures ou égales à 10 ans. La BCE a par ailleurs précisé qu elle pourra se positionner à l achat sur des taux négatifs. Combien? Le programme d achat dans sa globalité, titres publics et privés, portera sur un montant de 60Mds par mois, au minimum jusqu à fin septembre 2016. Ce programme débutant en mars 2015, la BCE s engage donc sur une injection au minimum de 1140Mds (voir tableau ci-dessous pour la décomposition). Comment? A l image des titres achetés dans le cadre de 2000 son précédent programme SMP (Securities Market 1500 Program), ces achats seront réalisés sur le marché 1000 secondaire. Ainsi la BCE demeure dans le cadre légal de ses statuts, qui lui interdit formellement le financement 500 monétaire direct des Etats membres de la zone Euro. 0 La répartition de ces achats de titres publics de 99 01 03 05 07 09 11 13 15 17 Sources : Thomson Reuters, BCE, Covea Finance gouvernements centraux de la zone Euro se basera sur la clé de répartition des pays membres dans le capital de la BCE (voir tableau ci-dessous pour la décomposition). Ces achats, coordonnés par la BCE, seront effectués pour leur grande majorité de façon décentralisée par chaque Banque Centrale Nationale des pays membres. 3500 3000 2500 Bilan Eurosystème : Total actif (Mds ) Projection BCE (60Mds /mois jusqu'en sept. 2016)
Dans le cas d achat de titres d institutions européennes (qui représenteront 12% du total), le risque sera partagé par l ensemble des banques centrales des pays membres. 8% du reste des achats additionnels sera détenu par la BCE, avec par voie de conséquence un risque également partagé par tous les pays membres de la zone. Pour les 80% restants des achats additionnels, chaque Banque Centrale Nationale portera le risque de ses achats. Cette particularité, qui différencie les modalités de ce programme relativement aux potentiels achats dans le cadre du programme OMT (Outright Monetary Transactions), se traduirait par des achats strictement nationaux de chaque Banque Centrale Nationale (la Banque de France achetant des titres publics du gouvernement français, la Bundesbank des titres allemands, etc.), une condition réclamée depuis quelques jours par plusieurs officiels de certains gouvernements, particulièrement en Allemagne et aux Pays-Bas. Néanmoins sur ce point un certain flou persiste. En effet, cette notion de responsabilité des risques n exclut pas formellement les achats croisés au sein de la zone Euro. Ainsi dans l état rien n interdirait à la Banque de France d acheter des titres publics italiens, si la Banque de France est prête à assumer les risques qu entrainent ses achats. Tableau : Estimations des montants d achats de titres publics et privés de la BCE dans le cadre de son programme EAPP Clé de répartition du capital de la BCE (en %) Montant des achats totaux (Mds ) Montants des achats souverains - Etats+Inst. Euro. (Mds ) Montants des achats souverains - Etats (Mds ) Banque nationale de Belgique (Belgique) 3,5 37,6 29,4 25,5 Deutsche Bundesbank (Allemagne) 25,6 272,9 213,2 185,4 Eesti Pank (Estonie) 0,3 2,9 2,3 2,0 Banc Ceannais na héireann/central Bank of Ireland (Irlande) 1,6 17,6 13,8 12,0 Banque de Grèce (Grèce) 2,9 30,8 24,1 20,9 Banco de España (Espagne) 12,6 134,1 104,7 91,1 Banque de France (France) 20,1 215,0 168,0 146,1 Banca d Italia (Italie) 17,5 186,7 145,9 126,8 Banque centrale de Chypre (Chypre) 0,2 2,3 1,8 1,6 Latvijas Banka (Lettonie) 0,4 4,3 3,3 2,9 Lietuvos bankas (Lituanie) 0,6 6,3 4,9 4,3 Banque centrale du Luxembourg (Luxembourg) 0,3 3,1 2,4 2,1 Central Bank of Malta / Bank Ċentrali ta Malta (Malte) 0,1 1,0 0,8 0,7 De Nederlandsche Bank (Pays-Bas) 5,7 60,7 47,4 41,2 Oesterreichische Nationalbank (Autriche) 2,8 29,8 23,3 20,2 Banco de Portugal (Portugal) 2,5 26,4 20,7 18,0 Banka Slovenije (Slovénie) 0,5 5,2 4,1 3,6 Národná banka Slovenska (Slovaquie) 1,1 11,7 9,2 8,0 Suomen Pankki Finlands Bank (Finlande) 1,8 19,1 14,9 12,9 Total (Banques centrales nationales) 100 1067 834,0 725,2 Banque centrale européenne 73 Total (BCE + 19 BCNs) 1140 1,42062607 Total achats Mars 2015 - Sept. 2016 1140 Achats ABS et Covered sept. 2016 (sur la base de progression actuelle) Répartition 60 Mds / mois 234 12 Achats Souverain total (Etat et autres institutions) 906 48 Institutions Européennes* 109 6 Bilan de la BCE 73 4 Bilan des banques centrales nationales 725 38 Partage du risque mutualisé Eurosystème mutualisé Eurosystème (12% total) mutualisé Eurosystème (8% total) risque base BC nationale (80% du total) * l'hypothèse de calcul faite dans ce tableau suppose que les institutions internationales et supranationales sont incluses dans les institutions européennes Source : Covéa Finance Dans le cadre de ses achats, pour garantir et préserver le fonctionnement du marché, la BCE se limitera à détenir 25% de chaque souche sur laquelle elle se positionne (afin d éviter d avoir une minorité de blocage en cas de déclenchement des clauses d action collective), et ne pourra pas détenir plus de 33% de la dette d un émetteur. Autrement dit, la BCE ne pourra pas détenir plus de 33% de la dette d un Etat central d un des pays membres de la zone Euro.
Enfin pour ces achats, la BCE sera pari passu, autrement dit elle n aura pas de statut privilégié en cas de restructuration ou de défaut de l émetteur. M. Draghi a également distillé, lors de la session des questions et réponses, des éléments permettant d apprécier le degré de dissentiment au sein du Conseil des Gouverneurs relatif à l introduction du programme EAPP. Ces éléments de langage seront probablement repris dans la publication des délibérations de la réunion, un nouvel outil de communication de la BCE qui sera introduit en 2015 dans un délai de 4 semaines après chaque réunion. Au final, 4 formulations ont été retenues : le consensus qui signifie que l ensemble des gouverneurs approuve ou ne désapprouve pas ; la majorité ; la large majorité qui signale qu un nombre limité de gouverneurs s oppose à la décision et enfin, l unanimité. Premièrement, M. Draghi a indiqué que le Conseil des gouverneurs considère à l unanimité que le programme EAPP est un pur instrument de politique monétaire, y compris dans sa dimension légale, une dimension potentiellement importante dans le cas de recours contre ce programme auprès de la Cour de justice de l Union Européenne, comme ce fut le cas récemment pour le programme OMT. Deuxièmement, une large majorité de gouverneurs a estimé la nécessité d agir immédiatement en introduisant l assouplissement quantitatif. Et finalement, un consensus s est dégagé sur la question du partage du risque entre l Eurosystème et les Banques Centrales Nationales. B Les anticipations d inflation, la préoccupation de la BCE Tout au long de la conférence de presse, M. Draghi a livré un constat limpide des indicateurs économiques et financiers ayant conditionné le déclenchement de l assouplissement quantitatif. Dans son communiqué introductif, M. Draghi a cité en particulier deux développements récents ayant conduit le Conseil des Gouverneurs à réviser son appréciation de la situation en Zone euro. D une part, la dynamique d inflation est perçue comme plus faible qu attendue. Même si une large partie de cette faiblesse a pour source la poursuite de la baisse des prix du Zone Euro* : Taux d'inflation anticipé - Point Mort d'inflation pétrole, la BCE estime que les risques de second-tour, à 3 0,5 même de renforcer la spirale désinflationniste par la boucle 2,5 0,25 prix-salaire, pourraient affecter négativement les perspectives d inflation à moyen-terme. Le principal 2 0 Mouvements de taux directeur (bp) (D) objectif de la BCE reste la stabilité des prix (une inflation 10y Breakeven rate (G) proche mais en dessous de 2%) et une faiblesse persistante 1,5-0,25 de l inflation marquerait un échec cuisant de la politique 5y Breakeven rate (G) 1-0,5 monétaire. Cette action de la BCE vient également répondre 5y forward Breakeven à une baisse continue des mesures d anticipations rate 5y ahead (G) 0,5-0,75 d inflation extraites des instruments financiers depuis 2013, baisse qui s est accentuée sur l année 2014, traduisant cette 0-1 perception d échec, ce potentiel manque de crédibilité 2009 2010 2011 2012 2013 2014 envers la capacité de la BCE à remplir son principal objectif et à conduire efficacement sa politique monétaire de la part des intervenants de marché. Au-delà de la crédibilité, cette baisse de l inflation conduit également à un resserrement réel de la politique monétaire, étant donné que les taux nominaux de la BCE ont aujourd hui atteint un taux plancher. Une situation aujourd hui peu acceptable pour la BCE. D autre part, la BCE constate l absence de résultat concret, à la suite des décisions prises en juin (TLTRO) et en septembre dernier (Programmes d achat d actifs privés), sur l amélioration de la situation économique en Zone euro. De ce fait, la BCE juge adéquat d assouplir de nouveau sa politique monétaire. C Déchiffrer les canaux de transmission du programme EAPP L adoption d un programme d assouplissement quantitatif, correspondant à une augmentation de la base monétaire et donc de la quantité de monnaie en circulation, vise essentiellement à stimuler l économie et à générer de l inflation domestique ou importée à travers plusieurs canaux de transmission, présentés succinctement ciaprès.
Au cours de sa conférence de presse, M. Draghi a notamment mis l accent sur deux de ces canaux. Le premier étant l effet de réallocation des portefeuilles : les acteurs (institutions financières et monétaires) vendant les obligations souveraines à la BCE voient leur détention de monnaie augmenter, ce qui les amène à se reporter sur d autres classes d actifs plus ou moins substituables en termes de risques. Cela conduit à un renchérissement du prix de ces actifs impactant le niveau de richesse global et éventuellement le coût d emprunt pour les ménages et les entreprises. Le deuxième canal majeur aux yeux du Président de la BCE concerne l effet de signal sur l orientation de la politique monétaire. Ce dernier conduit à un renforcement de l engagement accommodant de la BCE sur la trajectoire future des taux d intérêts, précise la détermination du banquier central à atteindre son objectif d inflation et fournit des informations supplémentaires sur l appréciation régulière faite par la BCE sur l état de l économie, comme cela a été le cas pour la Réserve Fédérale. Schéma : Canaux de transmission d une politique d assouplissement monétaire quantitatif (achats de titres privés et publics) Assouplissement quantitatif (QE) : Augmentation de la taille du bilan (Base monétaire) Canaux de transmission Monnaie, Crédit Liquidité de marché 1 2 Réallocation des portefeuilles Signal de politique monétaire Confiance Impacts attendus Création de "réserves Banque centrale" au passif des banques correspondant à une hausse du niveau de dépôts Effet de substitution entre les actifs et prise de risque de la part des autres acteurs du marché Renforce l'engagement (forward guidance) de la banque centrale à maintenir des taux bas et relève les anticipations d'inflation Améliore le niveau de liquidité des banques et encourage le financement bancaire Reflation du prix des actifs Baisse des primes de risque sur les autres classes d'actifs Impact négatif sur le niveau du taux de change Amélioration du sentiment économique Relation masse monétaire/inflation Effet Richesse (+) Coût de financement (-) X Canaux de transmission mis en avant par M. Draghi Impact sur le revenu/épargne et les dépenses Inflation et croissance Source : Fed, BCE, Bank of England Parmi les autres canaux de transmission mis en évidence, nous citerons l impact positif sur l offre de crédit par le biais de l amélioration du niveau de liquidité des banques et l incitation supplémentaire à faire usage de cette liquidité pour le financement bancaire afin de ne pas être pénalisées par le niveau de rémunération négatif imposé sur les dépôts à la BCE (-0,2%). Cette incitation est d autant plus renforcée que les banques ont la possibilité de profiter de conditions avantageuses d approvisionnement en liquidité via les opérations de refinancement à longterme dites ciblées (TLTRO). Celles-ci auront lieu tous les trimestres à partir de mars 2015 à un taux de 0,05% contre 0,15% auparavant et toujours pour une durée de 4 ans. Ainsi la BCE espère enclencher un cercle vertueux entre assouplissement quantitatif et production de prêts à l économie réelle. L effet d entraînement de l un à l autre pourrait être un facteur décisif influençant la dynamique de l offre de crédit en 2015 et 2016.
Enfin, les autres canaux ayant potentiellement une influence sur les conditions financières et économiques concernent les effets de bord générés par l impact de liquidité de marché sur d autres classes d actifs favorable aux volumes de transactions et d émissions et un effet de confiance par diffusion à d autres agents économiques. Frédéric Kleiss et Thomas Foicik, le 23 Janvier 2015
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