Autonomie financière, marges de manœuvres budgétaires et fiscalité locale Atelier organisé par le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales Intervenants : Gérard BURN, directeur du Master 2 de gestion financière des collectivités locales, maire-adjoint aux finances, ville d Eragny-sur-Oise Alain CAZENAVE, directeur des finances, région Champagne-Ardenne François KUSSWIEDER, directeur des finances, ville et communauté urbaine de Strasbourg Nicolas LAROCHE, responsable des études, Observatoire SFL-FORUM, Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales Cet atelier était animé par Eléonore CARPENTIER, coordinatrice de l Observatoire SFL-FORUM I. L autonomie financière des collectivités locales 1. Le cadre de la loi (Nicolas LAROCHE) La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 reconnaît l autonomie financière des collectivités locales, intégrée à l article 72-2 de la Constitution. La mise en application de cette garantie constitutionnelle est assurée par la loi du 29 juillet 2004, définissant le ratio d autofinancement. Ce dernier est le rapport des ressources propres des collectivités locales, essentiellement constitué des impôts, parmi l ensemble des ressources. Par ailleurs, ce ratio a des finalités pratiques : s il venait à passer sous la valeur définie en 2003, l Etat garantit un apport complémentaire de ressources propres. En revanche, ce ratio comptable ne correspond pas au pouvoir de la collectivité sur ces ressources, ni ne détermine sa santé financière. Le ratio est compris entre 33 %, pour la Lozère, et 79 % dans les Hauts-de-Seine. 2. Eléments de contexte (Gérard BURN) L ensemble des dispositions d aménagement du territoire ne peuvent pas être ignorés dans l examen de l adoption du texte. La défiscalisation d un grand nombre de recettes, leur transformation en compensations puis en dotations, a par ailleurs fait perdre une grande part d autonomie aux collectivités. Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 1
Parmi les divers rapports précédant l adoption des textes, trois sont essentiels. L avis du Conseil économique et social affirmait la nécessité d un renforcement de l autonomie financière des collectivités, insistant notamment sur l importance d une péréquation à mettre en œuvre. Le rapport d information sénatorial a également bien appuyé sur le couple décentralisation-péréquation. L étude de Messieurs Gilbert et Guéguant a pour sa part montré que la péréquation représente 60 % des ressources des collectivités, contre 34 % auparavant. Ce taux progresse de 1 % par an à l heure actuelle. Les différences de situation entre les diverses collectivités sont telles que l autonomie financière seule ne peut pas suffire à leur existence. Les deux notions de péréquation et d autonomie sont indissociables. 3. Le cas de la région Champagne-Ardenne (Alain CAZENAVE) Le PIB par habitant de la région est le troisième de France, grâce à la production de Champagne. Cette région moyenne de 1,3 millions d habitants est toutefois très éclatée entre quatre territoires, auquel s ajoute le constat d un recul démographique lié à l exode des populations, et notamment des jeunes. Le produit des cartes grises représentait en 1998 20 % du budget régional, grâce à des conditions fiscales particulièrement intéressantes, pour 12 % des immatriculations nationales. Ce taux est revenu à 2 % et ce poste ne contribue que pour 7 % au budget. Par ailleurs, l exploitation ferroviaire est désormais transférée aux régions. La Champagne-Ardenne a hérité d un matériel relativement vieux, et le coût global de rénovation s établit à 240 millions d'euros. La région a en outre contribué largement au financement de l infrastructure et de l exploitation du TGV, qui a occasionné une remise à plat de l ensemble du réseau régional. Les charges de fonctionnement de l exploitation ferroviaire sont ainsi augmentées d une somme récurrente de 15 millions d'euros annuels. D autres compétences sont prises en charge par la région, dont la gestion du personnel médico-social et des TOS. Les régions ne sont pas armées pour gérer des charges de personnel, et des besoins nouveaux de gestion sont donc apparus. Avant l acte II, la région employait 230 personnes, contre 1 800 à l heure actuelle. La structure budgétaire évolue donc très rapidement d un budget d investissement vers un budget de fonctionnement. En outre, la région voit certaines de ses recettes reculer, telle la TIPP, dont l assiette diminue toutefois du fait des limitations de vitesse et du renforcement de la performance des véhicules. La région Champagne-Ardenne a donc eu largement recours à l emprunt pour financer son budget, suivi d un plan de désendettement en 2000, et de nouveaux besoins de financements aujourd'hui. 4. Le cas de la ville et de la communauté urbaine de Strasbourg (François KUSSWIEDER) La communauté urbaine existe depuis 40 ans et est passée à la taxe professionnelle unique en 2002. Elle dispose d un budget de ressources propres de 480 millions d'euros, dont 425 millions sont des recettes fiscales ou parafiscales, soit 88 %. 185 millions d'euros sont constitués par la taxe professionnelle, 44 millions d'euros par la taxe sur l enlèvement des ordures et 78 millions d'euros par la taxe sur les transports. Au terme de la réforme de la taxe professionnelle, une entreprise ne peut pas payer une taxe professionnelle dépassant 3,5 % de son chiffre d'affaires. Le manque à gagner pour les collectivités est compensé par l Etat. Dans ce cadre, la stabilité de l attribution de compensation, qui porte sur environ 70 millions d'euros, est une chance pour la CUS. La suppression de la part salaire et la diminution de la DTCP Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 2
pose toutefois problème, et les budgets des communautés diminuent en moyenne de 11 % sur l ensemble du territoire national. 87 % des ressources de la ville de Strasbourg elle-même sont constituées de ressources fiscales. La part de reversement des ressources communautaires, qui représentent 7 % de la taxe professionnelle, n est pas non plus négligeable. La dotation globale de fonctionnement représente pour la ville de Strasbourg 58 millions d'euros, auxquels s ajoutent les droits de stationnement et la taxe complémentaire sur les mutations. Les ressources tirées des services rendus à la population ne représentent, comme souvent, que 4 à 5 % des ressources globales. 5. Débat Jean-Christophe EYRARD, DGA de la région Rhône-Alpes L autonomie doit correspondre à une capacité d action ; or la TIPP ne rentre pas dans cette catégorie. L autonomie des collectivités percevant la taxe professionnelle diminue considérablement. L objectif des régions réside dans le développement des transports ferroviaires, au détriment de la route. Or, la fiscalité locale porte sur la TIPP et les cartes grises. Gérard BURN La TIPP n est pas une recette vertueuse, dans la mesure où elle ne peut augmenter que dans des conditions environnementales dégradées. Le directeur des finances de Meurthe-et-Moselle La TIPP est officiellement une ressource propre, mais constitue en réalité une dotation. II. Les dépenses : les marges de manœuvre des collectivités 1. Structure des dépenses (Nicolas LAROCHE) Les budgets des collectivités locales sont de plus en plus constitués de dépenses de fonctionnement, du fait des transferts de compétences de ces dernières années. Les structures de budget de l ensemble des collectivités s harmonisent, alors que les régions effectuaient auparavant beaucoup plus d investissements que les communes et communautés. 2. La situation de la région Champagne-Ardenne (Alain CAZENAVE) L augmentation des dépenses de gestion, essentiellement pour des charges de personnel, est ainsi concomitante d une faible progression des recettes. La situation est d autant plus complexe que les réformes se multiplient sur la taxe professionnelle ou encore les droits de mutation, transformée en dotation compensatrice et dont le caractère dynamique disparaît donc. Pour la région Champagne- Ardenne, 56 millions d'euros, soit la moitié des recettes fiscales, sont transformés en dotation. 7,7 millions d'euros de recettes fiscales devraient être perdus en 2007 par la région. Cette situation Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 3
fait suite à une période de réduction des impôts à la fin des années 1990, alors que le très fort taux d immatriculation aurait permis de mener une politique forte de désendettement. Le développement des infrastructures et la politique de formation ont été définis comme des priorités, dans une région pénalisée par son éclatement géographique et par des fermetures de sites industriels. Une réflexion a donc été menée sur les autorisations de programme et d engagement, dans un cadre pluriannuel. 14 à 16 % des dépenses ont été considérés comme non obligatoires parmi les contrats de plan et contrats de projets, ce qui a permis de dégager une marge de manœuvre de 200 millions d'euros de crédits de paiement sur cinq ans. La volonté politique de dé-sanctuariser un certain nombre de dépenses s est notamment traduite pour les lycées, dont les budgets étaient auparavant reconduits de façon pratiquement systématique. Des fiches sont désormais réalisées pour chaque établissement, permettant d adapter les subventions à la réalité de leur situation. 3. La marge de manœuvre de la ville et de la communauté de Strasbourg (François KUSSWIEDER) L augmentation des dépenses de fonctionnement des structures intercommunales semble inévitable, du fait notamment des transferts de compétences des communes, dont la gestion peut faire l objet de nouvelles ambitions. A Strasbourg, la communauté urbaine prend désormais en charge la gestion de quatre grandes médiathèques et du stade de football. Le transport est devenu le premier budget de la CUS, à hauteur de 125 millions d'euros, alors que les ressources qui y sont liées n atteignent que 70 millions d'euros. Il existe toutefois des moyens de reconstitution des marges de manœuvre. Les subventions d investissement ont ainsi pu être inscrites en section d investissement à partir du budget 2008, et non de fonctionnement, comme il était obligatoire depuis 1998 et l adoption du M14. Par ailleurs, la suppression et la reprise des provisions donnent une marge de manœuvre supplémentaire, du moins sur le plan comptable. La tarification des services publics constitue une autre marge de manœuvre, limitée toutefois par la capacité de paiement des usagers et par la volonté politique de participation d un plus grand nombre possible de citoyens. Enfin, la mutualisation des services entre la ville et la CUS, qui existe depuis 1972, et qui a permis de résoudre des problèmes de définition des compétences, permet de réaliser des économies d échelle. La CUS est ainsi le seul employeur du territoire, et se voit rembourser cette mise à disposition par les communes. De même, les services généraux et informatiques sont mutualisés. III. Les ressources des collectivités 1. Présentation (Nicolas LAROCHE) Les ressources propres des collectivités sont des impositions «de toute nature», dont certaines sur lesquelles elles ne disposent pas de marge de manœuvre. L autonomie financière réelle ne correspond donc pas à l autonomie comptable. Les recettes avec marge représentent moins de 40 % des ressources des collectivités locales, notamment du fait du remplacement de taxes directes par des compensations, mais également du fait du financement des nouvelles compétences par des taxes sur lesquelles les collectivités ne disposent pas de pouvoir de fixation. Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 4
2. Rappel historique et réflexions sur la réforme actuelle (Gérard BURN) La fiscalité locale existe depuis cinq républiques et a traversé trois guerres, tout en conservant certains éléments fondamentaux. En 1848, elle a permis la création d un certain nombre de lignes ferroviaires, puis a constitué le socle des lois Ferry au début de la troisième république. Au début de la cinquième république, la taxe professionnelle s inscrivait dans la perspective gaullienne de création de grands groupes nationaux. L intérêt aux flux financiers apparaît depuis peu, alors que la fiscalité locale était longtemps fondée sur la propriété foncière, dans un pays rural. La complexité du système réside essentiellement dans la multiplicité des régimes dérogatoires, plus que du point de vue de sa construction même. La spécialisation des fiscalités locales par collectivité n est de ce fait pas nécessairement souhaitable. Pour ce qui concerne la réforme actuelle, il pourrait être intéressant de transformer la fiscalité locale en fiscalité gérée par des élus locaux. Par ailleurs, la fiscalité doit faire l objet d évaluations, notamment pour ce qui concerne l efficacité des mesures antérieures de diminution de l imposition. 3. Débat François KUSSWIEDER Les collectivités ne disposent pas de toutes les informations dont elles auraient besoin pour prendre des décisions en connaissance de cause. Par ailleurs, il faut insister sur l importance de la logistique étatique de gestion de la fiscalité locale, dans un contexte de réduction d effectifs de la fonction publique d Etat. Enfin, l échelon communautaire devrait être couvert par la compétence d une commission des impôts directs, comme les échelons communal et départemental. Alain CAZENAVE Le ratio d autonomie de l article 72-2 de la constitution n est pas pertinent, étant donnée notamment la prise en compte de la TIPP. Gérard BURN Depuis une décennie, une rupture culturelle s est ouverte sur la fiscalité locale. Depuis très longtemps, elle se fondait sur le capital et la durée, et se rattache désormais de plus en plus, et notamment avec la TIPP, à la consommation. Gilles DUCHAPEAU, directeur général du département de l Essonne Lorsque les droits de mutations auront été tout à fait transformés en dotation par l Etat, les départements se trouveront dans une situation très délicate. Les associations d élus communaux, départementaux et régionaux doivent se mobiliser sur une réforme de la fiscalité sur laquelle un consensus global a été trouvé. Document rédigé par la société Ubiqus Entretiens territoriaux de Strasbourg, 5 et 6 décembre 2007 5