MISE AU POINT D UNE HYPERFERRITINÉMIE



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Transcription:

MISE AU POINT D UNE HYPERFERRITINÉMIE J. DELWAIDE (1), D. GIET (2), A. LAMPROYE (3), J. BELAÏCHE (4) RÉSUMÉ : La présence d une hyperferritinémie et d un coefficient de saturation de la transferrine élevés doit entraîner la recherche d une hémochromatose par une analyse génétique (recherche de mutations au niveau du gène HFE). Il s agit en effet d une affection dont la prévalence est importante en Europe du Nord. Fréquemment néanmoins, l hyperferritinémie n est pas liée à une hémochromatose. Le diagnostic différentiel doit évoquer essentiellement la possibilité d une anémie hémolytique, d une affection inflammatoire chronique, d une hépatopathie B, C ou alcoolique, ou d une stéatose non alcoolique. Lorsque ces étiologies sont éliminées et qu il existe une surcharge hépatique en fer démontrée, la possibilité que celle-ci soit d origine génétique mais non liée au gène HFE doit être envisagée. MOTS-CLÉS : Hémochromatose - HFE - Surcharge en fer - Test génétique - C2824 INTRODUCTION Le foie est le principal site de stockage du fer, essentiellement au niveau de la ferritine intrahépatocytaire. La ferritine est une protéine de grande taille pouvant accumuler jusqu à 4.500 atomes de fer (par comparaison, la protéine transporteuse du fer au niveau sanguin, la transferrine, transporte seulement 2 atomes de fer). La ferritine est sensible à la quantité de fer présente dans les cellules. Plus il y a de fer, plus de la ferritine est produite pour pouvoir séquestrer ce fer. Une partie de la ferritine est par ailleurs excrétée et le dosage de ferritine sérique est donc un excellent reflet des réserves en fer. Le coefficient de saturation de la transferrine, protéine sérique transportant le fer de l intestin aux autres organes, est également un bon indicateur d une surcharge en fer. Il est calculé en divisant la concentration sérique en fer par la concentration sérique en transferrine. Plus la concentration sérique en fer est importante, plus ce coefficient est élevé. Néanmoins ces deux marqueurs manquent de sensibilité et de spécificité. Chez un jeune patient hémochromatosique, la ferritinémie et le coefficient de saturation peuvent être normaux. A l opposé, ces paramètres peuvent être élevés chez environ 50% des patients présentant une hépatopathie alcoolique, une hépatite C, une stéatohépatite non alcoolique, et ce, en l absence d hémochromatose. La ferritine est par ailleurs (1) Chef de Clinique, (3) Résidente-Spécialiste, (4) Professeur Ordinaire, Chef de Service, Service de Gastroentérologie, CHU Sart Tilman, Liège. (2) Professeur, Département de Médecine Générale, Université de Liège. MANAGEMENT OF HYPERFERRITINEMIA SUMMARY : Hemochromatosis is the most common genetic disorder in persons of northern European descent, and the majority of cases are caused by a mutation in the gene HFE. Genetic testing for hemochromatosis is therefore indicated in all patients with increases in transferrine saturation and ferritin levels. When this genetic testing does not demonstrate a hemochromatosis, other diseases responsible for elevated ferritin levels have to be ruled out, mainly hemolytic anemia, chronic inflammatory disorders, liver diseases such as hepatitis B or C, alcohol abuse, and non alcoholic fatty liver disease. In demonstrated iron overload with absence of classic causes, second-line genetic testing should be considered. KEYWORDS : Hemochromatosis - HEF - Iron-overload - Genetic testing - C2824 une protéine dont la concentration sérique augmente lors d un syndrome inflammatoire, sans rapport avec une surcharge en fer. Une démarche diagnostique rigoureuse permet de poser le diagnostic sans difficulté majeure dans la plupart des cas. HYPERFERRITINÉMIE ET HÉMOCHROMATOSE La mise en évidence d une hyperferritinémie chronique doit faire évoquer d emblée la possibilité d une hémochromatose. Il s agit en effet d une affection fréquemment rencontrée en Belgique puisque sa prévalence est estimée à 1 personne sur 300. Cette prévalence élevée fait de l hémochromatose l affection génétique de loin la plus fréquemment rencontrée dans nos régions (avec une prévalence 10 fois supérieure à celle de la mucoviscidose, la seconde maladie génétique la plus fréquente en Europe du Nord). Dans l algorithme d exploration d une hyperferritinémie, il est recommandé de demander un calcul du coefficient de saturation de la transferrine (Figure 1). Si ce coefficient est normal, une recherche génétique d hémochromatose n est pas recommandée en raison du coût de celle-ci et du peu de probabilité de ce diagnostic. Le coefficient de saturation de la transferrine est en effet un marqueur plus précoce de la surcharge en fer que la ferritinémie. Une hyperferritinémie non accompagnée d une élévation du coefficient de saturation de la transferrine doit donc amener à considérer d emblée d autres diagnostics qu une hémochromatose. Si par contre le coefficient de saturation est élevé c'est-à-dire supérieur à 45% (ou supérieur à 35% chez la femme non ménopausée), l étape suivante est d effec- 329

J. DELWAIDE ET COLL. Figure 1 : Algorithme d exploration d une hyperferritinémie tuer d emblée une recherche génétique d hémochromatose. Cette analyse est réalisée en routine par les laboratoires de génétique, et ne requiert qu un tube EDTA. Le diagnostic d hémochromatose sera définitivement posé en présence d une mutation C282Y homozygote au niveau du gène HFE. Les hétérozygotes sont porteurs de la mutation, mais ne développeront pas la maladie (la présence d une hyperferritinémie avec augmentation du coefficient de saturation de la transferrine chez ces patients doit inciter à rechercher une cause associée de modifications des paramètres du métabolisme du fer, comme par exemple une stéatose hépatique). Deux autres mutations au niveau du gène HFE sont connues et recherchées en routine. La mutation H63D est fréquente mais n est pathologique ni à l état hétérozygote, ni à l état homozygote. Par contre, certains individus sont porteurs d une mutation composite, C282Y sur un allèle et H63D sur l autre allèle. Un faible pourcentage (1 à 2% seulement) de ces patients présente une surcharge en fer et nécessite une prise en charge similaire à celle de l hémochromatose classique. Enfin, l intérêt clinique de la troisième mutation connue au niveau du gène HFE, la mutation S65C, fait encore l objet de débats, mais semble faible. La mise en évidence d une hémochromatose a trois conséquences. Il faut d une part traiter le patient par la réalisation de saignées. Une unité de sang (400-500 ml) contient environ 200-250 mg de fer. Les saignées ont pour but d amener la ferritinémie à un niveau inférieur à 50 ng/ml et le coefficient de saturation de la transferrine en dessous de 30%. Le nombre de saignées nécessaires pour atteindre ce but est très variable d un patient à l autre (de quelques saignées à 2 ans de saignées à raison d une par semaine), la pénétrance de l affection étant variable. Une fois cet objectif thérapeutique atteint, il faut réaliser des saignées prophylactiques, en nombre suffisant pour maintenir le taux de ferritine en dessous de 100 ng/ml et le coefficient de saturation en dessous de 50% (1). Cet objectif est généralement atteint par la réalisation d environ 4 à 6 saignées par an. Le deuxième objectif de la prise en charge est d évaluer la gravité de la maladie. On sait, en effet, que les patients présentant une cirrhose au moment du diagnostic risquent de développer un hépatocarcinome à un rythme de 3% par an, et ce même après la déplétion en fer. Au contraire, les patients ne présentant pas de cirrhose ont un excellent pronostic après la déplétion en fer. Il n est pas aisé de déterminer, sur base clinique ou 330

HYPERFERRITINÉMIE biologique, les patients présentant une cirrhose. C est pourquoi il est recommandé de réaliser une biopsie hépatique chez les patients hémochromatosiques âgés de plus de 40 ans lorsque le taux de ferritine au moment du diagnostic est supérieur à 1.000 ng/ml. Chez les patients plus jeunes avec concentration sérique en ferritine basse et transaminases normales, le risque que l hémochromatose ait entraîné l apparition d une cirrhose est faible et ne justifie pas la réalisation d une biopsie hépatique (2). La biopsie hépatique étant un geste invasif, d autres alternatives d évaluation de la fibrose hépatique sont en cours de validation dans cette indication. Une méthode dès à présent disponible en routine est l utilisation du Fibrotest, test biologique non invasif d évaluation de la fibrose. Dans d autres indications (hépatite C), cette technique a montré une bonne corrélation avec la biopsie hépatique dans la distinction entre les patients cirrhotiques et non cirrhotiques (3). Ce Fibrotest ne nécessite que le dosage de la bilirubine totale, des gamma-gt, de l haptoglobine, de l alpha2-macroglobuline A1 et B, dans un laboratoire agréé pour réaliser le test. Ces paramètres biologiques sont alors intégrés dans une formule permettant le calcul de l évaluation de la fibrose. Une autre technique qui sera amenée à se développer dans les prochaines années (mais qui n est pour l instant disponible en Belgique que de façon marginale) est le Fibroscan, appareil utilisant les ultrasons pour grader l importance de la fibrose en fonction de la propagation des ultrasons à travers le foie (paramètre dépendant de la «dureté» du foie et donc de son degré de fibrose) (4). Les patients présentant une cirrhose doivent être suivis deux fois par an, à vie, par échographie hépatique et dosage de l alphafoetoprotéine de façon à pouvoir dépister précocement l apparition d un hépatocarcinome de petite taille. La troisième démarche est d effectuer un dépistage familial d hémochromatose. Ce dépistage s effectue d emblée par le test génétique dans la fratrie et chez les enfants du probant. Les deux mutations, C282Y et H63D sont recherchées. Les plus à risques sont les frères et sœurs du patient. Comme l hémochromatose est une maladie autosomique récessive, ceux-ci ont en effet un risque sur quatre d être porteurs de la mutation C282Y de façon homozygote. On réalise également un dépistage chez les enfants du patient ou de façon plus économe, si le probant à plusieurs enfants, chez le conjoint. Le portage hétérozygote de la mutation C282Y ou H63D étant très fréquent dans nos contrées, la probabilité, en effet, qu un patient hémochromatosique se marie avec une personne porteuse hétérozygote de la mutation C282Y ou porteuse hétéro ou homozygote de la mutation H63D atteint 35% (5). Si une mutation C282Y homozygote ou une mutation composite C282Y-H63D est découverte chez un membre de la famille, la ferritinémie et le coefficient de saturation de la transferrine sont recherchés et des saignées pratiquées en cas d élévation de ces paramètres. Les parents du probant, par définition plus âgés, peuvent bénéficier d un screening de première intention par détermination du coefficient de saturation de la transferrine et de la ferritine. Il est tentant de penser qu un screening large au niveau de la population pourrait amener la découverte de nombreux cas au stade asymptomatique. Les arguments en faveur de la recherche systématique d une surcharge en fer sont la prévalence élevée de l hémochromatose, la gravité potentielle de cette maladie, la possibilité d un traitement efficace, peu coûteux, et facilement accessible (les saignées), et la relative facilité du dépistage. Le test le moins cher et le plus approprié pour ce screening serait le coefficient de saturation de la transferrine, avec TABLEAU 1. ETIOLOGIES DES HYPERFERRITINÉMIES NON HÉMOCHROMATOSIQUES Causes génétiques Hémochromatose juvénile Mutation au niveau du gène de l hepcidine Mutation au niveau de la ferroportine Mutation au niveau du récepteur à la transferrine de type 2 Acéruloplasminémie Surcharges en fer chez les Africains Syndrome d hyperferritinémie-cataracte Causes acquises Affections hépatiques Stéato-hépatite non alcoolique Hépatopathie alcoolique Hépatite C Hépatite B Cirrhose terminale Porphyrie cutanée tardive Shunt porto-cave Autres affections Affections inflammatoires chroniques Maladie de Still Néoplasie histiocytaire Affections hématologiques Thalassémie Sphérocytose héréditaire Anémie hémolytique chronique Surcharge en fer post-transfusionnelle Adapté de Adams P (8) 331

J. DELWAIDE ET COLL. réalisation d examen complémentaire si ce coefficient était supérieur à 45%. La saturation de la transferrine est en effet le marqueur biologique le plus précoce de l hémochromatose et peut être élevée chez les patients jeunes avant l élévation de la ferritinémie. Jusqu à présent néanmoins, ce type de screening large n est encore recommandé ni aux Etats-Unis (6), ni en Europe (7). En effet, la pénétrance de la maladie est très variable et jusqu à 30% des individus homozygotes C282Y n expriment pas la maladie et n ont qu une élévation modérée de leur stock en fer. HYPERFERRITINÉMIE NON HÉMOCHROMATOSIQUE Les causes d hyperferritinémie non hémochromatosique sont multiples (Tableau 1). Le diagnostic différentiel est néanmoins aisément réalisable par le clinicien sur base de la résolution de quelques questions simples. L HYPERFERRITINÉMIE EST-ELLE TRÈS ÉLEVÉE? Une hyperferritinémie supérieure à 50.000 ng/ml sera suggestive d une néoplasie. EXISTE-T-IL UN SYNDROME INFLAMMATOIRE? L inflammation chronique peut entraîner une élévation de la ferritine. Dans cette situation, le coefficient de saturation de la transferrine est généralement abaissé plutôt qu élevé. Une vitesse de sédimentation ou une CRP élevées sont, bien entendu, des éléments suggestifs de cette étiologie. LE PATIENT EST-IL ANÉMIQUE? La présence d une anémie en association avec une hyperferritinémie est suggestive d une anémie hémolytique. L anémie est souvent marquée dans cette situation (inférieure à 10 gr%). La présence d une élévation du nombre de réticulocytes, d une hyperbilirubinémie non conjuguée, d une augmentation des LDH, d une haptoglobine basse, d une augmentation de l hémoglobine plasmatique sont des arguments renforçant le diagnostic d anémie hémolytique. Une électrophorèse de l hémoglobine, puis des investigations hématologiques plus spécifiques sont alors requises. LE PATIENT PRÉSENTE-T-IL UNE AFFECTION HÉPATIQUE ÉVIDENTE? Une recherche d hépatite C, d hépatite B, et un interrogatoire concernant la consommation d alcool sont nécessaires. Ces affections s accompagnent, en effet, fréquemment d une hyperferritinémie. Les stigmates biologiques de l éthylisme (macrocytose, élévaton de TGO supérieure à celle des TGP, oxygénation des IGA, hypertrigycéridémie) peuvent orienter vers une consommation exagérée d alcool non avouée. LE PATIENT PRÉSENTE-T-IL UN SYNDROME DYSMÉTABOLIQUE? Lorsque les causes ci-dessus sont exclues, il faut évoquer une hyperferritinémie sur surcharge graisseuse du foie, qui constitue une des étiologies d hyperferritinémie les plus fréquemment rencontrées dans nos régions. Il est estimé qu environ 50% des patients présentant une stéatose non alcoolique ont une ferritine supérieure à la normale. Dans une minorité seulement de ces cas, l hyperferritinémie s accompagne d une surcharge en fer.le diagnostic est basé sur un faisceau d arguments cliniques : l exclusion des autres causes, l évocation de la présence d une stéatose à l échographie, d un excès de poids, d un périmètre ombilical élevé ou d un rapport taille/hanche élevé, d un diabète ou d une résistance à l insuline, d une hypertension artérielle, d une anomalie du profil lipidique. Ces quelques questions simples permettent la résolution du problème diagnostique dans la majorité des cas. D autres situations nettement plus rares sont également de diagnostic assez aisé : le rare syndrome d hyperferritinémie associée à une cataracte congénitale, qui n entraîne pas de surcharge en fer; le très rare syndrome d absence de production de la céruloplasmine; la maladie de Still (9); la porphyrie cutanée tardive. Il est important d insister sur le fait que, chez les patients hyperferritinémiques avec coefficient de saturation de la transferrine élevé, les différentes pathologies du Tableau 1 ne doivent être évoquées qu après exclusion de l hémochromatose par explorations génétiques. La prévalence élevée de cette maladie rend en effet tout à fait possible l association chez le même patient d une hémochromatose avec une infection par le virus C, un alcoolisme (10), un dyndrome dysmétabolique. Pour les patients présentant une néoplasie histiocytaire, un syndrome inflammatoire, une anémie hémolytique, un éthylisme, les saignées ne sont pas d application. Pour les patients présentant une hépatopathie virale ou un syndrome dysmétabolique, il existe une controverse dans la littérature entre les partisans de la réalisation de quelques saignées pour normaliser la ferritine («le fer peut être toxique») et les partisans d une 332

HYPERFERRITINÉMIE attitude rassurante («l hyperferritinémie») n est que le reflet de l inflammation hépatique. Si le coefficient de saturation de la transferrine est normal, il n y a certainement pas d indication de pratiquer des saignées. Si le coefficient est élevé, la biopsie hépatique, la RMN peuvent aider à déterminer l importance de la surcharge en fer. Au Centre Hospitalier Universitaire de Liège, en cas de suspicion de surcharge en fer, nous avons tendance dans ces situations à proposer quelques saignées (le nombre de saignées à réaliser pour obtenir une normalisation de la ferritine est généralement faible; par ailleurs, cette stratégie permet de mieux repérer les patients éventuellement porteurs d une mutation inconnue ou rare, responsable d une surcharge en fer importante (cfr ci-dessous). Une question plus épineuse, en effet, est la possibilité d une surcharge en fer déterminée génétiquement, mais en relation avec une mutation non liée au gène HFE. Les protéines impliquées dans le métabolisme du fer étant nombreuses, des surcharges en fer peuvent être mises en relation avec d autres mutations. En pratique néanmoins, les patients présentant ces autres mutations sont rarement rencontrés et la plupart des mutations déjà identifiées ne peuvent actuellement être recherchées en routine. L important est de savoir repérer ces quelques patients de façon à les adresser à un centre spécialisé pour analyses plus spécifiques. Le point d appel essentiel sur le plan clinique est la mise en évidence d une surcharge en fer importante malgré l absence de mutation C282Y homozygote. La biopsie hépatique est importante dans la mise au point, avec calcul de l index hépatique en fer (concentration intra-hépatique en fer exprimée en µmol par gramme de foie sec, divisé par l âge du patient). Dans les surcharges en fer significatives, le score est supérieur à 1.9, alors que chez l individu normal, il est inférieur à 1. Lorsque la surcharge en fer ainsi définie touche un adulte, une mutation au niveau du gène du récepteur à la transferrine de type 2 (rtf2) doit être envisagée. Quelques rares cas de surcharges en fer fort semblables à l hémochromatose classique sont en effet liés non pas à l habituelle mutation C282Y, mais à une mutation au niveau de ce gène. Seules, néanmoins, quelques familles ont été décrites jusqu à présent dans le monde. Lorsqu une surcharge en fer importante est découverte avant 30 ans, avec cirrhose, atteinte cardiaque, hypogonadisme et atteinte endocrine, la possibilité d une hémochromatose juvénile doit être évoquée. Cette forme précoce d hémochromatose est liée à une mutation au niveau du gène de l hémojuvéline, ou plus rarement du gène de l hepcidine (ces deux mutations peuvent être recherchées en semiroutine). Enfin, des formes associant les mutations C282Y, rtf2, hémojuvéline et hepcidine, ont été décrites entraînant des formes sévères et précoces d hémochromatose. Dans ces situations, l attention est donc attirée par des surcharges en fer importantes, non expliquées par la mutation C282Y, dans un contexte parfois d atteinte familiale. Il faut enfin citer un syndrome associant hyperferritinémie familiale avec pattern autosomique dominant, coefficient de la transferrine normale et anémie. Ceci doit faire penser à la possibilité d une mutation au niveau du gène de la ferroportine. Cette mutation étant fréquente, il est probable qu une meilleure connaissance de ce syndrome amènera à poser ce diagnostic plus fréquemment et à adresser ce type de patient vers un centre spécialisé pour études plus spécifiques. RÉFÉRENCES 1. Pietrangelo A. Hereditary hemochromatosis : A new look at an old disease. N Engl J Med, 2004, 350, 2383-2397. 2. Guyader D, Jacquelinet C, Moirand R et al. Non invasive prediction of fibrosis in C282Y homozygous hemochromatosis. Gastroenterology, 1998, 11, 929-936. 3. Imbert-Bismut F, Ratziu V, Pieroni L, et al. 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