Rayonnement 1 Ondes électromagnétiques et photons L objet de ce chapitre est d appliquer les méthodes de la physique statistique à l étude du rayonnement thermique. On sait que l on peut associer une énergie au champ électromagnétique. On sait par ailleurs que le champ électromagnétique est en interaction avec la matière environnante de par les processus d émission et d absorption. Nous allons considérer une situation d équilibre thermodynamique. Nous choisirons comme système le champ électromagnétique. Il est alors possible de considérer que la matière environnante joue le rôle d un thermostat, ce qui permet d utiliser l ensemble canonique. On peut alors appliquer les méthodes de la physique statistique pour calculer les propriétés thermodynamiques du rayonnement. Pour cela, il nous faut tout d abord définir ce que sont les états du système, leur énergie. On peut alors associer à chaque état du système une probabilité canonique et en déduire la fonction de partition du système. On connaît alors l énergie libre et donc toutes les propriétés du système. Dans la deuxième partie de ce cours, nous introduisons les coefficients d Einstein qui permettent de décrire les processus élémentaires d absorption et d émission de la lumière. 1.1 Modes propres électromagnétiques Soit une enceinte cubique d arête L. Dans une telle enceinte, le champ électromagnétique est donné par les équations de Maxwell. On en tire l équation de propagation satisfaite par exemple par le champ électrique : 2 E 1 c 2 2 E t 2 = 0 (.1) Cette équation est linéaire. Une solution générale est une superposition linéaire de solutions monochromatiques vérifiant les conditions aux limites. Dans le vide, la solution générale est l onde plane de la forme E exp[i(k.r ωt)]. Caractérisation des modes propres. Conditions aux limites périodiques Le problème que nous devons traiter avant de procéder à l analyse thermodynamique du rayonnement est la détermination de la densité d états. Les états que nous considérons
1 Ondes électromagnétiques et photons 2 sont des ondes. Le problème est donc analogue au problème du calcul du nombre d états de translation pour une particule dans un puits de potentiel. On a vu que deux types de conditions aux limites peuvent être utilisées et onduisent au même résultat pour la densité d états : les conditions aux limites périodiques pur des ondes planes ou bien les conditions d annulation de la fonction d onde sur les parois d une enceinte. Nous prendrons dans ce cours des conditions aux limites périodiques et comme fonctions élémentaires des ondes planes progressives de la forme exp[i(k.r ωt)]. L équation de propagation dans le vide impose alors la relation de dispersion k = ω/c. Les conditions aux limites périodiques imposent que les fonctions d onde prennent les mêmes valeurs en x = 0 et x = L, en y = 0 et y = L et en z = 0 et z = L. Ainsi, 2π k x = n x L, k 2π y = n y L, k 2π z = n z L où n x, n y et n z sont des entiers quelconques. On peut donc associer chaque état k à une maille cubique de volume (2π/L) 3. La donnée d un vecteur k ne caractérise pas complètement une onde électromagnétique. Les équations de Maxwell imposent juste que les champs électrique et magnétique soient orthogonaux entre eux et orthogonaux à k. Il existe donc deux états de polarisation indépendants l un de l autre. Ainsi un mode propre est-il défini par un vecteur d onde k et un état de polarisation. L intérêt de cette approche est de permettre de réaliser un dénombrement des modes. Densité spectrale de modes propres Calculons le nombre de modes dont la pulsation est comprise entre ω et ω + dω. Les vecteurs d onde concernés sont ceux qui pointent dans un volume élémentaire 4πk 2 dk avec dk = dω/c. Ces vecteurs d ondes sont quantifiés. Si le nombre de modes compris dans ce volume élémentaire est important (ce qui est vérifié pour des systèmes macroscopiques), on obtient le nombre de modes en divisant le volume élémentaire par le volume d une maille au sommet de laquelle pointent les vecteurs d ondes propres de la cavité et en multipliant par 2 pour prendre en compte les deux états de polarisation indépendants. Ainsi la densité spectrale de modes ρ(ω) s écrit-elle ( ) 3 L ρ(ω)dω = 2 4πk 2 dk = V dω (.2) 2π π 2 c 3ω2 1.2 Quantification des modes propres Énergie d un photon En physique classique, l énergie de chaque mode propre pourrait a priori prendre n importe quelle valeur entre 0 et +. Cependant, à partir d une analyse de l effet photoélectrique, Einstein a montré que l énergie d un champ électromagnétique est quantifiée. Il a associé à une onde électromagnétique des particules (nommées photons 21 ans plus tard par Lewis) dont l énergie ǫ est reliée à la pulsation ω de l onde par ǫ = ω (.3)
2 Rayonnement thermique à l équilibre 3 A partir de l effet photoélectrique on sait réaliser des détecteurs capables de détecter des photons uniques. La quantification de l énergie du champ électromagnétique est un fait expérimental bien établi. La description théorique de ce phénomène est très voisine de ce que nous avons fait dans le chapitre sur l oscillateur harmonique. 1 Elle conduit à deux résultats importants : 1) l énergie est la somme des énergies des modes, 2) l énergie possible pour chaque mode de vecteur d onde k 2 est de la forme : E k = (n k + 1 2 ) ω k. (.5) Le nombre n k est le nombre de photons. L énergie totale du rayonnement s en déduit simplement : E = k (n k + 1 2 ) ω k (.6) Comme pour l oscillateur harmonique, on constate que le système ne peut pas avoir d énergie nulle. L énergie minimale de chaque mode est ω/2. De même que l on ne peut pas avoir simultanément x = 0 et p x = 0, les champs électriques et magnétiques ne peuvent pas être nuls simultanément. Il y a donc des fluctuations du champ électromagnétique d origine quantique auxqelles correspond l énergie ω/2. On montre aussi que les photons sont des bosons de spin 1, qu ils peuvent avoir deux états de polarisation. Un état caractérisé par un vecteur d onde k et une fréquence ω k=c k a une dégénerescence 2 correspondant aux deux états de polarisation circulaire droite et gauche. On montre enfin que les photons ont une quantité de mouvement qui est reliée au vecteur d onde de l onde associée p = k. Densité d états individuels dans un gaz de photons À une densité spectrale de modes propres, on associe une densité d états en énergie en effectuant simplement le changement de variable ǫ = ω. ρ(ǫ)dǫ = V π 2 3 c 3ǫ2 dǫ (.7) 2 Rayonnement thermique à l équilibre Nous allons maintenant détailler les propriétés du rayonnement en équilibre avec un thermostat c est-à-dire du rayonnement de corps noir. 1 On part de la densité d énergie du champ électromagnétique classique dans le vide qui est donnée par : u = ǫ 0 E 2 2 + B2 2µ 0. (.4) On introduit ensuite une décomposition du champ électromagnétique en ondes planes et l on aboutit à une forme de l énergie qui est la somme des énergies des ondes planes. Le point clé est que l énergie associée à chaque mode on onde plane à la même structure que la forme de l énergie d un oscillateur harmonique. On peut donc appliquer la procédure de quantification mise en oeuvre pour l oscillateur harmonique. 2 Dans le vide, un mode du champ électromagnétique est une onde plane.
2 Rayonnement thermique à l équilibre 4 2.1 Loi de Planck Calcul de la densité d énergie Il est possible de calculer l énergie moyenne du rayonnement en utilisant le formalisme de la physique statistique. Ceci permet de retrouver la loi de Planck. Nous supposons que le système est à l équilibre thermodynamique à la température T. Le rayonnement se met à l équilibre avec la matière par les processus d émission et d absorption de photons. La matière environnante jouant le rôle d un thermostat à la température T, on peut utiliser l ensemble canonique. Nous avons vu que l énergie est la somme des énergies des modes. Nous allons donc tout d abord calculerl énergie moyenne d un mode. Nous en déduirons ensuite l énergie du système en ajoutant les contributions de tous les modes. L énergie moyenne d un mode est donnée par l expression : E k = n k E nk exp( βe nk ). (.8) Dans cette expression, l indice n désigne le nombre de photons dans un mode particulier de vecteur d onde k, l énergie d un état du mode est donnée par E nk = (n k + 1 2 ) ω k. L énergie se déduit de la fonction de partition par la relation : avec E k = ln Z β Z = n k exp[ β(n k + 1 2 ) ω k] = exp( β ω k/2) 1 exp( β ω k ) On en déduit l énergie moyenne d un mode du rayonnement à l équilibre thermique : (.9) (.10) 1 E k = ω k [ exp(β ω k ) 1 + 1 ]. (.11) 2 En rapprochant cette expression de l énergie d un mode dans un état particulier, on constate 1 que le nombre moyen de photons à l équilibre thermique est donné par n k = ce exp(β ω k ) 1 qui correspond à la statistique de Bose-Einstein. On trouve ici une propriété caractéristique des bosons. Afin de trouver l énergie totale du rayonnement par unité de volume, il nous reste à sommer sur tous les modes. Pour cela, on utilise la densité d états qui fournit le nombre de modes par unité de volume de pulsation comprise entre ω et ω +dω. Le terme ω/2 correspondant à l énergie des fluctuations donne une contribution indépendante de la température que nous n étudierons pas dans ce cours 3. Le second terme conduit à une densité d énergie électromagnétique de la forme : u(ω, T) = π 2 c 3 ω 3 e β ω 1 (.12) 3 On peut remarquer que l intégrale ne converge pas. Ceci peut conduire à des doutes sur la pertinence physique de cette quantité. En réalité, les fluctuations du vide jouent un rôle majeur dans de nombreux phénomènes tels que l émission spontanée ou la force de Casimir
2 Rayonnement thermique à l équilibre 5 qui constitue la loi de Planck pour le rayonnement de corps noir. Cette relation n est valable que lorsque le rayonnement est en équilibre avec un thermostat. Notons que l on peut analyser ce résultat de la façon suivante : lénergie est le produit de trois termes : 1) l énergie d un photon ω 2) la densité d états à la pulsation ω : ω 2 π 2 c 3 3)le nombre moyen de photons n k dans un état de pulsation ω : 1 exp(β ω k ) 1 Répartition spectrale La densité spectrale croît comme ω 2 aux basses fréquences et décroît exponentiellement aux hautes fréquences. Elle passe par un maximum pour une pulsation ω m = 2, 821kT/. Cette dernière relation consitue la loi du maximum de Wien. Elle montre que la courbe de corps noir a son maximum qui se déplace vers les fréquences élevées lorsque la température augmente. De plus, à une fréquence donnée la densité spectrale augmente lorsque la température augmente. Ainsi les courbes de densité spectrale correspondant à différentes températures ne se coupent jamais. À basse fréquence, la densité spectrale s écrit, puisque eβ ω 1 β ω. u(ω, T) = kt π 2 c 3ω2 ce qui constitue l approximation de Rayleigh-Jeans. Ce résultat constitue la prévision que l on obtient en théorie ondulatoire classique. Dans cette théorie, chaque mode propre de la cavité est assimilable à un oscillateur harmonique. Or le théorème d équipartition de l énergie nous dit que l énergie moyenne d un tel oscillateur est kt. La densité d énergie est donc l énergie kt multipliée par la densité spectrale de modes et divisée par le volume de la cavité ce qui redonne bien le résultat de Rayleigh-Jeans. Cette loi a constitué avant la découverte de la quantification par Planck la seule prédiction théorique pour la densité spectrale d énergie. Elle donne un résultat correct lorsque la quantification est inappréciable, c est-à-dire lorsque ω kt. A partir d arguments thermodynamiques et en faisant l hypothèse d un échange d énergie quantifié, Planck a établi pour la première fois théoriquement la loi décrivant le spectre du corps noir. 2.2 Propriétés du rayonnement thermique Loi de Stefan-Boltzmann On obtient l énergie totale à partir de la densité spectrale d énergie. E(T, V ) = V + 0 u(ω, T)dω Pour calculer cette intégrale, on pose x = ω/kt et on utilise le fait que 0 x 3 dx/(e x 1) = π 4 /15. On trouve finalement la loi de Stefan-Boltzmann : k 4 E(T, V ) = π2 15 3 c 3V T 4
2 Rayonnement thermique à l équilibre 6 on trouve donc que la densité d énergie électromagnétique E/V en équilibre avec un thermostat varie comme la puissance quatrième de la température. Energie libre et Entropie L expression de l énergie libre pour un ensemble canonique est F = kt ln Z. Il suffit donc de calculer la fonctin de partition qui est par définition : Z = r exp( βe r ) (.13) Un état caractérisant le rayonnement thermique est bien défini lorsque l on connaît le nombre de photons n k dans chaque mode. L indice r repérant les états du système représente donc ici l ensemble {n k }. La fonction de partition s écrit ainsi : Z = exp[ β(n k + 1/2) ω k ] {nk} k = exp[ β(n k + 1/2) ω k ] k = k {n k } exp( β ω k /2) 1 exp( β ω k ) (.14) L énergie libre est donc donnée par : F = k [ ω k /2 + kt ln[1 exp( β ω k )] (.15) La somme sur les états peut être remplacée par une intégrale à l aide de la densité d états : F = V dωρ(ω)[ ω/2 + kt ln[1 exp( β ω)] (.16) En ignorant la contribution de l énergie des fluctuations du champ (le terme ω/2)et en intégrant par parties, on trouve F = E(T, V )/3. On peut en déduire les propriétés thermodynamiques du rayonnement. On peut ainsi obtenir par exemple la pression de radiation : P = ( F/ V ) T = E/3V. On peut aussi en déduire l entropie S = (E F)/T = 4E/3T. Spectre de Planck Points clés