Pour repenser son organisation au sortir d'un plan de départs volontaires, l'industriel SEPR a "osé" solliciter la participation de ses salariés. Avec succès. Réflexions de Pierre Casadei, Directeur des Ressources Humaines de l'entreprise, qui n'hésite pas à sortir des sentiers battus. SEPR - Pierre Casadéi Lean Oser le participatif pour repenser l organisation UN INDUSTRIEL EN PRISE AVEC LA MONDIALISATION SEPR est un industriel historique, au premier rang des acteurs mondiaux des céramiques électro-fondues, affrontant une forte concurrence apparue hors Europe. Notre usine du Pontet, qui a exporté jusqu'à 80 % de sa production, affronte de hauts challenges afin de pouvoir travailler vers les pays émergents où sont installés les grands fabricants de verre, principalement en Chine. Évidemment, les conséquences sur nos effectifs n'ont pas été neutres, passés de plus de 1 500 à 700 personnes aujourd'hui. Conséquence plus structurante encore : un déséquilibre du ratio frais fixes / frais variables qui ne pouvait perdurer tant cela dégradait notre compétitivité. UNE NOUVELLE ÉTAPE DE RÉORGANISATION Pour trouver une dynamique nouvelle, il nous a fallu d'abord restructurer l'entreprise à travers un plan de départs volontaires qui visait à réduire nos effectifs d'environ 100 unités, surtout dans les services support qui devaient passer de 350 à 250 personnes. Ce rude plan d adaptation a été mené à bien sous la forme d un plan de départs volontaires, avec l'accompagnement adéquat. Mais il ne suffisait pas de redimensionner nos ressources, il était stratégique de revoir l'organisation de l'entreprise dans son nouveau périmètre. Nous avons donc choisi de lancer une nouvelle étape de réorganisation de grande envergure, à un moment 34 N 22 - La Revue
LE MONDE CHANGE expériences LES RDV DU MANAGEMENT processus, chargés d'"extraire" de leur connaissance métier des actions de changement. Ont ainsi été lancées 800 actions d'amélioration, sur une vingtaine de chantiers différents, appuyées sur du management visuel. VIA LE LEAN difficile de la vie de l'entreprise mais où tous ses salariés semblaient à maturité pour entendre qu'il ne suffirait plus de "gratter" des économies ici ou là. UNE DÉMARCHE PARTICIPATIVE "La solution est dans vos têtes, on mettra en place ce que vous aurez créé". Voilà le message que nous avons fait passer aux équipes. En effet, au lieu d'imposer des solutions, nous avons affirmé notre volonté d'écouter, persuadés qu'il serait plus efficace et plus mobilisateur que les gens concernés identifient eux-mêmes où et comment " les salariés peuvent efficacement identifier où et comment réorganiser le travail " réorganiser le travail En moins de neuf mois, nous avons mis en place cette démarche p a r t i c i p a t i v e, focalisée sur les tâches à valeur ajoutée. Étaient concernés tous les processus supports, de la ligne de commandement à la ligne technique. Nous avons mis en place des groupes de travail multidisciplinaires clients/ fournisseurs internes, dans chaque Pour lancer la dynamique, nous avons favorisé la réalisation de "percées Lean" : trois jours pour atteindre un objectif défini. Les victoires rapides n'ont représenté que 20 % du total des actions mais elles ont montré à tous l'efficacité de la démarche. Bien sûr il y a aussi des actions plus structurantes, à mener sur un temps plus long, un mois ou deux, voire plusieurs années Mais les percées ont démontré que nous étions vraiment en train de bouger, que nous ne vivions pas une démarche sur papier glacé. Par ces actions rapides, tout le monde touche du doigt les enjeux et comprend la méthode, même si c'est parfois pour se rebiffer à cause de la potentielle charge de travail supplémentaire : c'est l'occasion pour la direction d'expliquer, d'affirmer son implication et de tenir la barre, de ne rien lâcher face à la tentation d'abandonner ce qui dérange. La force de cette démarche participative qui se vit sur le terrain et implique sans échappatoire tout le monde, de la direction aux opérateurs, est de mobiliser vraiment : au moins 80 % des personnes concernées, plus de 150 au total, auront été au final impliquées. N 22 - La Revue " des victoires rapides qui montrent à tous l'efficacité de la démarche " 35
L'ATTENTION AUX PERSONNES Tout au long de cette démarche, l'attention aux gens a été la priorité. C'était la logique même de la participation, et nous voulions en plus que la charge de travail résultant de la nouvelle organisation soit acceptable par tous, qu'elle ne génère aucun risque psychosocial. Nous avons par exemple mis en place un indicateur de satisfaction, une sorte de "baromètre social", et nous avons lancé avec le CHSCT et l organisme CATEIS, une enquête sur les facteurs de risques psychosociaux pouvant exister dans l'entreprise. De fait, l'ambiance globale de cette démarche a été positive, dans un univers où on sait pourtant que les représentants du personnel sont très actifs, et nous n'avons rien à déplorer du point de vue des conditions de travail vécues par les personnels. UN PILOTAGE DE TERRAIN, UN CHANGEMENT CULTUREL Pilote de la démarche, le Responsable Qualité était appuyé d'un comité de pilotage (Directeur d'établissement, Directeur de Production, DRH). Tous les 15 jours, ce comité de pilotage assistait à des réunions de suivi des chantiers sur les lieux mêmes où se déroulaient les actions d'amélioration. La direction était physiquement présente pour faire le tour des tableaux d'affichage où les groupes concernés présentaient leurs travaux, leurs avancées, leurs problèmes Ce "pilotage itinérant", cette présentation par les groupes de leur travail en face à face avec la direction était une façon de faire complètement nouvelle chez SEPR. Et j'ai le sentiment que cela a contribué 36 N 22 - La Revue au succès de la démarche. Malgré une réticence de l'encadrement au début, qui pouvait craindre une perte de pouvoir mais qui a vite compris qu'il y gagnait en leviers de management, c'est un changement culturel important qui s'est amorcé, impactant tous les niveaux de l'entreprise. UNE RÉUSSITE, À COUP SÛR! La réussite de cette démarche est avérée, alors même que nous ne mesurons pas encore les effets d'amélioration des actions structurantes. Et cela, nous le savons de façon tout à fait pragmatique : le niveau de service au client a été largement préservé (qualité, délais ), avec un prix de revient amélioré par la chute des coûts fixes. Et cela sans création de risques psychosociaux et sans mouvements sociaux, sur un sujet pourtant très impactant pour les organisations et les hommes. Soyons très clairs, nous n'avons pas le sentiment d'avoir mis l'entreprise en danger : quel risque y-a-t-il à proposer aux gens de discuter de leurs façons de travailler? Il suffit de leur faire confiance. De bonne foi, nous sommes tous à la recherche d'une situation professionnelle stable, nous cherchons tous à construire un cadre de travail satisfaisant et nous diffusons d'ailleurs en général une vision positive de notre travail vers notre entourage Quand on donne la parole aux salariés d'une entreprise, il faut être très clair au départ : " il faut faire confiance aux gens, de façon claire et transparente : la majorité joue le jeu "
LE MONDE CHANGE expériences LES RDV DU MANAGEMENT sur le pourquoi de la démarche et sur les limites, ce qui sera réalisé ou pas Il faut ensuite être transparent sur ce qui est fait ou pas, et la très grande majorité des collaborateurs joue le jeu. Nous sommes très satisfaits d'avoir mené cette démarche participative, et même peut-être aurions-nous eu avantage à la lancer plus tôt, pour dimensionner l'équation économique de notre plan d adaptation, ce qui aurait sans doute assis un peu plus solidement notre projet. Ne pourrions-nous pas élargir la réflexion et installer une logique préventive, dans le dialogue, pour mieux gérer la pyramide des âges et l'adaptation des compétences. Notre expérience et bien d'autres le démontrent, il faut croire à la négociation et au dialogue. Certes sans angélisme, certes sans "donner les clés de l'usine", certes sans que les dirigeants ne renoncent à leurs responsabilités, on peut mettre en place de nouvelles façons de "gérer une entreprise " DE NOUVEAUX MODÈLES POUR L'INDUSTRIE EUROPÉENNE? La réussite de cette démarche à la SEPR ne tient pas uniquement à la qualité exceptionnelle de nos équipes ou à la personnalité de nos dirigeants. On peut y voir au contraire un signe des temps, et y chercher de pistes de réflexion : dans la mondialisation, l'industrie européenne ne peut pas se contenter de trembler d'effroi face à ses concurrents. Tout le monde, salariés, managers et dirigeants, a pris conscience que le combat sera rude et que, contre tout passéisme, il faut trouver de nouvelles façons d'aller N 22 - La Revue 37
"chercher le marché", avec les armes dont nous disposons. En Europe, en France, nous sommes plus chers, nous ne " dans la mondialisation, l'industrie européenne doit trouver de nouvelles façons d'aller "chercher le sommes pas toujours les plus productifs, mais nous avons en revanche des savoirfaire, un niveau de formation et une vraie qualité de relation clients. Ce sont là des atouts, loin d'être négligeables. Si nous savons nous ouvrir sur des innovations sociales et organisationnelles et pourquoi pas questionner les fameux avantages acquis -, si nous imaginons des modes de motivation qui sortent du seul revenu pour parier sur l'envie de gagner ensemble, si nos managers reçoivent les moyens d'amener leurs équipes à tirer le meilleur d'elles-mêmes, alors nous aurons quelque chance de construire de nouvelles cohérences pour notre industrie et imaginer de contrer nos concurrents qui ont comme seul atout le low-cost social. marché", avec ses armes " Un leader mondial des fours verriers SEPR (Société Européenne des Produits Réfractaires) est un leader mondial des céramiques électro-fondues servant à fabriquer des blocs réfractaires (pour les fours à verre) et des billes, grains et poudres céramiques pour diverses applications, principalement de traitement de surface et micro-broyage à base de sable zircon. Créée en 1929 au Pontet (84), la SEPR est la principale composante du département électro-fondus de la division matériaux innovants du groupe Saint- Gobain. 38 N 22 - La Revue