Les thromboses veineuses cérébrales (TVC) sont une cause rare d accidents

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Urgences vasculaires Sang Thrombose Vaisseaux 2005 ; 17, n 7 : 343-8 Thrombose veineuse cérébrale Isabelle Crassard, Marie-Germaine Bousser Service de Neurologie, Hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise Paré, 75010 Paris Copyright 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 37.44.207.170 le 31/12/2016. Correspondance et tirés à part : I. Crassard Les thromboses veineuses cérébrales (TVC) sont une cause rare d accidents vasculaires cérébraux. Elles constituent une véritable urgence neurologique en raison de l imprévisibilité de l évolution et de la possibilité de formes cliniques graves. Le pronostic reste cependant bien meilleur que celui des infarctus artériels. Le diagnostic doit être rapidement confirmé afin de débuter le traitement qui reste actuellement basé sur l héparine. Épidémiologie et physiopathologie L incidence réelle des TVC demeure mal connue ; on estime actuellement qu elles représentent 0,5 % de la totalité des accidents vasculaires cérébraux. Elles surviennent à tout âge avec une légère prédominance chez les femmes jeunes à cause de facteurs spécifiques comme les contraceptifs oraux, la grossesse et l accouchement [1]. La thrombose peut atteindre n importe quel sinus ou veine du système veineux cérébral avec cependant par ordre de fréquence décroissante les sinus latéraux, le sinus sagittal supérieur, le sinus droit et le sinus caverneux. Le plus souvent, plusieurs sinus et/ou veines sont atteints en même temps. Ceci, ajouté au fait que le nombre et le territoire des veines corticales sont variables, explique qu il n y ait pas de syndrome anatomo-clinique bien défini comme dans les infarctus artériels [1]. Les lésions cérébrales des TVC sont variables. Leur type et leur nombre sont fonctions du siège de la thrombose, notamment de l atteinte des veines cérébrales et des possibilités de suppléance anastomotiques. Un œdème cérébral peut être la conséquence unique de l occlusion d un sinus alors que l occlusion d une veine cérébrale conduit habituellement à la constitution d un infarctus veineux. Celui-ci comporte un œdème plus important et une composante hémorragique plus fréquente que l infarctus d origine artérielle, pouvant aller en cas d occlusion veineuse jusqu à la présence d un véritable hématome. Cette composante hémorragique explique la possibilité de survenue d hémorragie sous-arachnoïdienne et même d hématome sous-dural. Le caractère très œdémateux rend compte de la possibilité de régression de ces infarctus veineux. De multiples étiologies et facteurs favorisants ont été impliqués dans les TVC. Ce sont schématiquement toutes les causes de thrombose veineuse périphérique auxquelles viennent s ajouter les causes locales (traumatisme crânien, infection de voisinage, tumeur cérébrale). Certaines causes sont en elles-mêmes une urgence thérapeutique, comme par exemple les infections (mastoïdite, méningite) et nécessitent tout autant que la TVC un diagnostic et un traitement adaptés 343

rapides. Il est fréquent que plusieurs causes ou facteurs favorisants soient associés ce qui implique la nécessité d un bilan étiologique complet systématique même en cas d étiologie apparemment évidente [2]. Copyright 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 37.44.207.170 le 31/12/2016. Diagnostic Les manifestations cliniques au cours des TVC ne sont pas spécifiques (tableau 1) ; le diagnostic doit donc être très souvent évoqué. Le symptôme le plus fréquent est la céphalée (85 %) qui peut être de tout type, suivie ensuite par les déficits focaux (40 % ; déficit moteur, et/ou sensitif, troubles du langage) et les crises comitiales (40 %, partielles ou généralisées). Les troubles de la conscience sont constatés chez environ un tiers des patients. Une autre particularité des TVC est la grande variabilité d installation des symptômes à la différence des accidents ischémiques artériels : 50 % sur quelques jours (jusqu à 1 mois), 20 % de façon aiguë et 30 % sur plus d 1 mois. L absence de tableau clinique pathognomonique implique donc le recours rapide aux examens complémentaires pertinents. Le scanner cérébral est l examen de débrouillage qui permet dans un premier temps d éliminer les principaux diagnostics différentiels. Parfois, certains signes peuvent orienter vers le diagnostic de TVC [3] comme, sur le scanner sans injection, une hyperdensité spontanée de la thrombose dans le sinus ou, beaucoup plus rarement, au niveau d une veine corticale (signe de la corde) (figure 1). Sur le cliché avec injection, on peut parfois visualiser le signe du «delta» ou du «triangle vide» correspondant à la prise de contraste des parois richement vascularisées du sinus sagittal supérieur, contrastant avec la non-injection de la lumière thrombosée. Le diagnostic est le plus souvent affirmé sur l IRM. Sur les coupes parenchymateuses, la thrombose se caractérise par une modification du signal intravasculaire, variable selon l âge de la thrombose et le type de séquence pratiqué [4, 5]. Figure 1. Scanner cérébral sans injection : aspect spontanément hyperdense du sinus sagittal supérieur (signe du triangle dense) et d une veine corticale (signe de la corde). À la phase d état de la thrombose (2 e et 3 e semaines), un hypersignal à l intérieur de la lumière vasculaire remplace l hyposignal normal du flux circulant en T1 et T2 et permet d affirmer le diagnostic (figure 2). Avant le 5 e jour, l IRM peut être faussement négative en raison d un isosignal en T1 et d un hyposignal en T2. Au-delà de la 3 e semaine, l hypersignal peut disparaître en T1 mais peut persister en T2, sauf en cas de reperméabilisation traduite par la réapparition d un isosignal. Les lésions parenchymateuses, que ce soit sur le scanner ou l IRM, sont variées et non spécifiques Tableau 1. Présentation clinique des thromboses veineuses cérébrales (série des auteurs : 310 patients) Principaux symptômes et signes Quatre principaux tableaux cliniques Manifestations atypiques Céphalées 85 % Œdème papillaire 47 % Déficit focal 42 % Crises convulsives généralisées et/ou partielles 41 % Troubles de la vigilance 29 % Atteinte de nerfs crâniens Synd. cérébelleux HIC isolée Déficit focal ± crises ± troubles de la vigilance Tableau d encéphalopathie : confusion +/ altération de la vigilance +/ À part : thrombose du sinus caverneux Diagnostic clinique difficile Recours aux examens neuroradiologiques IRM/VRM Angioscanner Manifestations transitoires (AIT, crises partielles, aura d allure migraineuse) Troubles psychiatriques Céphalées isolées Post-PL 344

Copyright 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 37.44.207.170 le 31/12/2016. Figure 2. IRM, coupe sagittale en séquence pondérée T1; hypersignal (flèche) du sinus sagittal supérieur témoignant de sa thrombose ; à droite, non-visualisation du sinus thrombosé en angiorm temps veineux. allant de l œdème isolé aux lésions cérébrales plus ou moins étendues parfois hémorragiques. Certaines séquences d IRM sont en cours d évaluation dans les TVC. L IRM de diffusion, très sensible aux mouvements des molécules d eau, permet de différencier œdème cytotoxique et vasogénique. Cette séquence a ainsi montré que l infarctus veineux est fondamentalement différent de l infarctus artériel. Au cours des TVC, l IRM de diffusion peut être normale ou montre un hypersignal mais avec des valeurs d ADC diminuées, normales ou augmentées. En cas d ADC augmenté (œdème vasogénique) à la phase aiguë, les lésions tissulaires disparaissent sur l imagerie de suivi, alors qu elles persistent habituellement en cas d ADC diminué, sauf parfois en cas de crises convulsives [6]. Ces constatations en imagerie de diffusion ont un intérêt pronostique et rendent compte de la meilleure récupération des lésions parenchymateuses d origine veineuse comparée aux lésions d origine artérielle. La séquence pondérée en écho de gradient T2*, (très sensible à la présence de sang) paraît très prometteuse pour visualiser les thromboses veineuses. Le thrombus apparaît en effet comme un hyposignal très facilement identifiable, plus visible que les variations de signal observées dans les autres séquences [7] (figure 3). La sensibilité de cette séquence pourrait également permettre le diagnostic de thrombose des veines corticales qui requérait presque toujours le recours à l angiographie conventionnelle [8]. Les modifications de signal du sinus occlus peuvent parfois manquer, surtout dans les tout premiers jours ou être d inter- Figure 3. IRM Séquence écho de gradient T2*: hyposignal du sinus latéral gauche thrombosé (flèche). 345

Copyright 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 37.44.207.170 le 31/12/2016. prétation difficile. Il est alors essentiel de pratiquer un examen angiographique qu il s agisse d une veinographie par résonance magnétique (VRM), d un angioscanner (dont le couplage au scanner peut être une alternative à l IRM- VRM) [9] ou même d une angiographie conventionnelle. Ces examens constatent la non-visualisation du sinus thrombosé. La difficulté du diagnostic clinique des TVC incite à l évaluation de marqueurs tels que les D-dimères dont l intérêt comme examen de débrouillage dans les thromboses veineuses profondes des membres inférieurs est démontré, les valeurs négatives (< 500 ng/ml) ayant une haute valeur prédictive négative. Par analogie, trois études ont évalué l intérêt des D-dimères chez des patients se présentant aux urgences avec des céphalées [10] : les D-dimères étaient le plus souvent élevés lorsque le diagnostic de TVC était confirmé (pour respectivement 12, 18 et 35 patients), sauf lorsque les symptômes évoluaient depuis plus de 3 semaines, suggérant une valeur prédictive négative importante des D-dimères normaux à la phase aiguë des TVC. Ces résultats nécessitent cependant leur confirmation sur de plus importantes séries. La ponction lombaire, en l absence de contre-indication, reste très souvent indispensable dans la prise en charge des TVC. Elle est essentielle devant tout tableau d hypertension intracrânienne (HIC) isolée (sans anomalie du parenchyme cérébral) : à titre diagnostique grâce à la mesure de la pression d ouverture du LCR, mais également à titre thérapeutique permettant de soulager rapidement une HIC menaçant les nerfs optiques. L étude du liquide cérébrospinal est également utile, en urgence, dans les formes fébriles pour éliminer une méningite, et de façon plus générale, dans les formes sans cause apparente à la recherche d une méningite chronique. Pronostic Autrefois considérées comme presque toujours mortelles, les TVC ont en fait le plus souvent une récupération sans séquelle [2]. L étude récente multicentrique «ISCVT» qui a inclus 624 patients dans 21 pays a confirmé ces données avec une mortalité à la phase aiguë de 4,3 % [11]. La mortalité à long terme dans cette étude (16 mois de suivi en moyenne) était de 8 % mais le décès est plus souvent en rapport avec l affection causale ou avec une embolie pulmonaire qu avec la TVC elle-même. Certains facteurs pronostiques de gravité ont pu être identifiés dans différentes séries [1] : l âge avec une mortalité élevée aux extrémités de la vie (enfant et sujet âgé) ; la présence de signes focaux ou d un coma ; l existence d un infarctus hémorragique et d un signe du delta au scanner ; l atteinte du système veineux profond ou des veines de la fosse postérieure ; surtout la cause sous-jacente en particulier les thromboses septiques. Les capacités de récupération fonctionnelle sont bien plus importantes que dans les infarctus artériels. Les séquelles surviennent chez une faible proportion de patients (13 % dans ISCVT). Il s agit le plus souvent de déficits focaux mais parfois aussi de séquelles visuelles avec atrophie optique post-stase dans les HIC diagnostiquées et traitées trop tard. Prise en charge Bien que l évolution des TVC soit beaucoup moins sévère que ne le laissaient supposer les anciennes séries, elle n en demeure pas moins d une grande variabilité. Certains cas peuvent évoluer en quelques jours soit vers une issue fatale, soit vers une guérison totale, soit vers la persistance de séquelles. Des formes chroniques évoluent inexorablement vers des séquelles alors que d autres guérissent spontanément. Certaines formes peuvent se limiter à un accident ischémique transitoire, à des céphalées isolées ou à une crise comitiale. Ceci implique en toutes circonstances la confirmation la plus rapide possible du diagnostic et la mise en route immédiate du traitement adapté afin de limiter au maximum le risque d évolution défavorable. La variabilité de la présentation clinique et le faible nombre de cas empêchent la systématisation du traitement. Il repose néanmoins sur 3 modalités [1]. 1) Le traitement étiologique lorsque cela est possible, particulièrement important dans les formes septiques. De même un traitement spécifique peut être nécessaire au cours de certaines maladies générales (cancers, hémopathies, maladies systémiques). 2) Le traitement symptomatique. Le traitement anticomitial est réservé aux formes avec crises d épilepsie. Il n y a pas de préférence pour une molécule particulière. La question de la durée du traitement n est pas résolue. Dans notre expérience, le traitement est habituellement poursuivi pendant 1 an, puis diminué progressivement en l absence de nouvelles crises et si l électroencéphalogramme est normal. Le traitement de l hypertension intracrânienne est le plus souvent médical. Les corticoïdes ont été utilisés pendant longtemps mais l acétazolamide ou la restriction hydrique sont actuellement préférés. Dans les formes avec HIC isolée, une ponction lombaire avant la mise sous héparine, associée à la prescription d acétazolamide entraîne habi- 346

Copyright 2016 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 37.44.207.170 le 31/12/2016. tuellement une amélioration rapide des céphalées et un contrôle suffisant de la fonction visuelle. Le traitement antalgique est enfin le plus souvent indispensable à la phase aiguë en raison de céphalées parfois intenses. Elles sont habituellement rapidement améliorées par le traitement anticoagulant et le recours aux antalgiques majeurs n est en général pas nécessaire. 3) Le traitement antithrombotique repose sur l héparine à posologie anticoagulante. Longtemps débattu, le bénéfice de l héparine est actuellement admis, même en cas de lésions hémorragiques. Les résultats de 2 essais randomisés sont disponibles. La première étude qui comparait l héparine non fractionnée à un placebo a été arrêtée prématurément après l inclusion de 20 patients en raison de résultats très significatifs en faveur du traitement par héparine [12]. À 3 mois, les 10 patients traités par héparine étaient tous guéris (soit sans séquelles, soit avec des séquelles minimes) alors que sur les 10 patients non anticoagulés, 4 étaient décédés ou avaient des séquelles sévères. La deuxième étude a comparé la nadroparine à un placebo [13]. Le traitement actif entraînait une diminution du risque de décès ou de dépendance estimé à 13 % comparé à 21 % dans le groupe placebo, différence cependant non significative. La méta-analyse de ces deux seules études disponibles met en évidence une réduction de 15 % de la mortalité ou dépendance chez les patients traités [13]. Bien que non significatifs, ces résultats apparaissent pertinents d un point de vue clinique. L héparine est donc prescrite en pratique dès que le diagnostic est confirmé. Il n y a pas de consensus sur les modalités, le type (héparine non fractionnée ou héparine de bas poids moléculaire) ou la durée de l héparinothérapie. Après quelques jours en l absence de d aggravation clinique, le relais est généralement pris par les anticoagulants per os dont la durée d administration est fonction de la cause sous jacente. L utilisation des fibrinolytiques a été proposée dès 1971. Aucune étude randomisée n est disponible. Une métaanalyse récente a analysé les données de 72 études regroupant 169 patients [14]. Elle a souligné la disparité de la prise en charge : type de fibrinolytique utilisé, voie d administration (systémique ou locale), posologie, association éventuelle à des manœuvres mécaniques. Les résultats ont montré un pronostic relativement bon des patients thrombolysés avec un taux de décès ou dépendance de 12 % alors qu il s agissait de formes le plus souvent graves (coma : 32 % ; encéphalopathie : 48 %). Bien entendu, ces résultats sont à interpréter avec précaution à cause de biais de publication probables et de l absence d études randomisées. La thrombolyse, associée ou non aux manœuvres mécaniques de désobstruction reste pour l instant un traitement d exception, à réserver aux formes qui s aggravent malgré un traitement médical bien conduit, ce qui représente dans notre expérience environ 5 % des cas [15]. Conclusion Le diagnostic clinique des TVC est difficile en raison du polymorphisme des symptômes et de l évolution. Il doit être très souvent évoqué en situation d urgence et nécessite le recours aux examens neuroradiologiques, idéalement IRM/VRM. Une fois le traitement débuté, l évolution se fait le plus souvent vers la guérison. Ce traitement repose actuellement sur l héparine associée aux traitements étiologique et symptomatique adaptés à chaque situation clinique. L existence de formes graves doit cependant être connue, certains facteurs pronostiques pouvant aider à leur identification. La possibilité d une excellente récupération clinique doit rester à l esprit des cliniciens afin de proposer parfois des traitements plus agressifs tels que thrombolyse in situ ou manœuvres mécaniques de destruction du caillot. Leurs indications restent néanmoins à préciser au cours d un essai randomisé. Références 1. Bousser MG, Barnett HJM. Cerebral venous thrombosis. In : Barnett HJM, Mohr JP, Stein BM, Yatsu FM, eds. Stroke : Pathophysiology, Diagnosis, and Management. New York, NY : Churchill Livingstone Inc, 1997 : 623-47. 2. Ameri A, Bousser MG. Cerebral venous thrombosis. Neurol Clin 1992 ; 10 : 87-111. 3. Chiras J, Bousser MG, Meder JF, Kouss A, Bories J. CT in cerebral thrombophlebitis. Neuroradiology 1985 ; 27 : 145-54. 4. Dormont D, Anxionnat R, Evrard S, Louaille C, Chiras J, Marsault C. MRI in cerebral venous thrombosis. J Neuroradiol 1994 ; 21 : 81-9. 5. Tsai FY, Wang AM, Matovich VB, et al. 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