Prescription et usage rationnel des médicaments Interactions médicamenteuses Hélène Géniaux Département de pharmacologie Université Bordeaux 2 Mercredi 12 février 2014!! 1 Définition On parle d interaction médicamenteuse quand l effet obtenu avec une dose donnée d un médicament A varie en présence d un médicament B (association de médicaments A+B) 1
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Définitions Cet effet peut être soit - diminué : perte d efficacité - augmenté : apparition d une toxicité - ou modifié Peuvent aussi interagir avec des médicaments (inhibiteurs/inducteurs) - aliments (jus de pamplemousse, canneberge, choux, millepertuis) - alcool (aigu, chronique), tabac Incompatibilité Interaction - cas de réaction physico-chimique entre 2 médicaments Classification Interaction contre-indication Classification des interactions (Vidal) Contre-indication absolue = association entre 2 médicaments pouvant entraîner selon le cas, un risque mortel, un effet cliniquement très grave ou des séquelles Association déconseillée = CI relative, éviter sauf mise en œuvre de mesures adaptées (situation précise) Précaution d emploi = possible en respectant les recommandations A prendre en compte = pas de conduite à tenir préconisée, au cas par cas 3
Classification ANSM. Thesaurus des interactions médicamenteuses, janvier 2014. Disponible sur www.ansm.fr Classification 4
Deux types d interactions D ordre pharmacodynamique - Interaction directe sur l effet - effet synergique, antagoniste ou additif - modification au niveau des récepteurs, des systèmes effecteurs ou des fonctions physiologiques sans modification des concentrations plasmatiques D ordre pharmacocinétique - Interaction indirecte sur l effet (augmentation ou diminution des concentrations du Médicament) - parfois les deux mécanismes sont en jeu - souvent l interaction est dose dépendante - svt commune aux molécules de la même classe pharmacologique Interaction d ordre pharmacodynamique Modification de l effet d un médicament, au niveau : des récepteurs des systèmes effecteurs sans modification de la concentration du médicament. Médicaments (A+B) ayant des propriétés pharmacodynamiques ou des effets indésirables - communs - complémentaires sur un même système physiologique - ou antagonistes 5
Interaction d ordre pharmacodynamique Antagonisme = Association de 2 médicaments d effets opposés L-Dopa Modopar + métoclopramine Primpéran ou (métopimazine, Vogalène ) Dopaminergique + antidopaminergique (antiémétique à effets centraux appartenant à la famille des neuroleptiques) Aggravation des symptômes parkinsoniens (tremblements, akinésie) CI absolue Recommandation : utilisation d antiémétique qui ne passe pas la BHE (dompéridone, Motilium, sans effet extrapyramidaux) Interaction d ordre pharmacodynamique Synergie = effet potentialisé par les 2 médicaments associés Alcool + hypnotiques, antihistaminiques = majoration de la sédation (somnolence +++) Alcool + sulfamides hypoglycémiants = coma hypoglycémique 2 anticholinergiques : psychose, délire 2 fibrates (Befizal, Lipanor, Lipanthyl) : rhabdomyolyse (CI absolue) - Lévodopa + Carbidopa = réduction de la transformation périphérique de la lévodopa en dopamine, augmentation de l effet thérapeutique, réduction des effets indésirables 6
Interaction d ordre pharmacodynamique Synergie = effet potentialisé par 2 médicaments associés AINS + corticoïdes : ulcères gastriques +++ digoxine + hypokaliémiants (diurétique, amphotéricine B, corticoïdes) : trouble du rythme (parfois mortel) Triptan (Zomig) et ergot de seigle (ergotamine, dihydroergotamine) : CI absolue, synergie de vasoconstriction, risque AVC, hypertension intracrânienne (délai entre les prises, 24h) AINS + corticoïdes Rique d'ulcère peptique hémorragique chez le patients > 65 ans 20 15 15 RR 10 5 0 4 1,1 AINS Corticoïdes AINS + corticoïdes Griffin MR et al. Ann Inter Med 1991; 114: 257-263 Piper JM et al. Ann Intern Med 1991; 114: 735-740 7
AINS et coumarines (AC): ulcère peptique hémorragique RR: risque relatif AINS AC AC + AINS Shorr RI & al. Arch Intern Med 1993; 153: 1665-70 Interaction d ordre pharmacodynamique Additif Corticoïde et diurétique hypokaliémiant : baisse de K+ Interaction nécessitant des précautions d emploi : surveiller la kaliémie 8
Interaction d ordre pharmacocinétique Absorption Diffusion Pharmacocinétique ADME Elimination Métabolisme Interaction d ordre pharmacocinétique Modification du devenir du médicament A dans l organisme quand on l associe au médicament B Modification de l absorption de la diffusion et/ou du métabolisme de l élimination Conséquences : modification [A] plasmatique modification [A] dans tissus cibles modifie effet de A 9
Interaction au niveau de l absorption Aucune CI absolue, interaction nécessitant des précautions d emploi Interactions avec la nourriture Calcium + Tétracyclines (phénomène de chélation pdt repas, lait) prises à jeun Interaction avec certains médicaments pansements gastriques, colestyramine, charbon, kaolin + digoxine, AVK (diminution absorption), anti-acides (respecter un intervalle de 2-3h) IPP (ex: oméprazole): modif ph (Aspirine mieux absorbée si ph acide) : diminution de l absorption de l aspirine Interaction au niveau de la diffusion Interactions au niveau des sites de transport sur les protéines plasmatiques, Fonction de la [C]pl, de l affinité du M pour la protéine (99% lié) Fraction non liée = active Phénomène de compétition Augmentation de la fraction libre Risque de toxicité 10
Fixation aux protéines plasmatiques A Alb!!!!! fraction libre A : 3% B déplace A fraction libre A : 6% A B Alb activité thérapeutique X 2 Exemple : AVK déplacé par aspirine CI absolue pour aspirine à forte dose RELATIONSHIP BETWEEN DRUG BINDING WITH PLASMA PROTEIN AND ITS CONCENTRATION IN TISSUES PLASMA TISSUE PLASMA TISSUE Bound: 10 Free: 1 Tot: 11 Bound: 2 1 5 Free: 5 Tot: 7 11
Interaction au niveau de l Elimination Elimination rénale : Modification du ph urinaire (ph moins acide : acides faibles sont ionisés = ne diffusent pas dans le tubule et sont éliminés) ex : alcalinisation des urines (ex. prise de bicarbonate) pour éliminer aspirine en cas d intoxication réabsorption tubulaire, sécrétion tubulaire active Les médicaments qui utilisent les mêmes transporteurs (transport actif) peuvent entrer en compétition Ex : méthotrexate et aspirine : moindre élimination méthotrexate [C]pl toxicité hématologique (CI Absolue) 12
Interaction pharmacocinétique 2 types de mécanismes au niveau des enzymes hépatiques du cytochrome P450 : L induction enzymatique E métabolisation du Médicament [C] pl effet risque d inefficacité L inhibition enzymatique E métabolisation du Médicament [C] pl effet risque de toxicité Pour les PRODROGUES c est l inverse Cytochrome P450 ü Enzymes présentes dans de nb 0ssus ü Interviennent dans le métabolisme de substances endogènes et exogènes (médicaments+++) ü Il existe des centaines de cytochromes différents, répar0s dans trois familles (CYP1, CYP2 et CYP3). On dis0ngue également des sous- familles (CYP1A, CYP2D,...) et des isoenzymes dis0nctes (CYP3A4, CYP2D6,...) ü Quelques isoenzymes assurent le métabolisme de la plupart des médicaments ü 4 isoenzymes impliqués dans le métabolisme de 90% des médicaments ü CYP 1A2, 2C9, 2D6, 3A4 ü certains individus moins bien équipés que d autres (déficit CYP 2D6: 5% pop. générale: métaboliseurs lents) 13
Cytochrome P450 Induction enzymatique - progressive (qq j/sem ; disparition en qq j/sem) et réversible - peu spécifique - augmentation de la synthèse des CYP et/ou de l activité des CYP Principaux inducteurs enzymatiques non médicamenteux : alcool (chronique), tabac, hydrocarbures (BBQ), «millepertuis» certains anticonvulsivants : carbamazépine, oxcarbazépine, phénytoïne, fosphénytoïne, phénobarbital, primidone certains antituberculeux : rifampicine, rifabutine certains antirétroviraux : névirapine, efavirenz 14
Inhibition enzymatique - rapide (24-48h) et réversible - spécifique - inhibition soit par Ø inactivation du CYP Ø compétition entre 2 substances métabolisées par le même CYP Principaux inhibiteurs du CYP 3A4 non médicamenteux : jus de pamplemousse azolés antifongiques (kétoconazole, itraconazole, voriconazole, posaconazole) inhibiteurs de protéase, plus particulièrement, le ritonavir (quelle que soit la dose) et le nelfinavir certains macrolides (clarithromycine, érythromycine, télithromycine) CYP substrats inhibiteurs inducteurs 1A2 -clozapine -théophylline -tacrine -énoxacine -fluvoxamine Alcool tabac 2C9, 2C19 2D6 3A4 -AVK (acénocoumarol, warfarine) -phénytoïne -flécaïnide -propafénone -thioridazine -Alcaloïdes ergot seigle -amiodarone -disopyramide -Benzodiazépines et apparentés (midazolam, triazolam, zolpidem) -cisapride -ifosfamide -Immunosuppresseurs (ciclosporine, tacrolimus) - Opiacés (alfentanil, fentanyl, méthadone) - pimozide - sildénafil - statines (simvastatine, atovastatine, etc.) -IRS (fluoxétine, paroxétine, etc.) -quinidine -amiodarone -diltiazem, vérapamil -Imidazolés (kéto-, itra-, flu-, mico-nazole) -Antiprotéases (rito-, nelfi-,ampré-, indinavir) -Macrolides (érythro-, clarithro-, josamycine) - jus pamplemousse Millepertuis -Anticonvulsivants carbamazépine, -Anti-infectieux (rifampicine, rifabutine, éfavirenz, névirapine, griséofulvine) Anticonvulsivants, (phénobarbital, phénytoïne) 15
Conséquences Attention si «marge thérapeutique» étroite Inducteurs : - risque d inefficacité ex. rejet greffe, ex. diminution INR, risque inefficacité et thrombose chez malade traité par AVK - risque surdosage à l arrêt inducteur ex. si l on n adapte pas la posologie de l AVK après arrêt de l inducteur : risque d hémorragie sous AVK Inhibiteurs : risque surdosage ex. cisapride et torsades de pointe risque d inefficacité à l arrêt inhibiteur ex. méthadone et syndrome de sevrage La PGP en bref Glycoprotéine P : protéine membranaire de transport, «pompe d expulsion» Intes0n, BHM, voies biliaires, tubules rénaux Equipement en PGP variable d un individu à l autre Diminu0on de l absorp0on intes0nale de ses médicaments substrats An0cancéreux (daunorubicine, doxorubicine ) Immunosuppresseurs (ciclosporine, tacrolimus ) Colchicine Glip0nes Digoxine 32 16
La PGP en bref Médicament inhibiteur PGP inhibi0on de l ac0vité de la PGP augmenta0on de l absorp0on intes0nale ou diminu0on de l élimina0on rénale ou hépa0que : toxicité inhibiteurs calciques, an0arythmiques, atorvasta0ne, macrolides, ciclosporine Médicament inducteur de la PGP induc0on de l ac0vité de la PGP diminu0on de l absorp0on intes0nale ou augmena0on de l élimina0on rénale ou hépa0que : moindre efficacité rifampicine, rifabu0ne, millepertuis, carbamazépine, ritonavir 33 Cas clinique Femme 79 ans, vit seule, autonome; ATCD : HTA, dyslipidémie juillet 2001 : Colchimax pour crise de gouge fin août, consulta0on pour toux et chute : clarithromycine 1g, prednisolone 60 mg, tramadol 37,5/paracétamol 325 06/09 : diarrhée, nouvelle consulta0on ; 1650 GB, 825 PNN, 42 000 plaqueges (Hb normale) 07/09 : hospitalisa0on ; 500 PNN, 19 000 plaqueges 08/09, fièvre à 38 5, 500 GB, 14 000 plaqueges ; ASAT 284, ALAT 167 UI/L, CPK 1543, K+ 2,6 Aggrava0on dans la journée, fièvre à 40 C, polypnée, marbrures, transfert en unité soins con0nus - > instabilité hémodynamique - > transfert CHU 11/09 : DC (choc sep0que réfractaire) Colchimax : tiémonium, opium, colchicine 1 mg 34 17
colchicine alcaloïde extrait colchique ; famille des poisons du fuseau u0lisée pour ac0on an0- inflammatoire diminue afflux leucocytaire, inhibe phagocytose des microcristaux d'urate, ce qui freine produc0on d'acide lac0que et main0ent ph local normal (acidité favorise précipita0on cristaux d'urate) index thérapeu0que étroit Bien prescrire la colchicine Nouvelles recommanda7ons dans l'accès aigu de gou;e : diminu7on de posologie (février 2012) J1- J3 : 1 à 2 mg Prises à répar7r sur la journée; à par7r de J4 : posologie MAX 1 mg!! la posologie maximale n'est pas la posologie recommandée mais celle à ne jamais dépasser Posologie chez le sujet 75 ans Pas dose de charge. J1 : 1 mg, posologie d'entre7en : 0,5 mg/j Que faire en cas d'insuffisance rénale? Avant tout traitement par colchicine, évaluer la clairance de la créa0nine Cl créat < 30 ml/min : contre- indica7on 30 < Cl créat < 60 ml/min : 0,5 mg/j 18
Bien prescrire la colchicine Contre- indica0ons insuffisance rénale sévère (Clcréat < 30 ml/min) insuffisance hépa7que sévère Associa0ons médicamenteuses contre- indiquées (RISQUE MORTEL) Macrolides (télithromycine, azithromycine, clarithromycine, érythromycine, josamycine, midécamycin, roxithromycine Pris7namycine Associa0ons médicamenteuses déconseillées (risque très important, à éviter sauf absence d'alterna0ve): An0fongiques azolés, ciclosporine, inhibiteurs de protéase associés au ritonavir, télaprevir, vérapamil Bien prescrire la colchicine La diarrhée est un signe d'efficacité? 19
Bien prescrire la colchicine La diarrhée est un signe d'efficacité? FAUX Bien prescrire la colchicine La diarrhée est un signe de toxicité? 20
Bien prescrire la colchicine La diarrhée est un signe de toxicité? VRAI Bien prescrire la colchicine Si diarrhée ou nausées, vomissement - ARRET du traitement - ET contrôle NFS- plaque;es, ionogramme et fonc7on rénale - éventuellement, un an0diarrhéique uniquement après arrêt de la colchicine. Colchicine + an0diarrhéique : une associa0on illogique et dangereuse (ex: Colchimax) 21
26/09/2011 (DC le 11/09) médecins 1. vérifier interactions 2. respecter CI et adaptation poso. chez sujet âgé 3. respecter strictement indications 4. être attentif aux 1ers signes de surdosage : nausées, vomissements, diarrhée profuse malades 1. signaler ttt en cours 2. consulter si signes ; ranger hors portée enfants pharmaciens 1. vérifier CI et interactions Un cas clinique Un homme de 53 ans avec hypertension artérielle, coronaropathie et hypercholestérolémie a été traité par dérivé nitré, diltiazem, enalapril et lovastatine. Après quelques mois de traitement, il développe des douleurs au niveau des muscles des bras et des jambes, entraînant une incapacité de travailler. (Ahmad S. Ann Heart J. 1993;126:1494-5). 22
Biologie - Evolution ü CPK: 4000 U/L. ü Une semaine après l'arrêt de lovastatine et diltiazem, les symptômes de myopathie s'améliorent nettement. ü Le traitement par lovastatine est réintroduit sans récidive des symptômes de myopathie. ü Après réintroduction de diltiazem, les signes de myopathie sont apparus de nouveau avec une nouvelle hausse des CPK. Ahmad S. Ann Heart J. 1993;126:1494-5 Raisonnement initial La myopathie n'ayant pas récidivé avant la réintroduction de diltiazem, le médecin a jugé que ce médicament était responsable de cet événement indésirable. Ahmad S. Diltiazem Myopathy. Ann Heart J. 1993;126:1494-5. 23
La pharmacologie ü Le diltiazem est un inhibiteur du CYP3A4, l isoenzyme qui métabolise la lovastatine. ü Il a provoqué un augmentation plasmatique de la lovastatine. ü La lovastatine est la réelle cause de la myopathie. 24
La morale ü Erreur de jugement de la part du médecin ü Même les éditeurs de Ann Heart J n ont pas reconnu cette erreur ü Cas clinique démontrant la tendance à associer les effets secondaires au(x) dernier(s) médicament(s) intégré(s) au schéma thérapeutique ü les interactions médicamenteuses ne sont pas suffisamment pris en compte par les cliniciens Facteurs à considérer pour l évaluation du risque d interactions cliniquement significatives Médicament Marge thérapeutique Métabolites actifs Puissance et concentration des inhibiteurs ou des inducteurs enzymatique Patient Polymorphisme génétique Susceptibilité individuelle pour les effets secondaires (ex. personnes âgées) Épidémiologie Probabilités d usage concomitant 25
7 principes pour une bonne pra0que face aux risques d IM 1. Conséquences cliniques en rapport avec les effets des médicaments impliqués (thérapeu0ques ou indésirables) 2. Conséquences cliniques à l ajout ET à l arrêt 3. Mieux vaut éviter les associa0ons à risque 4. Certaines associa0ons sont acceptables : ges0on des conséquences cliniques 5. Certains pa0ents plus à risques 6. Durée de la période à risque non uniforme 7. Informa0on des malades 51 Sources d informations VIDAL, thériaque Thesaurus des interactions de l ANSM (ex-afssaps) Guide 2013 des interactions médicamenteuses du journal Prescrire Centre d information thérapeutiques et de pharmacovigilance des HUG http:// www.pharmacoclin.ch/_library/pdf/cytp450pgp.pdf Stockley s Drug Interactions, 7th Ed. London: Pharmaceutical Press, 2006 Centre régionaux de pharmacovigilance 26