Argumentaire Non à l initiative «Sécurité du logement à la retraite» I. Introduction Quel est le but de l initiative? Après le refus de l initiative sur l épargne-logement, balayée par le peuple le 17 juin 2012, l Association des propriétaires fonciers vient de déposer un nouveau texte demandant une révision de l imposition du logement en propriété. Aujourd hui, les propriétaires fonciers sont imposés sur la valeur locative de leur logement, qui en théorie correspond aux recettes que rapporterait sa location. Le but est de mettre les propriétaires fonciers sur un pied d égalité avec les personnes qui investissent leur fortune différemment. En contrepartie, tous les coûts générés par la propriété d un logement peuvent être déduits de la déclaration fiscale. Il s agit principalement des taux d intérêt hypothécaires et des frais d entretien. L Association des propriétaires fonciers souhaite maintenant apporter une modification à ce mode d imposition par l intermédiaire d une initiative : Les personnes ayant atteint l'âge de la retraite peuvent décider une fois pour toutes d'être exemptées de l'impôt sur la valeur locative. En contrepartie, les possibilités de déductions actuellement en vigueur sont supprimées avec les exceptions suivantes : Les frais d'entretien peuvent continuer à être déduits jusqu'à 4000 CHF par année. Les investissements visant les économies d'énergie ou l'entretien du patrimoine restent intégralement déductibles. II. Evaluation de l initiative Imposition à la carte pour les propriétaires de logements L initiative veut instaurer le libre choix du modèle de taxation pour les personnes ayant atteint l âge de la retraite. Elles pourront décider de continuer à être imposées selon le système actuel ou de passer à un système ne prenant pas en compte la valeur locative. Accorder à une tranche d âge spécifique la possibilité de définir son mode d imposition serait une première dans le système fiscal. Actuellement, les contribuables peuvent certes choisir, dans certains domaines, entre des déductions effectives et une imposition forfaitaire (déductions pour les frais professionnels) mais il n existe pas de possibilité de choix entre deux modèles d imposition, telle que le demande l initiative. Ce choix à l âge de la retraite a pour but de permettre aux propriétaires d optimiser leurs impôts. Avant l âge de l AVS, ils bénéficieront toujours de déductions sur les taux d intérêts hypothécaires et une fois leur crédit payé, ils pourront passer à un système qui leur permettra d économiser encore des impôts.
Cette initiative est injuste Cette initiative engendre une double injustice : Elle crée une inégalité de traitement entre les propriétaires retraités et ceux n ayant pas encore atteint l âge de la retraite. Les personnes qui sont encore dans la vie active n ont pas de possibilité de choix et ne peuvent pas opter pour le système d imposition le plus avantageux pour eux. Les propriétaires retraités bénéficient donc d un traitement de faveur par rapport aux propriétaires plus jeunes. Cette initiative va donc à l encontre du concept de justice intergénérationnelle, les retraités bénéficiant d allègements fiscaux par rapport aux personnes plus jeunes. Elle privilégie les propriétaires au détriment des locataires. Les locataires ne peuvent bénéficier d une réduction fiscale ni avant, ni après l âge de la retraite et doivent contribuer à financer ce privilège accordé aux propriétaires. L initiative complique le système fiscal Ce nouveau droit de choisir compliquerait encore le système fiscal. Deux modèles distincts, permettant deux types de déduction différents, seraient donc gérés en parallèle. De plus, dans son message, le Conseil fédéral signale un autre problème au niveau de la déductibilité fiscale des dettes : «La suppression de la déduction des intérêts passifs grevant le logement en cas d exercice du droit d option introduit une réglementation spéciale dans le cadre du traitement des intérêts passifs privés et, par conséquent, suscite des problèmes de délimitation.» 1 Les intérêts passifs des hypothèques ne seraient plus déductibles, ce qui ne serait pas le cas des autres dettes. L initiative n est pas logique Les retraités choisissant la variante d imposition ne prenant pas en compte la valeur locative pourraient toujours déduire jusqu à 4000 francs de frais d entretien et autres dépenses, bien que ces coûts ne correspondraient à aucune valeur locative. Ce choix n est pas logique et s apparenterait à un privilège fiscal supplémentaire. L initiative n est pas nécessaire Il arrive que des propriétaires soient confrontés à des difficultés financières à l âge de la retraite. Les retraités ne disposent plus des mêmes revenus que les personnes actives mais ils ont également moins de charges financières. De plus, aujourd hui, il y a moins de différence de revenus d une tranche d âge à l autre. 1 Message p. 4854 2
Revenu brut par personne La comparaison des revenus entre les différentes tranches d âge ne révèle pas de grandes différences 2 Les retraités sont moins touchés par la pauvreté que les actifs. Une étude de 2008 montre que la pauvreté est la plus fréquente chez les parents isolés, les familles nombreuses, les femmes célibataires et les rentiers AVS 3. Contribuables ayant des moyens financiers très limités 4 De plus, l étude montre qu en moyenne, les retraités sont plus fortunés. Un couple de retraités sur cinq dispose d une fortune brute de plus d un million de francs et pourtant, eux aussi pourraient bénéficier de cette optimisation fiscale. 5 2 Enquête sur le budget des ménages 2006 2008, tableau 11-3 La situation économique des actifs et des retraités; Philipp Wanner et Alexis Gabadinho, 2008. 4 Présentation de l étude, p.12. 3
Fortune nette par tranche d âge 6 L initiative provoquerait d importantes pertes fiscales Dans son message concernant l initiative, le Conseil fédéral estime ces pertes à 200 millions de francs au niveau fédéral. Selon toute vraisemblance, l érosion serait trois ou quatre fois plus importante au niveau cantonal. En tout, les pertes atteindraient presque 1 milliard de francs, ce qui est bien supérieur à ce que nous réservait l initiative sur l épargne-logement, que le peuple a refusée. L initiative crée de nouvelles niches fiscales L initiative créé des possibilités d optimiser son imposition en changeant de système au bon moment. Ainsi, un propriétaire peut rénover complètement son bâtiment juste avant de changer de mode d imposition et ainsi profiter encore d importantes déductions pour frais d entretien. Les travaux de remise en état réalisés et l hypothèque payée, le propriétaire pourrait passer au nouveau système. III. Situation actuelle des propriétaires de logement Dans son message sur le contre-projet à l'initiative «Sécurité du logement à la retraite», le Conseil fédéral rappelle que les propriétaires de logements peuvent déduire de leur déclaration fiscale près de 450 millions de francs par année 7. Ces chiffres ne concernent 5 La situation économique des actifs et des retraités; Philipp Wanner et Alexis Gabadinho, 2008, Avant-propos de l office fédéral des assurances sociales 6 Présentation de l étude, p. 8 7 Dans son message (p. 4867), le Conseil fédéral parle même d un supplément de recettes de 750 millions de francs, que dégagerait un changement complet par rapport au système actuel (suppression de la valeur locative, suppression de toutes les possibilités 4
que l'impôt fédéral direct. Si on inclut la part des cantons et des communes dans ce calcul, le montant doit être pratiquement quadruplé. Le Conseil fédéral indique dans son message que la charge fiscale directe (impôts sur le revenu et sur la fortune y compris une éventuelle taxe foncière) pesant sur les propriétaires d un logement à usage personnel est nettement inférieure à celle des autres contribuables 8. Ce privilège s explique par les facteurs suivants : Des valeurs locatives basses Les biens immobiliers doivent être estimés en fonction de leur valeur sur le marché, qui permet de calculer la valeur locative. Dans plusieurs cantons, ces valeurs sont fixées en dessous des prix du marché, et elles peuvent rester inchangées pendant de nombreuses années. Réduction de la valeur locative Ces valeurs locatives sont encore réduites. Dans la plupart des cantons, seuls 60 à 70% de la valeur locative sont imposables. Le Tribunal fédéral a tout de même arrêté que 60% de la valeur locative devaient être imposés. Genève : déduction de 4% par année de propriété, 60% au minimum Bâle-Ville : dernière mise à jour en 2001 Fribourg : dernière mise à jour en 1993 de déduction). Si l on prend en compte les choix effectués par les propriétaires pour le financement de leur propriété, le supplément de recettes serait encore de 450 millions de francs. 8 Message, p. 4850f. 5
Frais de maintenance Dans la plupart des cantons et en ce qui concerne l'impôt fédéral direct, il est possible de déduire les frais d'entretien effectifs ou d'opter pour un forfait. Une planification judicieuse des frais d'entretien permet de profiter d'une déduction supplémentaire. Jaune : Pas de changement annuel possible Beige : Chaque année, possibilité de choix entre la déduction forfaitaire et les coûts effectifs Déduction pour investissements dans le domaine énergétique Alors que l'installation de panneaux solaires ou d'un chauffage plus efficient est souvent synonyme de plus-value et ne doit donc pas être considérée comme entretien, elle peut quand même être déduite des impôts. Déduction en cas de sous-utilisation Lorsqu'une partie du logement n'est pas utilisée, le propriétaire peut invoquer une sousutilisation et obtenir ainsi une réduction de la valeur locative. Cette réglementation s'applique pour l'impôt fédéral direct et certains impôts cantonaux. Réduction pour faibles revenus Dans les cantons de Zurich, Lucerne et Vaud, la valeur locative est réduite si elle dépasse une certaine part du revenu du contribuable. IV. Alternatives à l initiative «Sécurité du logement à la retraite» Nombreux sont ceux qui réclament l abolition de l imposition de la valeur locative. Mais au lieu de prendre une demi-mesure qui ne bénéficierait qu à une population spécifique, 6
cette imposition doit être supprimée pour tous. A plusieurs reprises, des solutions réalisables ont été proposées, mais lors des discussions parlementaires, ces initiatives ont été surchargées de revendications par le lobby des propriétaires de logements et ont donc échoué au Parlement et devant le peuple. C est notamment le cas de l initiative sur le paquet fiscal (contre laquelle le peuple s est prononcé en 2004), ou du contre-projet sur la présente initiative (refusé lors des débats parlementaires). Un principe doit prévaloir : l abolition de l imposition de la valeur locative doit s accompagner de la suppression des possibilités de déduction fiscale. Si l on aucun revenu fictif n est plus taxé taxe, aucune déduction ne se justifie plus. Pour simplifier le système fiscal, il faudrait le changer complètement. 7