Syndrome de Budd-Chiari Budd-Chiari syndrome

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Transcription:

Syndrome de Budd-Chiari Budd-Chiari syndrome A. Plessier* P O I N T S F O R T S P O I N T S F O R T S L obstacle au drainage veineux peut être situé à tout niveau compris entre les petites veines intrahépatiques et la terminaison de la veine cave inférieure. Tous les obstacles non tumoraux sont dus à une thrombose, quel que soit leur aspect. Un ou plusieurs facteurs de risque de thrombose sont présents chez respectivement 90 et 50 % des patients. Ce facteur est un syndrome myéloprolifératif dans la moitié des cas, même si l hémogramme n est pas évocateur. La mise en évidence d une circulation collatérale des veines hépatiques ou de la veine cave inférieure est la clé du diagnostic. Dans la majorité des cas, cette information est obtenue par échographie doppler, et TDM ou IRM. Le maintien de la perméabilité du système porte intra- et extrahépatique paraît crucial. La prise en charge repose sur la mise en œuvre de traitements successifs, selon une progression fondée sur la réponse au traitement précédent plus que sur l état du patient : (a) anticoagulants, traitement des affections sous-jacentes ; traitement médical des complications ; (b) reperméabilisation percutanée ; (c) TIPS ; (d) transplantation. Le pronostic global est bon, sous réserve d une prise en charge spécialisée multidisciplinaire initiale. Des taux de survie de l ordre de 85 % à 5 ans sont actuellement obtenus. Il est possible que l évolution ultérieure soit davantage déterminée par la gravité des affections sous-jacentes que par le syndrome de Budd-Chiari lui-même. DÉFINITION Le syndrome de Budd-Chiari est l entité résultant d une obstruction des voies de drainage veineux du foie, que cette obstruction siège au niveau de la portion suprahépatique de la veine cave inférieure, des grosses veines hépatiques ou des petites veines hépatiques. Par convention, on en exclut l atteinte dénommée maladie veino-occlusive ou syndrome d obstruction sinusoïdale (1). En effet, cette dernière entité peut comporter une occlusion des veinules hépatiques, mais l atteinte initiale porte probablement sur la cellule endothéliale sinusoïdale (2). De plus, cette entité survient dans des contextes très particuliers par l exposition à des substances toxiques (chimiothérapies, azathioprine ou cisthioguanine, alcaloïdes de la pyrolizidine), à une irradiation hépatique, ou aux deux à la fois, comme lors de la préparation à la transplantation de cellules souches hématopoïétiques, ce qui sera développé dans un autre chapitre de ce dossier thématique. CLASSIFICATION On classifie le syndrome de Budd-Chiari (SBC) en primitif ou secondaire (1). Le SBC secondaire est caractérisé par une compression des voies de drainage, par une lésion expansive ou par une invasion de la lumière veineuse par un bourgeon néoplasique d origine hépatique, rénale, corticosurrénale, cardiaque (myxome) ou par une tumeur veineuse maligne (léiomyosarcome). On y inclut le SBC dû à une invasion par l échinococcose alvéolaire. Le SBC primitif est caractérisé par une lésion d origine primitivement veineuse, qu il s agisse d un thrombus, d une thrombophlébite, d une sténose localisée ou étendue. Une sténose localisée peut prendre l aspect d une membrane. Dans ce qui suit, il sera uniquement question du SBC primitif. ÉPIDÉMIOLOGIE * Service d hépatologie, Fédération médico-chirurgicale d hépato-gastroentérologie, hôpital Beaujon, AP-HP, Inserm et université Denis-Diderot (Paris-VII). L incidence du SBC primitif a été évaluée à environ 36/10 8 /an en France, 13/10 8 /an au Japon et à plus de 250/10 8 /an au Népal. La proportion des cas où l atteinte est limitée aux veines hépatiques, 214

sans atteinte de la veine cave inférieure suprahépatique, est de 60 % en France, 5 % au Japon, 0 % au Népal et 30 % en Inde. L atteinte de la veine cave inférieure est donc aussi fréquente en France qu au Japon, mais beaucoup plus rare qu au Népal (3). PATHOGÉNIE On s accorde actuellement à considérer que le mécanisme de l obstruction veineuse est une thrombose, quel que soit l aspect de l obstruction. Autrement dit, les membranes et les sténoses fibreuses doivent être considérées comme un remaniement fibreux consécutif à une thrombose antérieure (4). ÉTIOLOGIE De nombreuses études donnent des résultats cohérents sur la prévalence relative de différents facteurs de risque de thrombose dans la population de patients atteints de SBC primitif (5-8). Pour les facteurs de risque héréditaires, on trouve, par ordre décroissant : facteur V Leiden 25 % (odds-ratio de 15), déficit en protéine C 12,5 % (odds-ratio de 5), déficit en protéine S 5 %, déficit en antithrombine 3 %. En revanche, la mutation du gène de la prothrombine (5 %) et le polymorphisme C677T homozygote de la MTHFR (13 %) ne semblent pas plus fréquents que dans la population générale. Le caractère primitif d un déficit en protéine C, protéine S ou antithrombine peut être très difficile à affirmer lorsqu il existe une atteinte des fonctions de synthèse hépatique. Parmi les facteurs de risque acquis, le rôle de l exposition aux estroprogestatifs est établi (6, 9). L odds-ratio en rapport avec la prise de contraceptifs oraux est de l ordre de 2,5. Le lien avec la grossesse est probable en raison de la relation chronologique, mais on manque d études cas-témoin pour en chiffrer le risque (10). Différentes maladies acquises sont très fortement associées au SBC primitif. Plus de 50 % des patients atteints de SBC primitif sont atteints d un syndrome myéloprolifératif primitif (maladie de Vaquez, thrombocythémie essentielle ou syndrome myéloprolifératif inclassé) (5). Dans la majorité des cas, l hémogramme n en est pas caractéristique, principalement en raison de l hypersplénisme associé. Le diagnostic est alors établi par la mise en évidence soit d amas de mégacaryocytes dystrophiques dans la moelle osseuse, soit de colonies érythroblastiques endogènes (ou spontanées) lors de la culture des progéniteurs des érythroblastes (11). Il est probable que la mise en évidence d une mutation somatique spécifique de JAK2 dans les cellules circulantes permettra, sous peu, un diagnostic extrêmement aisé (12). Le contraste entre un nombre de plaquettes circulantes supérieur à 200 000/mm 3 et une très grosse rate est un puissant argument de suspicion dans un contexte d hypertension portale sévère (11). La seconde affection acquise la plus fréquente est le syndrome des antiphospholipides, généralement dans sa forme primaire (13). Plus rarement, on trouve une hémoglobinurie paroxystique nocturne (14), une maladie de Behçet (15), une sarcoïdose, une colite inflammatoire, une maladie cœliaque, un syndrome hyperéosinophile. On doit considérer que le syndrome de Budd-Chiari est une maladie multifactorielle, ce qui explique d ailleurs sa rareté. Le syndrome myéloprolifératif, le facteur V Leiden et la prise de contraceptifs oraux sont associés, chacun dans plus de 70 % des cas, à un autre facteur de risque de thrombose. Globalement, l association de deux facteurs de risque est retrouvée dans 50 % des cas de syndrome de Budd-Chiari (5, 7). PHYSIOPATHOLOGIE ET MANIFESTATIONS Les manifestations du syndrome de Budd-Chiari peuvent être regroupées en trois triades symptomatiques (16). La première réunit fièvre, syndrome inflammatoire et douleurs de l hypochondre droit. Cette triade est produite par la phlébite des veines hépatiques (ou de la veine porte quand elle est associée). La seconde rassemble la congestion (responsable en partie de l hépatomégalie et de la douleur à la pression du foie), l ascite (souvent mais non constamment riche en protéines ; souvent associée à une insuffisance rénale fonctionnelle) et l hypertension portale. Cette seconde triade est produite par l augmentation de la pression sinusoïdale en amont de l obstacle post-sinusoïdal. La troisième comprend la destruction hépatocytaire non inflammatoire prédominant dans la région centrolobulaire, l insuffisance hépatique qui en résulte lorsque la destruction est massive et la fibrose centrolobulaire séquellaire. Cette troisième triade est produite par l ischémie due à une obstruction brutale des voies de drainage veineux. Alors que l augmentation de la pression sinusoïdale est un phénomène constant mais pas toujours très marqué, l ischémie est un phénomène inconstant et habituellement transitoire quand il survient. Ce dernier point est illustré par l étude de la cinétique de l augmentation des transaminases lors de la présentation. Dans les deux tiers des cas, les transaminases sont très inférieures à 5N. Dans un tiers des cas, elles sont comprises entre 5N et 300N. Dans la quasitotalité des cas où elles sont supérieures à 5N, elles diminuent de moitié tous les deux jours, à la façon d une anoxie hépatique aiguë de cause cardiaque. Cela s explique par la mise en œuvre rapide de mécanismes capables de rétablir rapidement la baisse de perfusion hépatique au prix d une augmentation de la pression sinusoïdale. L un de ces mécanismes est la redistribution de la perfusion portale des territoires obstrués vers les territoires restant bien drainés, ce qui aboutit à une atrophie des territoires mal perfusés et à une hypertrophie des territoires bien perfusés. Cela explique la dysmorphie hépatique parfois considérable et, en particulier, l hypertrophie du lobe caudé. Un autre mécanisme est l augmentation tampon du débit de l artère hépatique en réponse à la diminution de la perfusion portale. Un troisième mécanisme est l augmentation de la pression portale. Le dernier mécanisme compensateur celui qui paraît le plus efficace est le développement de collatérales intra- et extrahépatiques des veines hépatiques obstruées. En effet, 15 à 20 % des patients atteints de SBC n ont aucune manifestation clinique, et ces cas ont toujours des collatérales extrêmement développées (17). Jusqu à récemment le rôle aggravant de la thrombose du système porte intra- ou extrahépatique était méconnu. Une thrombose extrahépatique est présente dans 15 à 20 % des cas, et ces cas sont 215

plus graves. De plus, dans le foie des cas traités par transplantation, donc les plus graves, une thrombose de plus de 50 % des veines portales de moyen calibre a été mise en évidence (18, 19). Dans les zones où coexiste l obstruction des veines portes et des veines hépatiques, il se produit un infarctus au stade initial, puis une disparition des hépatocytes et leur remplacement par des zones de fibrose d allure rétractile. Autrement dit, en cas d évolution prolongée, on observe des ponts fibreux intersushépatiques lorsque la veine porte est restée perméable, et des ponts inter-portosushépatiques lorsqu elle est thrombosée. Un aspect de cirrhose peut en résulter mais, habituellement, les lésions sont très inégalement réparties d une zone du foie à l autre. Ce n est que tout récemment que les conséquences de l artérialisation des zones déportalisées ont été appréciées. Ces zones prennent l aspect d une régénération nodulaire, microscopique (100 % des formes prolongées) ou macroscopique (60 % des formes prolongées). Les macronodules régénératifs sont difficiles à différencier d un carcinome hépatocellulaire car ils prennent massivement le contraste à la phase artérielle de l injection (18, 20). Pour l instant, il n a pas été clairement décrit de cas de transformation néoplasique de ces nodules hyperplasiques. Un carcinome hépatocellulaire peut être observé dans 5 % des cas de SBC. Il s agit généralement de cas très peu symptomatiques, d évolution très prolongée. De ce fait, ces cas sont généralement associés à une membrane de la veine cave inférieure et à une cirrhose bien compensée. Il se pourrait que l augmentation de l alphafœtoprotéine soit un marqueur particulièrement sensible et spécifique du carcinome hépatocellulaire développé sur SBC (20). L histoire naturelle du SBC primitif est assez mal connue. La mortalité spontanée est de l ordre de 90 % à 3 ans (21). Les causes de décès sont l insuffisance hépatique rapide ou progressive et l hypertension portale avec hémorragies digestives et/ou ascite réfractaire et syndrome hépatorénal. Il faut souligner l absence de parallélisme entre l allure de l évolution clinique (fulminante, aiguë, ou chronique) et l âge apparent des lésions histologiques (nécrose, fibrose, cirrhose) (10). En fait, une présentation très aiguë correspond dans la majorité des cas à l exacerbation d une atteinte très ancienne. Cette dissociation s explique probablement par (a) le caractère successif de l atteinte des veines hépatiques majeures (22) ; (b) la superposition successive des obstructions portales et (c) le caractère progressif, mais plus ou moins rapide, du processus d obstruction de ces différentes veines. L atteinte simultanée des trois veines hépatiques par une thrombose aiguë massive paraît un phénomène exceptionnel, rencontré uniquement en cas d état prothrombotique exacerbé (5). DIAGNOSTIC Le diagnostic des SBC doit être envisagé dans les circonstances suivantes : (a) l ascite est riche en protides ; (b) il y a des manifestations d insuffisance hépatique fulminante en association avec une ascite marquée ; (c) des manifestations d atteinte hépatique surviennent chez un patient ayant une affection prothrombotique connue ; (d) la maladie du foie, aiguë ou chronique, sévère ou bénigne, n est pas expliquée par les causes virales, alcooliques, métaboliques, auto-immunes, ou héréditaires habituelles ; (e) des nodules hyperartérialisés multiples ont été mis en évidence (1, 16, 23). Par définition, le diagnostic repose sur la démonstration de l obstruction des veines hépatiques ou de la veine cave inférieure suprahépatique (1). Ce point est acquis lorsque l on a mis en évidence : (a) un flux stagnant ou inversé dans l une de ces veines, ou (b) un matériel solide dans leur lumière, ou (c) une obstruction avec dilatation en amont, ou (d) une circulation collatérale entre ces veines et des veines de territoires adjacents. Ces arguments peuvent être recueillis de façon claire par échographie doppler dans environ 70 % des cas. La condition nécessaire à un bon rendement diagnostique de l échographie doppler est que l opérateur soit expérimenté et averti par le clinicien. Dans 20 % des cas, les arguments sont apportés par la tomodensitométrie et/ou l imagerie par résonance magnétique. Dans moins de 10 % des cas, le diagnostic n est établi que par l angiographie directe, rétrograde ou transhépatique. La biopsie hépatique n est pas nécessaire pour établir le diagnostic lorsque les examens d imagerie ont montré une obstruction des gros troncs veineux. En revanche, elle est indispensable pour affirmer le diagnostic d obstruction limitée aux petites veines intrahépatiques (1, 23). Des arguments indirects n ayant pas la spécificité des arguments précédents peuvent être fournis par différents moyens : hypertrophie majeure du lobe caudé, hétérogénéité de perfusion du parenchyme hépatique par l imagerie macroscopique, veines hépatiques non visibles ou non canulables, dilatation sinusoïdale, congestion, ou disparition des hépatocytes prédominant dans la zone centrale du lobule (1, 23). Les diagnostics différentiels principaux sont les atteintes cardiaques droites, la péricardite constrictive, les cirrhoses de toute origine, la péliose et la dilatation sinusoïdale pure, la veinopathie portale oblitérante, la maladie veino-occlusive (ou syndrome d obstruction sinusoïdale), l hyperplasie nodulaire focale multiple (1, 23). TRAITEMENT Plusieurs types de traitements ont été proposés : l anticoagulation, la réperméabilisation des voies de drainage veineux, la décompression hépatique par anastomose portosystémique, et la transplantation (23). Bien qu il n y ait aucune preuve directe du bénéfice du traitement anticoagulant, celui-ci est recommandé sur la base des éléments suivants : (a) l efficacité établie au cours des thromboses veineuses profondes ; (b) la fréquence de l association à un ou plusieurs facteurs de risque de thrombose veineuse ; (c) l absence de notification de décès imputable à ce traitement au cours du SBC ; (d) les données rétrospectives suggérant que la mortalité du SBC a été fortement réduite à dater de la généralisation de l anticoagulation ; (e) les données rétrospectives suggérant que l anticoagulation augmente la survie dans les formes les moins sévères (24). En pratique, il est recommandé d instituer l anticoagulation dès que possible et de la maintenir. L utilisation d héparines de bas poids moléculaire, remplacées par un antagoniste de la vitamine K dès 216

que possible, permet de minimiser le risque qui pourrait être particulièrement élevé de thrombopénie induite par l héparine. L INR visé est compris entre 2 et 3. La reperméabilisation des voies de drainage veineux peut être obtenue par angioplastie, avec ou sans mise en place de prothèse endovasculaire, avec ou sans thrombolyse. Théoriquement, 30 % des cas d obstruction des veines hépatiques et 60 % des cas d obstruction de la veine cave inférieure sont le fait de sténoses fibreuses localisées susceptibles d être corrigées par une angioplastie percutanée. Celle-ci paraît sans danger et permet d améliorer ou de contrôler les manifestations dans la majorité des cas où elle est techniquement réussie. L impact sur la survie n a pas été évalué. Le taux de perméabilité à long terme mérite d être précisé, mais une angioplastie de révision peut facilement être effectuée en cas de récidive de sténose (24). L anastomose portosystémique latérolatérale a pour principe de transformer la veine porte en voie de drainage hépatofuge. Les anastomoses chirurgicales n ont pas d effet favorable décelable sur la survie, probablement en raison d une mortalité périopératoire et d un taux élevé de dysfonction (thrombose ou sténose) secondaire particulièrement élevés (25, 26). Toutefois, chez les patients ayant survécu à l intervention sans dysfonction secondaire de l anastomose, le contrôle des manifestations et la qualité de vie semblent excellents. L expérience récente gagnée avec le TIPS est extrêmement encourageante pour les raisons suivantes : la mortalité périinterventionnelle est faible, la sténose de la veine cave secondaire à l hypertrophie du lobe caudé n affecte pas le fonctionnement du TIPS, la sténose secondaire peut être corrigée par une angioplastie itérative et l utilisation de prothèses couvertes permet de diminuer considérablement le risque de sténose ou d obstruction secondaire (27). La transplantation a permis d obtenir des taux de survie à long terme voisins chez les patients atteints de SBC de ceux observés dans les autres indications de la transplantation pour maladie chronique du foie (1, 23). Toutefois, ces données sont difficiles à interpréter en l absence d ajustement pour la gravité de la maladie au moment de la décision de greffe. Il faut noter un taux de mortalité initial plus élevé que dans les autres indications de greffe. Tenant compte de ces données, un algorithme thérapeutique a été proposé, mais il n est pas encore parfaitement validé (1, 23). Il consiste, chez tous les patients, à corriger les facteurs de risque et à administrer des anticoagulants à vie en l absence de contreindication majeure. Les antécédents d hémorragie digestive par hypertension portale, et a fortiori la présence de varices œsogastriques, ne sont pas considérés comme des contre-indications majeures sous réserve d une prophylaxie habituelle des complications de l hypertension portale. Les principales manifestations (ascite, insuffisance rénale fonctionnelle, hémorragie de l hypertension portale) sont traitées selon les recommandations applicables aux malades atteints de cirrhose d autre origine. Chez les malades symptomatiques ou l ayant été, une sténose localisée doit être activement recherchée et traitée par manœuvre percutanée quand elle existe. Lorsque les manifestations ne sont pas bien contrôlées par les moyens précédents, la mise en place d un TIPS doit être envisagée. Il est préférable de s adresser à un centre très spécialisé car les difficultés d insertion et le risque lié à la procédure sont très supérieurs à ceux rencontrés au cours d une cirrhose d autre origine. En cas d échec ou d inefficacité du TIPS, une transplantation doit être envisagée. Il importe donc que les dispositifs endovasculaires soient mis en place de façon telle que la transplantation ne soit pas compromise. PRONOSTIC La survie des patients atteints de syndrome de Budd-Chiari s est constamment améliorée au cours des trois dernières décennies. Actuellement, des données préliminaires indiquent que des taux de survie de 85 % à 5 et 10 ans peuvent être atteints avec les mesures peu invasives d anticoagulation, d angioplastie et de TIPS. Le recours à la transplantation pourrait beaucoup diminuer avec l expérience croissante des centres spécialisés dans le traitement percutané endovasculaire. Plusieurs études rétrospectives portant sur la période 1985-2000 ont montré que les principaux indicateurs pronostiques de survie sans transplantation étaient les éléments du score de Pugh. Après ajustement sur ces éléments, d autres facteurs déterminant l évolution, comme le siège du bloc suprahépatique, l association d une thrombose portale ou le degré de fibrose, n apportaient pas d information pronostique significative, ce qui ne signifie nullement que ces facteurs ne jouent pas un rôle. Cela indique plutôt que leur impact est pris en compte par les éléments du score de Pugh (25, 26). Les points qui restent à préciser sont le rôle de la maladie causale et, en particulier, du syndrome myéloprolifératif éventuel dans la survie à long terme. Il se pourrait que ce rôle devienne majeur à mesure que l atteinte hépatique sera de mieux en mieux contrôlée par les traitements actuellement mis en œuvre. MÉDECINE FONDÉE SUR LE NIVEAU DE PREUVE Aucune des recommandations précédentes n est fondée sur un niveau de preuve élevé en raison de la difficulté à effectuer les études cliniques appropriées sur un nombre suffisant de patients atteints de cette maladie très rare. La plupart des recommandations précédentes sont donc fondées sur des consensus d experts (1, 28). Mots-clés : Syndrome de Budd-Chiari - Syndrome myéloprolifératif - Carcinome hépato-cellulaire - Anastomose porto-systémique - TIPS. Keywords: Budd-Chiari syndrome - Primary myeloproliferative disorders - Hepato-cellular carcinoma - Portosystemic shunting - TIPS. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Janssen HL, Garcia-Pagan JC, Elias E et al. Budd-Chiari syndrome: a review by an expert panel. J Hepatol 2003;38:364-71. 2. DeLeve LD, Shulman HM, McDonald GB. Toxic injury to hepatic sinusoids: sinusoidal obstruction syndrome (veno-occlusive disease). Semin Liver Dis 2002; 22:27-42. 3. Valla D. Hepatic venous outflow tract obstruction etiopathogenesis: Asia versus the West. J Gastroenterol Hepatol 2004;19:S204-S211. 217

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