Les attitudes par rapport au risque



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Chapitre 2 Les attitudes par rapport au risque Les actions de la vie ne souffrent souvent aucun délai, c est une vérité très certaine que, lorsqu il n est pas en notre pouvoir de discerner les plus vraies opinions, nous devons suivre les plus probables. René descartes Sommaire 2. Les loteries définies sur la monnaie................................... 47 2.2 Présentation des perspectives risquées................................. 47 2.3 Les attitudes par rapport au risque................................... 48 2.3. Projet certain de même espérance de gain qu un projet risqué................. 49 2.3.2 Définition de l aversion pour le risque................................ 49 2.3.3 Représentation graphique d alternatives simples......................... 50 2.4 Le revenu équivalent certain....................................... 5 2.5 Le coût du risque ou prime de risque.................................. 5 2.6 Risque additif, revenu équivalent certain, coût du risque...................... 54 2.7 Prix d achat et prix de vente d un risque................................. 54 2.8 Prime de probabilité (probability premium).............................. 56 2.9 Synthèse sur l aversion pour le risque.................................. 57 2.0 Une digression sur la forme des fonctions d utilité.......................... 57 2.0. L analyse de Friedman et Savage................................... 57 2.0.2 L apport de Markowitz......................................... 60 2. Mesures locales de l aversion pour le risque.............................. 62 2.. Le coefficient Pratt-Arrow d aversion absolue pour le risque.................. 62 2..2 Propriétés du coefficient de Pratt-Arrow.............................. 64 2..3 Le coefficient Arrow-Pratt d aversion relative pour le risque................... 67 2.2 Aversion pour le risque et richesse.................................... 70 2.2. Fonctions d utilité usuelles : une introduction........................... 70 2.2.2 Quelques fonctions d utilité usuelles................................ 72 2.2.3 Y-a-t-il des comportements typiques face au risque?...................... 74 Àpartir de maintenant, nous allons nous intéresser principalement à des perspectives risquées dont les différentes possibilités sont des grandeurs monétaires. Ceci va nous amener à simplifier notre présentation des choix en situation d incertitude. Dès la sortie du livre fondateur de von-neuman et Morgenstern (voir von Neumann et Morgenstern, 953), de nombreux économistes ont appliqué la théorie qui y était exposée à des domaines comme la finance ou les assurances. Rapidement, «l ensemble des possibilités» ne fut plus conçu que sous la forme unidimensionnelle de conséquences monétaires sur la richesse. Techniquement, les différentes possibilités se réduisirent à l ensemble des 46

2.. LES LOTERIES DÉFINIES SUR LA MONNAIE 47 réels R et les loteries furent assimilées à des variables aléatoires réelles. Une des conséquences de cette vision des choses fut d assimiler les préférences sur des loteries à des préférences sur des fonctions de répartition F (x) = Pr[X x] (ou sur les densités de probabilité f (x) qui leur sont associées). Cette approche en termes de variable aléatoire réelle étant dominante dans de nombreux domaines d application de la théorie des choix en situation d incertitude, nous allons désormais y avoir recours. 2. Les loteries définies sur la monnaie Nous allons désormais représenter une perspective risquée ayant des conséquences monétaires par une variable aléatoire réelle X et par la loi de probabilité qui lui est associée. Les différentes perspectives risquées seront caractérisées par leurs fonctions de répartition F (x) = Pr[X x] (et les densités de probabilité f (x) qui leur sont associées). Nous allons désormais désigner une perspective risquée par la variable aléatoire X et par un léger abus de notation on écrira le théorème de l utilité espérée sous la forme suivante U (X ) = u(x)f (x)d x = u(x) d F (x). La fonction u(.) associant à chaque quantité de monnaie certaine x un indice d utilité u(x) 2. Pour l instant, nous supposerons que la fonction u(.) est continue et croissante 3. Cette hypothèse n est pas exorbitante ; elle signifie que les individus attribuent des indices d utilité plus élevés à des sommes de monnaie plus importantes. Exemple. La présentation adoptée est générale. Elle s applique aux situations discrètes. Supposons que le jet d un dé rapporte une somme égale au nombre inscrit sur la face visible. On a Pr[n ] = 6 n, n =,...,6. On obtient la fonction de répartition dont la représentation est donnée dans la figure 2.. 0 si x < 6 si x < 2 2 6 si 2 x < 3 3 F (x) = 6 si 3 x < 4 4 6 si 4 x < 5 5 6 si 5 x < 6 si 6 x (2.) Cette façon de présenter les choses est générale ; elle est cependant peu commode. C est pourquoi on préfère généralement présenter les distributions discrètes en décrivant les probabilités associées à chaque possibilité. Dans l exemple précédent, on écrira la perspective risquée sous la forme : P(,2,3,4,5,6; 6, 6, 6, 6, 6, 6 ). On continue dans ce cas à écrire 6 U (P) = u(i ) 6. 2.2 Présentation des perspectives risquées i= Dans ce qui suit, nous traiterons de situations risquées portant généralement sur les revenus ou la richesse d un individu. On notera Y (pour «yield») ou W (pour «wealth») la variable aléatoire décrivant ce revenu ou cette richesse incertaine.. Une variable aléatoire est généralement écrite sous forme d une lettre majuscule. On trouve cependant dans certains ouvrages la notation x pour une quantité certaine et x pour une variable aléatoire. 2. La fonction u(.) est généralement appelée fonction von Neumann-Morgenstern. Nous ne nous conformerons pas à cette habitude. Nous réserverons cette appellation à la fonction U (.) et nous parlerons de «fonction d utilité du revenu certain» quand nous évoquerons la fonction u(.). 3. Nous verrons par la suite qu on peut préciser la forme de cette fonction u(.).

48 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE F 0.8 0.6 0.4 0.2 2 4 6 8 0 x Figure 2. Fonction de répartition Exemple. La valeur de ma maison (dans le futur) est une variable aléatoire discrète : il y a 99 chances sur 00 qu elle vaille 00 000 (s il n y a pas d incendie) et chance sur 00 qu elle ne vaille plus que 0 000 (s il y a un incendie). Les revenus (futurs) de mon entreprise suivent une loi normale N (00 000,0 000). Dans certains cas, il est possible de décomposer ces sommes en une composante sûre et une autre aléatoire. Si on note y 0 et w 0 la composante sûre du revenu et de la richesse, on écrira, Y f = y 0 + Y, W f = w 0 +W, Y et W désignant dans tous les cas la composante aléatoire du revenu ou de la richesse. Cette seconde présentation se révèle parfois mieux adaptée que la première au traitement de certains problèmes. Elle est particulièrement adaptée lorsqu un risque est isolable et s ajoute à une richesse certaine. Exemple. Lorsqu un individu achète un billet de loterie, il ajoute (avant le tirage) une composante aléatoire à sa richesse w 0. Un individu possède une richesse w 0 et il achète une action. 2.3 Les attitudes par rapport au risque Nous allons dans cette partie définir des notions telles que l aversion, la préférence ou l indifférence au risque. Ces notions sont fondamentales car elles vont nous permettre de comprendre les multiples facettes du comportement des individus soumis au risque. Essayons dans un premier temps de définir ce qu on appelle l aversion pour le risque (c.-à-d., la tendance «psychologique» qui consiste à refuser le risque, ou, ce qui revient au même, à privilégier les situations certaines). Imaginons qu on propose à un étudiant boursier le choix suivant : soit il reçoit une bourse de 3 000 3 000 pour mener à bien son année universitaire, soit le montant de la bourse est déterminé par un jeu de pile ou face ; si la pièce tombe sur choix 6 000 pile, l étudiant gagne 0 et si elle tombe sur face, il gagne 6 000. face On remarquera dans un premier temps que l étudiant est confronté à deux perspectives risquées, dont l une est dégénérée. L espérance ma- jeu pile thématique de gain est dans les deux cas identique. Si l étudiant refuse de jouer, il obtient 0 3 000 avec certitude. S il accepte de jouer, il gagnera «en moyenne» 3 000. A priori, on peut penser que la plupart des étudiants 4 refuseront de jouer à ce jeu. Dans ce cas, on dira qu ils présentent une aversion pour le risque. En effet, les deux projets risqués sont dans un sens équivalents puisque leur espérance 4. Dont vous, sans doute.

2.3. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE 49 de gain est identique. Ils ne diffèrent finalement que par leur degré de risque : l un est un pari risqué alors que l autre est certain. Or, on constate que la plupart des étudiants choisissent celui qui ne présente aucun risque ; on est donc autorisé à penser qu ils présentent une aversion pour le risque. Cet exemple m amène à proposer une première définition de l aversion pour le risque : présente une aversion pour le risque celui qui en toutes circonstances préfère un projet certain à un projet risqué de même espérance de gain. Cette dernière précision est cruciale. En effet, un individu présentant une aversion pour le risque ne refuse pas systématiquement les projets risqués. Imaginons la situation suivante : on propose toujours à notre étudiant la bourse annuelle de 3 000. Mais on lui propose désormais le jeu suivant : il gagne 2 500 si la pièce tombe sur pile et 7 500 si elle tombe sur face. Dans ces conditions, il y a de fortes chances pour que l étudiant accepte de jouer. Il privilégie alors le «risque» à la «certitude». Le choix est évident : s il ne joue pas il obtient 3 000 certains. S il joue, il gagne en moyenne 0 000. C est cette énorme différence dans l espérance de gain qui fait que notre étudiant acceptera sans doute de prendre un risque bien qu il présente une aversion pour le risque. Dans ce qui suit, nous allons proposer une définition plus rigoureuse de l aversion pour le risque. 2.3. Projet certain de même espérance de gain qu un projet risqué Définition. Soit un projet risqué. On appelle «projet certain de même espérance de gain que le projet risqué» la loterie dégénérée rapportant avec certitude x f (x)d x ou, dans le cas discret, x n p n. n Exemple. On considère la perspective risquée décrite par la variable aléatoire X : gagner x = 00 avec une probabilité 2 gagner x = 0 avec une probabilité 2 Calculons l espérance de gain de ce projet : E(X ) = 00 2 + 0 2 = 50 La loterie dégénérée équivalente en termes d espérance de gain est : gagner x = 50 avec une probabilité de 2.3.2 Définition de l aversion pour le risque Nous allons traduire sous forme mathématique notre première définition de l aversion pour le risque. Définition 2 (aversion pour le risque). Soient des projets risqués et les projets certains de même espérance de gain que les projets risqués qui leur sont associés. Un individu présente une aversion pour le risque si en toutes circonstances il considère les projets certains comme étant au moins aussi désirables que les projets risqués correspondants. En cas d indifférence systématique, on dira que l individu est neutre par rapport au risque. On parlera d aversion stricte pour le risque si en toutes circonstances il considère les projets certains comme étant plus désirables que les projets risqués correspondants. Soit un projet risqué décrit par la variable aléatoire X. Il vient : u(x) f (x)d x = u(x)df (x) est l utilité du projet risqué ; u ( x df (x) ) est l utilité du projet certain équivalent en termes d espérance de gain. Par conséquent, on parlera d aversion pour le risque si F (.) ( u(x)df (x) u ) x df (x). (2.2) Lorsqu on raisonne avec des variables aléatoires discrètes, on peut écrire : n u(x n )p n est l utilité du projet risqué ; u ( n x n p n ) est l utilité du projet certain équivalent en termes d espérance de gain.

50 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE Et l aversion pour le risque dans ce cas se traduira par ( N N (p, p 2,..., p N ) u(x n )p n u x n p n ). (2.3) n= n= Les équations 2.2 et 2.3 sont très intéressantes car elles vont nous permettre de mettre en relation la forme de la fonction u(.) et l attitude psychologique des individus par rapport au risque. En effet, la seule chose que nous savons sur la fonction u(.) est qu elle est croissante. Ceci traduit le fait que les individus associent généralement des indices d utilité plus importants à des sommes de monnaie plus importantes. Nos deux équations vont nous permettre d aller un peu plus loin dans la description de la fonction u(.). Mais auparavant, nous allons rappeler deux définitions concernant la concavité des fonctions. Définition 3 (fonction concave). La fonction f définie sur l ensemble convexe A R N et à valeur dans R est concave si x, x A et α [0 ] f (αx + ( α)x) αf (x ) + ( α)f (x). Elle est strictement concave si x, x A x x et α ]0 [ f (αx + ( α)x) > αf (x ) + ( α)f (x). Définition 4 (inégalité de Jensen). Si g est une fonction concave de R dans R alors, ( ) F : R [0 ] g x df (x) g (x)df En mettant en relation les équations 2.2 et 2.3 et ces deux définitions on constate immédiatement qu il y a équivalence entre l aversion (stricte) pour le risque et la concavité (stricte) de la fonction u(.). Le graphique 2.2 donne la typologie des fonctions u(.) selon l attitude par rapport au risque des individus..75.5.25 0.75 0.5 0.25 2 3 4 5 0 8 6 4 2 2 3 4 5 40 20 00 80 60 40 20 2 3 4 5 (a) aversion (b) neutralité (c) préférence Figure 2.2 Formes de u(.) et attitudes par rapport au risque La stricte concavité de la fonction u(.) signifie par ailleurs que l utilité marginale de la monnaie est décroissante. 2.3.3 Représentation graphique d alternatives simples Puisque nous connaissons maintenant les caractéristiques de la fonction u(.) relatives à l attitude par rapport au risque, nous allons montrer comment on peut dans des cas simples représenter des perspectives risquées. Considérons des projets risqués se caractérisant par l existence d une alternative monétaire. Par exemple : gagner avec la probabilité 2 gagner 3 avec la probabilité 2 À chacun de ces gains, on peut associer un indice d utilité u() et u(3). Le projet certain de même espérance de gain que le projet risqué est : gagner 2 avec certitude. L indice d utilité du projet risqué est obtenu en prenant l image par la corde AB de l espérance de gain du projet risqué. L utilité du projet certain équivalent en termes d espérance de gain au projet risqué est l image par la fonction u(.) de cette même espérance de gain. Comme on le voit sur le graphique 2.3, toute corde tracée à partir de deux points d une fonction concave étant située sous cette fonction, il s ensuit que l image d un point par la fonction est toujours supérieure à l image de ce même point par la corde. On comprend alors que si u(.) est strictement concave, l individu considéré préférera toujours la certitude au risque.

2.4. LE REVENU ÉQUIVALENT CERTAIN 5 utilité du projet certain équivalent u(3) u(2) 0,5u() +0,5 u(3) utilité du projet risqué B u( ) u() A 2 3 2 = (/2) + (/2) 3 Figure 2.3 représentation d une alternative simple Exercice. Montrer que l image de l espérance de gain du projet risqué par la corde reliant les deux possibilités de l alternative risquée donne l indice d utilité du projet risqué. 2.4 Le revenu équivalent certain Définition 5 (revenu équivalent certain). Soit une fonction u(.) et une perspective risquée décrite par la variable aléatoire X. On appelle revenu équivalent certain associé à X noté r ec X,u le montant de monnaie r ec X,u tel que l individu est indifférent entre la variable aléatoire X et le montant de monnaie certain r ec X,u, c.-à-d. : r ec X,u R vérifie u(r ec X,u ) = u(x) df (x) (2.4) Puisque la fonction u est continue et strictement croissante, on en déduit que ( ) r ec X,u = u u(x)df (x) La représentation graphique du revenu équivalent certain ne pose pas de problème dans le cas des alternatives simples. Il s agit de l image réciproque de l indice d utilité du projet risqué par la fonction d utilité comme on le voit sur le graphique 2.4. (2.5) 2.5 Le coût du risque ou prime de risque Un jeune travailleur a été embauché. Quand il se présente pour la première fois dans l entreprise, son patron lui propose la situation suivante :. soit il gagne un salaire mensuel certain de 20 000 2. soit le patron tire à pile ou face. Si la pièce tombe sur pile, le jeune travailleur gagne x = 0. Si c est face, il gagne x = 40 000 On remarque immédiatement que l espérance mathématique de gain est identique pour les deux perspectives risquées. Supposons maintenant que la fonction u(.) du jeune travailleur soit : u(x) = x. Le choix auquel il est confronté est donné dans le tableau 2.. Le résultat ne fait pas de doute : il est préférable aux yeux du jeune travailleur de ne pas jouer. Supposons maintenant que l employeur rende le jeu obligatoire. Il précise toutefois qu un jeune travailleur pourra éviter de jouer s il paie une somme c, dont le comité d entreprise fixera le montant. Les choix de notre individu représentatif apparaissent dans le tableau 2.2.

52 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE u u(0 000) B u( ) 0,5u(0) +0,5 u(0 000) u(0) A 0 rec 5 000 0 000 x Figure 2.4 Revenu équivalent certain Table 2. Perspectives risquées à choisir action indice d utilité ne pas jouer 20000 = 4,4 jouer 2 0 + 2 40000 = 00 Table 2.2 Perspectives risquées à choisir action indice d utilité ne pas jouer 20000 c =? jouer 2 0 + 2 40000 = 00

2.5. LE COÛT DU RISQUE OU PRIME DE RISQUE 53 Le tableau 2.3 pour sa part, met en relation les valeurs possibles de c et l indice d utilité qui en résulte. Table 2.3 Indice d utilité en fonction de c Valeurs de c Indice d utilité 000 37,84 2 500 32,28 5 000 22,47 7 500,80 0 000 00 2 500 86,60 5 000 70,7 Il révèle que tant que c est inférieur à 0 000, le jeune travailleur préférera payer c plutôt que d avoir à courir un risque. Mais dès que c excède 0 000, il choisira de courir le risque de jouer. Finalement, la valeur maximale de c que le jeune travailleur est prêt à payer plutôt que d avoir à courir un risque est 0 000. On fera immédiatement deux remarques : si le jeune travailleur paie cette somme c maximale, il lui restera une somme de monnaie certaine dont l utilité sera identique à celle du projet risqué... il lui restera donc le revenu équivalent certain. le jeune travailleur prélève la somme c sur son salaire annuel certain de 20 000. Or, le montant de son salaire certain équivaut à l espérance de gain du salaire risqué. Finalement, on aboutit au résultat suivant : la somme c maximale qu on appelle le coût du risque est la différence entre le revenu certain de même espérance de gain que le projet risqué et le revenu équivalent certain de ce projet risqué. Cette remarque va nous permettre de représenter le coût du risque assez facilement (voir graphique 2.5). u u(40 000) B u( ) 0,5 u(0) + 0,5 u(40 000) u(0) A 0 rec 20 000 40 000 x coût du risque Figure 2.5 Représentation du coût du risque Le coût du risque est bien une évaluation monétaire de la réticence du jeune travailleur à prendre un risque, c.-à-d. une mesure monétaire de son aversion pour le risque. Définition 6 (coût du risque, prime de risque). Soit une fonction u(.) et une perspective risquée décrite par la variable aléatoire X. On appelle coût du risque (ou prime de risque) associé à X noté c X,u le montant de monnaie qu un individu est prêt à payer sur le projet certain de même espérance de gain que le projet risqué pour ne pas avoir à courir le risque. On a c X,u = xdf (x) r ec X,u. (2.6)

54 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE Chez certains auteurs, le coût du risque est introduit plus «directement» de la façon suivante. Considérons une variable aléatoire X dont l espérance de gain est xdf (x). Le coût du risque est la somme de monnaie c X,u telle que l individu est indifférent entre recevoir la somme risquée X et la somme certaine xdf (x) c X,u. Vous vérifierez par vous-même que les deux approches sont strictement équivalentes. 2.6 Risque additif, revenu équivalent certain, coût du risque Pour définir les notions de revenu équivalent certain et de coût du risque, nous avons considéré que l individu ne possédait rien d autre qu un revenu ou une richesse risqués. Or, on se doute que généralement un individu possède au moins une partie de sa richesse sous une forme «certaine» et que le risque vient s ajouter à cette somme certaine. Nous allons voir que les définitions précédentes restent opérationnelles dans le cas d un risque additif. Considérons désormais un individu qui dispose d un revenu certain y 0 auquel s ajoute une perspective risquée décrite par la variable aléatoire X d espérance E[X ]. Si on prend en compte la totalité du revenu y 0 + X, on se doute qu il s agit d une variable aléatoire qui hérite en partie ses propriétés de X. Compte tenu des propriétés de l espérance et de la variance, on a E[y 0 + X ] = E[y 0 ] + E[X ] = y 0 + E[X ] V AR[y 0 + X ] = V AR[X ] On utilise aussi parfois un subterfuge consistant à modifier les données initiales de façon à travailler avec un risque équivalent d espérance nulle. Écrivons en effet On a alors Et la variance s écrit y 0 + X = y 0 + E[X ] + X E[X ]. } {{ } } {{ } y 0 X E[y 0 + X ] = E[y 0 ] + E[X ] = E[y 0 + E[X ]] + E[X E[X ]] = y } {{ } 0 + E[X ] = y 0 =0 V AR[y 0 + X ] = V AR[y 0 + E[X ]] +V AR[X E[X ]] = V AR[y } {{ } } {{ } 0 + X ] =0 =V AR[X ] Exemple. Un individu possède une richesse certaine de 00 000 et un titre valant 00 avec une probabilité 2 ou 200 avec une probabilité 2. Il revient au même de dire qu il possède une richesse totale de 00 00 avec une probabilité 2 ou 00 200 avec une probabilité 2. En utilisant notre subterfuge, on peut également dire qu il possède une richesse certaine de 00 50 et une richesse risquée rapportant 50 avec une probabilité 2 ou +50 avec une probabilité 2. On voit ici que l espérance de la partie risquée de la richesse est nulle. Lorsqu un individu est confronté à un risque additif, il est important de ne pas isoler le risque de la partie certaine de son revenu ou de sa richesse. C est pourquoi, on calcule toujours r ec y0 +X,u ainsi que c y0 +X,u, c.-à-d. le revenu équivalent certain et le coût du risque compte tenu du niveau de revenu certain (ou de richesse certaine) y 0. 2.7 Prix d achat et prix de vente d un risque Ces deux notions sont particulièrement bien adaptée aux situations où un risque est isolable et où il est possible de décomposer la richesse en une composante certaine et une risquée. Définition 7 (prix de vente d un risque). pour se débarrasser d un risque. Définition 8 (prix d achat d un risque). à payer pour acquérir un risque. Le prix de vente d un risque est le prix minimal qu un individu exige Le prix d achat d un risque est le prix maximal qu un individu est prêt Je vais illustrer ces deux définitions par deux exemples.

2.7. PRIX D ACHAT ET PRIX DE VENTE D UN RISQUE 55 Prix de vente d un risque Exemple. Imaginons un individu possédant une richesse certaine de 0 000 et un billet de loterie rapportant 0 000 (ou rien) avec une probabilité de 2. Imaginons que cet individu dont la fonction d utilité du revenu certain est u = w veuille vendre le billet de loterie contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Il est clair que l utilité de sa richesse une fois le billet vendu ne devra pas être inférieure à l utilité qu il retire de sa richesse quand il possède encore le billet. Si on note p v le prix de vente du billet, il vient 0 000 + pv = 0 000 + 0 000 + 0 000 + 0 = pv = 4 57,07. (2.7) 2 2 De façon générale, le prix de vente d un risque représenté par une variable aléatoire X s ajoutant à une richesse certaine w 0 vérifie u(w 0 + p v ) = u(w 0 + x)df (x). (2.8) Prix d achat d un risque Exemple. Supposons maintenant qu un individu ne possède qu une richesse sûre de 0 000. Il souhaite cependant acheter un billet de loterie rapportant 0 000 (ou rien) avec une probabilité de 2. Quel est le prix maximal qu il est prêt à payer pour obtenir ce billet si sa fonction d utilité du revenu certain est u = w? Il est évident que si l achat se fait, la richesse certaine de l individu va baisser du prix d achat p a du ticket. Mais il est vrai qu à cette richesse amputée du prix d achat du ticket s ajoute désormais les gains possibles de ce même ticket. Le billet ne sera pas acheté si le bien-être de l individu s avère en définitive plus faible dans la situation risquée que dans la situation initiale certaine. Par conséquent, le prix d achat maximal vérifie 0 000 = 2 0 000 pa + 0 000 + 2 0 000 pa + 0 = p a = 4375. (2.9) De façon générale, le prix maximal d achat d un risque représenté par une variable aléatoire X est solution de u(w 0 ) = u(w 0 p a + x)df (x). (2.0) On notera pour terminer que le prix de vente et d achat n ont aucune raison de coïncider. application Un organisateur privé de tombolas se demande s il est plus intéressant de proposer un seul gros lot gagnant ou de nombreux petits lots gagnants. Son but est évidemment de maximiser son profit, c.-à-d. la différence entre les recettes issues de la vente des billets et la valeur des lots de la tombola. Si on note p le prix de vente du billet de tombola et n le nombre de billets émis, les recettes R vérifient R = pn. Par ailleurs, l organisateur annonçant des lots d une valeur totale de V, ses profits s élèveront à Π = pn V. On suppose dans ce qui suit que V = 0 000, que n = 000. De plus, on note α le nombre de lots (de même valeur).. À quel prix doit être vendu un billet pour que le profit soit nul? Positif? 2. Quelle est la probabilité de gagner un lot selon le nombre de lots? 3. Quelle est l espérance de gain dans une tombola proposant lot, 2 lots... α lots? On suppose maintenant que les acheteurs de billets sont tous identiques (!) possèdent une richesse sûre de 0 000 et leur fonction d utilité s écrit u = e 0,0000w.

56 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE 4. Quel est le prix d achat d un billet de tombola à un seul gros lot? 5. Quel est le prix d achat d un billet de tombola à deux lots égaux? 6. Quel type de tombola maximise les profits de l entrepreneur? Les profits de l organisateur du jeu sont nuls si pn = V = p = V n = 0 et positifs s ils dépassent ces 0. La probabilité de gagner un lot dépend évidemment du nombre de billets émis et du nombre de lots offerts. La probabilité de gagner un lot est Pr = α n. = 0 000 000 L espérance de gain d un billet reste constante quel que soit le nombre de lots, E[g ai n] = α n Nous savons que le prix d achat vérifie u(0000) = α n e 0000 0 000 = α n 0 000 α u(0000 p + 0000 α 0 000 000 p+ e0,0000(0 α + n α 0 000 0 = = 0. n 000 ) + n α u(0000 p), n ) + n α n e0,0000(0 000 p). Lorsqu il n y a qu un seul lot (α = ) le prix d achat est 7,6. Lorsqu il n y a deux lots (α = 2) le prix d achat est 2,96. Si tous les joueurs sont identiques, le prix d achat type du billet est plus important lorsqu il n y a qu un seul et unique gros lot. L organisateur du jeu aura donc intérêt à organiser ce type de tombola s il veut maximiser son profit. Vous noterez que le résultat qu on obtient n est pas conforme à la réalité : les organisateurs de jeu proposent rarement un unique gros lot, mais plutôt un ensemble de gains. Cela laisse supposer que contrairement à ce que montre cet exercice ils maximisent plutôt leur profit avec des jeux à gains multiples. En remontant la chaîne causale, on doit en déduire que contrairement à ce qui se passe dans l exercice, le prix d achat est plus fort pour les billets à gains multiples que pour les billets à gain unique et donc que notre fonction u n est sans doute pas représentative de la psychologie réelle du public. Pour ceux qui veulent en savoir plus, rendez-vous à la section 2.0. 2.8 Prime de probabilité (probability premium) Considérons à nouveau le cas de l étudiant qui doit choisir entre une bourse d étude certaine de 3 000 et une bourse aléatoire (0 ou 6 000 ) obtenue par un tirage à pile ou face (voir page 48). Modifions l épreuve risquée de la façon suivante : l étudiant doit tirer une boule d une urne contenant 999 boules rouges et boule noire. S il tire une boule rouge, il empoche les 6 000, sinon il ne gagne rien. Dans ces conditions, il est fort probable que l étudiant se laissera séduire par le pari risqué. On peut d ailleurs le vérifier sur notre étudiant fictif si sa fonction d utilité du revenu certain est u = y (voir tableau 2.4). Table 2.4 Jeu de l urne action utilité ne pas jouer 54,77 jouer 999 000 6000 + 000 0 = 77,38 On constate donc que la modification des probabilités en faveur de l issue favorable (et ici, on l a vraiment favorisée!) a modifié le choix de l étudiant. Si on réfléchit quelque peu à la procédure suivie, on constate que partant d une situation risquée de même espérance de gain que la situation certaine, on a simplement «déplacé des probabilités» de l issue défavorable vers l issue favorable. Ce «déplacement de probabilité» est à la base de la notion de prime de probabilité. La prime de probabilité sera le «déplacement» en faveur de la probabilité du

2.9. SYNTHÈSE SUR L AVERSION POUR LE RISQUE 57 Table 2.5 Déplacement progressif des probabilités proba initiale déplacement de proba proba du gain favorable utilité utilité de «ne pas jouer» 0,5 0 0,5 38,73 54,77 0,5 0,5 0,5 0,5 0 0,6 46,47 54,77 2 0 0,7 54,22 54,77 3 0 0,8 6,96 54,77 4 0 0,9 69,7 54,77 gain favorable qui rendra aussi attrayantes la situation risquée et la situation certaine. Par exemple, en déplaçant par pas de 0 les probabilités, on obtient les résultat qui apparaissent dans le tableau 2.5. On voit alors qu un déplacement des probabilité situé entre 2 0 et 3 0 suffira à rendre le choix de jouer aussi attrayant que le choix de ne pas jouer. Nous pouvons maintenant proposer une définition formelle de la notion de prime de probabilité. Définition 9 (prime de probabilité). Soit un montant de monnaie certain x et deux revenus risqués (x+ɛ, x ɛ). Considérons la distribution de probabilité ( 2, 2 ) qui rend l espérance de gain de la perspective risquée égale à celle du projet certain. On appelle prime de probabilité et on la note π x,ɛ,u le supplément de probabilité de gagner qu il faut ajouter à 2 pour rendre indifférent un individu entre le gain certain x et les deux revenus risqués (x + ɛ, x ɛ). C est à dire, π x,ɛ,u [0 2 ] est tel que u(x) = ( 2 + π x,ɛ,u)u(x + ɛ) + ( 2 π x,ɛ,u)u(x ɛ). 2.9 Synthèse sur l aversion pour le risque Proposition (aversion pour le risque). Soit un individu caractérisé par une fonction u(.) définie sur des montants de monnaie. Cet individu maximise son espérance d utilité quand il est soumis au risque. Dans ces conditions, les propositions suivantes sont équivalentes :. l individu manifeste une aversion pour le risque 2. u(.) est concave 5 3. X r ec X,u x df (x) 4. X c X,u 0 5. x, ɛ π x,ɛ,u 0 2.0 Une digression sur la forme des fonctions d utilité Avant de continuer notre exploration des concepts liés au risque, nous allons nous intéresser à la forme des fonctions d utilité lorsqu on essaie de prendre en compte les comportements concrets des agents soumis au risque. Je vais utiliser deux articles fondateurs : celui de Friedman et Savage (948) et celui de Markowitz (952). 2.0. L analyse de Friedman et Savage Il est difficile de faire référence à cet article sans évoquer le but poursuivi par les auteurs. Il s agit de montrer que la «récente» théorie (l article date de 948) des choix en situation d incertitude de von-neumann et Morgenstern permet de rendre compte des comportements humains lorsque les agents sont soumis au risque. Les deux auteurs s opposent à une longue tradition, remontant à Adam Smith et passant par Alfred Marshall, qui voulait 5. Si u(.) est deux fois dérivable, alors la concavité est équivalente à : x u (x) 0.

58 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE que la théorie de la maximisation de l utilité ne s appliquait pas aux choix risqués. Tradition tenace puisqu au sortir de la seconde guerre mondiale W. Vickrey n était pas le seul à penser que : There is abundant evidence thet individual decisions in situations involving risk are not always made in ways that are compatible with the assumption that the decisions are made rationally with a view to maximising the mathematical expectation of a utility function. Friedman et Savage entendent au contraire montrer que cette théorie est remarquablement efficace pour expliquer une large gamme de comportements lorsque les agents sont soumis au risque, y compris celui considéré comme inexplicable par la théorie consistant tout à la fois à s assurer et à jouer à des jeux d argent. Que faut-il expliquer? On peut considérer que les façons d utiliser les ressources économiques se divisent en trois catégories selon leur degré de risque :. les utilisations peu risquées (un travail de fonctionnaire, une obligation d État, un titre garanti par l État, la location de maisons d habitation, etc.) 2. les utilisations moyennement risquées qui ne conduisent pas à des gains ou des pertes extrêmes (professions libérales, activités industrielles et commerciales concurrentielles, les actions, etc.) 3. les utilisation fortement risquées qui conduisent à des gains ou des pertes extrêmes ou des professions physiquement risquées (titres spéculatifs, activités industrielles et commerciales novatrices, course automobile, etc.) Or, la littérature économique prétend que les utilisations () et (3) sont généralement préférées aux emplois de ressources de type (2). C est le cas de Alfred Marshall : En outre, quoique, en prenant cette moyenne, nous obviions à la nécessité de faire une place à part à l assurance contre les risques, il reste, en général, à tenir compte du mal que cause l incertitude. Il existe, en effet, bien des gens de tempérament sobre et rangé, qui aiment à savoir ce qui les attend et qui préfèrent de beaucoup une situation qui leur assure un revenu de, par exemple, 400 par an à une situation qui pourrait leur donner 600, mais qui peut tout aussi bien ne leur en donner que 200. C est pourquoi l incertitude qui ne provoque ni des grandes ambitions, ni de hautes aspirations, n a d attrait spécial que pour très peu de gens ; tandis que cette même incertitude agit comme un épouvantail sur beaucoup de ceux qui font choix d une carrière. Et, en général, la certitude d un succès modéré exerce une plus grande attraction que l attente d un succès incertain qui a une valeur pécuniaire numérique égale. Mais, d un autre côté, si une occupation offre quelques prix extrêmement élevés, l attrait qu elle en reçoit est hors de toute proportion avec leur valeur totale. (Principes d économie politique, livre VI, chap. III, 6). Cette remarque correspond assez bien au conseil que donnaient jadis les parents aux enfants : «devient fonctionnaire, c est une situation peu exaltante... mais sûre!» Le fait que les agents économiques préfèrent les situations très risquées ou très sûres à celles intermédiaires explique sans doute qu une même personne s assure et accepte de jouer à des jeux où elle a une faible chance de gagner une véritable fortune 6. Les preuves empiriques de la volonté des individus de s assurer (et ce indépendamment des obligations légales) ne manquent pas. Il en va de même des preuves concernant la volonté des individus d acheter des billets de loterie. Les preuves empiriques d une double attitude ne manquent pas non plus! À ces considérations, Friedman et Savage ajoutent une remarque d une toute autre nature 7. Ils notent en effet que les innombrables loteries et jeux de hasard qui existent proposent généralement plusieurs prix (ou lots) et rarement un seul 8. La forme de la fonction d utilité doit donc être capable d expliquer 5 constatations :. les consommateurs préfèrent des revenus certains importants plutôt que faibles ; 2. les consommateurs à faible revenu s assurent ou désirent s assurer ; 6. Ou d investir dans des titres très rentables mais très risqués. 7. Elle porte sur l organisation des jeux et non sur l attitude des joueurs. 8. Le Loto, qui est l archétype du jeu en France, propose effectivement plusieurs lots selon le nombre de numéros gagnants.

2.0. UNE DIGRESSION SUR LA FORME DES FONCTIONS D UTILITÉ 59 3. les consommateurs à faible revenu achètent ou souhaitent acheter des tickets de loterie ; 4. de nombreux consommateurs à faible revenu achètent ou souhaitent acheter à la fois des assurances et des tickets de loterie ; 5. de façon générale les loteries offrent plus d un prix. Considérons maintenant la fonction représentant l utilité d un revenu certain. La première constatation implique que cette fonction est croissante. Les deuxièmes et troisièmes constatations impliquent que cette fonction est concave (recherche de sécurité) ou convexe (prise de risque). La quatrième entraîne que cette fonction a simultanément des parties concaves et des parties convexes. Selon Friedman et Savage, la partie concave doit précéder la partie convexe afin de rendre compte de la tendance des consommateurs à faible revenu 9 à : s assurer contre les pertes ; jouer pour gagner «le gros lot». e g a d f c d b y 3 y' y y 0 (a) assurance y y* y0 y2 (b) pari Figure 2.6 Première fonction de Friedman et Savage Dans le graphique 2.6a, on a représenté une telle fonction d utilité. On suppose que le revenu initial de l individu est représenté au point d et vaut y 0. Supposons que cet individu soit confronté à un risque de perte de revenu : si le risque se réalise (avec une probabilité p) son revenu n est plus que de y 3. On admet que l espérance de revenu est y. De façon générale, on constate que tout risque de perte de revenu se représente de la même façon : l espérance de revenu est située à gauche du revenu initial y 0. L individu sera enclin à s assurer, c.-à-d. qu il sera prêt à payer jusqu à (y 0 y ) pour obtenir l assurance d avoir y (ou plus) quoiqu il arrive. Le graphique 2.6b montre que l individu du graphique précédent est prêt à jouer pour gagner le «gros lot». On suppose toujours que le revenu de l individu est y 0. On lui propose un billet de loterie dont les caractéristiques sont les suivantes : il coûte (y 0 y ), ne rapporte rien avec une forte probabilité et gagne en revanche une somme importante (y 2 y ) avec une probabilité assez faible. On admet que la loterie est équitable et donc, que l espérance de gain net du billet est E[y] = α(y y 0 ) + ( α)(y 2 y 0 ) = 0 Tout se passe donc comme si l individu était confronté à la situation risquée suivante : avoir y avec une probabilité α ou y 2 avec une probabilité ( α), pour une espérance de gain y 0. On voit sur le graphique 2.6b que l utilité du jeu (point g ) est supérieure à l utilité du revenu certain y 0 (point d) et que l individu acceptera donc de jouer. On vérifie de cette façon qu un même individu ayant un revenu y 0 peut «rationnellement» envisager de s assurer et de jouer. Nous allons maintenant examiner la cinquième considération de Friedman et Savage. Pour ce faire, nous allons supposer qu un individu est confronté à deux loteries qui ne diffèrent que par la structure des lots. Pour simplifier l exposé, on va se resteindre au cas de deux structures de lots : une loterie qui rapporte un «énorme» gros lot et une autre qui rapporte deux lots «moyens». L individu auquel on s intéresse possède un revenu y 0 et on lui propose les deux jeux suivants : 9. Friedman et Savage ne parlent que des consommateurs à faible revenu parce que les attitudes des consommateurs à haut revenu sont disent-ils mal connues. Pour des renseignements complémentaires, voir Friedman et Savage (948), 4.

60 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE l k y 0 (y - y ) 2 2 (y - y ) 2 Figure 2.7 Comparaison de la taille des lots. dans le premier jeu, il y a deux lots gagnants identiques. Le joueur mise (y 0 y ). S il gagne avec la probabilité ( α) il reçoit (y 2 y ). S il perd, l organisateur de la loterie ne lui doit rien On suppose que l espérance de gain du billet de loterie est par exemple y 0. 2. dans le second jeu, il y a une super cagnotte. Le joueur mise (y 0 y ). S il gagne, avec la probabilité ( α 2 ), il reçoit (2(y 2 y )). S il perd, l organisateur de la loterie ne lui doit rien. On notera que l espérance de gain du billet de loterie est également y 0. On vérifie facilement sur le graphique 2.7 qu un individu dont la fonction d utilité ressemble à la première fonction de Friedman et Savage choisira la loterie offrant une unique «super-cagnotte». En effet, l indice d utilité de la «super-cagnotte» (l) est supérieur à celui de la loterie offrant deux lots «moyens» (k). Mettons-nous maintenant à la place d un organisateur (privé) de loteries. Si la proposition précédente est vraie, il aurait toujours intérêt à proposer des loteries à lot unique 0. Or, la réalité nous prouve que les loteries à lots multiples sont la règle. Par conséquent, la cinquième considération de Friedman et Savage infirme la forme de leur «première» fonction d utilité. Ils suggèrent donc de terminer une «fonction d utilité typique» par un segment convexe comme on le voit sur le graphique 2.8. u Figure 2.8 Fonction d utilité de Friedman-Savage y 2.0.2 L apport de Markowitz En 952, Harry Markowitz (voir Markowitz (952)) critique la deuxième fonction d utilité de Friedman et Savage en montrant que ses prédictions concernant le comportement des agents est contraire au faits généralement constatés. 0. Pour le détail du raisonnement, se reporter au texte de Friedman et Savage.

2.0. UNE DIGRESSION SUR LA FORME DES FONCTIONS D UTILITÉ 6 Considérons la situation décrite par le graphique 2.9. On suppose que l axe des abscisses représente des niveaux de richesse. Les personnes possédant moins que C seront dites «pauvres». Celles qui possèdent une richesse supérieure à D seront dites «riches». Avec ce type de graphique, on constate que les «pauvres» et les «riches» refuseront presque systématiquement tout pari équitable alors que ceux dont la richesse est comprise entre C et D en accepteront certains. En particulier, considérons deux individus dont la richesse est identique et située à mi-chemin entre C et D. On leur propose le pari équitable suivant : gagner C ou D sur un simple jet d une pièce parfaitement équilibrée. u C «pauvre» «riche» D w Figure 2.9 La critique de Markowitz On constate que ces deux individus vont se précipiter sur ce jeu où le gagnant deviendra «riche» et le perdant «pauvre». Or, selon Markowitz, ce résultat est contre-intuitif. We do not observe persons of middle income taking large symmetrics bets. We expect people to be repelled by such bets. If such a bet were made, it would certainly be considered unusual and probably irrational. (Markowitz, 952, p. 52) Considérons maintenant le cas d un individu «presque riche» (c.-à-d., situé légèrement à gauche du point D). Il accepterait de bon cœur un pari lui donnant une faible probabilité de devenir «pauvre» (point C ) et une forte probabilité de gagner très peu et donc, de devenir «riche» (point D). Une fois encore, ce résultat est contre-intuitif. He would not insure against a loss of wealth to C. On the contrary he would be anxious to underwrite insurance. He would even he willing to extend insurance at an expected loss to himself! (Markowitz, 952, p. 52-3) Markowitz ne remet pas fondamentalement en cause l apport de Friedman et Savage. Il se propose néanmoins de fournir une solution aux difficultés qui viennent d être signalée. Selon lui, une courbe typique d utilité présente les caractéristiques suivantes :. elle présente trois points d inflexion ; 2. l origine correspond à la «richesse habituelle» de l individu ; 3. elle est bornée, d abord convexe puis concave, à nouveau convexe et enfin concave ; 4. la désutilité d une perte est plus importante que l utilité d un gain de même ampleur que la perte, c est à dire u( X ) > u(x ) pour X > 0 ; 5. sa forme est «identique» quelle que soit la richesse de l individu. Le graphique 2.0 illustre une fonction d utilité «à la Markowitz». Le point de «richesse habituelle» correspondant au point d inflexion du graphique 2.7 de Friedman et Savage, on retrouve donc chez Markowitz les acquis de ces deux auteurs : la tendance simultanée à s assurer contre les pertes de richesse et à acheter des billets de loterie.

62 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE u richesse actuelle -c +c w Figure 2.0 La courbe d utilité de Markowitz An examination of [Figure 5] will show that the above hypothesis is consistent with the existence of both "fair" (or slightly "unfair") insurance and "fair" (or slightly "unfair") lotteries. The same individual will buy, insurance and lottery tickets. He will take large chances of a small loss for a small chance for a large gain. (Markowitz, 952, p. 55) La dissymétrie de la fonction de chaque côté du point de richesse actuelle assure qu un individu refusera toujours les paris symétriques : Generally people avoid symmetric bets. This suggests that the curve falls faster to the left of the origin than it rises to the right of the origin. (Markowitz, 952, p. 54) Le graphique 2.0 illustre cette proposition. On voit en effet que tout pari symétrique (gagner +c ou perdre c avec des probabilités égales) sera moins apprécié que la richesse certaine actuelle. De plus, To avoid the famous St. Petersburg Paradox, or its generalization by Cramer, I assume that the utility function is bounded from above. For analogous reasons I assume it to be bounded from below. (Markowitz, 952, p. 54) Mais aussi : The hypothesis implies that his behavior will be essentially the same whether he is poor or rich except the meaning of "large" and "small" will be different. In particular there are no levels of wealth where people prefer large symmetric bets to any other fair bet or desire to become one-man insurance companies, even at an expected loss. (Markowitz, 952, p. 54) 2. Mesures locales de l aversion pour le risque 2.. Le coefficient Pratt-Arrow d aversion absolue pour le risque Considérons une richesse risquée décrite de la façon suivante. Un individu possède une richesse certaine w 0 à laquelle s ajoute un risque W d espérance nulle E[W ] = 0. On suppose que la variance de W est faible. On s intéresse au coût du risque de cette perspective risquée lorsque la variance de W tend vers zéro. Nous avons vu précédemment (voir la définition 2.4) que le revenu équivalent certain de la richesse totale w 0 +W s écrit u(r ec w0 +W,u) = u(w 0 + w)df (w). (2.) Mais, compte tenu de la définition du coût du risque (voir page 55), la relation 2. peut s écrire u(e[w 0 +W ] c w0 +W,u) = u(w 0 + w)df (w). (2.2). Cette hypothèse n est pas nécessaire mais elle simplifie la démonstration. Pour justifier cette simplification, on remarquera que w 0 +W où W est une variable aléatoire d espérance non-nulle peut être exprimé sous la forme d une somme certaine w 0 = w 0 + E[W ] et d une variable aléatoire W = W E[W ] d espérance nulle. Les couples (w 0,W ) et (w 0,W ) sont formellement identiques.

2.. MESURES LOCALES DE L AVERSION POUR LE RISQUE 63 Puisque E[W ] = 0, il vient u(w 0 c w0 +W,u) = u(w 0 + w)df (w). (2.3) Nous allons donner une approximation 2 des deux membres de la relation 2.3 en leur appliquant un développement de Taylor à l ordre et 2. On a pour le membre de gauche, Pour le membre de droite, il vient u(w 0 c w0 +W,u) u(w 0 ) c w0 +W,uu (w 0 ). (2.4) u(w 0 + w)df (w) (u(w 0 ) + wu (w 0 ) + w 2 ) 2 u (w 0 ) df (w), u(w 0 ) df (w) + u (w 0 ) (w 0)dF (w) + 2 u (w 0 ) (w 0) 2 df (w). On sait que (w 0)dF (w) est identiquement nul et que (w 0) 2 df (w) n est rien d autre que la variance de W. Il vient donc u(w 0 + w)df (w) u(w 0 ) + 2 u (w 0 )V AR[W ]. (2.5) On peut donc écrire, en tenant compte des relations 2.4 et 2.5, dont on déduit u(w 0 ) c w0 +W,uu (w 0 ) u(w 0 ) + 2 u (w 0 )V AR[W ], (2.6) c w0 +W,u u (w 0 ) 2 u V AR[W ]. (2.7) (w 0 ) On notera que la relation 2.7 n est qu une approximation qui est d autant meilleure que les w s écartent peu de w 0, c.-à-d. que le risque W a une faible variance. Définition 0 (coefficient d aversion absolu pour le risque). Soit u une fonction d utilité d un revenu (ou d une richesse) certain. Soit w 0 une richesse certaine. On appelle coefficient d aversion absolu pour le risque ou coefficient Pratt-Arrow d aversion absolu pour le risque pour le niveau de richesse w 0 noté ru A(w 0) l expression r A u (w 0) = u (w 0 ) u (w 0 ). On interprète alors la formule d approximation de Pratt de la façon suivante : Thus the decision maker s risk premium for a small, actuarially neutral risk z is approximately r (x) times half the variance of z; that is, r (x) is twice the risk premium per unit of variance for infinitesimal risks. A sufficient regularity condition for (5) (dans notre texte : équation 2.5) is that u have a third derivative which is continuous and bounded over the range of all z under discussion. (Pratt, 964, p. 64) Le coefficient r (w) est une mesure locale de l aversion pour le risque d un individu. In these ways we may interpret r (x) as a measure of the local risk aversion or local propensity to insure at the point x under the utility function u; r (x) would measure locally liking for risk or propensity to gamble. Notice that we have not introduced any measure of risk aversion in the large. Aversion to ordinary (as opposed to infinitesimal) risks might be considered measured by π(x, z) (dans notre texte : c w0 +W,u pour le niveau de richesse w 0 ), but π is a much more complicated function than r. (Pratt, 964, p. 65) On en comprend aisément la signification en examinant de plus près notre approximation du coût du risque. Dans le cas d un individu présentant une aversion pour le risque, le coût du risque dépend de : du montant de la richesse certaine w 0 ; de la variance de la richesse. Plus la variance est importante et plus le coût du risque sera important ; de la «psychologie» de l individu, représentée par la fonction d utilité u. 2. J omettrai les termes résiduels.

64 CHAPITRE 2. LES ATTITUDES PAR RAPPORT AU RISQUE Le coefficient d aversion absolu pour le risque essaie d isoler la seule «composante psychologique» de la réticence à prendre des risques à un certain niveau de richesse. De plus, r A u (w 0) dépend pour l essentiel de la dérivée seconde de la fonction u, dont on sait qu elle caractérise la concavité (ou la convexité) d une fonction. Comme le dit Pratt, r A u (w 0) permet d estimer l importance de cette concavité : The aversion to risk implied by a utility function u seems to be a form of concavity, and one might set out to measure concavity as representing aversion to risk. It is clear from the foregoing that for this purpose r (x) = u (x)/u (x) can be considered a measure of the concavity of u at the point x. (Pratt, 964, p. 66) Exemple. On considère un individu possédant une richesse sûre de w 0 =0 000 dont la fonction d utilité du revenu certain est u = w. On considère le risque additif suivant W : gagner 00 avec une probabilité de 2 ; perdre 00 avec une probabilité de 2 Nous allons calculer le coût du risque des deux façons que nous connaissons. le coût du risque : Il suffit de résoudre et on obtient après calcul 0 000 + c = 0000 00 + 0000 + 00, 2 2 c = 0,250006. approximation de Pratt : c = 2 u (0000) u (0000) V AR[W ] = 2 0000 = 0,25. 20000 On constate sur cet exemple que l approximation de Pratt du coût du risque est très satisfaisante. De plus, on dira que l intensité de l aversion pour le risque est r A u (w 0) = 0,00005. Considérons maintenant le même exemple avec toutefois comme richesse initiale w 0 = 000, 2000, 50000 et pour finir 00000. Les résultats qu on obtient sont présentés dans le tableau 2.6, page 64. facteurs richesse Table 2.6 Comparaison du coût de risque et de son approximation coût du risque approximation de Pratt coefficient de Pratt-Arrow variance 000 2,50628 2,5 0.0005 0 000 2 000,25078,25 0.00025 0 000 50 000 0,050000 0,05 0.0000 0 000 00 000 0,025 0,025 5 0 6 0 000 Remarquons tout d abord que le risque additif est le même dans les quatre cas. Seule diffère la grandeur de la richesse initiale sûre. On constate ici que le coût du risque décroît avec la richesse de l individu (qui présente une aversion pour le risque). La décomposition de Pratt est, à cet égard, très instructive. Elle montre que la variation du coût du risque est entièrement imputable à la seule «psychologie» de l individu puisque la variance du risque reste la même dans tous les cas. Sa réticence à prendre des risques tend à décroître avec la richesse comme le montre l évolution du coefficient r A u (w 0). Le graphique 2. illustre cette relation. On vérifie par ailleurs que l approximation de Pratt est d autant meilleure que le risque est petit en comparaison de la richesse initiale. 2..2 Propriétés du coefficient de Pratt-Arrow Le coefficient Pratt-Arrow possède des propriétés très intéressantes en ce qui concerne la comparaison de l aversion (ou la préférence) pour le risque.

2.. MESURES LOCALES DE L AVERSION POUR LE RISQUE 65 r A u (w 0 ) 0.00 0.0008 0.0006 0.0004 0.0002 0000 20000 30000 40000 50000 w0 Figure 2. Évolution du coefficient de Pratt-Arrow comparaisons entre individus Imaginons la situation suivante : deux individus possèdent la même richesse certaine w 0 et ils sont confrontés au même risque (additif) W (par exemple acheter une action à un certain prix). On constate pourtant qu un individu achète l action alors que l autre non. On est tenté d en tirer les conclusions suivantes : puisque le revenu et le risque sont identiques dans les deux cas, la différence d attitude vient certainement de la «psychologie» des deux individus, c.-à-d. de leur fonction d utilité. Nous pouvons donc penser que la fonction d utilité d utilité de celui qui refuse le risque «contient plus d aversion pour le risque 3» que la fonction d utilité du second ou encore que le coefficient Pratt-Arrow du second est plus important que celui du second ou encore puisque la richesse et le risque sont les mêmes que le coût du risque du second est plus important que celui du second. Nous devons à Pratt un théorème qui met en forme ces intuitions. Théorème. Soient u et v deux fonction d utilité d un richesse certaine w 0 R, continues, monotones croissantes et deux fois différentiables. Soit W un risque additif. Les trois propositions suivantes sont équivalentes :. w 0, r A u (w 0) r A v (w 0) 2. il existe une fonction concave f telle que w 0, u(w 0 ) = f (v(w 0 )) 3. W, c w0 +W,u c w0 +W,v. Démonstration. () (2) Montrons tout d abord que f existe. Notons v(w 0 ) = t. On sait que v est continue et monotone croissante, par conséquent v existe et on a w 0 = v (t). Définissons maintenant f de la façon suivante : f = u v. Par conséquent, u(w 0 ) = f (t). Mais on sait que v(w 0 ) = t, par conséquent u(w 0 ) = f ( v(w 0 ) ) et f existe. Différencions u(w 0 ) = f ( v(w 0 ) ). Il vient Une transformation élémentaire conduit à u (w 0 ) = f ( v(w 0 ) ) v (w 0 ). (2.8) f ( v(w 0 ) ) = u (w 0 ) v > 0. (2.9) (w 0 ) Cette expression est positive puisque u et v sont croissantes. En différenciant 2.8, il vient En remplaçant f de 2.9 dans 2.20, il vient 3. J utilise à dessein une formule vague. u (w 0 ) = f ( v(w 0 ) ) v (w 0 ) 2 + f ( v(w 0 ) ) v (w 0 ). (2.20) u (w 0 ) = f ( v(w 0 ) ) v (w 0 ) 2 + u (w 0 ) v (w 0 ) v (w 0 ). (2.2)