Qu attendre de la biologie dans la douleur abdominale de l enfant?

Documents pareils
Intérêt diagnostic du dosage de la CRP et de la leucocyte-estérase dans le liquide articulaire d une prothèse de genou infectée

L hépatite C pas compliqué! Véronique Lussier, M.D., F.R.C.P.C. Gastroentérologue Hôpital Honoré-Mercier 16 avril 2015

Chapitre 1 Evaluation des caractéristiques d un test diagnostique. José LABARERE

Prise en charge de l embolie pulmonaire

Quantification de l AgHBs Pouquoi? Quand?

Artéfact en queue de comète à l échographie hépatique: un signe de maladie des voies biliaires intra-hépatiques

QUALITÉ DE L APPRENTISSAGE DE L INTUBATION ORO-TRACHÉALE EN LABORATOIRE DE SIMULATION, SON INTÉRÊT POUR LES PATIENTS.

ASPECT ECHOGRAPHIQUE NORMAL DE LA CAVITE UTERINE APRES IVG. Dr D. Tasias Département de gynécologie, d'obstétrique et de stérilité

Traitements néoadjuvants des cancers du rectum. Pr. G. Portier CHU Purpan - Toulouse

CALCUL D UN SCORE ( SCORING) Application de techniques de discrimination LES OBJECTIFS DU SCORING

Compte rendu d hospitalisation hépatite C. À partir de la IIème année MG, IIIème années MD et Pharmacie

BERTHIER E, CHRISTIANO M, PHILIPPE M O, IEHL J, TATARU N, DECAVEL P, VUILLIER F, ELISEEF A, MOULIN T. Introduction (1). Contexte de l étude

Cancer bronchique primitif: données épidémiologiques récentes

INFORMATION À DESTINATION DES PROFESSIONNELS DE SANTÉ LE DON DU VIVANT

Actualisation de la prescription en biologie rhumatologie

GHUPC Projet de transformation du site Hôtel Dieu. Pr S CHAUSSADE, Dr I. FERRAND

Biométrie foetale. Comité éditorial pédagogique de l'uvmaf. Date de création du document 01/ Support de Cours (Version PDF) -

Fondation PremUp. Mieux naître pour mieux vivre

Migraine et Abus de Médicaments

Définition de l Infectiologie

LA CHOLÉCYSTECTOMIE PAR LAPAROSCOPIE

chronique La maladie rénale Un risque pour bon nombre de vos patients Document destiné aux professionnels de santé

Carte de soins et d urgence

Don d organes et mort cérébrale. Drs JL Frances & F Hervé Praticiens hospitaliers en réanimation polyvalente Hôpital Laennec, Quimper

Streptocoque B :apports des tests en fin de grossesse, nouvelles propositions.

Cas clinique Enquête autour d un cas IDR vs IGRA Pr Emmanuel Bergot

Que faire devant un résultat positif, négatif ou indéterminé? Elisabeth Bouvet Atelier IGRA VIH JNI Tours 13 Juin 2012

Evaluation des coûts de dépistage d Entérocoques Résistants aux Glycopeptides : Résultats préliminaires

Qui et quand opérer. au cours du traitement de l EI?

Un nouveau test sanguin performant pour le diagnostic non-invasif de steatohépatite non alcoolique chez les patients avec une NAFLD

Les nouveaux anticoagulants oraux sont arrivé! Faut il une surveillance biologique?

L axe 5 du Cancéropole Nord Ouest

dossier de presse nouvelle activité au CHU de Tours p a r t e n a r i a t T o u r s - P o i t i e r s - O r l é a n s

«Les lombalgies chroniques communes à la consultation de rhumatologie du CHU de Fès»

Association lymphome malin-traitement par Interféron-α- sarcoïdose

Validation probabiliste d un Système de Prévision d Ensemble

Test de terrain ou test de laboratoire pour la performance en endurance?

Evaluation péri-opératoire de la tolérance à l effort chez le patient cancéreux. Anne FREYNET Masseur-kinésithérapeute CHU Bordeaux

RÉFÉRENCES ET RECOMMANDATIONS MEDICALES

Assurance-maladie complémentaire (LCA)

Docteur, j ai pris froid!

Mulford C. (1992). The Mother-Baby Assessment(MBA): An Apgar Score for breastfeeding. Journal of Human Lactation, 8(2),

F.Benabadji Alger

PLACE DE L IRM DANS LE BILAN D EXTENSION DU CANCER DU RECTUM. Professeur Paul LEGMANN Radiologie A - Cochin Paris

CONCOURS DE L INTERNAT EN PHARMACIE

LE FINANCEMENT DES HOPITAUX EN BELGIQUE. Prof. G. DURANT

QUE SAVOIR SUR LA CHIRURGIE de FISTULE ANALE A LA CLINIQUE SAINT-PIERRE?

HTA et grossesse. Dr M. Saidi-Oliver chef de clinique-assistant CHU de Nice

ALLOGREFFE DE CELLULES SOUCHES HEMATOPOÏETIQUES (CSH) CHEZ 26 PATIENTS ATTEINTS DE β THALASSEMIES MAJEURES

Découvrez L INSTITUT UNIVERSITAIRE DU CANCER DE TOULOUSE

Le diagnostic de Spondylarthrite Ankylosante? Pr Erick Legrand, Service de Rhumatologie, CHU Angers

Doit on et peut on utiliser un placebo dans la prise en charge de la douleur?

Controverse UDM télésurveillée Pour. P. Simon Association Nationale de Télémédecine

Infiltrats pulmonaires chez l immunodéprimé. Stanislas FAGUER DESC Réanimation médicale septembre 2009

LISTE DES ACTES ET PRESTATIONS - AFFECTION DE LONGUE DURÉE HÉPATITE CHRONIQUE B

Création de procédures inter-services pour la gestion des essais de phase I à l Institut Gustave Roussy

Tests rapides de dépistage

Croissance et vieillissement cellulaires Docteur COSSON Pierre Nb réponses = 81 sur 87. Résultats des questions prédéfinies

MODULE D EXERCICE PROFESSIONNEL NOTION MÉDICO-ÉCONOMIQUE DES DE RADIOLOGIE ET IMAGERIE MÉDICALE. Dr F Lefèvre (1-2), Pr M Claudon (2)

Guide du parcours de soins Titre ACTES ET PRESTATIONS AFFECTION DE LONGUE DURÉE. Hépatite chronique B

Épreuve d effort électrocardiographique

ASSURANCE POUR TOUS PARTOUT DANS LE MONDE

J. Goupil (1), A. Fohlen (1), V. Le Pennec (1), O. Lepage (2), M. Hamon (2), M. Hamon-Kérautret (1)

Causes d insatisfactions du patient pris en charge en ambulatoire

Cancers de l hypopharynx

F JABNOUN, H BERMENT, R KHAYAT, M MOHALLEM, Y BARUKH, P CHEREL Institut Curie Hôpital René Huguenin, Saint Cloud JFR 2010

L hôpital dans la société. L expérience du CHU de Paris, l AP HP. Pierre Lombrail, Jean-Yves Fagon

Cancer du sein. Du CA15-3 à la tomographie à émission de positons.

INSUFFISANCE CARDIAQUE «AU FIL DES ANNEES»

1- Parmi les affirmations suivantes, quelles sont les réponses vraies :

Modules optionnels. Passer à l acte en implantologie

TRAUMATISME CRANIEN DE L ENFANT : conduite à tenir?

MONITORING PÉRI-OPÉRATOIRE DE L'ISCHÉMIE CARDIAQUE. Dary Croft 9 mai 2013

Christian TREPO, MD, PhD

Le Data Mining au service du Scoring ou notation statistique des emprunteurs!

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS DE LA COMMISSION. 10 octobre 2001

Apport de la biologie moléculaire au diagnostic des parasitoses

Recommandations Prise en charge des patients adultes atteints d un mélanome cutané MO

Évaluation d un test rapide immuno-chromatographique comme aide à la prophylaxie antitétanique dans un service d urgences

Le droit à l image???

compaction ventriculaire gauche sur la fonction ventriculaire chez l adulte

PEUT ON PRESCRIRE HORS AMM? LE POINT DE VUE DU CLINICIEN

La Dysplasie Ventriculaire Droite Arythmogène

Réflexions sur les possibilités de réponse aux demandes des chirurgiens orthopédistes avant arthroplastie

La prise en charge de l AVC ischémique à l urgence

Que représentent les Spondyloarthrites Axiales Non Radiographiques? Pascal Claudepierre CHU Mondor - Créteil

PRISE EN CHARGE DES PRE ECLAMPSIES. Jérôme KOUTSOULIS. IADE DAR CHU Kremlin-Bicêtre. 94 Gérard CORSIA. PH DAR CHU Pitié-Salpétrière.

{ Introduction. Proposition GIHP 05/12/2014

Validation clinique des marqueurs prédictifs le point de vue du méthodologiste. Michel Cucherat UMR CNRS Lyon

Leucémies de l enfant et de l adolescent

La chirurgie ambulatoire dans les pays de l OCDE

G U I D E - A F F E C T I O N D E L O N G U E D U R É E. La prise en charge de votre mélanome cutané

Cas clinique n 1. Y-a-t-il plusieurs diagnostics possibles? Son HTA a t elle favorisé ce problème?

Implication des Corevih dans l arrivée des ADVIH: Expérience du Corevih LCA

Livret d accueil des stagiaires

Les définitions des saignements ACS/PCI

L ATROPHIE DU SPHINCTER ANAL EXTERNE en ENDOSONOGRAPHIE TRIDIMENSIONNELLE. Vincent de PARADES PARIS

Échographie normale et pathologique du grand pectoral

Transcription:

Qu attendre de la biologie dans la douleur abdominale de l enfant? Pr Alain Martinot Pédiatrie générale, urgences et maladies infectieuses, CHRU de Lille EA 2694 Epidémiologie - Santé Publique et Qualité des soins Université de Lille

CRP, GB, PCT, LF, calprotectine, LRG, Bili, lactates,. Marqueurs inflammatoires Enzymes pancréatiques ECBU, CRP, PCT

Un exemple d étude «classique» : Valeur de la CRP dans le diagnostic d appendicite Population : D. abdominales aiguës évoquant possible appendicite (AA) Critère jugement : AA vs pas d AA Dg histologique (opérés) Suivi ou TDM (non opérés) Marqueur biologique : CRP Valeur discriminante globale : courbe ROC : Az (0,65 à 0,75 selon études) Choix d un seuil : 10 mg/l (ou 30 ou 50 mg/l ) Calcul des valeurs opérationnelles pour distinguer AA vs pas d AA : Se = 64 à 85 % Sp = 33 à 82 % selon les études Et alors?... Que faites-vous de ces résultats? Comment l intégrez-vous dans votre démarche diagnostique?

Un exemple d étude «classique» : Valeur de la CRP dans le diagnostic d appendicite Ce qui m intéresse, c est la probabilité d avoir une AA si la CRP est + VPP = 20 % VPN = 85 % Et alors?... Comment l interprétez-vous? Limites +++ 1. Quelle est la prévalence de l appendicite dans l étude? VPN élevée si prévalence basse 2. Interpréter le résultat de l examen indépendamment du contexte clinique - VPP : moyenne des p de tous les enfants ayant un résultat + - - Mais tous les malades ayant une CRP à 50 mg/l n ont pas la même probabilité d avoir une appendicite Quelles sont les bonnes questions?

1. Que veut-on prédire? = Quel est le critère de jugement? 1. «Appendicite ou pas appendicite»? Décision : 2. «Intervention ou pas intervention?» - Appendicite non compliquée : potentiel de régression? 3. «Intervention en urgence ou pas en urgence?» - Appendicite compliquée (ou à risque de se compliquer très vite) - Coelio ou laparo

2. Qu est-ce qui détermine la décision d intervention? Prévalence appendicite p pré-test Examens complémentaires ou tests Risque de ne pas opérer (bon diagnostic) p post-test Décision d opérer Données cliniques de l enfant : D migratrice en FID Défense Psoitis Fièvre Nausées, vomissements.. Se,Sp RV ± Examens biologiques ± Echographie ± Réévaluation clinique ± Tomodensitométrie ± (voire IRM ) Risque d opérer à tort (faux diagnostic)

3. Quand un examen (biologique) est-il utile? L examen permet : exceptionnellement : soit d affirmer (si + et Sp = 100 %) le diagnostic soit d exclure (si et Se = 100 %) le diagnostic le plus souvent : de passer d une «zone de probabilité incertaine en une zone de probabilité décisionnelle» Zone sans examen ni traitement Seuil test 0 % Zone d incertitude = Zone d examens complémentaires à visée diagnostique Seuil thérapeutique Zone de traitement 100 % utile inutile utile inutile 1. Indications d un examen dépend : - de la probabilité pré-test (prévalence et données cliniques ) : en zone d incertitude - des rapports de vraisemblance (RVP et RVN) : doivent permettre de franchir les seuils 2. Interprétation des résultats : p post test dépend de : - de la probabilité pré-test (prévalence et données cliniques ) - des RV

3. Quand un examen biologique est-il utile dans la décision d intervention? Quel risque de laisser sortir une appendicite? Qualité de la surveillance par les parents? des conseils de reconsultation? Taux d appendicectomies inutiles? 10 % 5 %? 2 %? Zone sans examen ni traitement Seuil test Zone d incertitude : examens complémentaires à visée diagnostique 10 ans, Douleur FID + fièvre + sensibilité FID + nausées : p (appendicite) = 50 % Seuil d intervention Zone de traitement Intervention 0 % 100 % utile 33 % CRP > 50 mg/l RVN = 0,5 RVP = 4 utile 80 %

Rapports de vraisemblance (likelihood ratios) Append Append + - CRP + 10 / 5 CRP - 10 / 15 20 / 20 40 RVP = cote post-test (10/5)/cote pré-test (20/20) = 2 RVN = (10/15)/ (20/20) = 0,66 RVP représente pour la moyenne des enfants combien de fois il y a plus de M+ que de M- en cas de test + / population globale 40 % 50 % 66 % 0% 100% 11 % RVN 0,66 RVP 2 89 % 0,1 10 RVN <1 très contributif si < 0,1 RVP > 1 très contributif si > 10 Chez un patient, RV permettent de calculer p post-test à partir de p pré-test +++

Démarche diagnostique Prévalence appendicite Clinique Biologie échographie Réévaluation clinique : Surveillance hospitalière 2 ème échographie TDM IRM Intervention

Quelles valeurs attendre pour prendre une décision? Examen déterminant pour opérer Examen déterminant pour laisser sortir Passer de 50 à 98 % : Passer de 50 à 2 % : RVP = 50 RVP = 0,02 CRP pour renoncer à l écho RVN = 0,5 p pré-test = 4 % CRP pour opérer RVP = 4 P pré-test = 92 % > 10 ans Douleur en FID + fièvre + vomissements + défense + douleur à la décompression Rapport de vraisemblance Nomogramme de Fagan Mais le chirurgien ne demande-t-il pas l échographie?

Valeur de la Procalcitonine

Nouveaux marqueurs : Lactoferrine, Calprotectin, LRG,.. 1. Marqueurs d activation précoce des PN Am J Emerg Med 2011 ;29:256 260 Lactoferrine Acad Emerg Med 2012 ;19: 56 62. Conclusions Plasma calprotectin and serum/urine leucine-rich alpha glycoprotein-1 (LRG) are elevated in pediatric appendicitis. No individual marker performed as well as the WBC Acad Emerg Med 2013;20:703 710 : calprotectine, serum amyloide A : élevés mais non discriminants 2. Marqueurs d activation plaquettaire : Emerg Med International 2012 volume plaquettaire moyen : aucune valeur 3. Lactates Am J Emerg Med 2010;28:1009 15 Lactates : pas de valeur discriminante

Diagnostic d appendicite compliquée CRP et PCT restent les plus performants Comparaison appendicite non compliquée vs compliquée Fibrinogène : augmentation prédictrice de perforation Pediatr Surg Int 2014;30:1143-7 Hyperbilirubinémie Intern J Surg 2013;11:1114e-7 et J Pak Med Assoc 2013;63:1374-8 IL6 Eur J Pediatr Surg 2014;24:179 183. CD64 J Korean Surg Soc 2012;83:237-241

Rapports de vraisemblance des données cliniques et des examens complémentaires pour le diagnostic d appendicite RV + RV - vomissements 1,2 0,9 fièvre (6-12 ans) 2,1 0,87 défense 3,1 0,29 douleur à la décompression 2,5 0,24 score d Alvarado ou Mantrels score > 7 4,0 0,29 CRP (> 10 mg/l) 1,1-3,6 0,44-0,91 échographie 6-46 0,08-0,30 scanner 7-96 0,03-0,07 Pediatr Emerg Care 2004; 20:690-8.

Les Messages à retenir 1. La prise de décision est le plus souvent probabiliste aux urgences 2. La p pré-test est fonction de la prévalence de la maladie et des caractéristiques cliniques de l enfant 3. Un résultat d un examen + (ou ) n est : - qu un facteur d amplification (rapport de vraisemblance positif) - ou un facteur de réduction (rapport de vraisemblance négatif ) de la probabilité d être malade avant le test (p pré-test) 4. Un examen est utile lorsqu il fait passer d une zone de probabilité incertaine en une zone de probabilité décisionnelle 5. Son résultat doit être interprété selon la p pré-test et le RV qui déterminent la p post-test

Les Messages à retenir 6. La CRP et les GB restent les meilleurs marqueurs biologiques d AA (avec la PCT pour les seules AA compliquées) mais leur utilité reste très faible : - RVP ne dépasse pas 4 - RVN non inférieur à 0,30 7. Seuls, ils ne modifient chez l immense majorité des enfants : ni l indication opératoire, ni l indication d échographie, ni l indication de surveillance. 8. Associés à une clinique très peu en faveur d une AA, ils pourraient épargner certaines échographies. 9. Associés à une clinique très évocatrice d AA, ils ne dispensent probablement pas de l échographie 10. Les nouveaux marqueurs biologiques n apportent à ce jour aucune utilité supplémentaire