Correction d examen Semestre 1 Initiation à l analyse de film Licence 1 Extrait : Madame de Max Ophuls ( 1953) Film français projeté en format d image 1.37 et fortement éclairé en high key, Madame de est la dernière œuvre d une série de trois films «belle époque» tournés par Max Ophüls après son exil américain (précédé de La Ronde et Le Plaisir). Dans cette scène, Madame de, interprétée par Danièle Darrieux, hésite à se séparer d un bijou de valeur pour éponger ses dettes. Accompagnant d abord l héroïne, la caméra de Max Ophüls s en éloigne peu à peu. Ainsi, la séquence s organise autour de cette question : Comment la mise en scène de Max Ophüls prend ses distances avec les actes de son héroïne? Pour y répondre, nous avons choisi, dans un premier temps, d identifier Madame de que la mise en scène rend bien mystérieuse. Puis, nous analyserons le soin que met Ophuls à traduire son hésitation puis sa décision par un certain nombre d étapes. Dans un troisième temps, nous verrons que la réalisation de Max Ophuls marque cet acte par un jugement sans appel. I- Une identité mystérieuse 1. Une identité repoussée Les cartons titres qui ouvrent la séquence ne dévoilent pas l identité de madame Louise de dont les points de suspension annoncent une mise en scène qui joue sur ce qui est montré ou non. A l ouverture de la séquence, une main anonyme entre dans le champ tapotant en gros plan une boîte à bijoux. Le corps de Madame de.. n a donc pas de statut dans l image. Il est hors champ pour deux raison au moins : d une part cela favorise une prise de vue qui se veut subjective, et parce qu au lieu de découvrir une héroïne, on y voit ses effets personnels. Le corps de Madame de est en fait remplacé. A sa place, on découvre un grand nombre d objet de luxe. D abord en très gros plan puis dans un travelling latéral associé à des panoramiques bas / haut, la caméra dévoile les effets personnels de la comtesse : des bijoux (premier panoramique gauche droite),
des sous-vêtements (premier panoramique bas/haut), des robes (panoramique reconduit), des fourrures (panoramique reconduit). Finalement, la comtesse opte pour un chapeau dont elle se couvrira pour sortir. A cet instant, sa main fait tomber une bible. La caméra «panote» haut-bas de façon rapide et distance la réaction de l héroïne. Cette courte avance révèle peu à peu le corps de Louise de qui, enfin, entre dans le champ. 2. Une femme du monde ou une enfant? Son entrée est tout de même différée. Ophüls la filme à travers un miroir, comme assise à la coiffeuse d une loge de théâtre. Louise de semble se donner un rôle. Nous n avons vu que ses costumes et ses parures, et son visage reflété trahit une gène (est-ce sa vraie nature ou est-elle déjà un personnage). Finalement, son nom nous importe peu. Il semble se remplacer en fonction des circonstances, comme si Madame de possédait une identité théâtrale. Bien que l éclairage high key et la grande profondeur de champ laissent entrevoir tout au long de l extrait la splendeur des intérieurs, l environnement de Madame de oscille : d une part, on assiste à un enfantillage (une hésitation trop longue, des domestiques encore très attentionnés), ou alors à des recommandations d une maîtresse de maison, comme les ordres donnés aux domestiques. La scène voit se transformer peu à peu le statut de Madame de Venant du hors-champ, elle devient, plein cadre, l objet de toute notre attention ; de la chambre au hall, on glisse de la vie privée à la vie publique. En terme de mise en scène, discrètement, Ophüls étend l échelle des plans utilisée progressant du très gros plan au plan de demi-ensemble. Identifiée comme une femme du monde inconnue et capricieuse, Ophüls en montre la valse des hésitations en structurant les séquences par des étapes bien visibles.
II de l hésitation à la décision 1. Une scène qui fonctionne par étapes La caméra toujours en mouvement suit dans un premier temps la main baladeuse de Madame de Dans ce plan séquence qui suit la mutation physique et intellectuelle de la protagoniste, Ophüls fonctionne selon un principe d étapes. Il alterne pauses et actions, descriptions et intentions. Ces dernières peuvent être marquées par l insatisfaction (Madame de retourne sans cesse aux miroirs) ou les ordres (avec les dialogues aux domestiques). Nous l avons vu, chaque armoire est prétexte à un arrêt (la fourrure, la bible, le chapeau). Pourtant, une fois la décision prise, à partir de la deuxième séquence, Madame de est sans cesse empêchée de sortir par les autres et par elle-même : lorsqu elle descend les escaliers, sa bonne l arrête pour un au revoir, puis Louise se regarde dans le miroir une fois dans le hall. Un domestique lui sert un petit-déjeuner alors qu elle se retourne pour parler de son mari ; enfin, elle se sauve en se regardant une dernière fois dans un miroir. 2. Changement de vitesse La scène alterne également des différences de vitesse. Le plan séquence traîne avec la comtesse, puis elle s empresse dans un plan demi-ensemble en contre plongée, ou lorsqu elle avale son déjeuner. Enfin, elle bifurque brusquement pour dire au revoir à sa bonne, ou pour entrer dans le petit salon. La caméra attentive au moindre geste propose des mouvements amples mais toujours gênés, un moment ou un autre, pour la suivre jusqu au bout. Cette fascination pour Madame de suivie dans tous ses faits et gestes ne doit pas cacher le véritable regard que porte Ophüls. Au fur et à mesure, Ophüls prend ses distances.
III- La mise en scène porte progressivement un jugement 1. D une caméra subjective D un très gros plan, la scène se termine en plan demi-ensemble. La caméra effectue progressivement un retrait critique. Il y a de moins en moins d empathie vis à vis du personnage. Ophüls accepte de filmer l hésitation, un cercle d état d âme (d où la répétition de l échelle des plans au départ). Cette caméra qui accompagne en permanence (travelling d accompagnement dans la première séquence), se transforme lors des autres séquences. Elle décrit des critiques du geste par des personnages (présent ou non) : le tableau du comte au regard sévère, d abord anodin puis mis en valeur par une mise au point, témoigne de l impression de Louise. 2. au regard critique On peut aussi dire que le personnage passe d un espace qu elle domine à un espace où elle est dominée. De la vue en plongée du premier plan, Ophüls la remplace par des stratégies complexes. D un décor qui nous semblait exigu et dont les objets étaient de petite taille (les boucles d oreilles), il passe à un vaste décor, où Madame de semble réduite et enfermée. Louise est aussi observée (par ses domestiques, par son mari). Les mouvements de caméra changent de nature : d abord, les travellings d accompagnement suivent et scrutent les gestes de Madame de (regard subjectif) puis les panoramiques rappellent un observateur plus distant (regard narratif et critique). A bien regarder, Ophüls proposent des pano-travellings lorsque Louise de hésite (dans la chambre, dans les couloirs), des panoramiques lorsqu elle est décidée et des plans fixes lorsqu elle est, de plusieurs manières, jugée (en plan de demi-ensemble dans sa chambre, avant le tableau de son mari ). En ouverture de Madame de, Max Ophüls nous propose un portrait de femme du monde. On assiste à la fois à une fascination du personnage sur son apparence, et du cinéaste sur son actrice. Cette fascination est mise à l épreuve par une mise à distance critique. En effet, d un regard subjectif, d un portrait anonyme, la mise en scène oscille avec son personnage. Pourtant, le personnage et le cinéaste arrivent au même constat :
pour l un, la vente des boucles d oreilles est une nécessité, pour le cinéaste, ce geste se doit d être critiqué. L empathie est ici refusée. La frivolité de Madame de est contredite par la mise en scène critique et grave de Max Ophüls.