Voici le dernier d une série de trois articles de M. Buckstein à paraître dans le Reper.



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Transcription:

Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 Les provinces et les territoires commencent à parler d un «déséquilibre fiscal vertical» du 21 e siècle par JEFF BUCKSTEIN, CGA Voici le dernier d une série de trois articles de M. Buckstein à paraître dans le Reper. Provinces/territoires : la réduction des transferts fédéraux menace les programmes sociaux Le fédéral rejette l hypothèse du déséquilibre Hausser les impôts et les taxes serait imprudent, selon les provinces Une priorité trop grande est accordée à la diminution de la dette nationale, selon les provinces La prudence, une priorité clé pour le fédéral Les provinces ont-elles oublié l engagement du fédéral envers la péréquation? Des changements importants aux paiements de péréquation et en matière de santé En 2000, quand le surplus fédéral a dépassé 10 %, pour s établir à plus de 12,3 milliards de dollars, un chiffre qui n avait jamais été atteint depuis la Confédération, les provinces et les territoires ont commencé à invoquer l existence d un déséquilibre fiscal vertical entre eux et le fédéral. Le Conference Board du Canada définit ce soi-disant «déséquilibre fiscal vertical» entre les deux ordres de gouvernement, par opposition au «déséquilibre fiscal horizontal» qui porte strictement sur les iniquités entre les provinces ou les territoires, comme une situation où la distribution des sources de revenus entre le fédéral et les gouvernements provinciaux/territoriaux est incompatible avec les coûts que ces derniers doivent engager pour exercer leurs pouvoirs respectifs de dépenser prévus dans la Constitution. Le présent article, dernier d une série de trois consacrée aux relations entre les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux, porte sur la façon dont le conflit en matière de taxation entre ces administrations (conflit qui a pris naissance dans la période qui a suivi la Première Guerre mondiale et qui s est envenimé tout au long du 20 e siècle) s est transformé en un débat souvent acrimonieux sur la question du déséquilibre fiscal vertical. En avril 2002, dans une publication conjointe, les ministres des Finances des provinces et des territoires du Canada ont affirmé que leur part collective des recettes tirées de la taxation au Canada ne s établissait qu à 48 %, contre 52 % pour le gouvernement fédéral. Par ailleurs, ils indiquaient aussi dans le communiqué que leur part des dépenses de programme s élevait à 62 %, contre 38 % pour le gouvernement fédéral ce qui créait un déficit net de 14 points de pourcentage pour les provinces et les territoires. Un grand nombre de provinces et territoires sont toujours convaincus de l existence d un déséquilibre fiscal vertical aujourd hui, mais à un taux réduit, même après la rencontre des provinces et des territoires tenue à l automne 2004 avec le gouvernement fédéral où ce dernier a accepté d accroître les transferts fédéraux pour la santé et les paiements de péréquation. Ils ont également cité le rapport de février 2004 du Conference Board du Canada, Projection des équilibres financiers des gouvernements du Canada et des provinces et territoires: Performance et tendances économiques, une mise à jour du rapport de 2002 du même titre qui portait sur le déséquilibre fiscal vertical. Dans le rapport de 2004 le

Conference Board prévoit que le surplus fédéral connaîtra une véritable explosion et atteindra environ 78 milliards de dollars d ici l exercice 2020, alors que les provinces et les territoires enregistreront ensemble un déficit de 11 milliards de dollars en 2019 2020. Cette prévision est fondée sur des modèles qui tiennent compte de facteurs comme les prévisions démographiques, le comportement des consommateurs, l emploi et la productivité économique, entre autres. «Le gouvernement fédéral enregistre d énormes surplus alors que nous ne pouvons même pas répondre à nos propres besoins. Il y a un problème, et il faut s y s attaquer», estime un haut fonctionnaire du ministère des Finances de l Alberta qui constate que depuis la première fois où le gouvernement fédéral a atteint l équilibre budgétaire lors de l exercice 1998, il n a cessé d accumuler des surplus tous les ans. Pendant ce temps, les provinces et les territoires oscillent collectivement entre surplus et déficit depuis les sept dernières années avec des chiffres qui auraient été pires encore si l Alberta n avait pas réussi à enregistrer un surplus de 24 milliards de dollars au cours de la même période, ajoute-t-il. Mais le gouvernement fédéral ne croit pas à la notion de déséquilibre fiscal vertical. Pas plus qu il ne croit que la situation des provinces est aussi désastreuse qu elles le prétendent ni aujourd hui ni dans le passé citant les réductions d impôt et d autres mesures qu elles ont adoptées comme un signe de leur santé financière. Le gouvernement fédéral remet également en question la validité des prévisions qui couvrent une longue période, faisant remarquer qu elles ne peuvent vraisemblablement pas tenir compte de tous les imprévus qui peuvent se produire en cours de route, comme les fluctuations et les tendances des prix des ressources naturelles, et les nouveaux besoins en matière de sécurité qui pourraient se manifester et avoir une influence non négligeable sur la performance économique du Canada. Et, comme le reconnaît Glen Hodgson, économiste en chef au bureau d Ottawa du Conference Board du Canada, il y a du vrai dans ce que dit le fédéral. «Toutes les prévisions sont très sensibles aux hypothèses utilisées pour prédire la croissance future. Le rapport date du début de 2004 et depuis, les changements ont été nombreux. On n a qu à penser à l accord sur la santé de septembre 2004 et à l engagement immédiat du fédéral de dépenser plus. On observe donc une grande variété de variables (nouvelles) qui influeront sur les taux de croissance à long terme», estime-t-il. Par exemple, comme le fait remarquer Hodgson, l Association médicale canadienne semble depuis peu ouverte à l idée de fournir des soins de santé privés et de répondre aux besoins connexes en matière d assurance, ce qui nous entraîne dans une structure fort différente qu il est très difficile à modéliser. La partie 3 traitera de certains des problèmes et des perceptions associés au déséquilibre fiscal vertical tant du point de vue du fédéral que de celui des provinces/territoires. Provinces/territoires : la réduction des transferts fédéraux menace les programmes sociaux Les provinces et les territoires soutiennent que, en partie à cause du déséquilibre fiscal vertical, ils ne peuvent s acquitter de façon adéquate de leurs engagements en matière de dépenses, notamment pour fournir des soins de santé et des services d éducation de qualité (qui, selon eux, représentent les deux domaines où l on observe la croissance la plus rapide et qui grugent à peu près les deux tiers de leurs dépenses de programme) aussi bien que d autres services publics. Ils affirment avoir des choix difficiles à faire dans des questions comme les Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 2

hausses d impôt, le financement des déficits et des réductions de programme substantielles dans d autres secteurs. «Le gouvernement fédéral est un important partenaire financier pour n importe quelle province, incluant l Ontario. Il transfère annuellement à cette province un important montant d argent, et la diminution significative de ce montant, comme ce fut le cas au milieu des années 1990, influe sur tout le reste. Des gouvernements successifs ont eu à faire des choix sur la façon de répartir les ressources», déclare John Whitehead, le directeur (à Toronto) de la Direction de l imposition des particuliers et des accords fiscaux du ministère des Finances de l Ontario. De plus, les provinces et les territoires prévoient une détérioration de la situation au cours des prochaines années, en particulier à cause de l intensification des pressions sur les soins de santé et d une escalade des coûts plus rapide que le taux de croissance prévu de l économie. En Ontario, par exemple, «nous nous attendons à des taux de croissance de plus de 7 % dans les coûts des soins de santé. Or, nos recettes ne croissent pas à ce rythme. S il s agissait du budget de votre ménage, vous seriez inquiets de voir avec quelle rapidité cette croissance s effectue», ajoute M. Whitehead. Le fédéral rejette l hypothèse du déséquilibre Le ministère des Finances du Canada, dans une publication en ligne datée d octobre 2004 et intitulée «L équilibre fiscal au Canada : les faits», indique que l une des principales raisons pour lesquelles il n existe pas de déséquilibre fiscal vertical est que les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux ont accès aux mêmes grandes sources de revenus au Canada, incluant l impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés ainsi que les taxes de vente et les charges sociales. Le fédéral souligne aussi que les provinces et les territoires ont acquis encore plus d autonomie au 21 e siècle, alors que la plupart des administrations ont opté pour le régime de l impôt sur le revenu (par opposition au précédent régime de l impôt sur l impôt fédéral). Les provinces peuvent ainsi fixer leurs propres fourchettes sur lesquelles fonder les taux de l impôt sur le revenu, et décider d autres aspects de leur politique fiscale, incluant les surtaxes, les réductions d impôt pour les personnes à faible revenu et les crédits d impôt remboursables, entre autres. Par conséquent, selon un haut fonctionnaire du ministère des Finances du Canada, les provinces disposent des pleins pouvoirs et de l autonomie complète nécessaire pour augmenter les impôts et les taxes dans la mesure où elles estiment que leurs dépenses le justifient. Hausser les impôts et les taxes serait imprudent, selon les provinces Mais cet argument est souvent tourné en ridicule parce qu il n est tout simplement pas plausible. Pour Don Goodison, FCGA, un directeur de Kemp Harvey Goodison Inc. à Burnaby, C.-B., le simple fait de dire «D accord, les provinces peuvent hausser les impôts» est un argument bien faible. «Certes, les provinces peuvent hausser les impôts, mais alors qu elles veulent attirer des gens et des entreprises sur leur territoire, ces mêmes personnes leur diront nous sommes actuellement dans une économie mondiale et nous pouvons aller ailleurs où le fisc est moins gourmand.» Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 3

L idée que les gouvernements fédéral et provinciaux/territoriaux ont accès aux mêmes fonds lui apparaît également erronée car, fait-il remarquer, le gouvernement fédéral a accès à «un éventail nettement plus large» de recettes fiscales Les provinces et les territoires rejettent également la notion qu ils qualifient de naïveté politique selon laquelle ils n ont qu à exercer leur droit de hausser les impôts. Or, dans une économie concurrentielle mondiale, toutes les administrations, tant au Canada qu à l étranger, se servent justement des réductions d impôt pour stimuler l économie, ajoutent-ils. En réalité, en dépit de ce qu ils prétendent être un déséquilibre fiscal vertical, les provinces/territoires ont généralement eu tendance, au cours des dernières années, à réduire les impôts et taxes notamment l impôt sur le revenu des particuliers, un fait que le gouvernement fédéral utilise pour alléguer que la situation financière des provinces n est pas aussi difficile qu elles le prétendent. «Prenons le cas de l Ontario, déclare un haut fonctionnaire du ministère des Finances du Canada, à peu près au même moment où nous réduisions les transferts, la province réduisait aussi les impôts. Au cours de la période 1996 1998, le gouvernement ontarien a adopté d importantes réductions d impôt, ce qui montre que de nombreuses solutions s offraient à elle. La réduction des impôts n aurait certainement pas été l une d elles si les soins de santé avaient véritablement représenté une priorité.» Whitehead n est pas d accord avec la critique générale au sujet des provinces, incluant l Ontario, qui réduisent les impôts et les taxes, et il réplique ainsi : «Je crois que si nous devions plutôt inverser la situation et demander au gouvernement fédéral comment il réagirait si les provinces et les territoires haussaient soudainement les taux d impôt, et quelles seraient les répercussions d un tel geste sur la situation économique du Canada et sur notre capacité à attirer des capitaux et des gens de talent, je suis certain qu il aurait (alors) une vision entièrement différente de l efficience de la hausse des taux d impôt», déclare-t-il. Une priorité trop grande est accordée à la diminution de la dette, selon les provinces Les provinces tirent un autre coup de semonce le gouvernement fédéral, en réduisant de 61 milliards de dollars sa dette nationale au cours des sept dernières années, accorde une priorité trop grande à la diminution de la dette, alors qu il pourrait par ailleurs offrir un soutien financier additionnel aux provinces et territoires qui pourraient l appliquer aux soins de santé, à l éducation et à d autres programmes nécessaires. Les provinces se disent conscientes de l importance du remboursement de la dette nationale, et elles ne suggèrent pas au fédéral de contracter de nouveaux emprunts, en particulier après avoir consacré tant d efforts et avoir fait tant de sacrifices pour se débarrasser des encombrants déficits annuels enregistrés au cours des années 1990, mais elles ne lui demandent pas moins d adopter une approche plus équilibrée dans l application de ses importants surplus annuels. Un haut fonctionnaire du ministère des Finances de l Alberta note, par exemple, le recul précipité du ratio dette-pib fédéral, qui est passé de 68,4 % pour l exercice 1995 1996 à environ 37 % seulement aujourd hui, et il estime que le gouvernement fédéral devrait pouvoir atteindre facilement son ratio cible de 25 % d ici 2014 2015, simplement grâce à la croissance normale de l économie, pourvu qu il ne contracte pas d autres emprunts. Les provinces reconnaissent aussi que leur propre ratio dette-pib recule, mais à un rythme beaucoup plus modéré. Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 4

Le fait qu au cours de chacune des sept dernières années, le gouvernement fédéral a sousestimé ses prévisions de surplus constitue un autre sujet litigieux. «Quand nous connaissons des années comme 2003 2004, où le surplus fédéral prévu dans le budget était de 1,9 milliard de dollars alors qu avant la fin de l année, il s établissait plutôt à 9,1 milliards de dollars, cela représente un coût de renonciation pour d autres programmes et services», ajoute Whitehead. «On applaudit quand le gouvernement fédéral verse 9,1 milliards de dollars en règlement de la dette, poursuit-il. Mais les provinces ont eu des décisions plutôt difficiles à prendre en matière de programmes et de services parce qu elles devaient maintenir un solde budgétaire adéquat. Nous avons un problème de coordination.» Le gouvernement fédéral, à son tour, fait valoir que le remboursement de la dette nationale ne constitue pas une proposition mutuellement exclusive dont lui seul peut bénéficier. En effet, les provinces et les territoires bénéficient aussi d un bilan fédéral positif, qui aide à alléger le fardeau pour les générations futures, incluant une population vieillissante; en outre, un bilan fédéral positif offrira des avantages immédiats, comme le maintien des conditions qui permettent à la Banque du Canada de garder les taux d intérêt bas. Et il y a encore du pain sur la planche, fait-il remarquer, si on se fie au fait qu au cours des sept dernières années, il n a remboursé qu un léger pourcentage de la dette nationale, dont la valeur globale s établit toujours à environ un demi billion de dollars. Le problème n est pas encore réglé. La prudence, une priorité clé pour le fédéral Un autre argument soulevé par le gouvernement fédéral pour justifier son remboursement ambitieux de la dette nationale veut que la taille de ses surplus annuels soit actuellement assez minuscule quand on l exprime en pourcentage des recettes fédérales. Qui plus est, la provision pour éventualités annuelle de 3 milliards de dollars représente moins de 1 % de ses 400 milliards de dollars de recettes et dépenses annuelles. Par conséquent, fait-il valoir, si un ralentissement économique ou un autre événement imprévu devait influer d aussi peu que 1 % sur les recettes ou les dépenses, le surplus pourrait facilement disparaître, en particulier si les événements à l origine de ces nouvelles conditions devaient s amplifier avec les années. Dans sa réponse sur le Web au rapport du Conference Board, le ministère des Finances souligne qu «en raison du haut degré d incertitude entourant les projections à long terme, les administrations publiques doivent rester vigilantes et ne pas s engager aujourd hui dans des initiatives fondées sur des projections susceptibles de ne pas se réaliser». En outre, le gouvernement fédéral doit maintenir les ressources financières nécessaires pour être en mesure de faire face aux urgences nationales qui pourraient survenir, comme ce fut le cas avec l ESB (maladie de la vache folle) et l éclosion du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) au cours de l exercice 2003 2004. Les provinces estiment toutefois que cet argument joue dans les deux sens. Comme le déclare un haut fonctionnaire du gouvernement de l Alberta : «Un recul de 1 % de la croissance économique touche les provinces tout autant que le gouvernement fédéral. Nous aussi, nous avons nos situations d urgence. Et qu en est-il de l incidence de l ESB (sur nous)? Que se passe-t-il si le prix du pétrole s effondre en Alberta? Ces événements comportent un grand nombre de prévisions et une large part d incertitude. Ce que nous demandons, c est simplement un partage plus équitable du risque.» Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 5

Les provinces ont-elles oublié l engagement du fédéral envers la péréquation? L une des pierres angulaires de l argument du gouvernement fédéral pour nier l existence d un déséquilibre fiscal vertical est qu il verse des paiements de péréquation aux provinces depuis 1957, ce qui leur permet de corriger les disparités fiscales horizontales en faisant en sorte que les «provinces moins nanties [ ] puissent offrir, à des taux d imposition raisonnablement comparables, des services publics raisonnablement comparables à ceux d autres provinces», comme l indique le ministère des Finance sur son site Web. De plus, comme il le fait remarquer, un certain nombre de transferts fédéraux aux provinces et territoires sont actuellement en place pour soutenir des programmes nationaux, incluant des fonds pour les soins de santé, l enseignement postsecondaire et diverses autres formes de services sociaux et d aide, qui ont représenté quelque 37,4 milliards de dollars pour l exercice 2003 2004. Les provinces et les territoires reconnaissent que ces fonds les ont aidés à contrer les effets négatifs du déséquilibre fiscal vertical, mais ils prétendent aussi ne pas encore s être remis des réductions massives des transferts du gouvernement fédéral effectuées au cours de l exercice 1994 1995. «Le gouvernement fédéral a réduit les paiements de transfert aux provinces de façon assez significative dans le cadre d un effort concerté pour assainir sa propre situation budgétaire. En recommençant à encaisser des surplus, il avait l occasion de corriger les compressions effectuées en 1995», déclare M. Whitehead. Ainsi, le financement annuel actuel destiné aux services sociaux des provinces demeure inférieur à ce qu il était en 1994 1995 en dollars d aujourd hui, selon un haut fonctionnaire du ministère des Finances de l Alberta. «Essentiellement, nous voudrions tout simplement revenir à la situation dans laquelle nous nous trouvions en 1994 1995 avant les réductions fédérales» ajoute-t-il, faisant remarquer que le gouvernement fédéral a enregistré, en avril 2005, un surplus de 2,2 milliards de dollars qui, à lui seul, aurait suffi à combler l écart. Des changements importants aux paiements de péréquation et en matière de santé Dans une tentative visant à réfuter l existence d un déséquilibre fiscal vertical, le gouvernement fédéral fait rapidement remarquer qu en septembre 2004, les premiers ministres du pays ont signé un nouvel accord de dix ans sur la santé (le plan décennal pour consolider les soins de santé) qui prévoit des nouveaux investissements de l ordre de 41,3 milliards dans les soins de santé au cours de la prochaine décennie. L accord prévoit également une clause d indexation qui verra le financement du Transfert canadien en matière de santé (TCS) augmenter de 6 % annuellement à compter de l exercice 2006 2007. Selon un haut fonctionnaire du ministère des Finances fédéral, «il s agit d un montant nettement supérieur aux prévisions de quiconque en ce qui a trait au taux de croissance à long terme de notre économie, qui représente notre assiette fiscale et qui s établit à environ 4 % à 4,5 %». Par conséquent, estime-t-il, alors que rien ne confirmait l existence d un déséquilibre fiscal vertical dans le passé, on a encore moins de preuve qu il progresse. Mais Whitehead voit des limites à ce que peut accomplir le nouvel accord sur la santé, faisant remarquer que le transfert de 41 milliards de dollars est bien loin du billion de dollars que les provinces et les territoires estiment devoir consacrer aux soins de santé au cours des dix prochaines années. En Ontario seulement, le budget annuel du ministère de la Santé s établit actuellement à 30 milliards de dollars. Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 6

Le gouvernement fédéral fait aussi l éloge de son nouveau cadre de travail pour la péréquation et la formule de financement des territoires, qui assurera une augmentation de 33 milliards de dollars des paiements aux provinces/territoires au cours des dix prochaines années. Certes, les provinces reconnaissent que des progrès ont été accomplis. Le gouvernement fédéral a livré la marchandise en ce qui a trait aux soins de santé et à la péréquation, et cela, il faut le reconnaître, croit le haut fonctionnaire du ministère des Finances de l Alberta. Au cours de la dernière année, les provinces, considérées dans leur ensemble, ont aussi bénéficié d une croissance économique meilleure que prévu, selon Hodgson du Conference Board du Canada. Il fait remarquer que, outre l Alberta, qui a réussi à effacer la totalité de sa dette, toutes les autres provinces de l Ouest et le Québec ont déposé des budgets équilibrés. En ce qui a trait à l Ontario, «nous avons été très agréablement surpris de voir un déficit prévu beaucoup plus petit, dit-il. De plus, le Board prévoit que la plus importante province industrielle du Canada atteindra l équilibre d ici la fin de la décennie peut-être même un an plus tôt que prévu.» «Seules quelques provinces Maritimes, toujours déficitaires, continuent de nous préoccuper», déclare Hodgson, qui croit que dans l ensemble, si on se fie aux chiffres, il est très difficile aujourd hui de justifier l existence d un déséquilibre fiscal vertical majeur. Peut-être un aspect positif se dégage-t-il du débat qui fait rage depuis les cinq dernières années, à savoir que l on estime de plus en plus que les Canadiens devraient peut-être adopter une vision globale de leur structure fiscale et de son incidence sur l avenir de leurs enfants. «On n a plus guère de marge de manœuvre. En regardant la dette globale de toutes les provinces, plus celle du gouvernement fédéral, peut-être devrions-nous trouver une façon quelconque d équilibrer la situation pour que chacun y trouve son compte», croit Goodison. Il reste à voir s il s agit d un argument que tous les ordres de gouvernement verront du même œil. La récente élection au fédéral d un nouveau gouvernement conservateur dont le point de vue semble se rapprocher davantage de celui des provinces et des territoires pourrait peut-être changer à nouveau la dynamique du débat pour la deuxième partie de la décennie. Si tel est le cas, comme les trois articles de cette série ont tenté de le démontrer, nous entreprendrions encore une fois un nouveau virage au gré de la myriade de pressions financières qui a forcé tous les ordres de gouvernement au Canada à adapter leurs politiques de taxation et qui a eu une incidence marquée sur leurs relations dans le processus. M. Buckstein, CGA, est rédacteur à la pige spécialisé dans le domaine des affaires; il vit à Ottawa. Le déséquilibre fiscal vertical au Canada Partie 3 7