Education thérapeutique du patient : un regard distancé CNAM Paris 2 avril 2013 Olivier Walger, Haute Ecole Arc, Neuchâtel, Suisse
Sommaire de la présentation 1. Préambule 2. ETP et programme : compatibilité? 3. Finalités de l ETP 4. Des termes discutables 5. Une démarche et des compétences 6. De nouveaux enjeux
1. Préambule Problématique de définition Un bref regard historique La maladie chronique Une loi (2009)
1.1 ETP : problématiques de définition* Quelle définition? Des différences culturelles Des pratiques très différentes en France Aller au bout des mots : «centré sur la personne», «intégré aux soins». Facile à dire
1.2 Historique * Son origine : Hippocrate en parlait déjà! Le rôle des infirmières dès Florence Nightingale et repris par la suite par d autres modèles infirmiers Une efficacité reconnue : baisse de la tuberculose liée à l éducation de l hygiène La chronicité, un tournant
1.3 Maladie chronique : un tournant La maladie aigue ou les suites d un accident : le contrôle est chez le médecin et les soignants. L observance, voire la compliance est de courte durée La maladie chronique : le contrôle est chez le patient qui ne peut se soumettre à une observance et une compliance toute sa vie Cette nouvelle donne change fondamentalement le partages des rôles et des responsabilités
1.4 2009 : la loi Une anecdote: Congrès de la SETE en septembre 2009, à Toulouse : Avril 2009 : 15 à 20 inscrits Mai 2009 : 30 à 40 inscrits Juin 2009 : 40 à 50 inscrits La question d annuler le congrès se posait sérieusement Septembre 2009 : nous étions plus de 600! Je ne suis pas du tout certain que toutes les personnes présentes savaient de quoi nous parlions (nombres fictifs mais proches de la réalité)
2. ETP et programme Compatibilité de l ETP avec la notion de programme? Une définition à «décortiquer»
2.1 Définition de l OMS-Europe, 1998 «L éducation thérapeutique du patient devrait permettre aux patients d acquérir et de conserver les capacités et les compétences qui les aident à vivre de manière optimale leur vie avec leur maladie. Il s agit, par conséquent, d un processus permanent, intégré dans les soins, et centré sur le patient. L éducation implique des activités organisées de sensibilisation, d information, d apprentissage de l autogestion et de soutien psychologique concernant la maladie, le traitement prescrit, et les comportements de santé et de maladie.
2.1 Définition de l OMS-Europe, 1998 Elle vise à aider les patients et leurs familles à comprendre la maladie et le traitement, coopérer avec les soignants, vivre plus sainement et maintenir ou améliorer leur qualité de vie.» OMS-Europe, 1998
2.2 Compétences (Simon et al, 2007) L ETP ne peut se réduire à de l information. Il s agit de permettre un développement de compétences dans la vie quotidienne avec sa maladie «L éducation thérapeutique doit être comprise comme un apprentissage à des compétences décisionnelles, techniques et sociales dans le but de rendre le patient capable : de raisonner, de faire des choix de santé, de réaliser des projets de vie et d utiliser au mieux les ressources du système de santé.»
2.3 Vivre de manière optimale La santé, un moyen elle n est donc pas un but! Maladie chronique = non guérissable Subir la maladie ou vivre avec : «maladie destructrice», «maladie libératrice», «maladie métier», Helrzlich, 1969 Psychologie de la santé: contrôle externe, contrôle interne? Idée de vivre avec = accompagner la personne dans ses choix
2.4 Un processus permanent Un processus : ensemble d activités corrélées ou interactives orientées vers un but (Académie française et norme ISO 9000) Permanent : qui ne s arrête pas Un programme un processus permanent Mais un programme peut s inscrire dans un processus permanent Conclusion : l ETP ne peut pas se limiter à un programme!
2.5 Intégré dans les soins Soins pour maladie chronique : longue durée Programme = limité dans le temps Où? Hôpital, consultation ambulatoire, domicile, autre? Le domicile = contexte de vie le plus proche de la réalité du patient L hôpital = contexte de soins plus ou moins aigus, assez éloigné de la réalité quotidienne du patient Conclusion: Un programme inséré dans une prise en charge interprofessionnelle de longue durée, centrée sur la réalité du patient.
2.6 Centré sur le patient (1) Plus facile à dire qu à faire Un programme = centré sur un savoir à enseigner centré sur le patient Grimaldi (2012) : «un rapport récent de l inspection générale des affaires sociales portant sur la prise en charge du diabète de type 2 en France, souligne les difficultés et l inadaptation de l éducation thérapeutique depuis sa reconnaissance officielle par la loi HPST. Ce rapport critique le formalisme des programmes d éducation thérapeutique validés par les agences régionales de santé (ARS) souvent trop lourds» et probablement trop rigides pour s adapter à la singularité de chaque patient
2.7 Activités organisées Organisées par qui et où? qui prend le leadership de l organisation? Un spécialiste? Le médecin de famille? Le médecin spécialiste? Une infirmière? Rankin et al. (2005) : le leadership de l éducation du patient devrait être une infirmière
2.8 Patients et leur familles (proches) Une maladie chronique se vit au quotidien dans le contexte de vie avec ses proches = ils ne peuvent en être exclu Un programme s adresse-t-il aux patient seul ou tient-il compte des proches? Le soutien social émotionnel est le soutien le plus attendu par les personnes diabétiques (Bruchon-Schweitzer, 2002, Walger, 2008). Comment apprendre à soutenir son proche si on est exclu du programme?
2.9 Maintenir ou améliorer la QoL Qualité de vie = caractère subjectif et singulier Programme ne tient pas compte du singulier Se pose toute la question de la finalité de l ETP
3. Finalité de l ETP Observance? Compliance? Autre chose?
3.1 Observance et compliance OK pour maladie aigue On ne passe pas sa vie à obéir (observance du traitement) ou à s adapter (compliance) Au fait : qui doit s adapter à qui? Observance et compliance = une certaine vision de l éducation du patient, mais centrée sur le traitement la personne
3.2 Empowerment individuel Autodétermination (Decci et Ryan, 1985) Proche de l autonomie au sens générique du terme : Du préfixe grec : Auto et νόμος nomos («loi») soit «droit de se gouverner par ses propres lois». En médecine, l autonomie est davantage considérée, dans un sens réducteur du terme, comme l indépendance fonctionnelle. Sentiment d efficacité personnelle (Bandura, 1977) Acceptation des limites inhérentes au traitement et cohérence identitaire (Ajoulat, 2007)
3.2 Autodétermination * Libération interne* Libération externe*
3.3 Une relation d empowerment Permettre à la personne de reprendre un plus grand contrôle sur sa maladie et son traitement en visant le maintien ou l amélioration de sa qualité de vie telle qu elle l entend pour elle-même Partage du pouvoir, des décisions et des responsabilités Une tension pour les professionnels : que dois-je viser?
3.4 Des besoins différents Besoin exprimé Besoin normatif Besoin comparatif Besoin ressenti
4. Des termes discutables Education Thérapeutique Patient
4.1 Patient Patient = pâtir (souffrir) Patient = patienter Patient actif, responsable, capable d autodétermination, libre
4.2 Thérapeutique Rajouté par Jean-Philippe Assal dans les années 1980 pour signifier la vertu thérapeutique et la nécessité d être réalisée par les professionnels de la santé Ce mot dérange : Deccache (Belgique) Littérature anglophone : «therapeutic patient education» doesn t exist De plus en plus de soignants non médecins s élèvent contre ce rajout.
4.3 Education Ce terme semble mal accepté par un nombre important de professionnels non initiés à l éducation du patient (Roussel et Deccache, 2012) Reste à savoir ce que veut dire «Eduquer» faire obéir ou rendre libre? Entre béhaviorisme ou socioconstructivisme Juan Ruiz, à Lausanne, préfère parler d accompagnement thérapeutique.
4.4 Des différences linguistiques Dans la littérature anglophone : Self-management education = centré sur la personne Patient education = centré sur la compliance au traitement
5. Une démarche et des compétences Une démarche pour soutenir un processus Des compétences professionnelles variées
5.1 Une démarche (1) Proche de la démarche de soins, de toute démarche professionnelle par ailleurs, la démarche éducative en éducation du patient se décline en plusieurs étapes : 1. Anamnèse de la situation et récolte approfondie de données analyser la situation ; formuler un ou plusieurs diagnostics éducatifs (hypothétiques) dans le cadre d un bilan éducatif partagé avec le patient ; 2. Formulation d objectifs éducatifs négociés en interdisciplinarité et avec le patient ARC-DP120227-2316-DemarcheETP_Pedago owa-dernière mise à jour : 06.07.2012 12
5.2 Une démarche (2) 3. Choix de stratégies éducatives appropriées au diagnostic et à la personne 4. Mise en place et opérationnalisation des stratégies éducatives retenues 5. Evaluation de la démarche éducative ARC-DP120227-2316-DemarcheETP_Pedago owa-dernière mise à jour : 06.07.2012 13
5.2 Des compétences professionnelles (1) Capacité d adaptation (aux patients, aux famille, aux équipes interprofessionnelles, aux contextes, etc.) Capacité d empathie pour comprendre le vécu émotionnel de l autre Compétences pédagogiques (évaluation des besoins, stratégies éducatives adaptées, évaluation des acquis, etc.) Compétences motivationnelles (savoir entendre les freins vécus par le patient dans son changement de comportement, savoir susciter la motivation à partir du discours du patient = entretien motivationnel)
5.2 Des compétences professionnelles (2) Compétences d évaluation Capacité de créativité pour trouver des solutions adaptées à la singularité de chaque patient. Capacité d organisation Expérience et connaissances des soins Capacités et compétences inspirées des compétences de l OMS-Europe (1998) traduites par J. Foucaud (2010)
6. De nouveaux enjeux Responsabilités en cas de complications Partage des rôles Leadership du processus éducatif Collaboration interprofessionnelle Centré sur le patient
6.1 Responsabilités Qui est responsable en cas de complications prévisibles de la maladie lorsqu elles sont essentiellement liées à un comportement inadéquat par rapport aux besoins normatifs? Le médecin? L infirmière? Le patient? La famille? La société? Qui doit assumer le surcoût des complications prévisibles?
6.2 Partage des tâches/rôles (1) Qui est sensé faire de l éducation? Le médecin? L infirmière à qui le médecin délègue? Une équipe de spécialistes pédagogiques à qui le médecin délègue? (= programme) Tous les soignants (= intégrée dans les soins), dans le cadre d une collaboration interprofessionnelle réfléchie et efficiente (solution préconisée par la très grande majorité des auteurs en éducation du patient)
6.2 Partage des tâches/rôles (2) Si tous les soignants sont impliqués, qui fait quoi en éducation du patient? Exemple: projet de recherche EPIMI (OWA, Ruiz, Oppizzi) Méthode : RIAS + focus-groupes pour identifier ce qui se passe dans les interactions entre divers types de soignants et patients
6.3 Leadership (1) * Contexte ambulatoire, le plus proche du contexte de vie du patient sans être à son domicile : Rapports hiérarchiques formels entre médecin et infirmière Rapports de compétences : celui qui est «le plus compétent pour réaliser une tâche donnée» (ASSM, 2011)
6.3 Leadership (2) Leadership décidé de service en service? Leadership dicté par une directive institutionnelle, voire nationale? Rappel : l infirmière est celle qui semble la plus proche du patient. Reste à savoir si elle détient les compétences pédagogiques, organisationnelles, et de leadership nécessaires (Rankin, 2005)
6.4 Collaboration interprofessionnelle La collaboration interprofessionnelle : une compétence qui s apprend
6.5 Centré sur le patient Tout un défi!... Pour rester centré sur le patient, il faut pouvoir se libérer de différentes pressions : Pression de la norme Pression de la plainte non traduite Pression des limites financières Etc.
Conclusion L éducation du patient, interprofessionnelle et centrée sur le patient = un défi pour Favoriser l empowerment des personnes vivant avec une maladie chronique vis-à-vis de leur traitement Améliorer la prévention tertiaire et diminuer les coûts de la santé à moyen et long termes
Bibliographie Académie Suisse des Sciences Médicales (ASSM), (2011), Les futurs profils professionnels des médecins et des infirmiers : rapport et commentaire. Bâle, ASSM, 2011. Aujoulat I. (2007), L empowerment des patients atteints de maladie chronique : des processus multiples : autodétermination, auto-efficacité, sécurité et cohérence identitaire. [Thèse de doctorat en santé publique, option éducation du patient. Université catholique de Louvain], Louvain (Belgique) Bandura, A. (1977), Self-efficacy: Toward a unifying theory of behavioral change. Psychological Review, 84(2), 191-215 Bruchon-Schweitzer, M. (2002), Psychologie de la santé: modèles, concepts et méthodes. Paris, Dunod. D Ivernois, J.F., Gagnayre, R., (2008), Apprendre à éduquer le patient. Paris, Maloine. Deccache A., Lavendhomme E., (1989), Information et éducation du patient : des fondements aux méthodes. Bruxelles, De Boeck Université.
Bibliographie Deci, E.L. et Ryan, E.M., (1985), Intrinsic motivation and selfdetermination in human behavior. New-York, Plenum. Foucaud, J., (2010), Compétences et éducation thérapeutique du patient. Soins Cadres, 73, 27-29. Grimaldi, A., (2012), Les aphorismes de l éducation thérapeutique. Education Thérapeutique du Patient/Therapeutic Patient Education, 4(2), EDP Sciences, SETE, Editorial. Herzlich, C., (1996), Santé et maladie : analyse d une représentation sociale. (1 ère édition 1969), Paris, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales. Lacroix, A., Assal, J.P., (2003), L éducation thérapeutique des patients : nouvelles approches de la maladie chronique. Paris, Masson. OMS-Europe, (1998), Therapeutic patient education: continuing education programs for healthcare : Providers in the field of prevention of chronic diseases. Rapport.
Bibliographie Pineault R., Daveluy C., (1995), La planification de la santé : concepts, méthodes, stratégies. Montréal, Editions Nouvelles. Rankin, S. H., et al. (2005), Patient Education in Health and Illness. Lippincott Williams and Wilkins, Philadelphia. Roussel, S., Deccache, A., (2012), Représentations variées des concepts en éducation thérapeutique du patient chez les professionnels de soins de santé : Réflexions et perspectives. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ; 4(2), 401-408. Simon, D. et al. (2007), Education thérapeutique: prévention et maladies chroniques. Paris, Masson. Waldwogel, F., (2009), Le rapprochement entre sciences naturelles et sciences humaines et devenu une urgence pour la pratique médicale. In Savoirs, revue internationale de recherches en éducation et formation des adultes, Université Paris Ouest, L Harmattan. Walger, O., (2009), Empowerment et soutien social des personnes vivant avec un diabète : développement d un outil d évaluation à usage clinique. Education du Patient et enjeux de Santé, 27(1), 5-12.