Evaluation et marketing : réinterroger nos politiques publiques autrement que par les compétences Atelier n 18 Benoit QUIGNON, Directeur général, Communauté urbaine de Lyon - Grand Lyon Jean-Gabriel MADINIER, Directeur général des services, Ville de Saint-Etienne Christian CARCAGNO, Président de section, Chambre régionale des comptes d Ile de France Marie-Joëlle THENOZ, Associée secteur public cabinet Ineum Consulting La réduction des marges de manœuvre financières impose à l ensemble des collectivités de s interroger sur la pertinence, l efficacité et l efficience de leurs actions. Le débat est aujourd hui surtout centré sur les compétences, notamment au travers des réflexions menées sur la mutualisation des moyens entre collectivités. Dans une approche complémentaire à ce travail sur les compétences, l évaluation des politiques publiques et le marketing sont présentés comme deux outils à développer pour repérer des marges de manœuvre, mais aussi se mettre en capacité de s adapter aux évolutions du contexte financier, économique et sociétal («agilité»). I. Contraintes financières et modernisation du mode de production des services publics locaux (Christian CARCAGNO) Les résultats macroéconomiques des collectivités locales étaient satisfaisants jusqu en 2007, mais témoignaient d une raréfaction à venir des ressources. En effet, l épargne des collectivités locales était relativement importante, et, malgré les transferts de compétence, les Départements parvenaient à dégager une marge d autofinancement. La dette restait en outre limitée. Depuis 2000, le nombre de saisines des chambres régionales des comptes était en baisse constante. Aujourd hui, les ressources sont réellement rares et le resteront, sachant que la part venant de l Etat dans le cadre des décentralisations diminuera progressivement et que les droits de mutation seront en baisse dans les années à venir. D ici 2012, la vitesse de croissance des dépenses publiques devrait être divisée par deux par rapport à aujourd hui, et certains investissements, notamment dans Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 1
les collèges, se réduiront. Parallèlement, la croissance des dépenses sociales et médicosociales devrait se poursuivre. Il reste des marges de manœuvre dans les collectivités territoriales, même si celles relatives à la fiscalité sont très limitées. En revanche, les effectifs de fonctionnaires dans les collectivités territoriales ont fortement augmenté dans ces dernières, alors qu ils baissaient au niveau de l Etat et de la fonction publique hospitalière. Le phénomène n est en outre pas lié uniquement à la décentralisation. Il est lié également à la démographie et à l extension des services publics locaux. Ainsi, plusieurs axes d amélioration apparaissent : la gestion des ressources humaines pourrait globalement être améliorée dans les collectivités, s agissant en particulier de l adéquation entre les effectifs et les missions ; le niveau d équipement parait en outre aujourd hui satisfaisant. Après avoir augmenté fortement au cours des dernières années, il devrait se stabiliser. la mutualisation des moyens est également un axe d amélioration, le coût (tarification) des services publics locaux peut s ajuster, en étudiant les délégations de service public ; les citoyens pourraient participer de façon plus importante à certains services. De fait, la théorie des blocs de compétences ne fonctionne pas. Néanmoins, les doublons ont tendance à disparaitre. On assiste notamment à des fusions de communautés de commune, même si certaines structures comme les syndicats intercommunaux perdurent alors qu ils n ont plus de raison d être. Les élus et les fonctionnaires territoriaux sont conscients de l existence de marges de manœuvre. Ils sont conscients de la complexité de la situation, notamment d un point de vue technique, mais sont prêts à agir. Cependant, les référentiels et les indicateurs de performance manquent pour réaliser des évaluations pertinentes avant d intervenir. Il n existe pas non plus à l heure actuelle de coûts standards pour les principaux services publics locaux. L évaluation de la qualité des prestations est également très difficile à mettre en œuvre. Le marketing public pourrait alors être utile pour repérer la surqualité. De manière générale, les collectivités locales se doivent, dans le contexte économique actuel de raréfaction des ressources de revoir leurs méthodes de gestion. II. La réforme générale des politiques publiques : démarche et résultats (Marie-Joëlle THENOZ) Les collectivités n ont pas attendu l Etat pour réformer leurs politiques publiques et utilisent pour cela des outils de marketing. Au niveau de l Etat, la réforme générale des politiques publiques (RGPP) concerne tous les ministères et se met en place en un temps Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 2
réduit. Les inspecteurs des finances ont disposé de quatre mois pour formuler des propositions, les objectifs fixés à l avance étant de ne pas remplacer un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et de réduire les dépenses de 10 à 20 % hors masse salariale. La France s est inspirée de la démarche en sept points mise en œuvre au Canada. L une des questions consiste à se demander quelles sont les besoins et les attentes collectives et la façon d y répondre. Globalement, la démarche vise à se poser des questions de fonds sur les missions de service public avant de s interroger sur l organisation. Les plans de transformation font en outre l objet d un plan d accompagnement sur trois ans. D après le projet, certaines politiques jugées non pertinentes sont supprimées, alors que d autres sont renforcées. La RGPP conduit à quelques transferts de compétences et à revoir la qualité de service en fonction des besoins. Les dispositifs d intervention sont en outre allégés, l Etat se positionnant comme maître d ouvrage et non comme maître d œuvre. En réalité, les réformes de structure dominent par rapport aux réformes de process et les remises en cause de politiques publiques restent rares. Dans les collectivités locales, ce type de démarche est mis en œuvre depuis de nombreuses années. Les marges de manœuvre concernent essentiellement les politiques facultatives des collectivités locales. Se pose par ailleurs aujourd hui aux collectivités locales la question de l organisation en réseau, qui réinterroge les politiques publiques. En outre, certains services, comme les prestations à domicile, peuvent être supprimés ou faire l objet d une facturation. Les collectivités locales passent alors d un rôle de prestataire à un rôle de coordinateur. Dans ce cadre, elles cherchent à connaître les publics qui utilisent les différents services proposés et utilisent alors le marketing public. Ce dernier continue à susciter des craintes chez les acteurs publics. Il s agit pourtant d optimiser le niveau de service rendu et de réduire les coûts liés à la relation usagers/clients, de faire évoluer la tarification des services et de faciliter les interactions entre l usager et l administration. Les difficultés pour mettre en œuvre ce type de marketing sont souvent liées au manque de coordination des informations venant des citoyens. Le marketing est une notion issue du secteur privé, mais il permet, dans le secteur public, de segmenter les publics et donc de bien cibler les politiques et les publics auxquels elles sont exclusivement destinées. Il est mis en œuvre en réalisant des enquêtes, en utilisant l ensemble des informations disponibles dans les différents services et en s intéressant aux processus. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 3
III. Débat Comment évaluer la politique d insertion, sachant que la collecte de données peut poser problème? Quelles sont les segmentations possibles parmi les citoyens? Comment évaluer en elle-même la réinsertion d un point de vue qualitatif? L évaluation de la politique sur les personnes âgées utilise une grille de classement en fonction du niveau de dépendance. En découle le mode d organisation du paiement des prestations. Des grilles se mettent en place également pour la politique du handicap et pourraient être créées pour l insertion. Il est en outre possible d utiliser des matrices coûts/utilités pour déterminer l efficacité d une politique publique. Il est toujours difficile pour les élus locaux de mettre fin à certaines politiques. Comment les fonctionnaires territoriaux peuvent-ils les aider à réduire, quand cela paraît nécessaire, le champ d action d une collectivité territoriale? La réforme générale des politiques publiques mise en œuvre au niveau de l Etat semble ne pas avoir suffisamment épuré les politiques publiques ni s être penchée sur la façon de mettre en œuvre et d organiser ces politiques. Les collectivités auront sans doute plus de facilités à agir, en raison de leur taille plus réduite. Le mode de gouvernance est par ailleurs alors une question très importante et son évolution demande un certain courage politique de la part des élus locaux, qui doivent savoir arbitrer. Les collectivités n utilisent sans doute pas suffisamment les techniques de management du secteur privé, dont elles pourraient tirer profit en particulier en matière de ressources humaines. La GPEC est en outre nécessairement liée au contrôle de gestion et interroge la qualité de service. Hélas, les élus comme les fonctionnaires cherchent trop souvent à conserver leurs pouvoirs actuels, ce qui ne facilite pas le travail d équipe. Il conviendrait sans doute également d associer les citoyens, afin qu ils prennent conscience du coût que représentent leurs demandes. IV. Comment le Grand Lyon a utilisé le marketing public pour ses politiques? (Benoît QUIGNON) Utiliser le terme de marketing public est souvent mal perçu, c est pourquoi il a été décidé à la Communauté urbaine du Grand Lyon de recourir au terme d Objectif publics (au pluriel, car il s agit bien de s adresser à différents publics), pour désigner le projet marketing. Le Grand Lyon a choisi de s inscrire dans cette démarche car il devait adapter ses politiques publiques étant donné le contexte économique, la compétitivité entre les grandes villes européennes et les attentes des citoyens. La question essentielle à l origine du projet a consisté à se demander pour qui telle ou telle action était menée et si les publics visés étaient bien satisfaits des politiques mises en œuvre. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 4
Cette question a remis en cause la pratique de l écoute des citoyens, qui est souvent mise en avant par les agents publics et les élus, mais restait en réalité restreinte. En outre, une fois les attentes bien connues, il convenait de valoriser les actions jugées positives par les citoyens et d éliminer celles qui ne l étaient pas. Une communication adaptée a été mise en place, comme cela se fait dans le cadre du marketing privé. Il y a toutefois une différence par rapport à ce dernier, les usagers n étant pas les payeurs directs des services qu ils utilisent. Ce point constitue une difficulté. En revanche, les citoyens s impliquent plus que les consommateurs dans l évolution des actions publiques. Ils peuvent contribuer, par exemple à l amélioration de leur qualité de vie. La mise en œuvre du marketing public dans une collectivité complète les logiques techniques et gestionnaires déjà en place, ainsi que la logique politique et la logique citoyenne. Le marketing enrichit la discussion nécessaire avant tout arbitrage des élus locaux. Le Grand Lyon a cherché, dans sa démarche, à améliorer ses prestations en s intéressant à la notion de bénéficiaires. La communauté urbaine l a par la suite généralisé, parallèlement à la diffusion en interne d une «culture des choix», en évaluant les projets en fonction de leur contribution à l atteinte des objectifs de politiques publiques. Ces dernières ont été formalisées dans le cadre d un plan de mandat. Une équipe de marketing stratégique, qui rapporte directement au directeur général, a été mise en place. Son objectif est que chacune des politiques réponde aux justes attentes des bénéficiaires, sans chercher nécessairement à améliorer la qualité de manière constante. Le marketing stratégique a été utilisé pour la politique de la propreté, dont l objectif est aujourd hui l amélioration du cadre de vie en collaboration avec les usagers, alors qu il s agissait autrefois d améliorer le circuit des balayeuses. Le marketing a également été utilisé pour évaluer les prestations de services internes des fonctions supports de la communauté urbaine. V. Evaluer pour définir les frontières de l action publique locale (Jean-Gabriel MADINIER) L évaluation des politiques publiques revient à émettre un jugement de valeur et des recommandations sur les résultats, les impacts et la cohérence de la politique au regard des objectifs prédéfinis. Elle reste limitée en France dans les services publics, et en particulier dans les communes ou les intercommunalités. Les régions ont uniquement mis en place des évaluations de type technique liées à l utilisation de fonds européens. L évaluation conduit à réinterroger les services publics et les modes de production. Elle est un outil d objectivation et aide à sortir d un schéma de services publics conditionnés par l offre existante. Elle donne un sens à l action administrative, car elle conduit à s interroger sur les finalités de cette dernière. L évaluation peut être également un facteur de déstabilisation, car elle remet en cause la place des élus et interroge le rôle de l exécutif et l opportunité des politiques de long terme. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 5
Avant l évaluation, il parait nécessaire de définir un plan de mandat et donc de formaliser les politiques publiques. Une telle démarche est en outre positive pour tous, car elle permet de se poser la question des objectifs avant celle des moyens. Elle facilite également le positionnement des élus et des agents, et aide à communiquer vis-à-vis des citoyens. Il convient par ailleurs de mettre en place une gouvernance adaptée et de créer des comités de pilotage et de prévoir des ressources dédiées à l évaluation, dont le rôle sera d évaluer régulièrement la mise en œuvre des politiques publiques définies dans le plan de mandat. Sur ce point, la Ville de Saint-Etienne a choisi de créer récemment une Direction de l évaluation, de l audit et de la prospective. VI. Débat Comment la démarche marketing est-elle perçue dans les services du Grand Lyon? Les agents s approprient-ils les concepts marketing? La démarche marketing du Grand Lyon est partagée par l ensemble des cadres. Il ne s agit pas de convaincre chaque agent de la pertinence de la démarche, mais de la nécessité de faire évoluer les services et leur manière de travailler, en renforçant l approche de terrain. Il reste à savoir comment bien collecter les données et comment utiliser les nombreuses remontées d information venant des agents. Certains agents seront sans doute appelés à présenter des projets devant des comités de quartier pour expliquer l évolution de leur service. Une réflexion s est par ailleurs engagée avec les directions ressources au sein du Grand Lyon : ces dernières ont cherché à bien identifier leurs bénéficiaires internes et ont rédigé un catalogue des prestations de la délégation générale aux ressources (qui regroupe la DRH, la direction des finances, le service des assemblées, la direction des systèmes d informations et télécom, la direction des affaires juridiques et de la commande publique, la direction de la logistique et des bâtiments). A Saint-Etienne, il reste nécessaire de faire évoluer la culture interne, qui doit se baser sur les missions et non sur les structures organiques. La certification de la qualité des services rendus peut-elle être un outil de pérennisation des effectifs et d implication des élus? Certains services travaillent longuement sur les certifications qualité, ce qui peut être intéressant si le résultat est bien l objectif, mais semble d un intérêt limité quand il s agit uniquement de se conformer à une méthode. La raréfaction des ressources conduit par ailleurs à réfléchir autrement sur la façon de rendre les services, et non à réduire l action publique, en particulier dans des villes Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 6
comme Viry-Châtillon, où la demande des citoyens est particulièrement forte. Elle ne peut toutefois être l unique porte d entrée de l évaluation des politiques publiques. Il s agit bien avant tout d améliorer l efficacité des services publics. La mutualisation des services est-elle une solution intéressante pour une agglomération, en particulier pour faire face à la réduction des moyens financiers des collectivités locales? La mutualisation des services est en œuvre dans la plupart des agglomérations. La Ville de Saint-Etienne s interroge encore sur ce point. Le Grand Lyon estime pour sa part que la mutualisation permet de raisonner en termes de services à l usager. La répartition des compétences entre les différentes collectivités ne facilite pas toujours les choses en terme de lisibilité de l action publique. De manière générale, la mutualisation est intéressante, mais elle est obligatoirement liée à un projet politique et sa mise en œuvre présente des risques. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 7