Films à la Fiche LA FUREUR DE VIVRE. La naissance d un mythe LA FUREUR DE VIVRE

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1 Films à la Fiche LA FUREUR DE VIVRE La naissance d un mythe VF7501 Présentation Sorti un mois après la mort de sa vedette James Dean, ce film est devenu culte pour plusieurs générations de jeunes Américains. Indépendamment du mythe, le film est emblématique de la délinquance juvénile et décline les rapports de l adolescent à la figure du père. Réalisation Nicholas Ray est né en 1911 aux États-Unis. Après des études avortées en architecture, il s oriente vers le théâtre et rencontre Elia Kazan. Grâce à celui-ci, Ray débute derrière la caméra en 1948 et connaît plusieurs succès dont le western Johnny Guitar. La mort de James Dean, auquel il s était attaché, marque le début d une période marquée par des déboires financiers et de graves problèmes de santé. Il meurt en 1979 non sans avoir fortement influencé des cinéastes comme Godard et Wenders. LA FUREUR DE VIVRE Synopsis Après un passage au commissariat pour ivresse publique, le jeune Jim s apprête à découvrir Los Angeles où ses parents, avec lesquels il est en froid, viennent de s installer. Il rencontre la jolie Judy et le fragile Plato mais doit affronter Buzz, chef d une bande. Lors d un défi, Buzz meurt accidentellement. Bouleversé, Jim rompt avec ses parents et se réfugie avec Judy et Plato dans un manoir abandonné. Thèmes Violence Mort ; euthanasie ; suicide ; peine capitale Enfance, adolescence ; famille Vie en société ; conditions socio-économiques Amour.

2 Éducation par le cinéma Pistes de réflexion quant aux thématiques Le phénomène de bande La délinquance des jeunes du film ne semble pas justifiée par des causes socioéconomiques. Au contraire, ils évoluent dans les banlieues nanties de Los Angeles. La Fureur de vivre propose plutôt une grille de lecture axée sur des phénomènes d identification et de groupes qui semblent renvoyer à l éthologie, l étude des comportements animaux et humains. On peut aisément décrypter la dynamique de la bande à travers le rôle du chef, Buzz, qui se conduit comme un mâle dominant soucieux de mater ses rivaux éventuels. Les confrontations entre Buzz et Jim n ont pas pour objectif d éliminer l autre mais bien de montrer qui est le plus fort et semblent avoir Judy pour enjeu. La relation au père Les trois personnages principaux du film sont animés par une relation difficile avec leur père. Cette relation évolue suite au bouleversement provoqué par Buzz. Pour chacun des personnages, l exercice qui consiste à relever cette relation et son évolution permettrait une approche plus pointue du film et éclairerait ce thème central. Jim est en rupture avec son père qu il juge trop mou et écrasé par sa mère. Le film rend la chose explicite en affublant le père d un tablier de ménagère et en lui faisant faire des tâches domestiques. C est l absence de l autorité et de repères qui perturbe le fils. Le père de Judy condamne sa sexualité qui s épanouit (il l estime provocante) mais il rejette aussi la tendresse de sa fille à son égard (qu il juge enfantine). Ce paradoxe maintient Judy dans une ambiguïté perturbante : est-elle une enfant ou une adulte? Jim sera pour elle une figure paternelle de substitution, qui flatte sa sexualité et qui lui prodigue de la tendresse. Plato souffre de la démission et de l absence de ses parents et tout particulièrement de son père. Il cherche une famille de remplacement et croit la trouver auprès de Jim et de Judy, ersatz de couple parental. Cette illusion semble provoquer de graves troubles qui le renvoient à la limite de la fantasmagorie dont le sortira l affection toute paternelle de Jim. On peut également relever la manifestation d une sensualité envers Jim qui laisse supposer des tendances homosexuelles refoulées. Films à la Fiche - La fureur de vivre 2

3 Éducation par le cinéma Jim résoudra la problématique propre à chacun des personnages, y compris la sienne. Son action provoque un passage à l âge adulte (fatal pour Plato) en assumant pour chacun le rôle paternel qui faisait défaut (il s impose à lui-même la discipline). Pistes de réflexion quant à la narration Une narration classique Le récit se caractérise par une construction simple. L histoire dure 24 heures, l intrigue est linéaire et se déroule dans des lieux aisément identifiables qui servent de décor à l action (le déplacement est quasiment absent du film). Cette simplicité évoque la règle classique des trois unités élaborée au XVIII e siècle pour le théâtre (dont est issu le réalisateur) sans pour autant les appliquer à la lettre. L allégorie de la caverne Le personnage de Plato fait référence au philosophe grec Platon. En effet, outre l évidente homonymie, le personnage semble vivre dans le film l allégorie de la caverne développée par le penseur. Réfugié dans son univers intérieur, Plato refuse d affronter la réalité et ne se fie qu à son interprétation du monde. Le rapport à la lumière et aux ombres est fort présent autour du personnage qui se réfugie constamment dans l obscurité et craint les lumières extérieures telles les projecteurs de la police. Face au film La Fureur de vivre montre la responsabilité des parents dans le phénomène de délinquance juvénile. Cependant, il se réfère à un archétype familial propre aux valeurs américaines blanches des années 50. Le père y a une fonction centrale tandis que le rôle de la mère est passif voire négatif s il prend de l ascendant (dans la famille de Jim). Cette vision peut introduire deux questions. Le rôle de la mère est-il à ce point insignifiant? Y a-t-il une universalité à retenir du film malgré ses visions idéologiques? Films à la Fiche - La fureur de vivre 3

4 Contextes Ligne du temps historique Ligne du temps artistique L allégorie de la caverne dans La République, livre VII de Platon a.v. J.C. A Rebel Without a Cause, livre de psychologie de Robert Lindner The Wild Ones de Laslo Benedek. Description d une course mortelle de «chikie run» dans un journal californien Mort de James Dean dans un accident de The Blackboard Jungle de Richard voiture - 30 septembre 1955 Brookes. 1955, 10 avril - sortie d A l est d Eden d Elia Kazan. 1955, 26 octobre - sortie de La Fureur de vivre de Nicholas Ray Giant de George Stevens. Contexte politique En 1955, la politique extérieure des États-Unis est dominée par la Guerre froide qui alimente une course à l armement atomique et la crainte naissante d un possible holocauste nucléaire. Sur le plan intérieur, les questions des droits civiques et de la ségrégation raciale animent fortement la politique et provoquent des raidissements parfois très conservateurs. Mais les années 50 sont aussi marquées par une croissance économique exceptionnelle qui s accompagne d une augmentation de la consommation des ménages. La famille nucléaire disposant de voitures, d électroménager et vivant confortablement dans un pavillon de banlieue devient le modèle étalon du bonheur américain. Films à la Fiche - La fureur de vivre 4

5 Contextes Un nouveau genre : la délinquance juvénile C est dans ce contexte que les médias américains s emparent de la délinquance juvénile, un phénomène jugé nouveau et inquiétant. Régulièrement, des actes de vandalisme ou de combats de bande sont relatés et souvent du fait d une jeunesse aisée. Pratiquement dépourvue d analyse socioéconomique, la réaction du monde adulte est majoritairement paternaliste et penche pour des explications d ordre psychologique. En 1953, le phénomène fait son apparition au cinéma avec The Wild Ones (L équipée sauvage) de Laslo Benedek avec Marlon Brando en chef d une bande de jeunes motards. Deux ans plus tard, sort The Blackboard Jungle de Richard Brookes, film plus social sur la violence à l école. Tourné peu après ce dernier, La Fureur de vivre s inscrit pleinement dans ce genre et représente bien comment le phénomène est envisagé par la société américaine. Ainsi, son titre anglo-saxon, A Rebel Without a Cause, est également celui d un ouvrage de 1944 qui cherche à expliquer les actes d un tueur par des troubles psychologiques et familiaux. Quant au scénario, il s inspire directement de faits divers relatés par la presse de l époque, dont l accident de la course de voiture «chicken run». Ces films fondèrent le genre du Teen Movie américain qui, depuis, ne cesse d être exploité à plusieurs sauces et réutilise des mêmes éléments au point de les ériger en archétypes. Contexte artistique La naissance de la contre-culture jeune Bien qu il ne traite pas explicitement des modes de vie culturels de ses personnages et que son héros reste finalement très conventionnel, le film s inscrit pourtant dans l iconographie de la contreculture jeune naissante. Contrairement sans doute aux intentions presque pédagogiques de son scénario, le film a porté sur les fonds baptismaux l image du jeune en rupture avec la société et avec les générations qui le précèdent. Cette image, largement amplifiée par la légende de James Dean, a essentiellement été forgée par l accueil triomphal que reçut le film et donc, par le public lui-même. L identification à un personnage authentique guidé par ses émotions et en butte avec son environnement s inscrit pleinement dans la naissance du phénomène rock et préfigure la contestation des valeurs traditionnelles que connaîtront les années 60. Films à la Fiche - La fureur de vivre 5

6 Éducation au cinéma Quand un film devient culte La notoriété de La Fureur de vivre doit beaucoup au mythe de James Dean et à sa mort tragique, survenue lors d un accident de voiture le 30 septembre 1955, soit 26 jours avant la sortie du film. Jeune acteur de 24 ans au moment du tournage, James Dean n est crédité que dans trois longs-métrages. Révélé par A l est d Eden d Elia Kazan (1955), il tourne La Fureur de vivre avant d enchaîner avec Giant (de George Stevens), bouclé juste avant sa mort et sorti en N ayant finalement été vu du public que dans un seul film avant son accident, la réputation de James Dean est difficilement dissociable de sa mort tragique et de la personnalité qu on lui a attribuée à titre posthume. En effet, l acteur fut réellement sacralisé au rang de star à la faveur de l émotion que suscita sa disparition. Avant celle-ci, il n était somme toute qu un jeune premier qui se distinguait par une sensualité jugée provocante et par un charisme indéniable. Mais il était aussi un excellent acteur, tout entier au service des films dans lesquels il s investissait corps et âme au point d amener beaucoup de lui-même à ses rôles. La sortie de La Fureur de vivre consacra James Dean comme l icône du teenager, personnage neuf au cinéma, auquel s identifièrent soudain une multitude de jeunes à travers le monde, tout heureux d avoir trouvé un modèle. La réputation de Dean tient aussi à ce qu on disait de sa vie : trépidante et extrême, ironiquement marquée par une passion pour la course automobile. Cette impression de fulgurance, propice à la mythification, est encore accentuée par le succès soudain qu il connaissait en La Fureur de vivre est donc indissociable de sa vedette. Si le film contribue pour beaucoup à la gloire posthume de l acteur, la célébrité de celui-ci garantit aussi sans doute la place du film au panthéon du cinéma américain. Et c est bien là que réside l ambiguïté qui peut exister entre la création artistique et l accueil qu elle reçoit. Car, peut-on imaginer que ce film serait tout aussi fameux sans l histoire de son acteur? Vraisemblablement non. Car on parle plus volontiers de La Fureur de vivre comme étant le film avec James Dean et non de James Dean comme étant l acteur de La Fureur de vivre. Films à la Fiche - La fureur de vivre 6

7 Éducation au cinéma Analyse d une séquence Après la mort de Buzz, Jim rentre chez lui dans l espoir de trouver auprès de ses parents la force nécessaire pour se rendre à la police. Toutefois, la discussion tourne à une confrontation qui révèle les tensions et le désarroi familial de Jim. Presque exactement à l heure de film, commence une séquence de deux minutes durant laquelle les protagonistes prennent position sur l escalier. Son analyse peut passer par deux questions : comment est-elle mise en scène et filmée? Quelles y sont les intentions du réalisateur? Toute la séquence est montée à l aide d une alternance des mêmes champ et contrechamp. Les trois personnages sont alignés dans l axe de l escalier et leur positionnement est très révélateur de la configuration de la famille de Jim. Sur l escalier, symbole d ascension sans doute celle de Jim qui cherche à prendre ses responsabilités, la mère est positionnée au dessus, semblant barrer le chemin à son fils. Le père est en bas de l escalier, sollicité par Jim pour qu il l aide mais incapable d intervenir dans le conflit. Jim est donc entre ses deux parents, au début de l escalier. Les plans successifs sont organisés pour montrer les tensions qui existent entre les parents et leurs effets sur un Jim écartelé. Cette illustration de la tension est renforcée par la nervosité de Jim qui se tourne vers l un puis vers l autre de ses parents. La séquence commence sur un léger mouvement de caméra qui désaxe l alignement de la contre-plongée sur l escalier et donne une impression d équilibre précaire qui peut à tout moment se rompre. Films à la Fiche - La fureur de vivre 7

8 Informations complémentaires Fiche technique Film américain / 1955 / Couleurs / 111 Réalisation : Nicolas Ray. Scénario : Nicolas Ray, Irving Shulman, Stewart Stern. Production : David Weisbart Acteurs : James Dean, Nathalie Wood, Sal Mineo, Corey Allen, Dennis Hopper, e.a. Photographie : Ernest Haller. Musique de Leonard Rosenman. Titre original : A Rebel Without a Cause. Références Livres Bertrand Meyer-Stabley, James Dean, biographie, Éditions Payot, 2005 Internet L analyse de la séquence du duel au couteau sur : Un article sur le réalisateur Nicholas Ray sur : Audiovisuel Un dossier et des références de documentaires sur James Dean à l occasion d une Thema sur la chaîne de télévision Arte ( Nick s movie, 1980, documentaire de Wim Wenders sur les derniers moments de la vie de Nicholas Ray. Filmographie sélective 1947 : Les amants de la nuit ; 1952 : Les indomptables ; 1954 : Johnny Guitar ; 1955 : A l ombre des potences ; 1955 : La fureur de vivre ; 1957 : La forêt interdite ; 1960 : Le roi des rois. Signalétique Tous publics. La Médiathèque, mai 2007 Éditeur responsable : Jean-Marie Beauloye Place de l Amitié, Bruxelles