Appel d offre du programme Société de l information 2003 avec le soutien de l ACI Cognitique du Ministère de la Recherche

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1 Appel d offre du programme Société de l information 2003 avec le soutien de l ACI Cognitique du Ministère de la Recherche Archivage et patrimoine documentaire. Apports des sciences de l information et de la cognition Les archives sont investies d une triple mission historique : celle de prouver les actions de personnes et de groupes de personnes, c est-à-dire permettre d établir dans le temps leurs responsabilités et leurs droits à l aide d écrits aux règles de forme convenues ; celle de témoigner d une époque, à l aide de fonds organisées d artefacts matériels, d écrits, de documents audiovisuels ; et enfin, celle de partager le bien collectif que constitue ce témoignage, de rendre accessible cet objet du temps présent dont l actualité culturelle et scientifique entraîne une constante réinterprétation. Les archives sont donc à la fois l instrument de preuve essentiel au fonctionnement d une société moderne en même temps que l instrument privilégié de la mémoire collective. La constitution, la préservation, la mise à disposition des archives, posent des problèmes de sélection en relation avec la mémoire collective, d interconnexion de données, de pérennisation des données (avec des possibilités d effacement et de manipulation) et d accès (qui accède à quoi). La constitution d archives à un moment donné, dépend des choix de mise en archives et de la mise en mots des événements et donc des personnes effectuant ce travail d archivage ainsi que de son environnement sociétal. L interprétation des archives et la construction de connaissances, à un autre moment donné, dépendra naturellement des archives elles mêmes, des accès et interconnexions effectuées, mais aussi d un nouvel environnement sociétal et de la personne ou du groupe de personnes médiatisant les données d archives. En permettant l établissement, la conservation, la distribution, la mise en relation par des techniques hypertextes utilisant le Web, l accès et l interprétation des objets d archive sous forme électronique, les STIC (Sciences des Technologies de l Information et la Communication) bouleversent les rapports entre ces deux fonctions traditionnelles des archives. La facilité de mise en archives, l intégration d archives hétérogènes sur le seul médium informatique, l accès démultiplié et à distance, les liens hypertextes, la possibilité de délinéariser la consultation offrent aux archives les moyens de décupler leur capacité de témoignage et de mémoire culturelle. Mais la nature même de l information numérique, sa plasticité et sa reproductibilité (engendrant de nouvelles possibilités de falsification), de même que l obsolescence rapide des équipements informatiques (vieillissement des supports pouvant engendrer des formes nouvelles d effacement) qui assurent son intelligibilité, semble difficilement réconciliable avec les exigences de pérennité et de stabilité qui constituent le fondement de cette double fonction de témoignage et de preuve. Par ailleurs, les interconnexions rapides de données permises par les facilités d accès, si elles permettent de repenser le rôle des grandes institutions centralisant actuellement les données, posent aussi de nouveaux problèmes en termes de liberté individuelle et de démocratie. La question de définir des notions d authenticité, de fiabilité et d intégrité pertinente à un transfert massif sous forme numérisé de la mémoire collective, tant culturelle qu administrative, se pose ainsi comme un enjeu essentiel de la société de l information. Si la mission institutionnelle des archives demeure inchangée, certains des concepts fondamentaux à la science archivistique se révèlent inapplicables au contexte des données numériques, tel le principe de la préservation de l intégrité physique d un objet d archive comme gage de son authenticité. Dans le même ordre d idées, le document inscrit sur un support avec ses versions corrigées successives dans le temps est, aujourd hui, de plus en plus remplacé par une version informatisée définitive, les versions intermédiaires étant détruites. Quelles en sont les conséquences pour la connaissance d une telle perte de la mémoire des processus d engendrement des documents? Dans le contexte de création littéraire comme dans l élaboration de lois ou de contrats, la connaissance du processus d engendrement peut clarifier les interprétations. On peut aussi penser aux textes de référence de la Communauté Européenne (ou bien à l ONU) rédigés en plusieurs langues dont les interprétations varient en fonction de la langue et de la culture propre de chacun.

2 L'accès aux archives sous forme électronique pose des questions fondamentales tant au niveau des procédures de recherche documentaire dans les grandes bases de données, (compromis pratiques autour desquels se construisent conjointement logiques de requêtes et critères de pertinence des réponses obtenues), qu au niveau des modèles cognitifs qui permettent d'interpréter les usages effectifs des acteurs. L'ergonomie des interfaces d'accès, le jeu des points de vue qui y sont constitués, la relation entre ergonomie de l'accès et les régimes d'exploration des données constituent également un enjeu d'investigation majeur. Par ailleurs, l'interprétation des archives pose un double problème. Celui, cognitif et épistémologique, de la relation entre d'une part, le travail d'interprétation des archives et le statut des connaissances ainsi produites, et d'autre part la manière dont sont constituées les archives et l'accès à celles-ci. Celui, plus sociologique, relatif aux statuts, aux compétences et aux affiliations des personnes habilitées à mettre en archives, à interpréter les archives et à tenir des discours à leur propos. Les formes de la connaissance et la nature de l'expertise se déplacent-elles et comment se déplacent-elles avec la numérisation des archives? Qu en est-il par exemple de la reconstitution à partir de données qu on peut considérer comme toujours incomplètes (documents abîmés, disparus ou non retenus, morceaux de crâne, etc.). Puisque cette reconstruction n a pas le même statut que celui de l archive proprement dite, on ne peut parler de caractéristiques intrinsèques d authenticité et de fiabilité et son statut dépendra de la validité théorique du modèle sur lequel est fondée la reconstitution. Parallèlement aux nombreuses questions soulevées par les archives sur supports numériques, de nombreux aspects techniques limitent aujourd hui l application des technologies informatiques à l archivage : - La constitution et la représentation de connaissances. - Les recherches intelligentes d informations par le contenu ou par l'exemple sont très mal adaptées (par exemple aux oeuvres artistiques ou historiques dont elles ignorent les spécificités). Les modèles cognitifs sont à élaborer. - L ergonomie des accès. - Les mécanismes permettant la prise en compte du temps (évolution des collections, des sites, restauration, etc.) sont encore à proposer. - En ce qui concerne les œuvres culturelles, la qualité de la numérisation ne garantit pas une fidélité conforme aux attentes en termes de résolution, de réalisme (3D, texture, couleur, reflets, mouvements, ambiance,...) ou de commodité d'emploi (animation, exploration, mise en contexte, désassemblage, etc.). Les archivages sont très souvent exagérément volumineux, interdisant la constitution de collections numériques significatives. - La numérisation de volumes 3D (fouilles, matériaux composites) et l'archivage de telles données font encore l'objet de trop peu d'attention. - Les coûts de numérisation sont très souvent prohibitifs, soit qu'ils réclament des matériels très onéreux, soit qu'ils mobilisent des spécialistes pendant des durées considérables. Une attention particulière devrait être portée à l'usage de technologies grand-public, moins onéreuses et plus pérennes. Les solutions logicielles devraient être étendues partout où elles permettent d'éviter le recours à des technologies matérielles spécifiques. - Concernant l'évaluation et la comparaison des systèmes d'archivage, la notion même de qualité est l'objet de débats qui mériteraient d'être tranchés. Les systèmes sont peu évolutifs, rarement interopérables et rarement répartis ; en conséquence ils sont d'un usage confidentiel et limité (pour les objets muséologiques, une époque, une modalité, une discipline) et très rapidement obsolètes. Le multilinguisme devrait être la règle. - Les mécanismes garantissant la pérennité, la sécurité des archives, la traçabilité des échanges, l'intégrité et l'authenticité des reproductions sont rares. Le juste retour sur les ayantsdroit n'est jamais considéré. Un effort particulier doit être entrepris pour assurer la compatibilité avec les standards dans tous les domaines où ils existent et l'émergence de nouveaux standards, non seulement au niveau technique mais également au niveau des pratiques et des usages, partout où ils s'imposent. Dans le cadre de l appel d offre, seront particulièrement encouragés les projets permettant de faire avancer notre compréhension de la relation entre numérisation et évolution des formes de la

3 médiation archivistique, entre les possibilités instrumentales de production, d'impression, de consultation, de conservation et de destruction de l'archive électronique et les transformations cognitives, épistémologiques, sociologiques, juridiques et politiques qu'accompagnent ses usages. Comment les archives sont-elles exploitées par les chercheurs dans leur propre domaine, mais aussi par les historiens? L appel d offre vise à prendre en compte les préoccupations exposées précédemment dans le cas de trois types d archives qui suggèrent des programmes de recherche particulièrement pertinents : (1) les archives culturelles et juridiques, (2) les archives scientifiques et (3) les archives archéologiques. Ne seront retenus que les projets faisant appel à une démarche interdisciplinaire STIC-SHS. (1) Archives culturelles et juridiques la nouvelle donne du témoignage et de la preuve Les institutions investies par l Etat d une mission de préservation de la mémoire culturelle (INA, BNF, etc.) ont vu dans les STIC un outil leur permettant de transformer radicalement la gestion des archives dont elles ont la charge. La numérisation en masse des documents d archives (livres, écrits de toutes sortes, œuvres audiovisuelles, etc.) fait miroiter la possibilité d une gestion homogène de l accès aux fonds de ces institutions à travers un seul outil, l ordinateur. Simultanément (et ironiquement), ces institutions sont plus que jamais perplexes sur les moyens à mettre en œuvre pour assurer la conservation pérenne des objets numériques qu elles se voient confier bases de données, web, livres électroniques, œuvres multimédias, etc. De plus, ces institutions se voient confrontées à une inflation spectaculaire des volumes à conserver ainsi, l INA qui devra bientôt composer avec un flux entrant de près de heures/année. Outre les problèmes afférents à la conservation, il faut donc considérer les problèmes d organisation et de consultation de cette masse d information. Quel tri doit-on effectuer? En d autres termes, que faudra-t-il oublier pour avoir les moyens de se souvenir? Dans le domaine juridique, où le document papier demeure l instrument de preuve par excellence des droits et obligations des personnes, la nécessité de simplifier les échanges de données entre administrations pousse à l informatisation des procédures et des documents euxmêmes les actes notariés et les actes de l état civil par exemple. A l inverse, cette informatisation, si elle est conduite sans le souci constant de préserver l intégrité et l intelligibilité dans le temps des documents, menace la mémoire culturelle constituée par les archives juridiques alors même qu il s agit d un enjeu essentiel au bon fonctionnement de l Etat. Dans les deux cas, la numérisation n est pas l impératif absolu qui fut prédit. Les supports traditionnels de la mémoire (au premier lieu, le papier) demeurent, résistent et persistent à trouver un rôle et une utilité. Il faut donc éviter de considérer la numérisation comme un processus linéaire ayant comme finalité d éventuellement supplanter l ensemble des supports de la mémoire. Il est plus utile de théoriser le numérique et l analogique comme coexistants au sein de systèmes mixtes, et médiés par des pratiques culturelles qui intègrent sans complexe cette hétérogénéité. Notamment, ces systèmes doivent permettre la coexistence de couches de mémoire différentes (la numérisation ne rend pas les anciens supports obsolètes en tant qu archives, mais il en bouleverse les usages). (2) Les archives scientifiques traçabilité et propriété intellectuelle Le temps de la science semble court, compressé, en comparaison avec celui de la culture ou du droit, si court en fait que la notion même d archive y semble littéralement dépassée, ou à tout le moins déplacée. Pourtant ici aussi les archives remplissent leur triple fonction de partage, de preuve, et de témoignage. L archivage des informations scientifiques de toute nature constitue en premier lieu un formidable instrument d aide à la conduite des travaux de recherche scientifique : le raccourcissement de la durée de vie des technologies du numérique est tel que même si les informations ne devaient être conservées que pendant 10 à 20 ans, on doit dès aujourd hui mettre en place l ensemble des moyens, méthodes et procédures requis pour

4 l archivage à long terme. On assiste en fait à une sorte de gommage, d atténuation, voire même de disparition de la coupure qui existait entre l'utilisation active des données et des documents et leur archivage. En effet, il faut, d une part, mettre en place tout ce qui est nécessaire à l'archivage à long terme des informations dès que ces informations doivent être conservées plus longtemps que la durée de vie des technologies utilisées pour les conserver ; et, d autre part, composer avec une utilisation active des données qui peut durer 10, 20, 50 ans (en climatologie par exemple, où l analyse des risques relatifs au réchauffement de la planète exige de considérer des séries d observations et de mesures recueillies sur la longue durée). Dans ce domaine, les agences spatiales (NASA, CNES), soucieuses de réaliser le plein potentiel des masses considérables de données recueillies au cours de 30 années d explorations, ont été particulièrement à la pointe de la réflexion théorique et des réalisations. De plus, dans des secteurs comme l agroalimentaire, les biotechnologies, la génomique et l énergie nucléaire, où le potentiel économique se mesure à l aune de nouveaux risques pour la santé et la sécurité publique, la recherche fondamentale génère des masses considérables d archives qui assurent tant la traçabilité des opérations que les droits de propriété intellectuelle des chercheurs. Ainsi, un archivage qui garantisse la fiabilité et l intelligibilité de ces données est un élément essentiel au développement des formes contemporaines de la recherche. Par ailleurs, jusqu à présent, la sauvegarde des archives scientifiques et techniques a suivi la voie classique de la collecte de témoignages de type papier, photos, appareils de tout nature. A cela s ajoute la sauvegarde des objets techniques dans les musées spécialisés ou dans des collections généralistes. Si la sauvegarde de la mémoire scientifique et technique entre lentement dans les habitudes, il reste à mener une réflexion concernant les critères de choix et surtout les réponses à donner aux sollicitations d organismes ou de laboratoires qui offrent leur patrimoine. Pour cela, il faudrait mettre au point un guide pour la sauvegarde du patrimoine scientifique et technique avec un soutien à de nouvelles méthodes d exploitation de cette mémoire en vue d intégrer recherche scientifique et recherche technique, et de plonger ces deux activités dans la culture de leur époque. De telles démarches permettraient de souligner en quoi la recherche est le fruit de la culture d une époque et comment elle contribue à la former. Par exemple, il semble que les cahiers de laboratoire au sens strict soient en voie de disparition : par quoi sont-ils remplacés? Quel est le rôle du courrier électronique dans la science en train de se faire? Enfin, la distinction entre connaissance savante et connaissance profane peut être remise en cause par l apparition des nouveaux média. Faut-il constituer des archives de réseaux sociaux au delà des réseaux scientifiques? (3) Archéologie les archives du sol Dans le domaine de l archéologie, les STIC proposent des outils de nature à modifier tant les méthodes de travail des archéologues que la nature même des fonds archéologiques. D une part, les fouilles archéologiques sont dès à présent réalisées à l aide de systèmes d information qui permettent la modélisation des sites de fouille de façon à pouvoir les cartographier de façon précise. D autre part, le médium informatique se propose comme un instrument particulièrement riche pour reconstituer et témoigner du passé, que ce soit à travers la modélisation de sites voués à être détruits (archéologie préventive), ou par l extrapolation à partir de traces incomplètes et fragmentaires (par exemple, la reconstitution d objets et la reconstitution de l évolution temporelle de sites). Dans tous les cas, si de tels outils suggèrent une extension considérable de la force de témoignage des fonds archéologiques, leur conservation pérenne dans le temps pose les mêmes problèmes que pour toute donnée informatique et exige la formulation de critères pertinents relatifs à l authenticité, la fiabilité et l intégrité de telles représentations. L archéologie intègre dès maintenant dans ses usages la production d images de synthèse et l utilisation de la réalité virtuelle. L approche visuelle en trois dimensions des données archéologiques devient pertinente pour la communauté des chercheurs et les pistes technologiques multiples s ouvrent au fur et à mesure qu avancent les possibilités informatiques. L analyse et l utilisation de l image 3D ouvrent de nouveaux champs interdisciplinaires croisant la cognition, l informatique, l histoire de la représentation allant jusqu au développement de nouvelles interfaces industrielles de visualisation. Ces nouveaux objets

5 balayent l ensemble du spectre 3D depuis l enregistrement et l analyse spatiale de données (archéologie, épigraphie, anthropologie, archéomètrie, architecture...) jusqu à la restitution visuelle d espaces disparus en passant par l analyse des représentations tridimensionnelles dans les sociétés anciennes, la mise au point d outils de gestion de données archéologique complexes, sans oublier la production de maquettes en résines en stéréo-lithographie. La mise en œuvre de tels outils dans les programmes de recherches n est cependant pas neutre et nécessite une méthodologie articulée sur les objectifs scientifiques séparant clairement la connaissance manipulée des outils servant à leur manipulation. C est le passage obligé pour une compatibilité ascendante des bases de données avec les évolutions technologiques. Disciplines concernées Archéologie Archivistique Bases de données Fouille de données Géographie Histoire Histoire de l art Histoire des sciences et des technologies Littérature Muséographie Paléo-anthropologie Reconnaissance de caractères écrits ou manuscrits Sciences juridiques Sociologie Sociologie des sciences Traitement de l information et des images