Lecture analytique n 6

Transcription

1 Lecture analytique n 6 INES : Qu avez-vous fait? Pourquoi vous ont-ils envoyée ici? ESTELLE, vivement : Mais je ne sais pas, je ne sais pas du tout! Je me demande même si ce n est pas une erreur. (A Inès.). Ne souriez pas. Pensez à la quantité de gens qui qui s absentent chaque jour. Ils viennent ici par milliers et n ont affaire qu à des subalternes, qu à des employés sans instruction. Comment voulez-vous qu il n y ait pas d erreur. Mais ne souriez pas. (A Garcin.) Et vous, dites quelque chose. S ils se sont trompés dans mon cas, ils ont pu se tromper dans le vôtre. (A Inès.) Et dans le vôtre aussi. Est-ce qu il ne vaut pas mieux croire que nous sommes là par erreur? INES : C est tout ce que vous avez à nous dire? ESTELLE : Que voulez-vous savoir de plus? Je n ai rien à cacher. J étais orpheline et pauvre, j élevais mon frère cadet. Un vieil ami de mon père m a demandé ma main. Il était riche et bon, j ai accepté. Qu auriez-vous fait à ma place? Mon frère était malade et sa santé réclamait les plus grands soins. J ai vécu six ans avec mon mari sans un nuage. Il y a deux ans, j ai rencontré celui que je devais aimer. Nous nous sommes reconnus tout de suite, il voulait que je parte avec lui et j ai refusé. Après cela, j ai eu ma pneumonie. C est tout. Peut-être qu on pourrait, au nom de certains principes, me reprocher d avoir sacrifé ma jeunesse à un vieillard. (A Garcin.) Croyez-vous que ce soit une faute? GARCIN : Certainement non. (Un temps.) Et vous, trouvez-vous que ce soit une faute de vivre selon ses principes? ESTELLE : Qui est-ce qui pourrait vous le reprocher? GARCIN : Je dirigeais un journal pacifste. La guerre éclate. Que faire? Ils avaient tous les yeux fxés sur moi. «Osera-t-il?» Eh bien, j ai osé. Je me suis croisé les bras et ils m ont fusillé. Où est la faute? Où est la faute? ESTELLE, lui pose la main sur le bras : Il n y a pas de faute. Vous êtes INES, achève ironiquement : Un Héros. Et votre femme, Garcin? GARCIN : Eh bien, quoi? Je l ai tirée du ruisseau. ESTELLE, à Inès : Vous voyez! vous voyez! INES : Je vois. (Un temps.) Pour qui jouez-vous la comédie? Nous sommes entre nous. ESTELLE, avec insolence : Entre nous? INES : Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n y a jamais d erreur et on ne damne jamais les gens pour rien. ESTELLE : Taisez-vous. INES : En enfer! Damnés! Damnés! ESTELLE : Taisez-vous. Voulez-vous vous taire? Je vous défends d employer des mots grossiers. INES : Damnée, la petite sainte. Damnée, le héros sans reproche. Nous avons eu notre heure de plaisir, n est-ce pas? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu à la mort et cela nous amusait beaucoup. A présent, il faut payer. GARCIN, la main levée : Est-ce que vous vous tairez? INES, le regarde sans peur, mais avec une immense surprise : Ha! (Un temps.) Attendez! J ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble.

2 GARCIN : Prenez garde à ce que vous allez dire. INES : Vous allez voir comme c est bête. Bête comme chou! Il n y a pas de torture physique, n est-ce pas? Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu au bout seuls ensemble. C est bien ça? En somme, il y a quelqu un qui manque ici : c est le bourreau. GARCIN, à mi-voix : Je le sais bien. INES : Eh bien, ils ont réalisé une économie de personnel. Voilà tout. Ce sont les clients qui font le service eux-mêmes, comme dans les restaurants coopératifs. ESTELLE : Qu est-ce que vous voulez dire? INES : Le bourreau, c est chacun de nous pour les deux autres. (Un temps. Ils digèrent la nouvelle) Idées essentielles : - Inès veut faire avouer aux deux autres les raisons de leur présence - Inès sait pourquoi elle est là, elle ne cherche pas à sauver les apparences - Estelle et Garcin se prennent pour des héros sans reproches - Estelle et Garcin n'assument pas leurs actes - Inès pense que chacun est un bourreau pour les autres ou l'autre - Les personnages doivent être unis dans cette épreuve Problématique : Quelle est la plus grande peur des personnages dans ce passage? Que veut montrer Inès dans cette scène? En quoi les personnages masquent-ils leurs crimes? JE CITE JE NOMME J'EXPLIQUE INES : Qu avez-vous fait? Pourquoi vous ont-ils envoyée ici? INES : C est tout ce que vous avez à nous dire? INES, achève ironiquement : E t v o t r e f e m m e, Garcin? INES : Pour qui jouezvous la comédie? Questions Inès pose une série de questions aux deux autres personnages. Pourquoi? Elle veut leur faire avouer leur crime : elle pense qu'ils se mentent à eux-mêmes ou qu'ils mentent tout court. Quelles questions? E l l e commence par deux questions vagues, générales, puis avance d'autres questions, plus précises, plus gênantes, parce qu'elle n'obtient pas les réponses qu'elle voudrait. Par exemple, elle d e m a n d e à G a r c i n d e s

3 n o u v e l l e s d e s a f e m m e. P o u r q u o i interroge-t-elle Garcin au sujet de sa femme? Elle veut le déstabiliser. Pourquoi parle-t-elle de «comédie»? Pour le faire réagir (c'est une question oratoire) : elle pense que Garcin (se) ment. E S T E L L E, vivement : Mais je ne sais pas, je ne sais pas du tout! ESTELLE, lui pose la main sur le bras : Il n y a pas de faute. Vous êtes ESTELLE, a v e c insolence : Entre nous? GARCIN, la main levée : Est-ce que vous vous tairez? GARCIN, à mi-voix : Je le sais bien. I N E S, achève ironiquement : Un Héros. Et votre femme, Garcin? I N E S, le regarde sans peur, mais avec une immense surprise : Ha! (Un temps.) Attendez! J ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble. Didascalies Didascalies ESTELLE, vivement : Mais je Didascalies ne sais pas, je ne sais pas du tout! Je me demande même si ce n est pas une erreur. (A Inès.). Ne souriez pas. Pensez à la quantité de gens qui qui s absentent chaque jour. Ils viennent ici par milliers et n ont affaire qu à des subalternes, qu à des employés sans instruction. Comment voulez-vous qu il n y ait pas d erreur. Mais ne La plupart des didascalies évoquent des mouvements, des actions. Elles concernent quels personnages? G a r c i n e t Estelle. Pourquoi? Ce sont ceux qui ne veulent pas reconnaître qu'ils ont commis un crime. Qu'apprend-on ave c ces didascalies? Estelle et Garcin s'énervent. Pourquoi Estelle pose-t-elle la main sur le bras de Garcin? Elle a besoin d'un allié pour se défendre : c'est Garcin. Pourquoi Garcin parle-t-il à mivoix? Il commence à craquer, à comprendre. L e s d i d a s c a l i e s d ' I n è s concernent des expressions. Elle est moqueuse, elle coupe la parole à Garcin, elle est insolente, elle le bouscule, elle le pousse à bout. Elle réféchit à voix haute : elle essaye de comprendre pourquoi ils ont été réunis : ils sont tous les trois des bourreaux (pour les deux autres). Ces didascalies permettent de savoir à qui Estelle s'adresse. Elle a deux interlocuteurs différents : d'un côté, Inès ; de l'autre, Garcin. Elle ne parle pas aux deux en même temps : elle ne devrait parler qu'à celle qui lui pose des questions, c'està-dire Inès. Elle s'adresse à Garcin pour fuir Inès, pour avoir son soutien, pour faire une alliance.

4 souriez pas. (A Garcin.) Et vous, dites quelque chose. S ils se sont trompés dans mon cas, ils ont pu se tromper dans le vôtre. (A Inès.) Et dans le vôtre aussi. Est-ce qu il ne vaut pas mieux croire que nous sommes là par erreur? E S T E L L E : (... ) (A Garcin.) Croyez-vous que ce soit une faute? ESTELLE, à Inès : Vous voyez! vous voyez! Ne souriez pas. Mais ne souriez pas. Ordres Répétition Estelle a l'impression d'être jugée par Inès : elle ne supporte pas qu'elle sourie. Elle estime qu'elle se moque d'elle. ESTELLE : Taisez-vous. E S T E L L E : Taisez-vous. Voulez-vous vous taire? Je vous défends d employer des mots grossiers. GARCIN, la main levée : Estce que vous vous tairez? Ordres Estelle et garcin s'adressent à tour de rôle à Inès. Ils s'allient pour qu'inès cesse de leur poser des questions. Ils se répètent parce qu'ils perdent patience. Inès ne s'arrête pas pour autant. ESTELLE : Que voulezvous savoir de plus? Qu auriez-vous fait à ma place? Croyez-vous que ce soit une faute? GARCIN : Certainement n on. (Un temps.) Et vous, trouvez-vous que ce soit une faute de vivre selon ses principes? GARCIN : faire? ( ) Que Où est la faute? Où est la faute? ESTELLE : ( ) J étais o r p h e l i n e e t p a u v r e, j élevais mon frère cadet. Questions oratoires Questions rhétoriques Temps du passé L e s d e u x p e r s o n n a g e s répondent aux questions d'inès par d'autres questions : ils fuient les questions, parce qu'ils devinent ce qu'il y a derrière. Ils essayent de se justifer. Ils retournent les questions contre Inès. Estelle et Garcin, à tour de rôle, évoquent leur passé, pour se justifer. Pour répondre aux

5 Un vieil ami de mon père m a demandé ma main. Il était riche et bon, j ai accepté. ( ) Mon frère était malade et sa santé réclamait les plus grands soins. J ai vécu six ans avec mon mari sans un nuage. Il y a deux ans, j ai rencontré celui que je devais aimer. Nous nous sommes reconnus tout de suite, il voulait que je parte avec lui et j ai refusé. Après cela, j ai eu ma pneumonie. GARCIN : Je dirigeais un journal pacifste. La guerre é c l a t e. Que faire? I l s avaient tous les yeux fxés sur moi. «Osera-t-il?» Eh bien, j ai osé. Je me suis croisé les bras et ils m ont fusillé. Croyez-vous que ce soit une faute? trouvez-vous que ce soit une faute de vivre selon ses principes? Où est la faute? Où est la faute? ESTELLE, lui pose la main sur le bras : Il n y a pas de faute. Champ lexical de la faute attaques d'inès, ils cherchent dans leur passé ce qui pourrait justifer qu'ils soient en Enfer. Estelle essaye d'obtenir la pitié des deux autres personnages: elle est victime non bourreau. Garcin se met en avant, lui : il préetend qu'il a fait preuve de courage. [OUVERTURE : dans la scène d'exposition, on voyait déjà ce trait de caractère de Garcin]. Estelle essaye de faire en sorte que Garcin pense qu'elle n'a pas commis de faute. Elle se sent jugée. Elle essaye de se justifer. GARCIN : Certainement non. (Un temps.) INES : Je vois. (Un temps.) Pour qui jouez-vous la comédie? Nous s ommes entre nous. INES, le regarde sans peur, mais avec une immense surprise : Ha! (Un temps.) INES : Le bourreau, c est chacun de nous pour les deux a u t r e s. (Un temps. Ils digèrent la nouvelle) Didascalies Champ lexical du silence Ces didascalies indiquent des silences. Garcin réféchit après les questions posées par Inès. Inès : attend les réponses, réféchit en même temps (pour quelles raisons a-t-on réuni dans la même pièce des personnages qui ont des choses à se reprocher?). 63 occurrences de l'expression «un temps» dans le livre.

6 Vous êtes Points de suspension Estelle n'a pas le temps de terminer sa phrase. Inès la coupe. Elle voulait faire un compliment à Garcin, mais Inès ne le veut pas. Elle complète en ironisant, en exagérant. INES, achève ironiquement : Un Héros. INES : Damnée, la petite sainte. Damnée, le héros sans reproche. INES : ( ) Nous sommes entre nous. INES : Entre assassins. Nous sommes en enfer, ma petite, il n y a jamais d erreur et on ne damne jamais les gens pour rien. INES : Nous avons eu notre heure de plaisir, n est-ce pas? Il y a des gens qui ont souffert pour nous jusqu à la mort et cela nous amusait beaucoup. A présent, il faut payer. INES, ( ) Attendez! J ai compris, je sais pourquoi ils nous ont mis ensemble. INES : ( ) Et cependant, nous sommes en enfer. Et personne ne doit venir. Personne. Nous resterons jusqu au bout seuls ensemble. INES : Le bourreau, c est chacun de nous pour les deux autres. INES : En enfer! Damnés! Damnés! INES : Damnée, la petite sainte. Damnée, le héros sans reproche. En somme, il y a quelqu un qui manque ici : c est le Ironie Pronom personnel «nous» Répétition Anaphore Pour bien montrer le ridicule de leur attitude, elle exagère, elle se moque d'eux. Elle espère une réaction. Alors qu'estelle et Garcin ne parlent que d'eux, en utilisant la première personne du singulier, Inès veut leur faire comprendre que quelque chose les réunit, qu'ils ne sont pas par hasard ensemble dans la même pièce. Elle est le seul personnage à utiliser le pronom personnel «nous». Pour faire réagir les deux personnages, Inès utilise un mot très fort : ils sont «damnés», condamnés à l'enfer, qu'ils le veuillent ou non. Elle ne comprend pas qu'ils se voilent la face. I n è s a p o s é t o u t e s c e s questions : 1 ) pour qu'estelle et

7 bourreau. I NE S : Le bourreau, c est chacun de nous pour les deux autres. Garcin reconnaissent le mal qu'ils ont fait ; 2 ) p o u r comprendre pourquoi on les a réunis. Elle veut comprendre qui est le bourreau parmi eux. En entrant dans la pièce, elle a cru que Garcin était le bourreau. Elle se rend compte à présent que chacun d'entre eux peut être le bourreau pour les deux autres. Elle a été le bourreau pour Inès et Garcin dans cette scène. Ce rôle tournera au cours de la pièce.