DIX MESURES EN FAVEUR DE L INVESTISSEUR DE LONG TERME 22 juin 2012 1 - Recréer un cadre prudentiel explicitement adapté à l investisseur de long terme et aux établissements de crédit à long terme. Compte tenu de la masse de difficultés qui peuvent s opposer à un tel projet et, à titre temporaire, il convient de ménager dans les réglementations parues ou à paraître des cantons permettant de gérer des situations très différentes d engagements de passifs et d actifs. Cela suppose que les régulateurs admettent que le référentiel prudentiel d une entité régulée puisse être composite. Dans cette optique et en urgence, une disposition minimale serait de séparer dans les portefeuilles d'assurances ceux liés à l'activité d'épargne (assurance vie) et ceux liés à l'assurance retraite en introduisant des règles de solvabilité différentes de Solvency 2 pour cette seconde catégorie. Par ailleurs, il convient de faire la chasse aux dispositions réglementaires ou internes pouvant produire des effets de seuil à portée systémique. Exemple : passage d un statut «investment grade» à un statut «non investment grade». 2 Edicter des règles comptables adaptées à la détention et à la gestion d actifs de très long terme. Cette proposition vise à édicter des règles comptables permettant à un investisseur d affecter des actifs financiers dans un ou plusieurs «cantons» bénéficiant de règles d évaluation particulières déconnectées le cas échéant du reste de l activité ou des actifs de l entreprise. Elle s appuie sur le principe même de la diversification du portefeuille. Tout investisseur cherche à réduire le risque de son portefeuille simplement en détenant des actifs qui ne soient pas ou peu positivement corrélés, donc en diversifiant ses placements. Cela permet d'obtenir la même espérance de rendement en diminuant la volatilité du portefeuille. Tout portefeuille à objectif de long terme est toujours diversifié, composé d un nombre de titres plus ou moins élevé (parfois plus d une centaine), pouvant relever d une combinaison de différentes classes d actifs, de différents pays, de différents secteurs, ou même de méthodes de valorisation non directement comparables. Chaque ligne participe ainsi à la diversification et à la recherche du couple rendement-risque correspondant à l objectif de gestion. Chaque titre est ainsi solidaire des autres et sa présence ne s explique que pour participer à la diversification. Une baisse du cours d une valeur n est donc pas une perte irrémédiable, si elle est compensée par un gain au sein du même portefeuille. Af2i 8, rue du Mail - 75002 Paris Tél : 01.42.96.25.36 Fax : 01 73.76.63.95 Email : af2i@af2i.org Web : www.af2i.org Association Française des Investisseurs Institutionnels - Association régie par la loi du 1er juillet 1901. Agrément n 00155634 délivré le 26 juillet 2002, à Paris - Siret : 44838510400022
De fait, cette proposition comporte plusieurs sous-propositions, qui resteraient facultatives au choix de l investisseur : - Possibilité d abandon des règles de normes comptables de provisionnement titre par titre, au profit d un provisionnement sur actif cantonné global ; - Possibilité d adaptation des règles des normes IFRS de provisionnement pour perte durable (impairment) titre par titre pour devenir un provisionnement global sur l actif cantonné ; L usage de ces mesures reposerait sur une décision formelle de cantonnement emportant le choix des règles comptables spécifiques et de mesures techniques permettant d isoler et de documenter la liste des instruments financiers concernés (par exemple compte titres et espèces séparés) et des opérations du portefeuille (achat, vente, souscriptions, revenus, opérations de couverture ou d achat de futures, frais, etc.). Dans un contexte de reconnaissance d une part de la solidarité des valeurs en portefeuille les unes par rapport aux autres et du caractère long terme du portefeuille, le provisionnement ne s effectuerait que dans la mesure où : - D une part la dernière évaluation des titres du portefeuille serait inférieure au montant des capitaux apportés depuis l origine pour financer le portefeuille. En effet, les opérations intercalaires d achat ou de vente, d encaissement de revenus (turn over) du portefeuille ne doivent pas être remettre en cause le caractère global de raisonnement. - D autre part, la baisse de valeur ait été constatée pendant une durée correspondant au cycle de marché de l objectif de gestion du portefeuille et qui pourrait aller jusqu à 5 ans. 3 - Edicter corrélativement des règles fiscales adaptées en excluant par exemple l imposition de simples plus-values latentes ; prévoir des modes de taxation ou d étalement possible sur un cycle de marché ou de risques. Le régime fiscal français se caractérise par une grande hétérogénéité de traitement et distinguant par exemple la réalisation de plus values à court terme (moins de 24 mois) et à long terme (plus de 24 mois) ou les actifs concernés comme par exemple une imposition des plus-values latentes sur certains instruments et pas sur d autres. La reconnaissance du statut de portefeuille de long terme supposerait une mise à plat de ces différents régimes pour les unifier et reconnaître non seulement la possibilité d exonération temporaire des plus-values latentes, mais également la possibilité d étalement d imposition d un gain sur plusieurs exercices voire une fois atteinte l échéance prévue dans l acte de cantonnement. En contrepartie, certaines opérations de courte ou de très courte durée (hors cantonnement) pourraient être taxées au jour le jour. 4 - Déduire les effets de l inflation de la base imposable des plus-values à long terme réalisées. Au-delà de 2 ans, l inflation réduit les gains de plus en plus significativement. L encouragement à une gestion de long terme consisterait à réduire l impact de l inflation. Toute plus-value devrait être systématiquement déflatée avant d être imposée. La contrepartie de cette non-imposition pourrait être une obligation de mise en réserve ou d affectation dans les fonds propres de l entité. 2
5 Elargir la palette des placements réglementés des institutionnels. Cette proposition comporte deux sous propositions. D abord faciliter réglementairement l accès à des structures de droit français réservées aux investisseurs qualifiés ou dans des entités de nature juridique proche relevant du droit européen. La lecture des règles de gestion des investisseurs institutionnels, qu elles soient d origine législative, réglementaire ou interne, montre que de nombreux véhicules de droit français ne sont pas accessibles à l investisseur institutionnel. La plupart d entre eux se voient ainsi interdire l accès de certains fonds de capital investissement, de certains fonds immobiliers, de certains fonds de gestion alternative, des fonds ARIA et contractuels. Pour ne prendre que le seul exemple des OPCI, on constate que ceux agréés sous le seul «régime de base» constituent une infime minorité, alors que les OPCI à règles de fonctionnement allégées et à effet de levier sont les plus répandus. Les investisseurs souhaitent se voir reconnaître une clause de «grand garçon» les autorisant à souscrire aux fonds dont le régime juridique a été validé par l AMF et figurant dans le COMOFI ainsi qu aux fonds de nature identique mais relevant d une autre législation d un pays européen. Il nous semblerait pertinent de susciter la création de véhicules de placement de droit européen, évitant ainsi la concurrence parfois exacerbée entre les grandes plateformes européennes. Ensuite, développer les possibilités d investissement, en fonds ouverts ou dédiés, en élargissant les champs d intervention des entités déjà réglementées par le droit français, plutôt qu en créant de nouvelles structures. Le droit français a eu tendance à créer de nombreux véhicules de placement, mais à l expérience, certains se trouvent peu usités : ainsi l OPCI «basique» est moins usité que l OPCI RFAEL. La plupart des sociétés de gestion considèrent que le cadre juridique du FCPR est inadapté pour l investissement en infrastructures, du fait d une durée réglementaire du FCPR trop courte. Cette durée réglementaire pourrait être tout simplement allongée pour faciliter le développement de FCPR spécialisé sur des infrastructures. Chaque création de nouveau produit implique de modifier les règles de gestion codifiées de la famille institutionnelle potentiellement concernée, ce qui suppose des actes de gouvernance pas toujours simples et un processus long de modification des Codes et autres dispositions réglementaires. C est pourquoi les investisseurs recommandent de chercher à privilégier les structures existantes et à moderniser la gamme des placements offerts. Cette proposition va dans le sens souhaité par le Rapport du Comité de place sur la «transposition de la Directive AIFM et le développement de la gestion innovante en France». 6 - Accroître les facultés d investissement dans les marchés émergents d actions ou de dette et supprimer les références obligatoires à l appartenance à l OCDE ou à l Union européenne. Les investisseurs institutionnels ont, malgré des règles d investissement parfois légèrement différentes, l obligation de ne détenir que des valeurs émises par des émetteurs ayant leur siège dans l un des Etats de l OCDE ou de l Union européenne, pays considérés comme développés et éligibles dans les grands indices internationalement reconnus. 3
Si une telle règle se justifiait autrefois, le développement des marchés financiers dans les pays dits émergents a rendu obsolète la dichotomie entre appartenance à l Union européenne ou l OCDE et appartenance aux indices de marché. De la sorte, on trouve de grands marchés financiers européens comme le marché suisse ou norvégien qui n appartiennent pas à des pays de l union européenne et des marchés de pays dits émergents qui ont été intégrés dans les indices actions ou obligataires internationaux. Il serait donc plus pertinent de supprimer ces références obligatoires. Par ailleurs, le poids des pays émergents dans la capitalisation des marchés financiers ne cesse d augmenter représentant d ores et déjà près de 20% de la capitalisation boursière mondiale. L accroissement du poids des pays émergents réduit le risque actions (21 pays de plus) et le risque obligataire (ces pays ayant pouvant une situation financière meilleure que les pays développés). 7 - Alléger les règles de «congruence» et reconnaître les devises comme une classe d actifs. Les investisseurs institutionnels ont dans la plupart des cas obligation de ne détenir que des actifs libellés en euro, en application d une règle dite de «congruence». On ne trouve néanmoins pas dans la littérature académique d explications pertinentes ou documentées pour justifier la nécessité de détenir des actifs en euro autre que l existence chez l investisseur d un passif en euro. Même si le risque d inconvertibilité des devises peut être une explication plausible, l histoire montre que les placements en actions ne sont pas, sur le long terme, plus risqués en devise locale que les même placements mais couverts contre le risque de change. Idem pour les actifs des pays émergents. Les portefeuilles investis en obligations des pays émergents libellées en devise locale sont également protégés par l effet diversifiant des devises qui les composent. Il est recommandé de reconsidérer cette règle de congruence, d admettre que les devises constituent une forme de diversification et d autoriser la détention d avoirs en devises étrangères, qui peuvent être aussi bien des actifs de court terme (dépôts à vue ou à terme, des fonds monétaires, des bons du trésor ou des titres de créance négociable), que des actifs longs (actions, obligations, fonds) ou des contrats à terme sur devises ou sur indices. 8 - Donner les moyens d investir dans des portefeuilles de crédits intermédiés ; L image de la «titrisation» a très fortement souffert de la crise financière de 2007. Complexité, effet de levier, passage par des entités opaques, ont conduit la titrisation à devenir un type d investissement peu apprécié des investisseurs institutionnels, voir banni des allocations. Pour changer la donne, il est primordial de revenir à la source, et il serait alors facile de concevoir de recréer des fonds de titrisation, sans effet de levier, ayant vocation à investir dans des crédits issus de la banque. D autres solutions spécialisées sur le crédit immobilier pourraient être imaginées. Certes, le crédit est une activité assez risquée et il ne s agit pas de faire changer de métier aux institutionnels de manière aussi radicale, car cela donne rarement de bons résultats. Cependant la situation actuelle laisse entrevoir : en relation avec les mesures Bâle III et les autres éléments de la crise financière actuelle, un retrait significatif des banques dans un certain nombre de financements : infrastructures, 4
entreprises, immobilier, lequel, sauf récession profonde, devra être compensé par d autres acteurs ; l urgence de rassembler des ressources aujourd hui dispersées : les équipes de crédit sont dans les banques pour l essentiel, les capacités financières sont chez les investisseurs, dont les investisseurs institutionnels. Les capacités de gestion sont chez les acteurs des métiers de la gestion. On peut donc considérer comme inévitable que les investisseurs institutionnels soient, délibérément ou non, attraits dans cette activité dans laquelle ils apporteront leurs capacités de portage à moyen et long terme en renonçant partiellement à la liquidité en en espérant un retour plus substantiel et exempt de volatilité. 9 ré-ouvrir le dossier de la transcription de la directive IORP en France afin de favoriser l'épargne retraite entreprise sous toutes ses formes. La première transposition de la Directive IORP en 2005 a été un échec, parce qu elle a été réalisée au bénéfice exclusif des assureurs, sans tenir compte des dispositions de Solvabilité II. Fin 2012, la Commission européenne revisitera la Directive IORP offrant ainsi à la France l opportunité d une nouvelle transposition. A cette occasion, deux scenarii qui peuvent être cumulatifs sont possibles : - Le bénéfice de la transposition est élargi à d autres acteurs ; - Il est admis par les régulateurs d appliquer différentes règles prudentielles sur différents cantons d activité, comme nous le proposons en première mesure. Par ailleurs, les régimes de retraite par répartition ne peuvent assurer qu un taux de remplacement en diminution continue. Le choix qui s offre alors est soit la retraite par capitalisation, soit l épargne en vue de la retraite. La seconde formule existe déjà largement et elle nourrit principalement le marché immobilier jusqu à créer une bulle. La première présente l avantage d être beaucoup plus diversifiée, d être intermédiée par des professionnels de qualité et entièrement régulés ainsi que de bénéficier dans son rendement des effets de la table de mortalité. Ce dernier point est une compétence distinctive par rapport à l assurance-vie et l épargne en vue de la retraite. 10 Revoir les conditions contractuelles des contrats d assurance vie et d épargne-retraite, dans l optique d un meilleur équilibre des engagements. En particulier, tous les contrats d assurance-vie ont une durée contractuelle qui peut être résiliable sans contrainte véritable pour le souscripteur. Le délai de règlement est au maximum d un mois. Jusqu à présent, les souscripteurs des contrats ont joué le jeu, incités par la fiscalité, soit sur les gains d assurance-vie soit au titre de la transmission successorale. Rien ne permet de dire qu ils continueront de le faire, si les prélèvements sociaux ne cessent d augmenter et si le rendement des contrats ne cesse de diminuer, dans un contexte de concurrence d autres produits dans un environnement de taux haussiers. Le rééquilibrage peut s opérer par un retour à une durée ferme d engagement. 5