Contribution sur le thème relatif au point de vue et au rôle des actuaires vis-à-vis des nouvelles normes comptables



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Transcription:

Valorisation du risque IARD et nouvelles normes comptables Mathieu Gatumel et Guillaume Gorge Axa Group Risk Management 9 avenue de Messine 75008 Paris Tel. : +33 1 56 43 78 27 Fax : +33 1 56 43 78 70 guillaume.gorge@axa.com mathieu.gatumel@axa.com Résumé Les nouvelles normes comptables IFRS, par la notion de juste valeur, mettent en avant la notion de marché, supposé parfait. Toutefois, cette hypothèse n est pas adaptée au risque d assurance, risque caractérisé par son illiquidité. Les outils traditionnellement utilisés face à l incomplétude de marché dans la sphère financière se révèlent également insuffisants. Nous proposons de nouveaux modes d évaluation, se basant notamment sur la réassurance et sur l émergence récente du marché des Insurance-Linked Securities. Nous mettons également en lumière que la volatilité générée par la juste valeur réactualise les provisions d égalisation, qui se trouvent ainsi justifiées y compris dans le cadre des IFRS. Mots clés : juste valeur, «fair value», marchés incomplets, réplication, risque systématique, titrisation, provisions d égalisation, assurance, réassurance, IFRS. 1

Sommaire 1. Introduction 3 2. Juste valeur en marché parfait 4 3. Juste valeur en marché imparfait 5 4. Les limites de l application des techniques financières de valorisation en matière de risque IARD 6 5. Réplication par la réassurance et la titrisation 8 6. Application pratique de réplication du risque d assurance 9 7. Conclusion 11 2

Valorisation du risque IARD et nouvelles normes comptables 1. Introduction Les normes IFRS développent un cadre de normalisation comptable explicite dont l une des composantes est la valorisation des instruments financiers à leur «juste valeur» : tout actif ou passif financier (contrats d assurance inclus) est mesuré dans le bilan à sa juste valeur (valeur de marché ou valeur de marché estimée) ; tous les changements dans la juste valeur des actifs ou passifs financiers entre les périodes d établissement des comptes sont enregistrés. La conséquence la plus connue, pour l assurance IARD, est le retraitement des provisions d égalisation ou catastrophe comme des fonds propres. Néanmoins, la réflexion sur le sens de juste valeur en assurance, et particulièrement en IARD, n est pas encore très développée, si on en juge par la production scientifique actuarielle. Dans l optique d amélioration de l information des investisseurs, la volonté d accorder une place accrue aux prix de marché apparaît naturelle dans la mesure où ils sont supposés être les vecteurs de l information. Toutefois, cette juste valeur n est pleinement pertinente que dans un cadre relativement étroit, celui définissant l efficience des marchés. Nous nous proposons donc de revoir rapidement les hypothèses sous-jacentes à la juste valeur puis de montrer que ces hypothèses ne sont pas adaptées à l assurance. A partir de ce constat, nous réhabiliterons la notion de prudence généralement utilisée pour l établissement des comptes en assurance. 3

2. Juste valeur en marché parfait La juste valeur est définie comme le montant auquel un actif ou un passif peut être échangé entre des parties bien informées dans le cadre d une transaction équilibrée. Sa référence est la valeur de marché : il faut pour cela que l actif ou le passif en question ait une valeur de marché ce qui suppose qu il soit négociable sur le marché secondaire ou qu une valeur de marché puisse être estimée. Dans un tel cadre, deux notions fondamentales et complémentaires concourent à la détermination de la juste valeur : celle de non-arbitrage d une part et celle, en découlant, de probabilité risque-neutre d autre part. Pour illustrer notre propos, suivons le raisonnement de Embrechts (2000), qui reprend les principes avancés depuis Black et Sholes (1973), et considérons un actif contingent X, sur un horizon fini [0, T], T correspondant à la maturité. Considérons également que X soit déterminé par un processus sous-jacent (S t ) 0<t<T et prenons l exemple d un call européen de prix d exercice K et de maturité T. Nous avons : X T = ( S K) + Il serait possible d évaluer cet actif en utilisant l espérance sous la mesure de probabilité P dite objective -en référence à la probabilité qui se préoccupe de l objet, du risque lui-même et non de sa perception. La probabilité objective peut être approchée par la probabilité historique, ou celle qui découle des modèles. Cette approche est celle retenue en assurance IARD (avec la prise en compte d une marge pour le résultat calculée généralement selon le principe d une utilité implicite). Dans le monde financier cependant, la tarification de produits complexes ne se fait plus par l utilisation des probabilités objectives mais par l utilisation des probabilités implicites des prix de marché, et ceci en raison des conséquences des marchés parfaits en particulier l absence d arbitrage, c'est-à-dire l impossibilité de réaliser avec certitude un profit non nul sans mise initiale. 4

Dans ce cadre, il est possible de déterminer correctement le prix de l actif contingent X. Sous l hypothèse de recours à un taux d intérêt r sans risque constant, la juste valeur au temps t de X est : v t = E Q r( T t) ( e X / F ) t où F t est l information disponible au temps t. L élément clé de l évaluation est la mise en avant d une nouvelle mesure de probabilité, Q. Celle-ci, appelée mesure de probabilité risque neutre, change la mesure originelle P pour donner plus de poids aux événements défavorables dans un environnement averse au risque. En termes d économie financière, cela permet d appréhender le prix du risque. La théorie met en outre en avant le fait que dans certains cas particuliers, Q est l unique mesure de probabilité pour laquelle le meilleur estimateur de la valeur future de S est sa valeur présente, compte tenu de l information disponible. Dit autrement, cela signifie que dans certains cas particuliers, il est possible d avoir un et un seul prix du risque. Qu appelons nous cas particuliers? À la suite de Black et Scholes (1973) ou encore Merton (1973), les cas particuliers, permettant la mise en avant d une seule probabilité risque neutre, correspondent aux cas où les marchés sont complets. Nous dirons que les marchés sont complets si et seulement si tout actif contingent peut être atteint à l aide d une stratégie autofinancée. Plus précisément, si les marchés sont tels qu il y a suffisamment d actifs sur le marché de telle façon que tout nouvel actif puisse être représenté comme une combinaison linéaire des actifs existants on parle de stratégie de réplication et que ces derniers ont un prix unique, alors le marché est complet. Remarque : le portefeuille de réplication est utilisé en finance pour évaluer les flux qui ne sont pas activement échangés. Si un actif non échangé n était pas évalué relativement à un actif qui l est, les investisseurs auraient la possibilité d arbitrer en achetant le flux le moins cher et en vendant le plus cher. Ce principe est connu, comme étant le principe de non arbitrage. 3. Juste valeur en marché imparfait 5

Dans les cas où un actif ne peut être évalué à partir d un portefeuille de réplication, on dit que le marché est incomplet. Dans un tel marché, sans une pleine information sur les préférences spécifiques des investisseurs, seul un intervalle de prix peut être fourni et non une juste valeur. Les outils présents dans la littérature permettant d évaluer correctement les actifs contingents dans le cadre de marchés incomplets sont très nombreux. Nous pouvons nous en référer à Møller (2002) pour un aperçu des différentes techniques : l idée centrale de l évaluation réside dans le fait que le prix de tout actif non redondant est à l intérieur d un intervalle de prix libre de tout arbitrage. Un pan majeur de la littérature s est consacré à la réduction de cet intervalle afin d obtenir un prix non ambigu. Par exemple, une approche d évaluation en marchés incomplets est la super-réplication. Pour un actif contingent H, cette approche consiste essentiellement à déterminer la stratégie auto-financée qui permette de générer un montant qui excède le montant H requis. La suppression de tout transfert de risque à l agent qui se couvre au sens où après l investissement initial aucun capital additionnel n est nécessaire pour payer le montant H à l acheteur du contrat est l avantage principal de la méthode. 4. Les limites de l application des techniques financières de valorisation en matière de risque IARD Les méthodes traditionnellement utilisées en finance dans le cadre d un marché incomplet supposent implicitement un marché que nous pourrions qualifier de faiblement incomplet, dans le sens que les actifs manquants sont relativement secondaires en terme de risque par rapport aux actifs disponibles. La super-réplication ne fonctionne que s il est effectivement possible de couvrir presque sûrement le risque avec les actifs disponibles. Il peut ne pas être toujours possible de trouver un portefeuille d instruments échangés qui réplique les flux de passif attendus. C est par exemple possible pour un produit mixte décès-actifs financiers, en réduisant le risque décès par l application de la loi des grands nombres (et donc en négligeant l impact potentiel d une épidémie). 6

Mais dans de nombreux autres cas, il n est pas possible de répliquer les flux, sauf avec des stratégies prohibitives (montant maximal de l exposition possédée sur l horizon). Ainsi, les flux provenant des branches longues peuvent avoir un horizon supérieur aux investissements à revenus fixes atteignables. De même, les risques catastrophe ne peuvent qu être imparfaitement répliquées sur les marchés financiers malgré le développement des cat. bonds. L absence de réplication possible peut être particulièrement importante dans le cadre de l assurance IARD, pour tous les risques événementiels (tempêtes, tremblement de terre, inondation ou terrorisme mais aussi risques émergents, risques d inflation juridique sur les réserves, ). Si la loi des grands nombres semble globalement respectée en assurance IARD, certaines dépendances entre risques individuels renforcent en effet les queues de distribution du risque d assurance, créant un risque systématique du risque d assurance. Cependant, en dehors de ce risque systématique propre au risque d assurance, une autre limite relative à l utilisation du portefeuille de réplication comme mode de valorisation du risque IARD réside dans l inadaptation d un raisonnement d un prix limité au seul risque systématique. En effet, si la théorie financière traditionnelle met en avant que les actionnaires peuvent éliminer le risque idiosyncrasique, des avancées récentes ont suggéré que ce risque avait en fait un coût qui oblige les firmes à gérer la totalité de leurs risques systématique et autonome même après avoir prix en compte les éventuels avantages retirés de la diversification. Nous pourrons nous en référer à Vaughn (1999) pour avoir des justifications de ce raisonnement global. Cette gestion globale du risque met en avant de nouvelles problématiques de valorisation qui n apparaissait pas auparavant et qui sont beaucoup plus cruciales dans le cadre du risque IARD. En effet, la composante risque pouvant être diversifiée par les actionnaires, elle n a pas théoriquement de coût économique. À partir du moment où nous considérons que la gestion du risque doit être considérée dans sa globalité, la valorisation doit toucher non seulement le risque systématique, mais également le risque idiosyncrasique. Les limites du modèle théorique d arbitrage et des portefeuilles de réplication sont généralement appelées coûts de friction. Ces coûts ne remettent pas fondamentalement le paradigme financier d arbitrage mais essayent de limiter les invraisemblances que l application directe de ce modèle peut générer (cf par exemple pour l application à l assurance, Harrington et al. (1997) mettent en avant trois coûts de friction significatifs d un assureur dans l appel et la détention du capital). S ils apparaissent également dans le cadre du 7

risque vie, les coûts de friction sont certainement plus importants en IARD et leur valorisation pose plus de problèmes dans ce dernier cadre, en particulier par la difficulté pour un tiers de connaître exactement le niveau de risque pris par une société d assurance ce qui réduit à ses yeux la valeur de marché (réduction du prix due à asymétrie d information sur un marché). 5. Réplication par la réassurance et la titrisation Depuis les années 90, face à la prise de conscience du coût potentiel des catastrophes naturelles et la difficulté de mutualiser certains de ces risques au sein du marché de la réassurance, s est développé à côté de la réassurance, des instruments dits ILS Insurance Linked Securities, ou Produits financiers structurés liées à des risques d Assurance dont le plus connu est le cat. bond, ou obligation catastrophe. Le recours aux cat. bonds permet de transformer un passif d assurance en actif contingent : le titre n est remboursé que si le risque ne se réalise pas. Dès lors, dans la mesure où les passifs d assurance peuvent être appréhendés comme des actifs contingents, cette technique permet de compléter le marché financier par une nouvelle classe d actifs, celle des risques d assurance, permettant ainsi une meilleure réplication et donc une meilleure évaluation des passifs d assurance IARD. Toutefois, la présence de nouveaux actifs ne réduit pas tous les problèmes de valorisation liés à l asymétrie d information, notamment par le fait que le sous-jacent, c'est-à-dire le risque d assurance, peut ne pas être connu de façon claire par les marchés financiers. On pense en particulier à l expérience de Katrina et l incertitude qui régna quelques jours sur l incertitude de la perte du cat bond Kamp Re. Dans le cas d une tempête ou un tremblement de terre, cette asymétrie est relativement modérée mais sur d autres types de risque, risques émergents par exemple, on peut supposer que cette asymétrie serait forte. C est d ailleurs une limitation au développement des ILS, par rapport à la réassurance qui permet, elle, par l existence de réassureurs professionnels, de réduire cette asymétrie (voir Plantin (2005)). Par ailleurs, de nombreuses limites relatives à la liquidité sont également exacerbées : le marché des cat. bonds se caractérise par la présence de quelques investisseurs importants, spécialisés dans les fonds «catastrophes», ce qui peut augmenter l illiquidité de ce marché ; enfin, et surtout, les coûts de transaction sont très importants. 8

Avec cette incomplétude du marché des ILS, il semble qu il ne puisse exister une et une seule valeur des titres et donc du passif d assurance mais plutôt un intervalle de prix. La juste valeur peut alors être identifiée comme étant celle qui est la plus prudente. 6. Application pratique de réplication du risque d assurance Plaçons-nous dans un cadre théorique d absence d arbitrage. Considèrerons une compagnie d assurance qui assure un risque catastrophe ayant les caractéristiques suivantes : capacité de 1000, durée de 2 ans, prime pure annuelle estimée à 100 et prix négocié annuel à 150. Par souci de simplification, le paiement des deux années s effectue au 1 er janvier de chaque année. Au 1 er janvier N, le bilan simplifié se présente de la façon suivante : Actif Passif Capitaux propres 1 000 Disponibilités 1 300 Primes Non Acquises 300 Mais quel est le bilan au 1 er janvier N+1, en supposant qu il n y a pas eu de sinistres pendant l année? Supposons qu un cat-bond soit «présent» sur le marché, cat. Bond permettant de couvrir un risque similaire au risque couvert par le contrat d assurance précédent. Du fait de l hypothèse d absence d arbitrage, le cat bond est émis au même prix que le traité soit 150. Supposons maintenant que le titre s échange au prix de 100 au 1 er janvier N+1. Cette information sera traitée différemment selon le système comptable. En norme comptable traditionnelle (French GAAP par exemple), nous aurions le bilan suivant : 9

Actif Passif Capitaux propres 1 150 Disponibilités 1 300 Primes Non Acquises 150 Par contre, selon des normes appliquant le concept de juste valeur de façon stricte, le risque doit être estimé à sa juste valeur, c'est-à-dire en prix de marché. Le passif doit prendre en compte le changement de valeur survenu sur le marché des cat-bonds. En effet, toujours selon l hypothèse d absence d arbitrage, l assureur la possibilité de couvrir (hedger) son risque en souscrivant le cat bond. Dès lors, le bilan simplifié basé sur la juste valeur peut s écrire ainsi : Actif Passif Capitaux propres 1 200 Disponibilités 1 300 Primes Non Acquises 100 Néanmoins, un tel traitement suppose qu il n y ait pas de coût de transaction à l opération de couverture. Or, dans la pratique, l émission d un cat. bond entraîne des coûts très importants, de l ordre minimum de 2-3% de la capacité. Considérons ici que les frais de transaction sont de 30. Alors la valeur de la prime non acquise est comprise en juste valeur entre 100 et 130. On peut alors proposer la présentation comptable suivante : Actif Passif Capitaux propres 1 170 Disponibilités 1 300 Primes Non Acquises Provision d illiquidité 100 30 Cette provision, ou ce coût d illiquidité, est caractéristique de l assurance (cf. par exemple The Economics of Insurance). Elle a entraîné dans le passé le développement de provision d égalisation ou de lissage, dont la caractéristique même était de diminuer l illiquidité du risque d assurance. 10

7. Conclusion La définition de l assurance comme d un marché imparfait caractérisé par l illiquidité rend difficilement applicable certains concepts de l IFRS. Ainsi, pour des risques difficilement transférables du fait de leur difficulté à être estimés (risques de responsabilité civile par exemple, risque inondation, ), l illiquidité se traduisant par un coût de transaction élevé peut devenir prohibitif. Si dans le bilan, on explicite ce coût d illiquidité, nous obtenons alors au passif une réserve qui a les caractéristiques d une provision d égalisation. Plus précisément, la prise en compte de la volatilité de la valeur du passif d assurance peut entraîner un arbitrage entre la couverture de cette volatilité ou son lissage dans le temps à l aide des provisions d égalisation. Toutefois, cette provision ne sera jamais supérieure aux coûts de transaction, dans la mesure où si cela était le cas, il deviendrait plus efficace de couvrir la volatilité en titrisant le risque. Non seulement la provision d égalisation est efficace pour l économie comme le montre Dacorogna (2005) mais sa conservation peut probablement se justifier avec les concepts même des IFRS. Cependant, l importance de l asymétrie d information sur certains risques peut augmenter de façon très importante leur illiquidité au point que la notion même de valorisation de marché perde tout son sens. En particulier, le souhait d une valorisation de marché des réserves pour les IFRS ou Solvency II, alors même qu elles ne sont aujourd hui que rarement réassurables, apparaît à ce jour comme une exercice théorique. 11

Bibliographie indicative Bizid, A., Jouini, E. (1999). Equilibrium Pricing in Incomplete Markets, Working Paper. Dacorogna, M. (2005). Managing Risks in Mature Economies, Working Paper. Embrechts, P. (2000). Actuarial versus Financial Pricing of Insurance, Journal of Risk Finance 1(4), 17-26. Hancock, J., Huber, P., Koch, P. (2001). The Economics of Insurance, Swiss Re. Møller, T. (1998). Risk-Minimizing Hedging Strategies for Unit-Linked Life Insurance Contracts, ASTIN Bulletin 28, 17-47. Møller, T. (2002). On Valuation and Risk-Management at the Interface of Insurance and Finance, British Actuarial Journal, Volume 8(4), 787-827. Plantin, G. (2005). Does Reinsurance Need Reinsurers? Working Paper, Carnegie Mellon University, Tepper School of Business. Vaughn, T. R. (2000), Property/Liability Insurance Risk Management and Securitization, Working Paper. 12