La banlieue parisienne s ouvre au tourisme



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Transcription:

TOURISME & BANLIEUE La banlieue parisienne s ouvre au tourisme Interview (*) d H ÉLÈNE S ALLET-LAVOREL Chargée d études tourisme à l IAURIF (Institut d aménagement et d urbanisme de la région Île-de-France) (helene.sallet-lavorel@iaurif.org) Qu appelle-t-on la banlieue? Une banlieue se définit par rapport à une ville-centre. Comme les faubourgs (1), la banlieue représente l ensemble des localités entourant la ville-centre, administrativement autonomes, bien qu en relation très étroite avec celle-ci. Ainsi, selon moi, la notion de banlieue parisienne ne s applique qu aux communes véritablement à la périphérie de Paris, qui ont un tissu urbain et font partie de l agglomération. Toute l Île-de- France n est pas la banlieue. La problématique de Fontainebleau, par exemple, n est pas une problématique de banlieue. Historiquement, le développe- (1) À l inverse, le mot faubourg, au singulier, désigne un quartier d une ville (jadis situé en dehors de l enceinte de celle-ci). Nul ne peut nier aujourd hui qu une véritable activité touristique (séjours et excursions) se développe en banlieue parisienne. Recherche de pittoresque, rencontre avec la population locale sont au cœur d une demande décalée pour des lieux nouveaux. Pour le plus grand bénéfice du tourisme parisien. JUIN 2004 ESPACES 216 21

LES RELATIONS TOURISTIQUES ENTRE PARIS ET SA BANLIEUE ment de la banlieue parisienne s est fait par rapport à Paris. La banlieue a accueilli les populations attirées par la capitale (lors de l exode rural par exemple) ; elles arrivaient massivement et ne pouvaient pas se loger dans la villecentre. Par ailleurs, la banlieue a accueilli toutes les fonctions que Paris ne pouvait pas (ou ne souhaitait pas) intégrer : les industries (et notamment les industries polluantes), les grandes cités dortoirs construites pour loger les ouvriers de ces industries, ainsi que tous les services nécessaires à Paris, mais considérés comme pas assez nobles pour être établis intra-muros ou trop consommateurs d espace (à cause du prix du terrain) : les usines d incinération, les cimetières, les prisons, les carrières, etc. Ainsi, d une façon générale, la banlieue a toujours eu des problèmes d image par rapport à la ville-centre, n existant qu en négatif par rapport à un positif qui serait beaucoup plus noble. L histoire entre Paris et la banlieue est marquée par des ruptures, des fractures : des ruptures urbaines (le boulevard périphérique ), des ruptures économiques (les fonctions tertiaires établies surtout dans Paris), des ruptures, voire des fractures, sociales. Depuis quand les communes de banlieue cherchent-elles à développer le tourisme? L intérêt pour le tourisme en banlieue est très récent. Jusqu à il y a quelques années, le tourisme en Île-de-France était cantonné au tourisme urbain (dans Paris), et au tourisme vert (en grande couronne). Entre Paris et la ceinture campagnarde, il y avait un véritable no man s land, qui ne pouvait prendre de dimension touristique. Ce n est pas un hasard si, alors que le comité régional du tourisme a été créé en 1987 et que les CDT de grande couronne existaient depuis plusieurs années, le CDT de la Seine-Saint-Denis (93) n a été créé qu en 1997, le CDT du Val-de-Marne (94) en 2000 et le CDT des Hauts-de-Seine (92) en 2001. De la même façon, les premiers offices de tourisme d Île-de-France ont vu le jour en grande couronne au début du siècle (Provins, 1907, Chatou et Le Vésinet, 1911, Coulommiers, 1912) alors que la majorité des offices de tourisme de petite couronne ont été créés dans les années 1960-70 (à part les précurseurs que sont Vincennes en 1931, Saint-Denis en 1936, et Montreuil en 1945). Que s est-il passé pour que la banlieue devienne une destination touristique? Quatre phénomènes ont fait prendre conscience que la banlieue pouvait devenir un territoire touristique : la demande a évolué, le secteur privé s est intéressé aux banlieues, les élus locaux ont pris conscience des potentialités en activité et en emploi de l activité touristique et, enfin, une véritable révolution s est produite lorsque l État et la région ont décidé de peser de tout leur poids pour aider à ce développement. Comment la demande a-t-elle évolué? Les guides, tout d abord, ont commencé à s intéresser à la banlieue dans les années 1980. Précurseur, le magazine Actuel a sorti un Guide de la banlieue en 1984. Il a fallu toutefois attendre la fin des années 1990 pour que de véritables guides soient édités : les Guides du Routard Banlieue de Paris et Week-end autour de Paris et le Petit Futé Seine-Saint-Denis, tous parus en 1999. Il faut dire que, en 1998, la Coupe du Monde de football était passée par là. Les reportages autour de la construction du Stade de France ont parlé de Saint- Denis de façon positive, puis l effet a été très largement amplifié par la victoire des Bleus et par l image festive de la banlieue véhiculée à cette occasion. Aujourd hui, les Parisiens ont pris conscience qu il existe une véritable culture en banlieue (et pas seulement des théâtres, mais du rap, des tags, Zingaro ), une culture moderne et décalée et que la banlieue, c est aussi une qualité de vie et des relations humaines (la richesse de la vie associative ). Le mouvement démographique de Parisiens qui partent s installer en banlieue témoigne de cette nouvelle prise de conscience. 22 ESPACES 216 JUIN 2004

TOURISME & BANLIEUE Un autre facteur qui joue en faveur de la découverte touristique de la banlieue est le fait qu un nombre croissant de touristes veulent sortir des sentiers battus, échapper à la standardisation des produits touristiques et découvrir des quartiers authentiques. La recherche de pittoresque, de rencontre avec les populations locales joue en faveur de quartiers de banlieue où le lien social paraît plus fort que dans la capitale. Enfin, il faut savoir qu une part significative de l offre hôtelière parisienne se trouve en banlieue, où les disponibilités foncières sont plus importantes et les prix moins élevés que dans la capitale : 70 % des lits touristiques construits dans les années 1990 en Île-de-France l ont été hors de Paris. Quel a été le rôle des pouvoirs publics dans la naissance de la banlieue au tourisme? Les élus ont progressivement pris conscience du poids économique du tourisme. Il faut savoir, en effet, que les activités caractéristiques du tourisme représentent, en Île-de-France, 238 000 emplois salariés directs, soit 5% de l emploi salarié régional, auxquels il convient d ajouter tous les emplois non salariés, très nombreux dans ce secteur comme dans le secteur de la restauration, et les très nombreux emplois induits. Ils ont aussi pris conscience des possibilités de créations d emplois. Entre 1997 et 2000, 32 000 emplois salariés ont été créés dans le secteur du tourisme en Île-de-France : le tourisme est l un des secteurs les plus créateurs d emploi. Ces emplois, souvent de qualification moyenne, intéressent tout particulièrement les élus des secteurs géographiques particulièrement touchés par le chômage. Par ailleurs, la désindustrialisation a laissé un patrimoine exceptionnel, auquel la mise en tourisme a permis de donner une deuxième vie, ce qui est important dans les banlieues, territoires particulièrement touchés par la crise. Au-delà de ces aspects patrimoniaux, une curiosité s est fait jour pour la visite de lieux de travail, de lieux de production. Cette fonction travail revêt aujourd hui un attrait touristique et les visites d entreprises permettent de montrer une image active, et donc valorisante, des banlieues. Le tourisme industriel, ce ne sont pas seulement des sites morts, vus sous l angle historique et passéiste, mais aussi des lieux contemporains, de travail, d activité et de vie. Je note enfin une modification du regard de la ville de Paris sur la banlieue. Pendant longtemps, on a parlé d un projet de grand Paris ; les villes de banlieue craignaient d être annexées par une capitale qui ne respectait pas leur identité. Aujourd hui, un maire adjoint chargé des relations avec les communes limitrophes a été nommé à Paris. La capitale a évolué dans son rapport à la banlieue et se tourne vers elle. Et au niveau régional? Dès le contrat de plan État-région (CPER) élaboré à la fin des années 1990, l idée que le tourisme pourrait jouer un rôle pour le développement économique de la banlieue est entérinée. Le CPER constate en effet que l Île-de-France est fragilisée par des déséquilibres internes et des inégalités territoriales ; il souhaite que le tourisme et les loisirs permettent le développement économique de territoires différents de ceux qui attirent le développement économique traditionnel. Il souligne que le tourisme et les loisirs sont un moyen de développer la solidarité entre les territoires et entre les hommes la solidarité doit pouvoir s exprimer par l accession du plus grand nombre aux loisirs et aux pratiques sportives, y lit-on par exemple. Dans le schéma régional du tourisme et des loisirs et dans le contrat de plan, la région définit alors une politique touristique territorialisée et décide, avec les conseils généraux, de créer des pôles touristiques régionaux prioritaires qui, en petite couronne, correspondent à des territoires de banlieue. C est une véritable révolution dans l intervention publique régionale sur le tourisme. Comment a réagi la banlieue? La banlieue a su saisir tous ces mouvements, ces opportunités, ces changements de regards sur elle pour tenter de se définir comme un territoire touristique. Elle a pris sa place dans le développement du tourisme de proximité et des loisirs. JUIN 2004 ESPACES 216 23

LES RELATIONS TOURISTIQUES ENTRE PARIS ET SA BANLIEUE Qui sont les clients du tourisme de banlieue? Ce sont tout d abord les habitants eux-mêmes, qui veulent voir leur banlieue de façon différente. Ce sont aussi les Franciliens qui, dans le cadre de leurs loisirs ou de courts séjours, sont potentiellement à la recherche de destinations dépaysantes et proches. Ils sont également prescripteurs (72 % des touristes français en Île-de- France sont hébergés chez la famille ou les amis). Enfin, ce sont tous ceux qui recherchent des produits différents, insolites, etc. En tant qu urbaniste, quel est votre avis personnel sur le tourisme en banlieue parisienne? Je suis convaincue qu il est nécessaire de développer la fonction touristique en banlieue parisienne, et ce pour plusieurs raisons. Tout d abord, il est absolument nécessaire de diffuser les flux touristiques dans la région. Quelques sites et quartiers parisiens sont surfréquentés, saturés, ce qui engendre des nuisances et des conflits avec les habitants, et donc un rejet du tourisme. Or, les prévisions d évolution du nombre des touristes confirment l obligation de diffuser ces flux. Car, selon les prévisions de l OMT, la France accueillerait 105 millions de touristes en 2020, contre 75 millions actuellement. Et l Île-de-France continuerait d en recevoir une grande part. Ensuite, le tourisme contribue à faire évoluer l image de la banlieue, y compris et surtout auprès de ses habitants. Quelle fierté pour les banlieusards de voir que leur environnement, leur cadre de vie, longtemps associés aux quartiers difficiles, à l insécurité peuvent devenir un territoire où il y a des choses positives à voir! Le tourisme est un facteur de fierté, d identité, d appartenance et de cohésion. Le tourisme est un moyen de montrer qu en banlieue il existe aussi une richesse patrimoniale singulière, originale et propre à ce territoire. L histoire du logement social témoigne des recherches architecturales menées entre les années 1920 (les HBM artdéco, les cités-jardins ) et les années 1970. Aujourd hui, l innovation architecturale s exprime encore principalement en banlieue. Le tourisme valorise également le patrimoine humain, dont le potentiel est énorme en banlieue. En témoigne la capacité de mobilisation des habitants, leur fierté dès qu on s intéresse à eux, l important travail mené dans de nombreuses communes sur la mémoire et sur une mémoire récente, vivante, ouvrière qui concerne la vie de nos parents, de nos grandsparents, et non une période historique lointaine L offre touristique en banlieue peut jouer le côté décalé, branché, festif (dans des lieux originaux.). Elle permettrait ainsi de toucher des publics différents de ceux qui sont attirés par les aspects culturels et patrimoniaux traditionnels de la capitale, notamment les jeunes, cible prioritaire des politiques touristiques de la région. Le développement du tourisme en banlieue peut ainsi dynamiser et rajeunir l image de la destination Paris- Île-de-France, destination qui souffre d une image rangée, traditionnelle, vieillissante etc. Le tourisme en banlieue peut ainsi bénéficier à l ensemble de la fonction touristique de la région. Concrètement, comment se matérialise le développement d un tourisme de banlieue en région parisienne? Des signes montrent qu il existe désormais une véritable activité touristique en banlieue. Ainsi, par exemple, le Stade de France à Saint-Denis est, avec 130 000 visiteurs par an, l un des sites franciliens les plus visités hors de Paris et des grands classiques. Il entraîne dans sa suite la visite de la Basilique, des Puces de Saint-Ouen, du Musée de l air et de l espace au Bourget J ai déjà cité l importance de l offre hôtelière en banlieue. Aujourd hui, rien que les communes qui touchent Paris accueillent près de la moitié de la capacité hôtelière de l ensemble de la petite couronne, soit environ 14 000 chambres sur 30 500, et leur capacité d accueil a augmenté de 39 % entre 1994 et 2001. Désormais, le réseau des offices de tourisme est 24 ESPACES 216 JUIN 2004

TOURISME & BANLIEUE bien étoffé dans les communes de petite couronne. On recense 31 Otsi, ce qui signifie qu une commune sur quatre a créé un OT ou un SI alors que, en grande couronne, une sur douze seulement dispose d un tel outil (100 Otsi). Malgré ces signes, on ne peut nier, bien sûr, que le tourisme en banlieue se définisse essentiellement par rapport au tourisme parisien, à la fois dans ses atouts et dans ses handicaps. Sur le plan des atouts, la banlieue bénéficie de la proximité de Paris (*) Propos recueillis par Roselyne de Clapiers. grâce au métro. Et les hôtels qui se créent le long du périphérique hébergent des touristes d abord venus visiter Paris Sur le plan des handicaps, la banlieue est totalement écrasée, dans sa fonction touristique, par Paris. Elle recèle des richesses exceptionnelles qui, si elles étaient situées en province, apparaîtraient comme des sites touristiques de premier plan, mais qui ne peuvent exister face au Louvre, à la Tour Eiffel surtout pour des touristes venus de l autre bout du monde passer trois jours dans la région! C est pourquoi le tourisme dans la banlieue ne peut se développer contre la ville-capitale, mais seulement avec elle, comme un moyen d élargir la gamme d offre touristique et de diversifier les clientèles. Paris a besoin de sa banlieue Pour sortir de son image de ville-musée et rajeunir sa clientèle, Paris a décidé de jouer la carte du tourisme alternatif, ouvert sur une banlieue décalée et branchée. Une banlieue qui, toutefois, doit rester à portée de métro. Depuis quand la ville de Paris s intéresse-t-elle au développement du tourisme dans sa banlieue, et pour quelles raisons? Avant la mandature de Bertrand Delanoë, le développement du tourisme dans la banlieue de Paris n apparaissait pas comme une priorité de la mairie de Paris. Il est vrai que le tourisme dans les banlieues (*) Propos recueillis par Roselyne de Clapiers. Interview (*) de J EAN-BERNARD B ROS Maire-adjoint de Paris en charge du tourisme est un phénomène qui n a pris de l ampleur que depuis cinq ou six ans. Davantage dans l air du temps, il est donc logique qu il prenne un peu plus de place aujourd hui. En outre, avant 1998, il n y avait pas de comités départementaux du tourisme (CDT) dans les trois départements de proche couronne : Seine-Saint-Denis, Hauts-de-Seine et Val-de-Marne. Nous étions donc face à une absence de volonté politique, à un phénomène économique et social encore peu développé et, JUIN 2004 ESPACES 216 25

LES RELATIONS TOURISTIQUES ENTRE PARIS ET SA BANLIEUE enfin, face à l absence d acteurs institutionnels. Depuis mars 2001, beaucoup d actions se sont développées, essentiellement sous l impulsion politique de Bertrand Delanoë. Il a estimé, dès son arrivée, que Paris devait sortir des limites du périphérique, boulevard qui symbolise la coupure entre Paris et le reste de l agglomération, coupure qui est aussi une coupure des mentalités. Cette démarche du maire de Paris est symbolisée dans l exécutif municipal par la création d un nouveau poste d adjoint au maire, chargé des relations avec les collectivités territoriales d Île-de-France, dont Pierre Mansat est en charge. C est lui qui met en œuvre cette politique. Il veille en particulier à ce qu elle soit appliquée, déclinée par les autres adjoints dans leurs différents secteurs d activité. Ils sont en effet tenus d avoir toujours en tête que tout ce que fait la ville de Paris ne doit pas se limiter au boulevard périphérique, mais être mis en œuvre avec les communes d Île-de-France limitrophes. C est le cas, par exemple, pour la mise en œuvre du tramway. Comment cette politique se matérialise-t-elle? Le maire de Paris a donc voulu jeter des ponts, revenir sur cette coupure créée par la limite du périphérique, cette blessure sociologique parfois, en développant des partenariats et des coopérations avec chaque commune limitrophe de Paris. Pour cela, la ville signe, depuis mars 2001, des conventions de collaboration avec des communes limitrophes. Ainsi, des conventions de partenariat ont été signées avec les communes de Montreuil, Saint-Ouen, Clichy, Issy-les-Moulineaux, Vanves et Nogent-sur-Marne. D autres sont sur le point de l être avec Boulogne- Billancourt, Malakoff, Gentilly, le Kremlin-Bicêtre, Charenton-le-Pont, Montrouge, Saint-Denis, le Pré Saint-Gervais, Vincennes, Ivry-sur-Seine, Pantin, les Lilas, Vincennes et Saint-Mandé. Nous espérons avoir signé fin 2005 des conventions avec les communes restantes. C est la première fois depuis 1977, c est-à-dire depuis qu il y a un maire élu, que Paris signe des conventions avec des villes de sa banlieue. Ces conventions concernent les aménagements urbains, la qualité de vie, le développement social et culturel, la politique foncière et d équipements car Paris possède parfois des terrains en banlieue et elles comportent un chapitre sur le tourisme et les loisirs. Nous avons signé également un contrat particulier Paris-Île de France avec la région, sur des actions particulières. La région, de son côté, a signé des contrats avec chacun des départements qui la composent. Dans ces contrats, le tourisme est inclus, notamment le tourisme des jeunes (et la création d hébergements adaptés), l amélioration de l accueil des touristes et de l information. Pouvez-vous citer des exemples de coopération touristique entre Paris et les villes de sa proche banlieue, et entre Paris et la région? Les Puces de Saint-Ouen avaient un problème d accueil, un besoin de signalétique. Elles accueillent quatre millions de visiteurs par an, et se trouvent à cheval entre les communes de Paris et de Saint- Ouen. D où le projet d ouverture d un point d accueil et d information commun, dont la responsabilité sera partagée entre l office du tourisme de Paris et l office du tourisme de Saint-Ouen. Il sera situé porte de Clignancourt dans le XVIII e arrondissement à Paris. Un financement tripartite Paris - Saint-Ouen - région Île-de-France est prévu. Paris élabore actuellement un agenda des loisirs à Paris, pour donner une meilleure visibilité des événements festifs, culturels, artistiques prévus à Paris dans les six mois à venir. Cet agenda ne se limitera pas à Paris et prendra en compte les événements des communes de la proche couronne. À la demande de la ville de Paris, qui la subventionne, l association Belleville Insolite est en train de développer des visites de quartiers dans les communes des Lilas, du Pré-Saint-Gervais et de Bagnolet, de l autre côté du périphérique. La ville de Paris cherche par ailleurs à développer l hébergement touristique dit alternatif (comme l hébergement chez l habitant, l hébergement locatif meublé et l échange d hébergement), 26 ESPACES 216 JUIN 2004

TOURISME & BANLIEUE de façon à promouvoir et à structurer une offre d hébergement touristique complémentaire de l offre hôtelière. Nous voulons constituer ainsi une offre qui associe directement la population. Cette offre manque d ailleurs à Paris : des villes comme Londres ont développé une offre organisée, et importante, de bed and breakfast. Nous voudrions clarifier le marché et labelliser, en 2005, ce type d hébergement alternatif. Un projet a été réalisé par l association Les Parisiens associés, qui prend en compte la proche couronne. Celle-ci a d autant plus sa place dans ce projet que ses habitants disposent de plus de place à offrir que les Parisiens. Enfin, Paris a signé avec la région Île-de-France une convention pour le tourisme alternatif. Grâce à quoi, depuis peu, la région et la ville subventionnent à 50-50 un nouveau poste de chargé de mission, basé au sein de l office du tourisme de Paris. Son rôle est de développer le tourisme alternatif (hébergement, mais aussi visites ) entre les arrondissements périphériques de Paris et la proche couronne. Pourquoi des conventions avec les communes limitrophes seulement? J ai constaté, en prenant mes fonctions, que la destination touristique Paris, telle qu elle est perçue par les visiteurs, ne s arrête pas aux limites administratives de la capitale. Les touristes ne les connaissent pas. Pour eux, Paris, c est tout ce qui se situe à portée du métro, et la destination Paris inclut donc les communes limitrophes où va le métro. Je parle bien du métro, pas du RER. Quelqu un hébergé dans un hôtel de l autre côté du périphérique est généralement un touriste venu pour visiter Paris. Un hôtel à la station Église de Pantin, sur la ligne 5 du métro, est perçu comme un hôtel parisien, sans différence aucune par rapport à un hébergement situé Porte de Pantin, côté Paris. La démarche lancée par Bertrand Delanoë conforte donc l analyse du fonctionnement du tourisme parisien. Si Paris veut mener une politique touristique cohérente et pertinente aujourd hui, elle ne peut se passer des communes limitrophes. Inversement, la destination Paris ne peut être assimilée à toute l Île-de-France. Quand on va à Provins ou à Versailles, par exemple, on est dans une logique d excursion, on n est plus du tout dans l agglomération parisienne. Mantes-la-Jolie, pour nous, ce n est pas Paris. Il faut prendre le train pour y aller. Mais les touristes sont-ils vraiment intéressés par la banlieue? Depuis cinq ans environ, on constate que les banlieues sont devenues de véritables territoires touristiques, des destinations. Plusieurs signes le montrent. Ainsi, le Guide du Routard a publié en 1998 un guide des banlieues de Paris. Cet ouvrage a été publié dans une démarche militante. Pourtant, dès son lancement, il a cartonné et a été acheté à la fois par la population des banlieues, par la population parisienne et par les touristes. Ce qui prouve que les gens ont envie de découvrir ces territoires qui parlent, qui ont une mémoire sociale, historique et une vie propre. D autres initiatives se sont développées, comme les balades et les visites de quartiers : j en prends pour exemple la commune de Saint-Denis qui a une démarche extrêmement avant-gardiste. Cette commune a, par exemple, été la première à instituer un Bureau des temps qui vise à adapter les horaires des lieux publics au rythme de vie de la population. Depuis l arrivée de Bertrand Delanoë, nous avons un Bureau du temps à Paris, mais cette initiative existait à Saint- Denis depuis 1995. Saint-Denis est aussi précurseur en matière de découverte des quartiers dans un but touristique. Elle a su faire du Stade de France un équipement tout à fait moteur en matière de tourisme, en termes d image bien sûr, mais aussi en termes d événements susceptibles d entraîner un séjour, c est-à-dire permettant d en faire une véritable destination touristique. Cette commune a aussi été précurseur en matière de tourisme industriel et scientifique, de visites d entreprises (1). (1) Laurent QUEIGE, La Seine-Saint-Denis, nouvelle frontière du tourisme parisien, Espaces tourisme & loisirs,n 186, octobre 2001. JUIN 2004 ESPACES 216 27

LES RELATIONS TOURISTIQUES ENTRE PARIS ET SA BANLIEUE Les attentes des touristes ont donc changé? Notre ambition en la matière porte autant sur le développement des loisirs que sur celui du tourisme : le tourisme de banlieue est destiné aux Parisiens et aux Franciliens, autant qu aux touristes. Dans le passé, le tourisme (concernant des gens venant de très loin pour visiter une fois dans leur vie la destination Paris), et les loisirs des habitants de la région parisienne étaient deux activités distinctes. Les deux populations avaient des besoins complètement différents. Aujourd hui, deux phénomènes font que les populations se rapprochent. D un côté, le nombre des touristes qui viennent à Paris pour la deuxième ou la troisième fois ne cesse de croître. Ces touristes veulent connaître mieux la ville et ses habitants, ne pas se limiter aux musées et aux monuments, mais rencontrer davantage les gens, avoir des échanges, des moments de convivialité, être en lien avec la modernité, avec la vie de la ville. Ils veulent rencontrer les actifs, le tissu économique, les acteurs qui créent dans la ville. Ils recherchent un tourisme autrement. De l autre, la population d une grande ville comme Paris et son agglomération dispose de temps de loisirs de plus en plus importants. Elle est de plainpied dans la société des loisirs (notamment grâce aux 35 heures, mais c était déjà le cas avant). On sait que le temps libéré n a pas permis d augmenter le temps des vacances passées loin, car il aurait fallu pour cela disposer d un revenu supplémentaire. Mais ce temps de loisirs supplémentaire a bénéficié énormément toutes les études le montrent au tourisme de proximité : on redevient touriste dans sa propre ville. D où l intérêt nouveau pour les banlieues que les gens ont envie de découvrir ou de retrouver : ils consacrent davantage de visites et de temps à la connaissance de leur environnement proche. Les communes de banlieue proposent également plus d événements et manifestations de toutes sortes C est vrai, et cette politique événementielle accompagne le mouvement de découverte de la banlieue. Il l accompagne, mais il ne le précède pas. Car ce mouvement répond à une évolution beaucoup plus profonde, historique, qui remonte à dix ou quinze ans. C est une évolution sociologique très forte. Prenez un exemple très révélateur : le boom du roller. Qu estce que c est? Pas le développement d une pratique sportive, mais un phénomène de loisir, de redécouverte de la ville en se réappropriant le territoire urbain qui a été confisqué par la voiture. Chacune veut se réapproprier la ville autrement et ce phénomène concerne aussi bien la banlieue que Paris. On devient touriste différemment dans sa propre ville quand on part à la découverte de ses quartiers, qu ils soient intra ou extra-muros. Parallèlement, et de la même façon que les habitants veulent vivre leur ville autrement, les touristes veulent la découvrir d une autre façon. D où l ambition de la ville de Paris de développer un tourisme alternatif, durable. Aujourd hui, on ne peut plus limiter une politique touristique publique à une action portant uniquement sur les grands sites patrimoniaux. Car le danger est d enfermer la ville dans une image de ville-musée. Il faut absolument que le tourisme intègre et respecte les équilibres écologiques et sociologiques de la ville. C est pourquoi nous travaillons sur le tourisme durable, le respect de l environnement et le respect de l équilibre des populations qui composent les lieux de tourisme. En respectant mieux la cohérence avec une meilleure qualité de vie de la population, nous sommes amenés à faire découvrir Paris autrement. Pour cela, nous emmenons les gens, Parisiens et touristes, découvrir d autres quartiers de la capitale de la proche banlieue, à portée de métro. Cette action s inscrit dans une politique globale, dans un objectif de développement d une offre de tourisme alternatif, durable, et de rajeunissement de l image de la capitale. 28 ESPACES 216 JUIN 2004