Entretien de Mme Menival, Vice-présidente en charge de la Santé et des Formations Sanitaires et Sociales du Conseil régional d'aquitaine Le 25 Juin dernier, l'urps infirmiers Aquitaine, chargée de contribuer à l'organisation de l'offre de santé, rencontrait Mme Ménival, Vice-présidente du Conseil Régional d'aquitaine ; l'occasion d'évoquer avec elle l'actualité en matière de santé et de revenir sur les projets intéressants directement les infirmiers de la région Aquitaine. 1) Infirmière de formation, vous exercez quelques années en milieu hospitalier avant de vous lancer en politique. Vous êtes élue Conseillère régionale en charge des services publics de proximité puis Vice-présidente en charge de la Santé et des Formations Sanitaires et Sociales. Pouvez-vous revenir sur ce parcours? J'ai exercé en tant qu'infirmière hospitalière et mon parcours m'a amené à réfléchir aux organisations territoriales, notamment en 1993 quand le service des urgences de la Réole est menacé de fermeture. Je me suis positionnée sur la défense du citoyen, sur la défense de l'accès aux soins. Je me suis alors lancée en politique. La question de l'accès aux soins m'anime désormais depuis une vingtaine d'années. En 1999 je co-écris un livre «A propos de nos hôpitaux qu il est encore temps de sauver» où je souligne le besoin d une meilleure répartition territoriale de l offre de soins. Aujourd'hui, ce poste au Conseil Régional me permet de prendre du recul sur les inégalités de santé, sur les inégalités d'accès aux soins, sur les différences territoriales. Aujourd'hui la compétence que nous avons dans le financement des écoles sanitaires et sociales m'amène à repenser le rôle des soignants du sanitaire et du social dans le système de soins. Un rôle pas suffisamment mis en valeur, pour lequel il y a un potentiel notamment dans le cadre démographique actuel, avec la montée en charge du vieillissement et des maladies chroniques. Compte tenu des compétences propres de l'ars et du Conseil Régional, on se rend compte de l'importance de travailler ensemble. Le Conseil Régional travaille notamment sur le développement des outils technologiques qu'utilisent les professionnels et sur la partie formation. Mon rôle aujourd'hui est de développer des nouvelles organisations et d'être à l'écoute des professionnels de santé, du sanitaire comme du social, de répondre aux besoins de ces professionnels dans chaque territoire de santé. Le Conseil Régional constitue un lieu de discussion totalement neutre, en dehors de toute considération syndicale. Mes rencontres avec les professionnels de santé me permettront d'appréhender au mieux les organisations à mettre en place dans les territoires, en collaboration avec l'ars que nous pouvons soutenir sur le volet formation ou sur le volet technologique.
2) Cette collaboration avec l'ars et les délégations territoriales est-elle efficace? Cette collaboration je l'ai toujours cultivée. Sur la région Aquitaine cette collaboration est optimale, c'est à dire que nous échangeons des informations de manière libre et construite. Par exemple nous avons fait participer l'ars au cluster TIC santé pour favoriser ces liens. Je suis moi-même membre du Conseil de surveillance de l'ars et je discute ouvertement avec le Directeur Général, Monsieur Laforcade, des nouvelles organisations de santé. Nous allons élaborer une nouvelle étape dans cette collaboration : formaliser des relations par convention sur des projets précis d'innovation organisationnels. Sur les territoires, la collaboration est plus difficile du fait de la multitude d'acteurs mais nous créons des liens par le biais d'une politique contractuelle. Nous participons à des réunions, nous mettons à disposition des moyens financiers pour animer les territoires sur des réflexions telles que la désertification médicale, l'implantation de maisons de santé. Cette relation de proximité qui se développe dans les territoires permet de mettre en place de nouveaux usages en repensant les dispositifs de santé. Nous avons ainsi permis d'équiper certains professionnels libéraux d'iphone, de tablettes, de matériels communicants qui permettent d'avoir un dossier de soins partagé et d'être plus réactif. Mais cela suppose aussi du milieu infirmier qu'il fasse entendre ses revendications. Concernant la formation, à titre d'exemple, le diplôme d'etat en Soins Infirmiers a été réformé en juillet 2009 afin d'harmoniser le système d'enseignement supérieur européen. Cette réforme se traduit par la reconnaissance du grade de licence accordé aux diplômés à partir de 2012. Je souhaiterais personnellement aller plus loin, travailler sur la reconnaissance d'un doctorat infirmier, implanter en Aquitaine, à Bordeaux, la filière sciences de l'infirmière pour laquelle il existerait master et doctorat au-delà de la licence qui est désormais acquise. Pour cela, il est nécessaire que les infirmiers me fassent part de leurs attentes. Concernant la formation, je travaille également sur un autre projet : la recherche en soins infirmiers. Il est nécessaire de comprendre ce qu'apporte réellement le soin infirmier dans telle ou telle pathologie à domicile. On connait déjà l'apport des soins en milieu hospitalier et le suivi des patients en milieu hospitalier mais aucune étude n'a été réalisée concernant la prise en charge d'une maladie chronique à domicile. Cette étude suppose de mettre en place un système d'observation qui n'existe pas et de nouveaux thèmes de recherche. 3) L'URPS infirmiers pourrait-il être partenaire d'une recherche? Absolument. Il peut être partenaire, apporter des informations, ou déposer un projet de recherche auprès d'un directeur de thèse. J'ai un cadre général propice à la mise en place de cette filière scientifique à Bordeaux. Maintenant, il est nécessaire d'échanger avec les infirmiers libéraux d'aquitaine. L'avenir est désormais dans le déploiement de nouvelles organisations à domicile dans lesquelles l'infirmier libéral a un rôle central. On est sur un exercice pluri disciplinaire où les délégations de compétences sont en train d'évoluer comme le rôle de prescription de l'infirmier libéral.
L'évolution de la profession repose sur une question : que souhaitent les infirmiers libéraux? 4) Depuis la Loi de décentralisation de 2004, l obligation est faite aux régions d élaborer un schéma des formations sanitaires et sociales. Pour cela vous avez eu recours à la réalisation d une étude prospective. Quelles sont les axes d'évolution, de transformation qui ont été mis en avant par le biais de cette étude? Cette étude prospective était un préalable obligatoire à l'élaboration d'un schéma des formations sanitaires et sociales. Elle permet d'anticiper les changements susceptibles de s opérer dans les organisations sanitaires et sociales au cours des prochaines années et leurs conséquences sur les métiers, en termes d'effectifs et de compétences. Cette étude repose sur l élaboration de trois scénarii alternatifs d évolutions du système de santé, au regard des besoins de la population et d hypothèses variables de niveaux de financement. Cette étude a mis en avant la nécessité de faire évoluer le système de santé. Si on ne transforme pas le système maintenant, il va à sa rupture. Certains pensent même qu'on serait déjà dans une rupture non dite. Une rupture non dite de l'accès aux soins. Cette rupture peut être combattue par la mise en place de nouveaux dispositifs de santé innovants comme par exemple la télémédecine. Les nouvelles technologies vont permettre aux professionnels de santé d'investir de nouveau les territoires. Il faut investir dans ces nouvelles technologies. Il faut proposer de nouvelles organisations. 5) Depuis la publication du décret relatif à la mise en œuvre des actes de télémédecine en France, la question de la gouvernance de cette pratique médicale innovante reste entière. Qu'en est-il des conditions d application du décret et quelles sont les modalités de remboursement des professionnels et des patients? Des systèmes sont en train de se mettre en place. La Région intervient en impulsant le développement de nouvelles technologies dans ce domaine et en stimulant une réflexion, dans le territoire, pour une nouvelle organisation de la médecine de premier recours. En amont des travaux engagés par l Etat dans le domaine de la télésanté, nous avons mené une réflexion sur la désertification médicale dans les territoires ruraux. Face à cet enjeu, la télémédecine doit permettre de construire un lien, autour du patient, entre le médecin, le spécialiste et l hôpital. Elle ne remplace par les professionnels mais renforce leur expertise en créant des réseaux de soins, dans les territoires, entre les médecins libéraux ou les Maisons de santé, les hôpitaux, les infirmiers. Par exemple, avec l accès au dossier électronique du patient, un médecin généraliste situé en hôpital dit «de périphérie» peut solliciter l avis d un spécialiste du CHU de Bordeaux, partager des prescriptions, des résultats de laboratoire... Pour cela, il faut développer les outils de la télémédecine et faire dialoguer les professionnels du soin et les industriels. Nous attendons de l Etat qu il fixe, en concertation avec les élus, les cadres des modèles économiques qui permettront aux industriels de prendre le risque du développement de la télésanté.
C est un préalable, déclencheur du marché. Dans ce cadre, les régions peuvent être des catalyseurs de l innovation technologique et organisationnelle, c est un des enjeux majeurs des prochaines années. La télémédecine permet d'améliorer la prise en charge du patient, la qualité de l'offre de soins. Il faut que l'usage évolue auprès des professionnels. Aujourd'hui on souhaite associer les infirmiers dans la mise en place des nouvelles organisations de santé. 6) Lors de son discours devant le congrès de la Mutualité, le président de la République avait dressé l'état du système de santé français. Selon lui, «derrière les bons résultats apparents de notre système de santé se cachent de graves disparités sociales et territoriales». Au niveau européen, vous participez au projet AIR (Addressing Inequalities Interventions In Regions) qui vise à réduire les inégalités de santé par les soins primaires en Europe. Pouvezvous nous en dire plus sur ce projet? Le projet AIR a contribué à observer les inégalités de santé par une approche de soins primaires. Il a conclu que l'approche financière universelle que nous avons n était pas suffisante. Il faut impérativement favoriser une démarche de proximité, de connaissance fine des citoyens, des communautés. Pour réduire les inégalités de santé, il faut avoir une approche territoriale ciblée. Le projet a également mis en avant la nécessité de recourir à un médiateur culturellement adapté. Le médecin n'est pas la première personne qui apporte le plus de réponses aux patients au niveau thérapeutique, d'éducation thérapeutique, de prévention, d'explications et de suivi des consignes. Généralement, un paramédical s'avère être un médiateur plus efficace. Le projet AIR est conscient de ses limites : il faut mettre en place des indicateurs d'évaluation et c'est là l'objet du prochain projet AIR. Ce projet a montré que le médecin n'est pas le seul acteur du système de santé. Les paramédicaux ont un rôle important à jouer, souvent méconnu car pas évalué. Le projet a également démontré l'importance des professions sociales. Les inégalités de santé sont également liées à des déterminants sociaux et environnementaux. Il n'y a pas que les professionnels de santé qui jouent sur la réduction des inégalités de santé. Il faut tenir compte d'autres paramètres tels que les conditions de travail, le logement... L'accès financier n'est pas le seul garant de l'égalité d'accès aux soins. 7) Bon nombre d'infirmières en exercice seraient favorables à la mise en place d'une formation à la nomenclature par la sécurité sociale. Ce projet est-il d'actualité? Il faudrait revoir ou adapter les programmes pédagogiques, ce qui n'est pas de la compétence du Conseil Régional mais du ministère de la santé. Certaines écoles peuvent la proposer, mais cette formation n'est pas imposée.
En Aquitaine, le Conseil régional a créé un groupement de coopération des IFSI (EGCS). Il faudrait les contacter et leur soumettre le projet. Beaucoup d'enseignements se font désormais sous forme de DVD dans le cadre du LMD. Sur la cotation des actes, il serait préférable que cet enseignement intervienne en fin de cursus. 8) Concernant le financement de la formation infirmière, il appartient à chaque région de fixer les taux et les barèmes des bourses et d'attribuer des aides aux centres de formations. Qu'en est-il pour la région Aquitaine? Chaque région a sa propre politique mais le financement des formations infirmière est très cadré. La première étape consistait à comprendre ce qui entrait dans le coût d'une formation. Auparavant, le coût de la formation ne se distinguait pas de la comptabilité hospitalière. Il a fallu demander aux gestionnaires des hôpitaux de faire cette distinction pour comprendre le coût de la formation infirmière. Les résultats de cette étude ont fait apparaître de nombreuses variations (du simple au double) selon les écoles. Il a fallu affiner ce travail pour connaître le prix réel de la formation infirmière. Aujourd'hui le prix d'une telle formation varie entre 6 000 et 7 000 selon les établissements. Nous avons également mis en place des bourses qui ne correspondent pas totalement aux bourses classiques des étudiants. Nous avons mis un ou deux échelons supplémentaires. Elles sont inférieures en valeur mais plus de personnes peuvent en bénéficier. On a créé un échelon zéro qui permet de rembourser les frais de scolarité. Sur 6000 étudiants infirmiers, on a plus de 30% de boursiers. Le schéma des formations sanitaires et sociales a défini quatre axes qui sont des grands domaines stratégiques et autant d'axes de progrès. Les conditions de vie étudiante sont un axe à part entière d'amélioration de la prise en charge. Nous retravaillons sur les bourses tous les ans. Nous avons aussi mis en place un questionnement sur le suivi de santé des étudiants. Il existe même un dispositif de secours qui permet aux directrices des IFSI d'obtenir des aides d'urgence en cas de situation de détresse particulière. Tout est axe de progrès. 9) Quelle est votre position sur la mise en place de l'ordre des infirmiers? Il constituait un interlocuteur privilégié avant la création des URPS. Je reconnais ce partenaire. En tant qu'institution nous avons besoin d'identifier des partenaires. Concernant les médecins, nous travaillons autant avec l'ordre des médecins qu'avec l'urps des médecins. La loi a institué un ordre des infirmiers. Peu importe ma position, je préfère mettre à profit la création de cette institution. Même si aucun travail n'a été formalisé avec l'ordre des infirmiers, nous avançons ensemble. De la même façon, l'urps des infirmiers libéraux sera également sollicitée. Ce qui est important, c'est de travailler ensemble dans le même sens pour élever la reconnaissance de la profession ; telle est ma dynamique.
Il est important, en tant qu'urps, de vous associer à nos travaux. Vous devez être en lien avec les institutions qui font avancer la profession. Votre rôle est d'autant plus important au regard des enjeux mis en avant dans le cadre de l'étude prospective. Les infirmiers libéraux vont être au cœur de la réorganisation de l'offre de soins. A titre d'exemple, certaines maisons de santé sont déjà porteurs de projets en Gironde et notamment la Maison de Saint-Caprais-de-Bordeaux et la Maison de Villandraut. Ces maisons de santé ont constitué un groupement de professionnels de santé dont des infirmiers libéraux et font évoluer leurs pratiques, leurs outils informatiques. Ces groupes de travail sont importants car ils permettent de faire évoluer la pratique en conciliant les intérêts individuels.