INTRODUCTION. Section 1 UN CADRE LÉGAL PROFONDÉMENT REMANIÉ



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Transcription:

INTRODUCTION Section 1 UN CADRE LÉGAL PROFONDÉMENT REMANIÉ 1 Longtemps demeurées à l écart des préoccupations du législateur, les assurances de personnes n ont pas échappé à la lame de fond régulatrice qui a envahi le secteur des assurances ces vingt dernières années. Pratiquement ignorées dans la loi du 11 juin 1874 sur les assurances en général (1), qui ne consacrait que trois dispositions aux assurances vie, les assurances de personnes jouissent, depuis l adoption de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d assurance terrestre (ci-après la «LCAT») (2), d un corps de règles structuré, qui encadre, le plus souvent de manière impérative, les prérogatives et obligations des parties concernées par le contrat. Sur les plans technique et financier, c est à l arrêté royal du 27 juin 1931 que l on doit la première réglementation propre à l exercice de l activité d assurance vie. Cette réglementation a par la suite été remplacée, successivement, par l arrêté royal du 5 juillet 1985 (3), par l arrêté royal du 17 décembre 1992 (4) et par l arrêté royal du 14 novembre 2003 (1) M.B., 14 juin 1874. (2) M.B., 20 août 1992. (3) M.B., 13 juillet 1985. Pour un commentaire détaillé de cette réglementation, cf. H. COUSY, «Recente ontwikkelingen in het verzekeringsrecht», T.P.R., 1986, pp. 506-525 ; C. DEVOET, «Une nouvelle réglementation en assurance vie», R.G.A.R., 1985, n 10960. (4) M.B., 31 décembre 1992. Pour une analyse approfondie de cette réglementation, cf. J.-C. ANDRÉ-DUMONT, «Les nouveaux aspects de la réglementation des activités d assurances sur la vie», Bull. ass., 1993, pp. 341-343 ; H. CLAASSENS et J.-M. HAUFERLIN, «Le cadre juridique général de l assurance-vie pour l an 2000 en Belgique», Bull. ass., 1994, dossier n 2, «L assurance-vie en Belgique dans un cadre européen», pp. 31-34 ; U.P.E.A., La nouvelle réglementation de l assurance-vie individuelle : cadre et enjeux d une réforme, coll. Les cahiers de l assurance, Bruxelles, 1993.

14 DROIT DES ASSURANCES DE PERSONNES relatif à l activité d assurance sur la vie (ci-après l «AV») (5), afin d adapter le droit belge au droit européen, mais aussi, et surtout, aux évolutions du marché, notamment à l apparition de nouveaux produits et formules d assurance vie. À cela s ajoute l émergence, au milieu des années 1990, d une législation sociale qui conditionne directement le régime juridique des assurances groupe. Initialement contenue dans la loi du 6 avril 1995 relative aux régimes de pensions complémentaires (6), cette législation figure aujourd hui dans la loi du 28 avril 2003 relative aux pensions complémentaires et au régime fiscal de celles-ci et de certains avantages complémentaires en matière de sécurité sociale (ci-après la «LPC») (7). Applicable à l ensemble des régimes de pensions complémentaires, elle entend conférer un label de qualité à ce qu il est convenu d appeler le deuxième pilier de la protection sociale (8). Sans oublier les soubresauts dont est coutumier le droit fiscal (qui ne sera évoqué que de manière tangentielle dans cet ouvrage) (9) et les (5) M.B., 14 novembre 2003 (rectificatifs : M.B., 23 juillet 2004). (6) M.B., 29 avril 1995. Cette loi a été modifiée par un A.R. du 25 avril 1997 (M.B., 30 avril 1997) et a fait l objet d un A.R. d exécution, daté du 10 janvier 1996 (M.B., 20 janvier 1996), et d une circ. min. interprétative du 2 août 1996 (M.B., 7 août 1996). Pour un commentaire détaillé de cette première législation sociale belge en matière de pensions complémentaires, cf. notamment J.-M. BINON, «La nouvelle législation sur les régimes de pensions complémentaires : un modèle pour l Europe?», R.G.A.R., 1996, n os 12678 et 12693. (7) Cette loi, initialement datée du 13 mars 2003, a été publiée au M.B. du 15 mai 2003 et a fait l objet d un erratum dans le M.B. du 26 mai 2003. Elle est assortie d une série d A.R. d exécution, qui seront présentés plus loin. (8) Le 9 octobre 2003, le Parlement a été saisi d une proposition de loi, déposée par M me S. CREYF, relative à l assurance complémentaire soins de santé, qui vise à doter cette catégorie d assurances d un cadre législatif inspiré de la philosophie générale de la LPC (Doc. parl., Ch. repr., S.O. 2003-2004, n 51 0266/001 ; pour un commentaire de cette initiative législative, cf. Y. STEVENS, «Assurance hospitalisation Vers une LPC en matière de soins de santé?», L & B, n 6, juin 2004, pp. 1-3). Le 17 mars 2006, le Conseil des ministres a, de son côté, approuvé un projet de loi initié par le ministre de l Économie M. VERWILGHEN et visant à protéger les malades et les personnes handicapées dans certaines assurances individuelles de personnes (assurances complémentaires hospitalisation et assurances complémentaires contre les risques d incapacité de travail ou d invalidité physiologique). Ce projet a été déposé à la Chambre des représentants le 26 septembre 2006 (Doc. parl., Ch. repr., S.O. 2005-2006, n 51 2689/001). (9) Sur le régime fiscal des assurances de personnes, cf. notamment J. ROGGE et M. ROUHART, «Le régime fiscal des assurances sur la vie et des pensions complémentaires», Bull. ass., 1993, dossier n 1, «La loi du 25 juin 1992 sur le contrat d assurance terrestre : application pratique», pp. 137-162 ; R. VAN GOMPEL, Manuel sur les assurances sur la vie, Centre de l information de l assurance de l U.P.E.A., 2003, pp. 163-191 (consultable sur

INTRODUCTION 15 importants changements qui, cette dernière décennie, ont affecté, à une cadence soutenue, la loi du 9 juillet 1975 relative au contrôle des entreprises d assurances (ci-après la «LC») (10) et l arrêté royal du 22 février 1991 portant règlement général relatif au contrôle des entreprises d assurances (11) (ci-après le «RGC») en vue, notamment, de la transposition d une série de directives européennes (12), ce sont ainsi toutes les facettes du droit des assurances de personnes qui ont connu de profonds remaniements visant à garantir une meilleure justice contractuelle ou sociale, à intégrer ou à anticiper des évolutions de droit européen ou à mettre le droit en phase avec la réalité du marché. La place grandissante de l assurance privée dans notre système de protection sociale est aussi pour beaucoup dans le regain d attention des autorités publiques à l égard des assurances de personnes. (10) M.B., 29 juillet 1975. (11) M.B., 11 avril 1991. (12) Un commentaire du droit du contrôle et du droit européen des assurances de personnes sortirait du cadre de cet ouvrage. Sur les aspects de droit européen, il est renvoyé www.assuralia.be). Pour des présentations récentes, cf. C. DEVOET, «Les aspects fiscaux des assurances-vie et des pensions complémentaires», in L assurance-vie et les pensions à notre contribution à paraître en 2007 dans la collection des Commentaires Mégret. Pour complémentaires (sous la dir. de B. DUBUISSON et P. JADOUL), Louvain-la-Neuve/Bruxelles, une description de quelques éléments essentiels du droit du contrôle des activités Academia-Bruylant/Bruylant, 2006, pp. 95-204, et Les assurances de personnes, Bruxelles, d assurance vie, cf. notamment P. VAN EESBEECK, L. VEREYCKEN et I. VERSTREPEN, Introduction à la technique d assurance-vie, coll. Cahiers Life & Benefits, n 6, Malines, Kluwer, Anthémis, 2006, pp. 493-577 ; T. HOSLET, «Les assurances revenu garanti et soins de santé», in Les entreprises et leurs assurances, Malines, Kluwer, 2006, pp. 165-176 ; A. 2006, pp. 6-22. Pour une présentation détaillée de l application des règles européennes VIGNEUL, «Les pensions complémentaires», ibid., pp. 110-115. Sur les modifications fiscales liées au «pacte de solidarité entre générations» et aux lois de fin décembre 2005, de concurrence au secteur de l assurance, cf. J.-F. BELLIS, «Assurances et droit européen de la concurrence», For. ass., n 64, mai 2006, pp. 5-11 ; J.-M. BINON, «L application du cf. le n spéc. de L & B de janvier 2006 sur «L incidence du pacte de solidarité entre droit européen de la concurrence au secteur des assurances : une sévérité contenue», générations et des lois de fin d année sur les pensions et les assurances-vie», 16 p. R.E.D.B.F., 2003/4, pp. 531-583 ; L. SCHUERMANS et P. TEERLINCK, «Een nieuwe groepsvrijstelling (10) M.B., 29 voor juillet de verzekeringssector 1975.», in Liber Amicorum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, (11) M.B., 2004, 11 avril pp. 1991. 567-596. (12) Un commentaire du droit du contrôle et du droit européen des assurances de personnes sortirait du cadre de cet ouvrage. Sur les aspects de droit européen, il est renvoyé à notre contribution à paraître en 2007 dans la collection des Commentaires Mégret. Pour une description de quelques éléments essentiels du droit du contrôle des activités d assurance vie, cf. notamment P. VAN EESBEECK, L. VEREYCKEN et I. VERSTREPEN, Introduction à la technique d assurance-vie, coll. Cahiers Life & Benefits, n 6, Malines, Kluwer, 2006, pp. 6-22. Pour une présentation détaillée de l application des règles européennes de concurrence au secteur de l assurance, cf. J.-F. BELLIS, «Assurances et droit européen de la concurrence», For. ass., n 64, mai 2006, pp. 5-11 ; J.-M. BINON, «L application du droit européen de la concurrence au secteur des assurances : une sévérité contenue», R.E.D.B.F., 2003/4, pp. 531-583 ; L. SCHUERMANS et P. TEERLINCK, «Een nieuwe groepsvrijstelling voor de verzekeringssector», in Liber Amicorum Jean-Pierre de Bandt, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 567-596.

16 DROIT DES ASSURANCES DE PERSONNES Section 2 CARACTÉRISTIQUES GÉNÉRALES DU DROIT DES ASSURANCES DE PERSONNES 2 Tout en épousant l essentiel des caractéristiques générales du droit commun des assurances, le droit des assurances de personnes se singularise à plusieurs titres. Comme le droit des assurances de dommages, le droit des assurances de personnes est devenu, principalement sous l effet de la LCAT, un droit à forte teneur impérative et d inspiration consumériste (13). D une manière générale, il demeure toutefois moins «réglementaire» et contraignant que le cadre normatif des autres branches d assurances. Sur un certain nombre de points, il laisse en effet une place importante à l autonomie de la volonté (p. ex., en matière de paiement de la prime [cf. infra n os 165 à 170], de durée du contrat [cf. infra n os 162 et 163] ou d étendue de la garantie [cf. infra n os 279 à 299]). Il se caractérise aussi par des aspects originaux (p. ex., le régime des opérations sur la réserve mathématique [cf. infra n os 194 à 238]) ou par des questions situées au confluent de plusieurs disciplines juridiques (p. ex., le sort des assurances vie au regard du droit patrimonial [cf. infra n os 321 à 344]). Il dénote également par sa nature pluridisciplinaire. Au droit des assurances proprement dit, viennent en effet s ajouter une réglementation d ordre technique et financier ainsi qu un cadre de droit social intéressant tout spécialement les assurances groupe, sans parler de la dimension fiscale, qui imprègne cette catégorie d assurances bien davantage que toute autre. Enfin, le droit des assurances de personnes, en particulier le droit de l assurance vie, traverse pour l heure une «crise identitaire» imputable, principalement, au développement de «nouveaux» produits d assurance fort proches, dans leur conception, de produits de pur placement financier (produits de capitalisation). Il faut en effet savoir que le droit de l assurance vie se caractérise, outre par des privilèges fiscaux, par une série de règles civiles dérogatoires permettant de tenir, dans une très large mesure, les capitaux assurés à l abri des convoitises des tiers (conjoint, héritiers, créanciers du preneur) (cf. infra n os 268 à 273 et 323). À l instar de la tendance observée dans certains pays voisins (13) Cf. M. FONTAINE, Droit des Assurances (3e éd.), Précis de la Faculté de Droit de l U.C.L., Bruxelles, Larcier, 2006, pp. 46-48 et 69-75.

INTRODUCTION 17 (France, notamment), l administration fiscale et la jurisprudence se refusent de plus en plus à reconnaître ces privilèges à des produits qui, à leurs yeux, n ont d assurance vie que le nom. Cette tendance à la «disqualification» ou à la «requalification» s accompagne d une remise en question plus fondamentale des avantages civils de l assurance vie en général. C est ainsi qu un arrêt de la Cour d arbitrage du 26 mai 1999 a invalidé la solution dérogatoire au droit civil général consacrée par les articles 127 et 128 de la LCAT, qui qualifient de propres, en toutes circonstances, les prestations d assurance vie (cf. infra n os 323 à 326). Section 3 RÔLES ÉCONOMIQUE ET SOCIAL DES ASSURANCES DE PERSONNES 3 Comme les autres catégories d assurances, mais à des titres parfois différents, les assurances de personnes jouent un rôle de premier plan dans la vie économique et sociale contemporaine. 4 Les assurances de personnes sont d abord un mode de protection contre une série de risques liés à la personne humaine. Elles visent à se protéger ou à protéger ses proches contre les conséquences financières d un décès, d une maladie, d un accident, d une invalidité ou de l arrivée à l âge de la retraite. Elles participent à ce titre au système général de protection sociale. Leur but est la constitution d une couverture sociale complémentaire à celle du régime de base de la sécurité sociale fondé sur la solidarité (premier pilier), dans le contexte d une activité professionnelle (deuxième pilier) ou sur la base d une initiative individuelle (troisième pilier). Dans leurs formes collectives et individuelles, les assurances de personnes relèvent de ce qu il est convenu d appeler les assurances sociales complémentaires (14). Les assurances souscrites en (14) Sur la place des assurances (privées) de personnes, en particulier des assurances vie (collectives et individuelles), dans le débat sur la réforme de la sécurité sociale en Belgique, cf. notamment M. FONTAINE et S. FRÉDÉRICQ, «L assurance sur la vie en relation avec les pensions publiques et privées», R.G.A.R., 1996, n 12596 ; J.-J. GOLLIER, L avenir des retraites, Paris, L Argus, 1987 ; J. SLUYTS et P. DEVOLDER, «Assurance-vie et régimes privés de retraite», Bull. ass., 1994, dossier n 2, «L assurance-vie en Belgique dans un cadre européen», pp. 109-136 ; Pensioenvoorzieningen en private verzekering (H. COUSY et H. CLAASSENS ed.), actes des Zesde Leuvense Verzekeringsdagen, Anvers, Maklu, 1989. L on mentionnera également que, en 1991, a été créé un pôle d attraction interuniversitaire (P.A.I.) consacré à l assurance sociale complémentaire et regroupant des enseignants et des chercheurs de l Université catholique de Louvain, de la Katholieke

18 DROIT DES ASSURANCES DE PERSONNES vue de la retraite sont encouragées, dans des conditions bien définies, par des mesures fiscales offrant l attrait d une économie d impôts. 5 Les assurances de personnes relèvent d un marché devenu de plus en plus concurrentiel au fil du temps. Afin de se positionner face aux produits d assurance vie en provenance d autres marchés, mais aussi face aux produits d épargne et de placement offerts par les établissements bancaires et les entreprises d investissement, les assureurs vie ont progressivement étoffé leur gamme de services, en proposant des produits d assurance de plus en plus apparentés aux produits financiers, qui mettent l accent davantage sur la constitution d une épargne et le rendement de l investissement que sur la couverture de risques. Ainsi, depuis 1986, assurance-pension et épargne-pension, assorties d avantages fiscaux, sont en concurrence sur le marché (15). Plus récemment, les bons d assurance (cf. infra n 88) sont venus concurrencer les traditionnels bons de caisse des institutions financières dans la panoplie des formules de placement présentées aux épargnants. Le développement des assurances vie liées à un ou des fonds d investissement (cf. infra n os 80 à 85), puis des contrats d assurance prévoyant le remboursement de la réserve mathématique du contrat en cas de décès prématuré du souscripteur (cf. infra n 89), ont encore accentué ce phénomène de «déspécialisation», mieux connu sous les vocables de «bancassurance», de «bancassurfinance» ou d «assurfinance». Les assurances de soins de santé connaissent, sous une autre forme, ce même phénomène d exacerbation de la concurrence, avec l émergence, depuis quelques années, d une offre de couvertures complémentaires Universiteit Leuven et de l Universiteit Antwerpen. Les travaux de ce P.A.I. ont été axés (15) sur la Cf. problématique notamment N. générale DENOËL, des «assurances Régime d épargne sociales du complémentaires troisième âge ou et ont d épargnepension débouché, notamment,», Bull. ass., 1988, sur une pp. 614-616 série d ouvrages ; C. DEVOET, parus L assurance dans vie, une pp. collection 222-223. spéciale «Assurances sociales complémentaires/aanvullende Sociale Verzekeringen» publiée aux éditions La Charte/die Keure (Bruges). Ces ouvrages abordent les différentes facettes (économiques, démographiques, sociales, fiscales, financières) de cette problématique. L on renverra aussi aux actes du colloque international organisé en décembre 2001 par les deux universités de Louvain, sous les auspices de la présidence belge de l Union européenne, sur le thème de La protection sociale complémentaire dans l Union européenne La problématique des pensions et des soins de santé. Ces actes, qui contiennent une série de rapports placés sous l angle du droit belge, du droit européen et international ainsi que du droit comparé, ont été publiés en 2003 aux éditions Maklu et Academia-Bruylant (C. VAN SCHOUBROECK éd.). (15) Cf. notamment N. DENOËL, «Régime d épargne du troisième âge ou d épargnepension», Bull. ass., 1988, pp. 614-616 ; C. DEVOET, L assurance vie. Aspects techniques et juridiques, Bruxelles, Kluwer, 2004, pp. 222-223.

INTRODUCTION 19 émanant de certaines mutualités. C est dans ce contexte qu un litige est né, début 2000, entre l Union professionnelle des entreprises d assurances (U.P.E.A.) (16) et trois de ses entreprises membres, d une part, et l aile francophone des mutualités chrétiennes, d autre part, au sujet de la conformité à la législation sur les pratiques du commerce (17) (ci-après la «LPCC») des conditions dans lesquelles ces mutualités imposent ou proposent des couvertures complémentaires des frais d hospitalisation à leurs affiliés et aux tiers disposés à acquérir cette qualité. Dans une ordonnance du 4 septembre 2002, le président du tribunal de commerce de Bruxelles, statuant comme juge de cessation, a, dans le prolongement de la réponse préjudicielle qui lui avait été fournie par la Cour d arbitrage dans un arrêt du 3 juillet 2001, déclaré irrecevable l action en cessation introduite par les assureurs privés, estimant que les mutualités chrétiennes francophones ne peuvent pas être qualifiées de vendeurs au sens de la LPCC, pas même pour leurs activités d assurance complémentaire hospitalisation (18). Cette ordonnance d irrecevabilité a été annulée par un arrêt de la cour d appel de Bruxelles du 23 mai 2003, qui a jugé que les activités litigieuses sont des actes de commerce, de sorte que, s agissant de ces activités, les mutualités doivent être considérées comme des vendeurs aux fins de l application de la LPCC. La cour d appel a toutefois rejeté en bloc les griefs des assureurs privés tirés, d une part, de l existence d une offre conjointe au sens de l article 54 de la LPCC ou d un achat forcé au sens de l article 76 de cette loi et, d autre part, du non-respect par les mutualités des obligations découlant de la législation de contrôle des entreprises d assurance. Elle n a pas jugé utile de poser à la Cour de justice des Communautés européennes (ci-après la «C.J.C.E.») les questions préjudicielles suggérées par les assureurs privés au sujet de la compatibilité avec les règles européennes sur les aides d État de certains avantages publics dont bénéficieraient les mutualités chrétiennes francophones pour l exercice de leurs activités complémentaires (19). (16) Cette association professionnelle se dénomme depuis 2004 Assuralia. (17) L. 14 juillet 1991 sur les pratiques du commerce et sur l information et la protection du consommateur (M.B., 29 août 1991). (18) Cette ordonnance a été publiée in Annuaire Pratiques du Commerce & Concurrence, 2002, p. 715. (19) L arret de la cour d appel de Bruxelles a été publié in R.D.C., 2004, p. 225. Pour un commentaire approfondi de ce contentieux, cf. notamment J.-M. BINON, «L assurance hospitalisation à la croisée des chemins», R.D.C., 2003, pp. 223-236 ; F. LONGFILS, «Le vendeur et le concurrent : l habit fait-il le moine?», R.D.C., 2002, pp. 339-349 ; Y. STE- VENS, «Assurance soins de santé complémentaire Les mutualités sont des vendeurs», L & B, n 62, octobre 2003, pp. 5-6 ; H. SWENNEN, «Verkopers van voorzorg Vier opmerkingen bij het arrest nr. 102/2001 van het Arbitragehof van 13 juli 2001», R.W., 2001-2002, pp. 554-558.

20 DROIT DES ASSURANCES DE PERSONNES En décembre 2006, à la suite d une plainte d Assuralia, la Commission européenne a décidé d ouvrir une procédure en constatation de manquement d État contre la Belgique, au motif que, en exonérant les mutualités, pour leurs activités d assurance maladie complémentaire, des règles prudentielles applicables aux assureurs privés offrant des couvertures analogues, la Belgique n aurait pas correctement transposé les directives européennes en matière d assurance. En cas de réponse insatisfaisante des autorités belges, l affaire pourrait être portée devant la C.J.C.E. Dans le même temps, le gouvernement belge a adopté, le 16 février 2007, un projet de loi interdisant aux mutualités de refuser une assurance complémentaire aux personnes âgées de moins de 64 ans. 6 L assurance vie peut servir à garantir la bonne fin de certaines opérations. L on songe avant tout à l assurance dite du «solde restant dû», souscrite, dans le cadre de l octroi d un crédit (hypothécaire ou à la consommation), par l emprunteur sur sa tête pour garantir l organisme prêteur contre un décès prématuré qui le placerait dans l impossibilité d honorer intégralement sa dette de remboursement de l emprunt, ainsi qu à l assurance servant à la reconstitution d un prêt hypothécaire (cf. infra n os 71 à 77). Un contrat d assurance vie peut aussi être mis en gage ou cédé à titre de garantie par le preneur au profit d un de ses créanciers (généralement un organisme de crédit) afin de prémunir celui-ci contre le risque d insolvabilité (cf. infra n os 224 à 229). 7 L assurance vie peut revêtir la fonction d un instrument de crédit, permettant d obtenir, sous certaines conditions, les liquidités nécessaires, notamment à travers le rachat du contrat (cf. infra n os 199 à 205) ou une demande d avance totale ou partielle, remboursable ou non (cf. infra n os 217 à 223). 8 Dans de nombreuses entreprises, les assurances collectives de personnes (assurances groupe, notamment) sont un élément de la politique du personnel. L existence éventuelle de telles assurances, qui relèvent de ce que l on a coutume d appeler les «avantages extralégaux», sera souvent mise en avant par l employeur désireux d attirer des candidats, chez lesquels cet élément pourra entrer en ligne de compte en cas de choix entre plusieurs offres d emploi. 9 Enfin, les placements des réserves des entreprises d assurance vie correspondant à leurs activités d assurance contribuent pour une part importante au financement de l économie. À ce titre, les assureurs sont traditionnellement rangés parmi les «investisseurs institutionnels», aux côtés des autres institutions financières (banques, fonds de pension, entreprises d investissement, organismes de placement collectif en

INTRODUCTION 21 valeurs mobilières [O.P.C.V.M.]). Ainsi, tandis que le montant global des encaissements de primes s est chiffré, en 2005, à 8.655.000.000 euros en assurance non-vie (en ce compris les assurances accidents du travail), il s est élevé à environ 25.000.000.000 euros en assurance vie (assurances individuelles et collectives confondues). Le besoin grandissant de sécurité des assurés soutient la croissance de l assurance vie. Entre 2000 et 2001, les encaissements ont ainsi progressé de 2,3 %, tandis que le rythme de progression est plus marqué depuis 2001, avec une hausse des encaissements variant, en fonction des années, de 8 % (croissance nominale 2001/2002) à plus de 26 % (croissance nominale 2004/2005). Ces dix dernières années ont été marquées par plusieurs renversements de tendance au sein même de l assurance vie. Ainsi, après avoir littéralement explosé entre 1995 et 2000, les encaissements de primes liés aux assurances vie liées à des fonds d investissement (assurances vie de la «branche 23» ; cf. infra n os 80 à 85) ont régressé, principalement en raison des mauvais résultats des marchés boursiers, de plus de 16 % entre 2000 et 2001, de plus de 30 % entre 2001 et 2002, et de près de 40 % entre 2002 et 2003. En revanche, depuis 2004, la branche 23 renoue avec le succès, avec des progressions de 23 % entre 2003 et 2004, et de près de 130 % entre 2004 et 2005 (6.325.000.000 euros d encaissements en 2005), ce regain d intérêt étant essentiellement lié à la bonne tenue des marchés financiers et à la diversification de l offre. Parallèlement, les assurances vie à taux garanti (assurances vie de la «branche 21») ont connu, durant la période comprise entre 2001 et 2005, une croissance assez constante, tantôt légèrement inférieure, tantôt légèrement supérieure à 10 % par an (14.490.000.000 euros d encaissements en 2005). Les premières estimations pour 2006 montrent toutefois une baisse significative (de près de 20 %) des encaissements de primes en assurance vie, que les professionnels du secteur attribuent principalement, d une part, à l introduction de la taxe de 1,1 % sur les primes d assurance vie individuelle et, d autre part, à la complexité croissante de la législation sur les pensions complémentaires, qui bride, selon eux, l envol de l assurance groupe (20). (20) Tous ces chiffres proviennent du rapport d activités publié chaque année par l association belge des assureurs et disponible sur son site web (www.assuralia.be). Pour un état statistique complet relatif à l année 2005, cf. Chiffres clés et principaux résultats de l assurance belge en 2005, édition spéciale d Assurinfo, Série Statistiques, 5 octobre 2006. Sur les estimations pour 2006, cf. Rapport d activités 2006, pp. 7 et 21 à 23. Pour une présentation chiffrée couvrant l ensemble du marché européen de l assurance vie, il est renvoyé aux publications statistiques du Comité européen des assurances (C.E.A.), l association européenne faîtière des associations nationales des assureurs (www.cea.assur.org).