Investir les contrées managériales de l action publique locale: le recours aux consultants



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Transcription:

Investir les contrées managériales de l action publique locale: le recours aux consultants Atelier n 19 Participaient à cet atelier : Laurent DJEZZAR, directeur des finances et du contrôle de gestion au Centre Interdépartemental de Gestion de la Petite Couronne David GUERANGER, chercheur, Ecole Nationale des Ponts et Chaussées Jacques SORIA, directeur d activités, BPI - Bernard Brunhes Consultants L atelier était coordonné par Nicolas MATYJASIK, enseignant - chercheur, CERAPS, Université de Lille 2. Le marché du conseil a émergé dans les années 80 avec les lois de décentralisation qui ont alimenté un besoin d expertise, actuellement renforcé par la RGPP, la raréfaction des ressources financières et la complexification de l action publique. Transfert de pouvoir vers le local, enchevêtrement des niveaux de compétence, croissance des interventions publiques, poids grandissant des collectivités locales, mouvement de rationalisation du secteur public ont donc, de manière cumulative, suscité une demande de conseil au sein de l administration et par voie de fait contribué à la constitution d un nouveau marché d expertise. Bien qu en retard par rapport à l Angleterre, où l administration représente 30 % de l activité des cabinets contre 8 % en France, le secteur tend aujourd hui à se professionnaliser. Il s agit d un univers hétérogène, allant des «big four» aux consultants indépendants, des cabinets généralistes à ceux spécialisés dans des champs sectoriels. Les missions, variées, portent sur la communication, l évaluation des politiques publiques ou encore la mise en place de système d informations et évoluent vers l accompagnement du changement. Malgré la présence croissante des consultants auprès des collectivités territoriales, peu de travaux de sciences sociales étudient ce champ professionnel. L atelier se propose de mettre en lumière la relation de conseil (qui unit administration et consultants) à partir de différents points de vue pour dégager des pistes d amélioration. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 1

I. L analyse d un commanditaire (Laurent DJEZZAR) Le contexte actuel se révèle propice au développement du conseil. L acte II de la décentralisation a transféré de nombreuses compétences de l Etat aux collectivités territoriales qui doivent organiser de nouveaux services et développer de nouvelles compétences dans des délais brefs. Son impact sur les ressources humaines et l organisation des services nécessite un accompagnement et des compétences spécialisées, de même que la recherche de performances sous contraintes financières et la complexification croissante de l action publique dans des domaines variés (gestion financière, développement durable, urbanisme). Il devient parfois difficile de se passer d un consultant privé, surtout dans les domaines où la loi impose une évaluation au bout de dix ans pour l expérimentation de nouvelles missions. Les raisons des décideurs publics de recourir au conseil privé sont : l opportunité d un regard extérieur ; la recherche de compétences spécialisées ; le besoin de légitimation de choix publics. Les décideurs publics attendent des consultants : neutralité et indépendance ; capacité d écoute et compréhension des besoins réels et cachés des collectivités territoriales ; accompagnement méthodologique et aide à la gestion du temps ; expertise et assurance technique sur le fond. Le consultant, qui n est pas un sous-traitant, doit être un accoucheur de projets, aidant la collectivité territoriale à s approprier le projet. Les relations entre collectivités et consultants sont marquées par l ambiguïté et la persistance d une méfiance liée à l opposition entre le secteur public, censé représenter l intérêt général, et le secteur privé, perçu comme recherchant uniquement des profits. Cette méfiance est alimentée par le sentiment d une application de solutions uniformisées par les consultants, d une perte d autonomie ou d une remise en cause des compétences des agents et d un coût démesuré des prestations. L influence de méthodes issues du privé peut heurter la culture administrative et susciter des résistances, surtout dans les grands corps d Etat assurant des fonctions d audit. Il existe par ailleurs de mauvaises raisons de recourir à un consultant comme la volonté de s abriter derrière lui pour faire passer une décision. Le consultant joue un rôle de médiateur et de fusible, notamment dans les comités de pilotage. Il est tentant d attribuer l échec d un projet à son incompétence supposée. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 2

Il existe une interpénétration croissante des deux mondes, marquée notamment par le recrutement de profils similaires dans les deux secteurs. Dans un contexte de complexification de l action publique, de forte demande sociale et de réactivité nécessaire, le recours au conseil semble pourtant inévitable. Certaines collectivités l ont développé en interne : le Grand Lyon a ainsi créé une direction de l évaluation de la performance qui se positionne comme une structure de conseil interne vis-à-vis des autres directions. Proposer des prestations internes aux services n empêche pas toutefois de recourir au conseil externe sur d autres missions. Ces évolutions interrogent celle de la gouvernance locale vers un trio formé par les élus, les consultants et les fonctionnaires. A partir de ce constat, plusieurs recommandations peuvent être émises : soigner les cahiers des charges et définir en amont les attentes et objectifs précis de la mission du consultant ; utiliser toutes les possibilités du code des marchés publics et professionnaliser la gestion des achats de conseil ; réaliser en parallèle la mission en interne pour confronter les propositions ; capitaliser l apport du consultant en interne et veiller à ce qu il soit suivi d effets ; autoriser une véritable marge de manœuvre au consultant dans la réalisation de sa mission ; apprendre à manager la relation maîtrise d ouvrage consultant, développer l offre de formation sur ce thème et les guides pratiques. II. L analyse d un consultant (Jacques SORIA) L activité de conseil en direction des services publics locaux est à la fois banale et singulière : elle vise à améliorer la performance des organisations et à rationaliser les actions publiques pour rendre aux citoyens le meilleur service possible. Les cabinets restent des entreprises privées en situation de concourir à une amélioration de la performance publique. La complexité des procédures d appel d offre conduit effectivement parfois à des «copiés collés», qui peuvent s interpréter comme le résultat d une expertise accumulée dans un domaine. La décentralisation a considérablement fait évoluer le profil, les compétences et les marges de manœuvre des collectivités territoriales, révélant leur capacité insoupçonnée à absorber de nouvelles missions, sans pour autant que les commandes de prestations évoluent en conséquence. Les cabinets de conseil interviennent selon des modalités souvent peu adaptées en matière de commande, de conditions de réalisation et surtout de suivi des résultats obtenus. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 3

L utilisation faite du code des marchés publics présente des inconvénients : difficulté du consultant à cerner la commande, en raison de la maladresse et du caractère allusif de certaines rédactions ; interdiction de variantes pour garantir à la collectivité la maîtrise du projet, alors que le dispositif fait intervenir des processus non encore mis en œuvre pouvant demander des adaptations ; demande d analyses préliminaires, qui font en fait partie de la prestation des cabinets ; calendrier d exécution parfois invraisemblable. Le formalisme du code des marchés publics présente néanmoins des avantages importants par rapport à une commande de gré à gré. Pour placer la commande au service du projet, plusieurs conditions doivent être réunies : un cahier des charges bien écrit, définissant les objectifs stratégiques et opérationnels du projet ; une demande pertinente de rythme et de calendrier d intervention ; la possibilité de comparer des offres si le prix et le volume des jours sont définis ; la possibilité d expliquer les attentes et de fournir des compléments d informations par un échange téléphonique ou une présentation du projet aux consultants ; l expression des attentes en matière de livrables et de profils des intervenants. Le choix des offres représente une étape difficile pour le consultant en raison de l imprécision des collectivités sur leur délai de décision, de leur difficulté à communiquer avec les cabinets non retenus et de leur tendance à éliminer la proposition la plus coûteuse, abstraction faite de la qualité du contenu de l offre. Le bon déroulement d une mission obéit aux conditions suivantes : instauration d un climat de confiance, formalisé par les consultants avec des outils permettant l initialisation de la mission et la vérification de la compréhension de la commande ; suivi du projet ; prévalidation des livrables avant le comité de pilotage, afin de procéder éventuellement à des ajustements. L évolution fréquente de la commande constitue une marque de satisfaction et de confiance du client. Elle permet de corriger d éventuelles erreurs ou approximations du cahier des charges. Pour être conséquente, la prolongation de la mission doit être effectuée de préférence par des accords cadres et des marchés à bons de commande, plus adaptés qu un renouvellement de l appel d offre. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 4

Les consultants apportent une posture de tiers non partisan, une connaissance approfondie des sujets traités, un regard extérieur, une circulation d idées et la réalisation de diagnostics qualitatifs, difficiles à réaliser en interne. Ils possèdent une liberté de parole qui permet de révéler clairement les forces et faiblesses des organisations et des politiques menées, et apportent une contradiction constructive. Un rapport à même de conduire au changement doit équilibrer autant de points positifs que négatifs. Les consultants sont des professionnels avertis qui disposent du temps que n ont pas les agents de la collectivité. Leurs interventions rythmées dans le temps permettent de suivre les progrès des actions et, au besoin, de les relancer. Souvent, de jeunes consultants sont mobilisés. Issus du monde qu ils sont chargés d accompagner ou de filières d expertise, leur mobilisation répond aux exigences de qualité au meilleur coût, à condition de respecter des règles de base telles que le tutorat, la formation, la réflexion et la construction d outils par le cabinet. L écoute des plus jeunes permet souvent aux seniors de se remettre en question. III. L analyse d un chercheur (David GUERANGER) Le Réseau de Recherche sur le Conseil aux Collectivités ou R2C2 est un groupe de recherche qui résulte du constat établi en 2005 d une montée en charge des consultants dans l action publique locale sans réalisation équivalente de travaux de recherches en sciences sociales sur le sujet. Le réseau a tenu des séminaires pendant deux ans en invitant des commanditaires, des consultants et des universitaires et produit récemment un rapport. La figure du consultant ne répond pas à une définition unique. Cependant, trois catégorisations récurrentes peuvent être dégagées des discours des acteurs de terrain, marquées par trois oppositions : l opposition standard contre sur mesure, qui justifie l évaluation du coût des prestations ; l opposition entre décision et aide à la décision, l extériorité du consultant justifiant son intervention et le commanditaire conservant la décision finale ; l opposition entre «faire» et «faire faire», le recours au consultant étant synonyme d externalisation, de sous-traitance et motivé par l urgence ou la rédaction des coûts de personnel. Vouloir figer la relation de consultance dans une de ces catégories n est pas fructueux : il s agit plutôt de tensions qui la travaillent. La tension entre sur mesure et standard s exprime dans la nécessaire adaptation d un modèle d un territoire à l autre, quelle que soit sa technicité. Des forces s exercent, qui inclinent la prestation vers la normalisation ou l adaptation aux situations. S opposent une rationalisation de type industrielle et une rationalisation de type professionnelle obéissant Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 5

à des logiques différentes, internes à l entreprise de conseil mais aussi externes, telles que l évolution du marché de la concurrence ou l incertitude plus ou moins forte qui caractérise l interaction avec le client et alimente une logique de standardisation. La tension entre décision et aide à la décision renvoie à une vieille histoire des sciences sociales, de Max Weber aux auteurs contemporains. Parmi les modèles de fonctionnement de la démocratie développés par Habermas, le modèle pragmatique ou d expertise est celui qui caractérise le mieux la relation de consultance. Il «s inscrit dans la perspective idéale d une société démocratique dans laquelle les spécialistes ne sortiraient pas de leur rôle de technicien proposant des moyens et dans laquelle les fins seraient l objet d une large discussion inspirant les responsables politiques passant commande aux savants en fonction des besoins de la pratique». Les commanditaires mettent souvent en avant le déficit de compétence des élus locaux, d autres, la nécessité de faire passer la décision. Dans ces conditions, l appel accru au consultant ne pourrait-il pas entraîner un renforcement de la technocratie pour imposer des décisions aux politiques, dans la mesure où c est bien l administration qui passe le plus souvent commande? IV. Débat La spécificité des marchés publics de conseil Il existe un problème d approche des marchés intellectuels, qui ne peuvent être abordés comme les autres : une attention soutenue doit être accordée à la qualité de la proposition, au temps consacré à la mission et à la rencontre des différents consultants. Trop souvent, le prix constitue le premier critère de choix. Or, cette situation reflète une mauvaise analyse du besoin. Il existe un besoin de formation, notamment sur le choix du consultant et le suivi de la maîtrise d ouvrage. Si le coût ne doit pas être le premier critère de choix, il est arrivé qu une collectivité reçoive en réponse à un appel d offre des propositions dont l écart, allant de 14 000 euros à 140 000 euros, rendait son choix particulièrement difficile. Ce type de situation alimente un sentiment de méfiance. Concernant la mise en place des études, le cahier des charges doit inclure le suivi de la démarche. La collectivité territoriale doit en garder trace et capitaliser les acquis pour éviter de reproduire les mêmes erreurs et poursuivre sa démarche d amélioration. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 6

L impact du changement des équipes municipales dans la commande de prestations de conseil Les évolutions du secteur du conseil ne relèvent pas seulement de la décentralisation. Elles s expliquent également par les changements politiques survenus dans les communes entre 1977 et 1983. Pendant cette période, les équipes municipales ont commandé de nombreux audits pour redéfinir un plan d action municipal. La commande d audits dans le cadre de la mise en place de nouvelles équipes municipales reste d actualité. La ville d Aulnay-sous-bois, qui a basculé à gauche aux dernières élections, en est un exemple. Les nouvelles équipes municipales souhaitent se forger leur propre opinion. Cette démarche fait partie de la culture des élus, qui doivent s adapter en temps et en heure aux évolutions réglementaires et affronter la complexification de l action des collectivités. S appuyer sur les cabinets de consultants permet aux collectivités de franchir le cap des réformes et rassure les élus dont le métier n est pas de tout connaître. Le fonds du problème réside dans l analyse du besoin : celle-ci doit être précise et approfondie. Actuellement, la finalité du conseil est devenue plus technocratique sous le poids des contraintes techniques et de l urgence de l action dans un contexte multi acteurs. Les objets d étude ne sont plus les mêmes et sont définis par des ratios très précis. Là réside également l opposition entre sur mesure et standard. L évolution de l action publique locale, aux frontières mouvantes, crée une part de méfiance, dans un contexte complexe auquel s ajoute le code des marchés publics. Le Cabinet BPI - Bernard Brunhes Consultants a décidé pour sa part de ne plus réaliser d audit en début de mandat. Il est préférable d aborder les questions problématiques en amont des échéances électorales afin de disposer d un outil de fin de mandat et de se faire élire sur un bilan. En début de mandat, le renouvellement des cadres accroît la difficulté du travail du consultant, car ils connaissent moins les dossiers. «L évaluation interne» La ville d Aulnay-sous-Bois a été primée pour sa démarche évaluation, réalisée à 80 % en interne avec l appui d un consultant au niveau du planning et de la méthode. La logique de consulting interne commence à se développer mais reste questionnable, notamment en ce qui concerne l indépendance par rapport au décideur. Sa plus-value reste à étudier. L idée d extériorité est fondamentale dans la définition du consultant. En revanche, il est toujours possible de mener des audits en interne. La faiblesse du marché en France s explique par le rôle des grands corps d Etat qui ont longtemps internalisé les fonctions d audit et d analyse. Par convention de langage, ces derniers ne sont pas des consultants. Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 7

La relation de consultance Une piste d amélioration de la relation consisterait à mieux différencier les missions de conseil, d étude et de formation. Il s agit de trois métiers différents s appuyant sur des modes opératoires spécifiques. Le paradoxe des acheteurs publics réside dans leurs exigences de singularité des propositions formulées en réponse à un cahier des charges et des références identiques. Avant de faire appel à un consultant, les collectivités territoriales doivent vérifier qu elles ne disposent pas des compétences en interne et définir la plus value recherchée. Il est fortement recommandé qu elles se forgent une opinion en amont, afin de porter un regard plus enrichissant sur la prestation du consultant. Certains interprètent le recours systématique à un consultant sans analyse préalable comme une disparition de l esprit de la décentralisation, qui se caractérise à leurs yeux par une prise de risques mesurés. La responsabilisation croissante des élus freine parfois les expérimentations. Le recours aux consultants présente une véritable valeur ajoutée lorsqu il s agit de faire face à un vide juridique ou financier. La fonction publique territoriale doit réapprendre à proposer des innovations aux élus en réalisant par exemple un document d orientation indiquant plusieurs alternatives et non une solution unique renforçant la tendance technocratique. Du point de vue de la DGA de la communauté urbaine de Lille, le consultant ne joue pas un rôle intermédiaire entre élus et fonctionnaires. La relation met en jeu deux parties, d un côté les fonctionnaires et les élus, de l autre les consultants, dans un travail commun. Le recours à un consultant impose que sa prestation soit suivie d effets, avec de préférence un suivi en aval par le cabinet de la mise en œuvre du conseil. Il est important que le consultant externe ait un interlocuteur bien identifié en interne, sans pour autant être en relation avec le consultant interne. Il est impossible de «faire faire» sans «faire» ou «savoir faire». Les deux sont intimement liés. Pour finir, la méfiance qui marquait la relation de consultance tend à diminuer en raison d un partage croissant de valeurs communes et d une plus grande proximité sociologique liée au recrutement de consultants et de fonctionnaires issus des mêmes formations. Document rédigé par la société Ubiqus Strasbourg, les 3 et 4 décembre 2008 8