La chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation C. Tournigand, A. Plantade et A. de Gramont Le concept La chimiothérapie intrapéritonéale a été étudiée depuis plus de cinquante ans. Ce traitement régional a été essentiellement développé chez les patientes atteintes d une tumeur épithéliale de l ovaire avancée (stade III-IV). Le rationnel est solide : environ 75% des patientes ayant une tumeur de l ovaire ont une maladie disséminée au péritoine lors du diagnostic ; le principal site de rechute est péritonéal chez les patientes ayant une réponse pathologique complète à la fin de la séquence chirurgie puis chimiothérapie systémique, avec un taux de récidive élevé (de 30 à 50%) ; la voie intrapéritonéale augmente l exposition des cellules tumorales aux médicaments cytotoxiques, sans augmenter la toxicité générale, et le cancer de l ovaire est chimiosensible, avec un large éventail de médicaments actifs. Historique Les premiers essais de chimiothérapie intrapéritonéale, réalisés au milieu des années 1950, ont utilisé des moutardes azotées ou de l or colloïdal radioactif. L objectif était d obtenir un effet direct sur les masses tumorales (1, 2). En 1978, Dedrick pose les principes de la chimiothérapie intrapéritonéale. À partir de modèles mathématiques, il observe que, pour certaines drogues, la clairance du péritoine est inférieure à la clairance du plasma (3). Il émet déjà l hypothèse selon laquelle la pénétration d une drogue de la périphérie de la tumeur vers le centre est limitée. Les patientes «ayant une maladie résiduelle microscopique sans masse tumorale macroscopique, après un traitement systémique efficace» seraient donc les plus à même de bénéficier de la chimiothérapie intrapéritonéale.
336 Les cancers ovariens Diffusion de la chimiothérapie intrapéritonéale La diffusion de la chimiothérapie intrapéritonéale au sein de la tumeur est effectivement limitée, et l efficacité est inversement proportionnelle à la taille tumorale. Ceci a été démontré par les travaux de Los chez le rat (4) : du cisplatine marqué était injecté, soit dans la cavité péritonéale, soit par voie intraveineuse. Les concentrations de platine étaient ensuite mesurées au sein de fragments tumoraux péritonéaux. Les résultats confirment que, par voie intrapéritonéale, des concentrations nettement plus importantes de platine sont obtenues, mais que cet avantage ne s observe que sur une épaisseur de 1 à 2 mm. La pénétration de la chimiothérapie à la surface des lésions tumorales est donc ténue. Ceci est l une des principales limites de la chimiothérapie intrapéritonéale puisque une concentration efficace ne sera obtenue que pour des lésions microscopiques ou des résidus tumoraux de petite taille. En outre, la clairance péritonéale permet d avoir un effet systémique non négligeable. Chimiothérapie de consolidation chez les patients ayant une réponse complète pathologique Sept études de phase II ou études rétrospectives ont été publiées à ce sujet. Menczer et al. ont traités 17 patientes avec trois cycles de cisplatine intrapéritonéal à forte dose (200 mg/m 2 ), associé) à du thiosulfate. La médiane de survie sans progression était de quarante et un mois (5). En 1993, Tarraza et al. ont publié les résultats de 56 patients traités par une administration intrapéritonéale, soit de cisplatine (80 mg/m 2 ), soit de mitoxantrone, à la suite d un second look négatif. La médiane de survie sans récidive était de dix-huit mois dans les deux groupes de malades (6). L étude de Dufour et al. A consisté à traiter 50 patientes ayant un stade II-IV avec six cycles de mitoxantrone en intrapéritonéal en consolidation. À cinq ans, la survie globale estimée est de 59,8%, avec 47,3% de patientes sans récidive à cinq ans (7). Toujours dans la même indication, Barakat et al. ont comparé 36 patients traités par cisplatine et VP16 en consolidation, à une série contrôle de 46 patientes n ayant pas reçu de traitement de consolidation. Dans le groupe traité, 39% des patients ont eu une récidive, contre 54% dans le groupe contrôle. La survie sans maladie médiane n était pas atteinte dans le groupe intrapéritonéal, et il était de 28,5 mois dans le groupe contrôle (8). La même équipe a également étudié le devenir à long terme de 89 patientes traitées par chimiothérapie intrapéritonéale en consolidation. La survie globale médiane était de 8,7 ans (9). Plus récemment, une étude de phase II chez 30 patientes en réponse complète pathologique traitées par trois cycles de cisplatine intrapéritonéal rapporte une survie sans progression de cinquante mois et une survie globale non atteinte à trente-sept mois (10). Enfin, le groupe GERCOR a rapporté les résultats à long
La chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation 337 terme de la chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation par cisplatine et étoposide. Sur une population de 219 patientes traitées pour un cancer de stade III ou IV par une association cisplatine-anthracycline, 68 patientes étaient en réponse complète pathologique à l issue de la chimiothérapie intraveineuse. Trois cycles de chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation ont été administrées. La survie sans progression médiane a été de trente-quatre mois et la survie globale de soixante-treize mois, avec 58% des patientes en vie à cinq ans (11). De plus, 21 patientes ont également été traitées par six cycles de chimiothérapie intrapéritonéale en consolidation, alors qu elles avaient un résidu tumoral microscopique au second look. La survie sans progression n a été que de seize mois et la survie globale de quarante-neuf mois (12). En 1988, l EORTC a initié un essai de phase III comparant, chez des patientes en réponse complète pathologique après chimiothérapie systémique, quatre cycles de cisplatine intrapéritonéal (90 mg/m 2 /trois semaines) à une surveillance (13). Malheureusement, l étude a été interrompue avant la fin prévue, en raison d un faible recrutement : 153 patientes incluses entre 1988 et 1997 sur les 312 patientes prévues initialement. Les résultats des patientes incluses ont néanmoins été publiés récemment. Sur les 77 patientes du bras intrapéritonéal, 56% ont pu recevoir la totalité du traitement prévu. Les principales raisons d interruption étaient la neuropathie (15% de grade 2-3) ou le refus des patientes de poursuivre. Après un suivi médian de huit ans, 55% des patientes non traitées ont eu une rechute, contre 49% dans le groupe traité. On ne peut que regretter que l étude n ait pas pu aller jusqu à son terme, car elle aurait pu répondre à une question importante sur l intérêt de la chimiothérapie intrapéritonéale. Immunothérapie intrapéritonéale L immunothérapie peut être grossièrement divisée en trois catégories : spécifique, non spécifique et adoptive. Les traitements sont dits spécifiques lorsque leur but est d augmenter une réponse immunitaire spécifique dirigée contre la tumeur par les lymphocytes B et T. Ceci se fait par l intermédiaire d anticorps monoclonaux. L immunothérapie non spécifique consiste à utiliser des cellules NK, des cellules T-LAK (T lymphocytes activated killer) ou des monocytesmacrophages activés. L immunothérapie adoptive consiste à utiliser des cellules immunitaires autologues activées et multipliées in vitro. Il s agit de lymphocytes activés (LAK), de TIL (tumor infiltrating lymphocytes) ou de cellules dendritiques. L interleukine-2 stimule les voies spécifiques et non-spécifiques. L interféron stimule essentiellement la voie non spécifique, mais a aussi un effet anti-prolifératif. L interféron-α a été testé en intrapéritonéal chez des patients ayant un faible volume tumoral résiduel après une chimiothérapie cytotoxique. Le plus souvent, il ne s agit donc pas d un véritable traitement de consolida-
338 Les cancers ovariens tion, puisque certaines patientes sont traitées avec une tumeur macroscopique en place. Lorsqu une évaluation est faite à l issue de l interféron-a, les taux de réponse sont de l ordre de 30 à 50% (14, 17). Des résultats équivalents ont été obtenus avec l interferon-g dans des situations comparables (18). Une étude de phase III a comparé du carboplatine seul à une association carboplatine/interféron-α en intrapéritonéal chez des patientes ayant une persistance de la maladie à l issue de la chimiothérapie de première ligne (19). Les survies globales ne sont pas significativement différentes (respectivement vingt-deux et vingt-neuf mois en médiane), mais la tolérance de l interféron est médiocre (fièvre, syndromes pseudo-grippaux). L Interleukine-2 a également été largement testée dans les cancers de l ovaire, par voie intra-péritonéale, seule ou en association avec des LAK (lymphocytes activés) (20, 21) ou des TIL (22). La toxicité de l IL-2 est importante d un point de vue général (fièvre, nausées, vomissements, diarrhées) et s associe souvent à une fibrose intra-abdominale importante. Bien que séduisants en théorie, ces essais d immunothérapie adoptive ont été décevants en pratique clinique, avec une technique lourde et toxique, sans réel bénéfice pour les patientes. Un essai d immunothérapie adoptive en consolidation a également été effectué à partir de macrophages autologues activés (MAK) par IFN-γ ainsi qu un anticorps bi-spécifique dirigé contre HER2-neu chez les patientes surexprimant la protéine (23). 14 patientes ont été incluses lors du second look, 8 patientes avec un résidu microscopique et 6 avec des nodules macroscopiques. 11 patientes ont eu un troisième look pour juger de l efficacité du traitement : 5 avaient une réponse complète pathologique, 2 avaient toujours des biopsies positives, 2 avaient toujours des nodules péritonéaux et 2 avaient progressé. Avec un recul de trente-trois mois depuis le début de l immunothérapie, la survie à 2 ans est de 64%. Malheureusement, le suivi à long terme a montré que la totalité des patientes a rechuté et dans des délais peut-être même plus courts que les patientes traitées par chimiothérapie intrapéritonéale. Conclusion Il n y a aucune preuve que la chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation puisse guérir les patientes ayant une maladie résiduelle microscopique. Il n y a pas de preuve non plus que la chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation puisse augmenter la survie des patientes en réponse complète pathologique. Pour ces raisons, malgré un rationnel solide, les auteurs ont abandonné le concept de la chimiothérapie intrapéritonéale de consolidation, préférant intégrer la chimiothérapie intrapéritonéale à la stratégie initiale après une réévaluation chirurgicale précoce, afin de réserver la technique aux patientes sans maladie résiduelle après trois cycles seulement, et d éviter une procédure délicate et des cycles supplémentaires après la chimiothérapie intraveineuse.
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