PATHOLOGIE CHRONIQUE DE LA SOUS-TALIENNE Hervé de LABAREYRE L articulation sous-talienne (AST) est une articulation capitale dans l adaptation de l arrière-pied aux contraintes imposées par le sol lors de la marche et de la course. Ses mobilités sont faibles mais la perte de celles-ci entraîne une gêne fonctionnelle notable. Plusieurs origines sont à retenir dans l altération de l AST, traumatiques et/ou dégénératives. L imagerie est nécessaire pour les objectiver et les traitements sont finalement assez variés. RAPPEL ANATOMIQUE L AST met en contact la face inférieure du talus et la face supérieure du calcaneus. On peut la diviser en articulation sous-talienne postérieure (ASTP), la plus grande, et articulation sous-talienne antérieure (ASTA). Les surfaces articulaires qui composent l ASTP peuvent être considérées comme des fragments de cylindre (surface calcanéenne franchement convexe, surface talienne franchement concave) dont le grand axe serait oblique en avant, en dedans et légèrement en bas. La surface calcanéenne qui la compose est la surface thalamique. L extrémité toute postérieure de l ASTP se trouve au niveau du carrefour postérieur de la cheville Les surfaces articulaires de l AST sont plus planes, ovalaires, généralement fragmentées en deux portions discrètement séparées par une crête sur le talus, qui est donc convexe à ce niveau, et un sillon sur le calcaneus et qui est donc concave. Ces configurations inverses entre l ASTA et l ASTP expliquent la faible mobilité de cette articulation Ces deux articulations sont séparées par le canal osseux du tarse ou sinus du tarse ou sinus talo-calcanéen. Le sinus du tarse, véritable fenêtre de l AST vers l extérieur est un canal osseux en forme de petit entonnoir largement ouvert en avant et en dehors à la face latérale du cou-depied entre le col du talus et la face antéro-supérieure du calcaneus. Son ouverture médiale est beaucoup plus étroite, juste au-dessus du sustentaculum tali, juste en-dessous de la pointe de la malléole médiale. Le sinus est cloisonné par le ligament interosseux talo-calcanéen ou «ligament en haie», qui comporte deux faisceaux et le reste de l espace est occupé par du tissu fibro-graisseux. L orifice latéral du sinus du tarse se situe environ 2cm en avant de la pointe de la malléole latérale, sur une cheville à 90. Le ligament en haie se tend lors des mouvements en inversion et se détend lors de l éversion. Il est considéré comme un centre
nerveux proprioceptif important (nombreuses terminaisons nerveuses et mécanorécepteurs de Pacini, de Golgi et de Ruffini) et est parfois comparé au ligament croisé antérieur du genou. Les terminaisons nerveuses amyéliniques conductrices de la douleur sont nombreuses dans la région. L AST peut être le siège : - d une syndesmose (coalition fibreuse) ; - d une synchondrose (coalition cartilagineuse) ; - d une synostose (coalition osseuse vraie). Ces différents degrés de coalition vont dans le sens d une raideur de plus en plus importante et d une symptomatologie fonctionnelle de plus en plus marquée. Il peut également exister un contact anormal entre le calcaneus et l os naviculaire, la synostose calcanéo-naviculaire, à l origine de douleurs au niveau du sinus du tarse. Il existe également des synostoses calcanéo-cuboïdiennes. SIGNES FONCTIONNELS La gêne fonctionnelle peut survenir dans les suites d un traumatisme (entorse, luxation, fracture), avec ou sans intervalle libre, ou apparaître progressivement, sans aucune notion traumatique, et résulte alors d une arthropathie, d une arthrose ou de la décompensation d une synostose jusque là bien tolérée. Ce «syndrome du sinus du tarse» (première description par O connor en 1958) se manifeste par deux types de symptômes, associés de façon variable, souvent difficilement individualisables par le patient, et en sachant qu un des symptômes peut entrainer le deuxième. - La douleur Elle siège habituellement à la face latérale du cou-de-pied. Elle survient volontiers progressivement à la fatigue mais également de façon plus aiguë en particulier lors de la marche sur terrain irrégulier. Ailleurs, elle est plus imprécise, intéressant l ensemble de l arrière-pied, avec des irradiations variables. - l instabilité Elle peut être «vraie» et est très difficilement mise en évidence par une laxité objective ou être plutôt une perception d instabilité sans laxité. Il s agit d une insécurité à la marche. Ces symptômes sont à mettre en relation avec la perte des informations proprioceptives en cas d atteinte du ligament en haie. La marche en terrain accidenté est là encore souvent en cause, tout comme la montée ou la descente des escaliers, les mécanismes de pivot brusque ou encore la marche avec des talons. Le pied donne l impression de tourner en dedans.
On peut isoler un tableau clinique très particulier qui est celui de la contracture permanente des fibulaires. Certaines études ont montré que l origine de ce problème revenait à une souffrance sous-talienne avec disparition temporaire de la symptomatologie après anesthésie du sinus du tarse. EXAMEN CLINIQUE - Les tests en charge n ont pas véritablement de raisons d être perturbés. Néanmoins, on peut retrouver une petite limitation de la flexion dorsale et de la flexion plantaire en demandant un accroupissement et une mise à genoux tout en étant assis sur les talons. - La mobilité de l AST en varus-valgus se teste en empaumant le calcaneus d une main tout en serrant en pince le talus de l autre main, juste en dessous des malléoles, de façon à essayer de l immobiliser. On apprécie généralement cette mobilité par rapport au côté controlatéral (cotation par fraction de mobilité). Il est très difficile de mettre en évidence une authentique laxité, les enraidissements sont plutôt plus faciles à détecter. La mise en supination de l arrière-pied peut s avérer plus douloureuse, mettant le ligament en haie en tension. Comme chacun sait depuis Faraboeuf, le calcaneus est censé rouler (ce que nous venons de tester), tanguer et virer Les mains ostéopathiques apprécient mieux ces deux dernières mobilités par jugement du glissement antéro-postérieur du talus sur le calcaneus en faisant des manœuvres de tiroir sur un pied posé sur le talon, avant-pied relevé ainsi qu en évaluant les mouvements de rotation externe et interne du calcaneus sous le talus ainsi que les possibilités de décoaptation de l arrière-pied par rapport au tibia. - La palpation de l orifice latéral du sinus du tarse est douloureuse mais il s agit d une région toujours sensible et l appréciation doit se faire par comparaison au côté controlatéral. Parfois, on retrouve une douleur de l orifice médial, sous la pointe de la malléole médiale. - Le varus calcanéen constitutionnel serait un facteur générateur de contraintes de l AST. Dans le cas d une atteinte très postérieure de l AST, on peut retrouver des signes de conflit postérieur de la cheville. La flexion plantaire brusque, idéalement réalisée par percussion du talon en flexion plantaire, réveille la douleur. Le testing du fléchisseur propre de l hallux est parfois douloureux, par proximité directe. Il faut noter que la symptomatologie douloureuse est toujours postérieure (souvent prise pour une souffrance du tendon calcanéen) mais jamais au niveau latéral du cou-de-pied.
LES TESTS INFILTRATIFS Il peut être utile de proposer un test diagnostique anesthésique. Il est très facile de réaliser une infiltration du sinus du tarse sans contrôle radiographique mais la diffusion du produit vers l ASTA ou l ASTP est aléatoire. Si l on veut mettre en évidence le rôle spécifique de l ASTA ou de l ASTP, il faut faire réaliser ces infiltrations sous contrôle scopique ou scanner. L IMAGERIE - La radiographie est généralement peu performante en dehors d altérations ostéoarticulaires patentes ou de synostose suffisamment franche. Certains clichés de ¾ ont été proposés à une époque (Chevrot). Ils permettent d enfiler le sinus du tarse et apprécient bien une éventuelle synostose calcanéo-naviculaire sans être très performant sur les anomalies de l AST. On peut néanmoins détailler les éléments radiographiques évocateurs de synostose sous-talienne. Le cliché de profil est intéressant : l aspect typique montre une image dense «en roue» ou en croissant sous-talien associée à une brièveté du col du talus et à un bec dorsal de l articulation talo-naviculaire (au niveau du talus ou de l os naviculaire) sans arthrose vraie. - La TDM est l examen le plus performant pour montrer une arthropathie, une arthrose, une séquelle fracturaire ou une synostose. Le ligament en haie est normalement parfaitement bien silhouetté par la graisse du sinus du tarse, il est oblique en haut et en dedans sur les clichés frontaux. Les anomalies du ligament en haie sont visualisées sous la forme d un épaississement de celui-ci associé à une disparition des clartés graisseuses normale du sinus du tarse. Il est possible de retrouver des anomalies osseuses telles que des petits corps étrangers dans le sinus, des arrachements du plancher ou du plafond ou des séquelles de fracture du thalamus ou du sustentaculum tali ou encore du talus. - L IRM est moins performante pour analyser les anomalies ostéo-articulaires mais montre des réactions oedémateuses sous-chondrales qui témoignent d une arthropathie et montre également bien les anomalies de signal du ligament en haie, en particulier en T2. L EMG Il a été décrit une diminution de l activité électrique des fibulaires chez les patients présentant un syndrome du sinus du tarse. Il faut néanmoins noter que l on peut rencontrer une situation paradoxale dans le cas de certaines contractures permanentes des fibulaires. Cet examen ne nous parait donc pas très déterminant.
LES DIFFERENTES ETIOLOGIES DU SYNDROME DU SINUS DU TARSE - Les séquelles d entorse latérale de la cheville : l entorse latérale est toujours au premier plan dans les suites précoces de l accident alors que l entorse sous-talienne est méconnue. Mais il persistera une symptomatologie de sous-talienne à distance, alors que l entorse talo-crurale est «guérie» ; - Les séquelles de luxation de la sous-talienne, rare, préférentiellement médiale par inversion ; - Les synostoses sous-taliennes, les plus fréquentes ; elles peuvent se manifester spontanément chez l enfant et l adolescent alors qu elles ne deviennent symptomatiques chez l adulte qu après traumatisme ou dégradation arthrosique ; - La synostose calcanéo-naviculaire ; - Les séquelles fracturaires du sinus du tarse (arrachement du plancher, du plafond, corps étranger), du talus (fracture parcellaire, apophyse latérale, queue), ou du calcaneus (sustentaculum tali, thalamus, grande apophyse), qui ne peuvent être diagnostiquées que par l imagerie. TRAITEMENTS - Les mobilisations sous-taliennes sont à recommander pour essayer de combattre l arthrofibrose locale. On peut sans doute en rapprocher certaines manipulations «ostéopathiques» dont le rôle est d essayer de retrouver un jeu articulaire plus normal mais sans forcément adhérer au discours qui tourne autour. Cette mobilisation est contre-indiquée si l on retrouve une authentique laxité sous-talienne. - La rééducation est avantageusement complétée par un renforcement des fibulaires et une rééducation proprioceptive. - Des contentions par strapping ou par orthèses ont pu être proposées, cherchant généralement à combattre le varus calcanéen. - Les infiltrations de corticoïdes du sinus du tarse sont très souvent proposées, elles ont un but antalgique. Elles sont faciles à réaliser dans le sinus du tarse mais nécessitent un contrôle radiographique ou scanner si on souhaite les réaliser spécifiquement dans l ASTA ou l ASTP. Il existe par ailleurs un certain nombre de solutions chirurgicales. En cas de syndrome du sinus du tarse rebelle sans participation articulaire, certaines interventions de «nettoyage» de la fibrose ont pu être proposées, en particulier par arthroscopie. En cas de syndesmose ou de synostose très partielle, on peut réaliser un petit geste de résection qui conserve l AST. En cas d atteinte plus accentuée de l AST ou de synostose importante, l arthrodèse est souvent la solution de choix. Parfois, il faut réaliser une ablation de corps étranger ou d un petit fragment fracturé.
- Des ligamentoplasties de la sous-talienne sont parfois réalisées, le plus souvent associées à une plastie du plan latéral de la talo-crurale. Il a été décrit une plastie extraarticulaire en cadre au court fibulaire (Vidal) ainsi qu une autre intra-articulaire, toujours au court fibulaire (Pisani). CONCLUSION Les pathologies de l AST donnent une symptomatologie douloureuse latérale de coude-pied qui est peu spécifique mais également des impressions d instabilité qui sont plus évocatrices. L examen clinique est généralement peu démonstratif mise à part la douleur de l orifice latéral du sinus du tarse. L imagerie est très performante pour objectiver une souffrance isolée du sinus du tarse ou mettre en évidence une pathologie ostéo-articulaire de voisinage. Le traitement est le plus souvent médical et repose surtout sur l infiltration mais la chirurgie est parfois proposée.