Pour que l éducation thérapeutique du patient devienne pour le pharmacien une posture de travail



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Transcription:

Annales Pharmaceutiques Françaises (2012) 70, 53 57 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com QUESTION D ACTUALITÉ Pour que l éducation thérapeutique du patient devienne pour le pharmacien une posture de travail So that therapeutic education becomes for the pharmacist a working posture B. Allenet a,b, a UJF-Grenoble 1, CNRS, TIMC-IMAG UMR 5525, Themas, 38041 Grenoble, France b Pharmacie Vercors, pôle pharmacie, CHU de Grenoble, BP 217, 38043 Grenoble cedex 9, France Reçu le 7 novembre 2011 ; accepté le 30 novembre 2011 Disponible sur Internet le 4 janvier 2012 MOTS CLÉS Pharmacien ; Pharmacie clinique ; Soin pharmaceutique ; Éducation thérapeutique du patient Résumé Compte tenu de la complexité croissante de la gestion des pathologies chroniques (pathologies invalidantes, nécessitant une adaptation du patient, une intégration à sa vie quotidienne et, ainsi, une prise en charge globale, aux plans clinique, thérapeutique, économique et psychosocial), le pharmacien doit s engager dans un partenariat avec l équipe de soins et intégrer une pratique pluriprofessionnelle. Cette pratique se révèle sur un ensemble d étapes chronologiques dans la prise en charge du patient : la conciliation (quelles informations sur la prise médicamenteuse à l arrivée du patient?) ; l analyse de prescription (quels points critiques? quels points d optimisation de la thérapeutique?) ; le suivi pharmaceutique (quels indicateurs cliniques, paracliniques, biologiques, psychosociaux (...) suivre pour s assurer du rapport bénéfice/risque de la prise en charge?) ; la négociation d un plan de prise avec le patient ; la définition d un projet éducatif puis l accompagnement du patient. À ce titre, l éducation thérapeutique du patient (ETP), balisée par un ensemble de textes récents (2 août 2010) (relatifs aux compétences requises et au cadre méthodologique de cette activité), doit être conçue par le pharmacien, non comme une nouvelle pratique, mais comme un prolongement logique du service rendu au patient chronique, nécessitant une expertise pharmaceutique (être reconnu légitime pour sa compétence sur le médicament), une posture d écoute et d accompagnement adaptée aux besoins de chaque patient (développer une compétence pédagogique), une mise en réseau des informations sur le patient (développer des moyens de communication actifs avec ses partenaires). 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Cet article a fait l objet d une communication orale à l Académie nationale de pharmacie lors de la séance thématique du 26 janvier 2011 intitulée «Le parcours de soins du malade : adaptation des pratiques des professionnels de santé». Auteur correspondant. Adresse e-mail : BAllenet@chu-grenoble.fr 0003-4509/$ see front matter 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pharma.2011.11.006

54 B. Allenet KEYWORDS Pharmacist; Clinical pharmacy; Pharmaceutical care; Patient therapeutic education Summary Considering the increasing complexity of the management of the chronic pathologies (invalidating, requiring an adaptation from the patient, an integration in his everyday life, a global care, in clinical, therapeutic, economic and psychosocial aspects), the pharmacist has to build up a partnership with the others healthcare professionals. This practice can be described following Pharmaceutical care process: reconciliation (what information on drugs intake upon patient s admission); validation of prescription (what critical points? what points of optimization of the therapeutics?); pharmaceutical follow-up (which clinical indicators, biological, psychosocial (...) to assess benefits/risks ratio of the drug regimen?); negotiation with the patient of a schedule of drug intake; definition of an therapeutic education plan. therapeutic patient education, defined by a set of recent texts (August 2, 2010) (relating to qualifications and methodological framework for this activity) must be understood by the pharmacist, not as a new practice but as a logical extension of his service to the chronic patient, requiring pharmaceutical expertise (to be recognized as legitimate over drug therapy), an active listening posture and guidance tailored to each patient (to develop teaching skills), networking with others partners on information around the patient. 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Introduction Le mot «éduquer» a pour étymologie «ex ducere» qui signifie littéralement «conduire hors de» et renvoie à une conception endogène dans laquelle l éducation a pour but premier d aider la personne à se découvrir, à s épanouir, à utiliser au mieux ses potentialités. L éducation thérapeutique conduit la personne à grandir, à se dépasser [1]. Ces dernières années, différentes définitions de l éducation thérapeutique du patient (ETP) ont été proposées et apportent chacune des éléments caractéristiques du processus. Retenons celle adaptée de A. Deccache et E. Lavendhomme (1989) et de la définition de l OMS (1998) : «L éducation du patient est un processus continu, par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d activités organisées de sensibilisation, d information, d apprentissage et d aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l organisation et procédures de soins, le traitement, les comportements de santé et ceux liés à la maladie et leurs facteurs d influence (représentations de santé et maladie, représentations de rôle, pouvoir sur la santé, sentiment d efficacité, sens de la maladie et de la santé, etc.). Ce processus est destiné à aider le patient (et sa famille) à comprendre la maladie et les traitements, participer aux soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux activités normales et au projet de vie. Il s effectue entre des acteurs (institution, soignants, patients et familles), vise des objectifs de santé définis à partir d aspirations et de besoins objectifs et subjectifs, se réalise dans un contexte institutionnel et organisationnel impliquant des ressources et des contraintes, utilise des méthodes et moyens éducatifs et nécessite des compétences et des structures de coordination» [2,3]. La France est, à ce jour, le seul pays à avoir légiféré sur l ETP, son cadre conceptuel et sa pratique, avec comme socle l article 84 de la loi hôpital patient santé territoire (HPST) promulguée le 21 juillet 2009 [4]. De fait, l ETP sonne comme un mot magique, la nouvelle panacée, dans un système de soins en recherche d efficience. Fondamentalement, elle remet sur la table quelques principes de bon sens qui n ont pas attendu le cadre fondateur prédéfini précédemment. La complexité globale (médico-technique, psychosociale et économique) du patient chronique nécessite que : les différents types de professionnels travaillent de concert (pluriprofessionnalisme) et que tous les champs disciplinaires soient représentés (pluridisciplinarité) ; l accompagnement du patient soit rénové en termes de moyens pédagogiques mis en œuvre, avec et pour le patient ; la circulation de l information sur et en direction du patient soit formalisée et ladite information validée de manière collective. Pour que le pharmacien réponde à l appel et incorpore cette pratique, qu est-ce que cela sous-entend, en pratique? une expertise pharmaceutique (être reconnu légitime pour sa compétence sur le médicament) ; une posture d écoute et d accompagnement pertinente et adaptée aux besoins de chaque patient (nécessitant de développer des compétences spécifiques en termes de pédagogie) ; une mise en réseau avec les autres professionnels des informations sur le patient (développer des moyens de communication actifs avec ses partenaires). Nous reprenons ces trois points de manière successive. Que le pharmacien soit reconnu pour son expertise sur le médicament Pour ce faire, il y a nécessité que le pharmacien produise un service pharmaceutique de qualité. Lequel est-il? En se référant à la modélisation de Bond et al., un certain nombre d étapes chronologiques semblent à respecter [5].

L éducation thérapeutique comme posture de travail 55 Récupérer l information nécessaire et pertinente [6] Les erreurs de prescription médicamenteuse se développent aux interfaces entre professionnels et/ou structures de prise en charge. L entrée puis la sortie du patient de l hôpital représentent deux points critiques, surtout dans un contexte de polymédication : oublis de prescription, erreurs de retranscription médicament, dosage, posologie, plan de prise. La revue de la littérature par Tam et al. [7] souligne l importance des erreurs de prescription à l admission des patients, appréciées par les différences entre le traitement prescrit à l hôpital et le traitement reçu par le patient avant hospitalisation. La conciliation des traitements médicamenteux d un patient (CTM) correspond un processus qui impose de systématiser l obtention d un bilan médicamenteux optimisé (BMO) et de le comparer à l ordonnance des médicaments rédigée à l admission (OMA) du patient dans un service donné (ou de manière générale, à chaque nouvelle interface du système de soin). L objectif est de détecter et clarifier les divergences observées afin de prévenir les erreurs et les événements indésirables médicamenteux. Récemment, la Haute Autorité de santé s est intéressée à ce point, au travers du projet «High 5 s/conciliation médicamenteuse», coordonné par le centre de collaboration sur la sécurité des patients de l OMS. Nester et Hale [8] ont mis en évidence que l historique médicamenteux (analyse détaillée des habitudes de consommation médicamenteuse avant l hospitalisation) assuré par un pharmacien clinicien était plus complet et plus précis que lorsqu il était réalisé par une infirmière. Bond et al. [9,10] ont ainsi pu montrer que la réalisation d un historique médicamenteux par un pharmacien à l admission était associée à une réduction de la mortalité, probablement en raison de la mise en évidence précoce des erreurs médicamenteuses et donc leur prise en charge plus rapide. Sur base de cette information initiale validée, un ensemble de services peut alors être décliné. Validation pharmaceutique des prescriptions La validation pharmaceutique des prescriptions représente l activité quotidienne principale du pharmacien. Lors de cette analyse, sa première responsabilité est de sécuriser le patient [11]. Il doit porter son attention sur trois points critiques liés à la prescription : les contre-indications en fonction de la pathologie du patient, les interactions médicamenteuses, les posologies et le cas échéant, faire des propositions argumentées dans le cadre des «interventions pharmaceutiques» [12,13]. Ainsi, le pharmacien doit posséder une bonne connaissance des critères prédictifs de situations à risque d entraîner des événements indésirables médicamenteux pour cibler ses actions. À ce stade de son analyse, il est aussi le garant du bon usage du médicament. Ainsi, il doit questionner les choix thérapeutiques opérés par le prescripteur, à la lumière des référentiels en vigueur et des données de niveau de preuve proposées par la littérature. Une fois le patient «sécurisé», le pharmacien construit une stratégie d optimisation de la thérapeutique. Élaboration d un plan de soins pharmaceutiques Trois axes de travail sont à appréhender : mettre en œuvre un suivi de la thérapeutique adapté, afin de pouvoir vérifier l efficacité et la tolérance de la stratégie (critères cliniques, paracliniques, biologiques, de qualité de vie, de consommation, de satisfaction du patient...) ; négocier avec le patient un plan de prise optimal (intermédiaire entre la prise en charge «techniquement optimale» telle que peut la définir un professionnel de santé et la prise en charge «la plus adaptée possible» aux réalités du patient) ; diffuser les conseils adaptés. Ces conseils au patient tournent autour des points clés suivants. Qu est-ce qu il a ; À quoi sert chacun des médicaments? Pour adhérer à la proposition de traitement, l hypothèse retenue a priori est que le patient doit comprendre a minima ce qui lui arrive, quels sont les médicaments proposés, comment ils fonctionnent, quels en sont les bénéfices et les risques. La sécurisation du bon usage des traitements demande aussi que le pharmacien communique sur les effets indésirables, de manière adaptée, hiérarchisée, rigoureuse, en mettant en place avec le patient des moyens de reconnaissance des signes et des conduites à tenir pragmatiques. Comment gère t-on le traitement, au quotidien? Cela englobe la gestion au quotidien et la manipulation pratique des médicaments, non seulement l approvisionnement (lors de la sortie de l hôpital, ou lors d un départ en vacances, vérifier que la filière de l approvisionnement est organisée et fiable), mais aussi les pratiques de rangement, de conservation, de transport, de déconditionnement et de fractionnement des traitements. Enfin, le pharmacien explique et vérifie les modes de prise des médicaments : définition d un plan de prise adapté aux contraintes du patient, organisation concrète par exemple avec un pilulier, manipulation des formes galéniques dextérité, vision, niveau d alphabétisation suffisant ; manipulation de dispositifs plus complexes d auto-administration (par exemple injections sous-cutanées) ou d autocontrôle (lecteurs de glycémie capillaire) ; gestion des décalages et oublis de prises. Que le pharmacien se forme aux concepts et méthodes de l éducation thérapeutique du patient Le décret n 0 2010-906 du 2 août 2010 et l arrêté correspondant définissent précisément les compétences prérequises à la pratique de l éducation thérapeutique du patient [14]. L acquisition de ces compétences passe par une formation initiale ou continue d une durée minimale de 40 heures. Ces compétences peuvent être partagées au sein d une équipe pluridisciplinaire. Le texte définit 15 compétences, regroupées en sept compétences génériques et associées à quatre domaines : relationnelles (1) ; pédagogiques et d animation

56 B. Allenet (2) ; méthodologiques et organisationnelles (3) ; biomédicales et de soins (4). Les sept compétences génériques attendues sont les suivantes : identifier les besoins, notamment d apprentissage, du patient, y compris des attentes non verbalisées ; adapter son comportement et sa pratique professionnelle au patient et à son entourage ; communiquer et développer des relations avec le patient afin de le soutenir dans l expression de ses besoins de santé ; acquérir et développer une posture éducative, notamment pour négocier des objectifs éducatifs partagés avec le patient ; utiliser les outils pédagogiques adaptés et gérer l information et les documents nécessaires au suivi de la maladie ; évaluer la démarche éducative et ses effets et apporter en conséquence des ajustements ; adapter la démarche éducative aux situations interférant dans la gestion normale de la maladie. Si certaines de ces compétences sont largement partagées par les pharmaciens (compétences 2. et 3. notamment), il ne s agit pas seulement, quand on parle ETP, d informer le patient, comme nous l impose déjà la loi du 4 mars 2002 [15], ni de diffuser une information «générique», c est-à-dire définie en amont, pour une diffusion de masse (cela est l objet de l éducation pour la santé, qui s adresse à des personnes en bonne santé et vise une information du grand public pour réduire le risque d apparition de maladies [16]). En ce qui concerne l ETP, il s agit de partir des besoins du patient (exprimés ou révélés). Cette stratégie passe par l adoption d une posture d écoute active, la définition d objectifs éducatifs adaptés aux besoins de chaque patient, la mise en œuvre de moyens adaptés aux objectifs négociés (nécessité d acquisition de compétences pédagogiques, en termes de mobilisation du patient, d aide à la révélation de ses besoins, d accompagnement de ses apprentissages, de maintien de sa motivation) puis l évaluation de l atteinte de ces objectifs. Tout cela passe par une remise en cause de nos pratiques de base, une formalisation de nos façons de faire (tournées vers les besoins du patient) et l apprentissage de certaines techniques (d écoute active, de négociation, de renforcement de la motivation...). De fait, un ensemble de dispositifs de formation propose d intégrer le pharmacien à cette démarche (voir le site de l Inpes [17]), dont certains raisonnablement accessibles aux contraintes organisationnelles et financières de l officine (certification de niveau 1, selon l HAS, soit un équivalent de travail de 40 heures [18]). Que le pharmacien intègre l équipe de soin Le décret n 0 2010-904 du 2 août 2010 et l arrêté correspondant [19] définissent, au-delà de la posture éducative développée dans le paragraphe précédent, les conditions d autorisation des programmes d éducation thérapeutique du patient. Les points principaux sont résumés ci-dessous. En termes d effectifs et de qualification, tout programme d ETP doit être coordonné (médecin ou professionnel de santé ou représentant de patient). Cela implique des échanges entre intervenants et avec l extérieur, en particulier le médecin traitant informé. Un dispositif inclut au mois deux professionnels de santé au moins, dont un médecin (si le coordonnateur n est pas un médecin), de professions différentes, dont au moins un justifie de compétences en ETP ou d une expérience d au moins deux ans. Le programme éducatif est structuré comme suit : élaborer un diagnostic éducatif ; définir un programme personnalisé d ETP avec des priorités d apprentissage, après négociation avec le patient ; planifier et mettre en œuvre les séances d ETP individuelles ou collectives, ou en alternance ; réaliser une évaluation : compétences acquises. La population concernée par le programme est celle entrant dans l une des 30 affections longue durée définies par l assurance maladie ; on y ajoute asthme ou maladie rare ou problèmes de santé prioritaire au niveau régional. Certains pourraient considérer qu équipe de soins et équipe d ETP sont deux notions disjointes. Nous défendons que pour le pharmacien, intégrer l équipe de soin est incontournable, s il vise à faire reconnaître son activité en ETP. «Intégrer» une équipe s entend aussi bien au sens conceptuel que méthodologique et organisationnel. Cela nécessite : de se poser des questions sur son environnement de travail (analyse de besoins) : quels sont les partenaires en présence? quels sont leurs besoins par rapport au suivi de la thérapeutique médicamenteuse? quelles propositions pharmaceutiques pour répondre à ces besoins? ; de proposer a minima une réflexion d équipe sur un langage commun autour du médicament [20,21] ; de disposer de lieux «physiques» d échanges avec les autres professionnels (staffs, temps de formation, revue de morbi-mortalité...) afin de construire une culture commune ; de disposer de circuits d information adaptés (accessibles à tous, selon un format négocié en équipe et des modalités strictes de validation des données touchant au patient). En synthèse, l investissement en éducation thérapeutique du patient nécessite pour le pharmacien de respecter quelques mots clés Ces mots clés sont les suivants: équipe pluriprofessionnelle; formation; action formalisée et validée en équipe pluriprofessionnelle; rédéfinie selon les besoins de chaque patient; évaluée; avec comme sous-bassement une expertise médicamenteuse forte. Déclaration d intétêts L auteur déclarent ne pas avoir de conflits d intérêts en relation avec cet article.

L éducation thérapeutique comme posture de travail 57 Références [1] Ivernois (d ) JF, Gagnayre R. Apprendre à éduquer le patient: approche pédagogique. Collection «Éducation du patient». 2 e ed. Paris: Maloine; 2004. [2] Deccache A, Lavendhomme E. Information et éducation du patient. Savoirs et santé. Bruxelles: De Boeck; 1989. [3] Therapeutic patient education: continuing education programmes for healthcare providers in the field of Livre P.C Prevention of chronic P.B. diseases, WHO Europe, 1998, (ouvrage collaboratif), http://www.euro.who.int/ data/ assets/pdf file/0007/145294/e63674.pdf. [4] Loi hôpital patients santé territoire du 21 juillet 2009 n 0 2009-879, dite loi HPST, promulguée au Journal Officiel le 22 juillet 2009. [5] Bedouch P, Allenet F, Calop J. Iatrogénie médicamenteuse : quels enjeux pour la pharmacie clinique. Pharmacie clinique et thérapeutique. Paris: Elsevier-Masson; 2008. [6] Allenet B, Bedouch P, Baudrant M, Federspiel I, Berthet S, Detavernier M. De l historique médicamenteux à l observation pharmaceutique : recueil standardisé pour le développement de la pharmacie clinique en unité de soins. J Pharm Belg 2010;(2):39 46. [7] Tam VC, Knowles SR, Cornish PL, Fine N, Marchenaso R, Etchells EE. Frequency, type and clinical importance of medication history errors at admission to hospital: a systematic review. JAMC 2005;173(5):510 5. [8] Nester TM, Hale LS. Effectiveness of a pharmacist acquired medication history in promoting patient safety. Amer J Health Syst Pharm 2002;59(22):2221 5. [9] Bond CA, Raehl CL, Franke T. Clinical pharmacy services, pharmacist staffing, and drug costs in United States hospitals. Pharmacotherapy 1999;19:1354 62. [10] Bond CA, Fashp, Rael CL. Clinical pharmacy services, pharmacy staffing, and adverse drugs reactions in united states hospitals. Pharmacotherapy 2006;26(6):735 47. [11] Calop J, Brudieu E, Allenet B. Méthodologie de validation d ordonnance. Pharmacie clinique et thérapeutique. Paris: Elsevier-Masson; 2008. [12] Allenet B, Bedouch P, Rose FX, Escofier L, Roubille R, Charpiat B, et al. Validation of an instrument for the documentation of clinical pharmacists interventions. Pharm World Sci 2006;28:181 8. [13] Bedouch P, Charpiat B, Roubille R, Juste M, Rose FX, Augereau L, et al. Site internet de la Société française de pharmacie clinique pour l analyse des interventions pharmaceutiques : finalité, mode d emploi et perspectives. J Pharm Clin 2007;26:40 55. [14] Décret n 0 2010-906 et arrêté du 2 aout 2010 relatifs aux compétences requises pour dispenser l éducation thérapeutique du patient. [15] Code de la Santé Publique. Loi n 0 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (1). Chap. II. Art. L.1111-2. [16] Deccache A. Quelles pratiques et compétences en éducation du patient. Recommandations de l OMS, la Santé de l homme, n 0 341, mai juin 1999 :12-14. [17] http://www.inpes.sante.fr/index2.asp?page = Barometres/ Barometre-sante-medecinsgeneralistes-2009/formationcontinue-EPS-ETP.asp [dernière visite le 23-11-11]. [18] http://fc-sante.ujf-grenoble.fr/documents/catalogue formations Pharmacie.pdf. [19] Décret n 0 2010-904 et arrêté du 2 août 2010 relatifs aux conditions d autorisation des programmes d éducation thérapeutique du patient. [20] Lehmann A, Baudrant-Boga M, Allenet B, Calop J. Optimisation de la dispensation des médicaments hospitaliers aux patients ambulatoires. Deuxième partie : conception d un outil d information destiné aux professionnels de santé. J Pharm Clin 2009;28(2):89 96. [21] Lehmann A, Baudrant-Boga M, Allenet B, Calop J. Optimisation de la dispensation des médicaments hospitaliers aux patients ambulatoires. Première partie : conception d un outil destiné au patient. J Pharm Clin 2008;27(1):35 45.