When does the reanimator think to the diagnosis of systemic rheumatic disease?

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Réanimation 14 (2005) 563 568 Mise au point Quand penser à une maladie systémique en réanimation? When does the reanimator think to the diagnosis of systemic rheumatic disease? B. Godeau Service de médecine interne, CHU Henri-Mondor, AP HP, 51,avenue de Lattre-de-Tassigny, 94000 Créteil, France http://france.elsevier.com/direct/reaurg/ Résumé Une atteinte viscérale sévère peut parfois révéler une maladie systémique et conduire le malade en réanimation. Cette situation concerne surtout les vascularites nécrosantes, les myosites inflammatoires et le lupus avec des atteintes surtout rénales, pulmonaires ou neurologiques centrales. Cet article se propose de décrire les principales complications cliniques et biologiques pouvant révéler une maladie systémique et de préciser les principaux examens immunologiques qui permettront au réanimateur de confirmer le diagnostic. 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Severe organ dysfunction related to systemic rheumatic diseases (SRD) occasionnaly can be the first manifestation and justify an admission in intensive care unit. It mainly concerns systemic necrotizing vasculitis, systemic lupus erythematosus and inflammatory myositis with pulmonary, renal or central nervous system involvements. This article reviews the main visceral and biological complications which can reveal SRD. The main autoantibodies (i.e. ANA and ANCA) usefull for the diagnosis are described. 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Réanimation ; Maladies systémiques ; Connectivites ; Vascularites ; Lupus ; Syndrome des antiphospholipides Keywords: Intensive care unit; Systemic rheumatic diseases; Connective tissue diseases; Lupus, antiphospholipid syndrome Adresse e-mail : bertrand.godeau@hmn.aphp.fr (B. Godeau). Le terme «maladie systémique» regroupe des pathologies différentes dans leur physiopathologie, leurs manifestations cliniques ou leur pronostic, incluant principalement les connectivites et les vascularites systémiques. Les principales connectivites pouvant concerner le réanimateur en raison de leur potentielle gravité sont le lupus, la sclérodermie et les myosites inflammatoires (polymyosite et dermatomyosite). La polyarthrite rhumatoïde (PR) est beaucoup plus fréquente mais a une évolution habituellement moins sévère et il est rare que la gravité de ses complications justifie une admission en réanimation. En revanche, l utilisation désormais large de traitements immunomodulateurs au cours de la PR expose à la survenue de complications infectieuses qui peuvent justifier une admission en réanimation. En dehors de la sclérodermie dont l évolution reste grave en raison de l absence de traitement réellement efficace, le pronostic des maladies systémiques a été transformé au cours des 30 dernières années grâce à un diagnostic plus précoce et à une meilleure maîtrise des traitements immunosuppresseurs. La mortalité liée aux atteintes spécifiques des maladies systémiques a diminué alors que les complications iatrogènes, en particulier infectieuses, sont devenues désormais une des principales causes de décès. De nombreuses complications peuvent 1624-0693 /$ - see front matter 2005 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2005.10.020

564 B. Godeau / Réanimation 14 (2005) 563 568 survenir au cours de l évolution et nécessiter une admission en réanimation qui survient le plus souvent après plusieurs années d évolution de la maladie systémique. Il n est cependant pas exceptionnel que le diagnostic de maladie systémique soit porté à l occasion d une admission en unité de soins intensifs à l occasion d une atteinte viscérale grave révélatrice. Au cours d un travail multicentrique rétrospectif mené dans quatre services de réanimation français et portant sur 181 admissions, nous avions ainsi observé que dans près de 15 % des cas, le diagnostic de maladie systémique était porté en réanimation à l occasion d une complication inaugurale suffisamment grave pour justifier l admission en unité de soins intensifs [1]. Cela concernait surtout le lupus et les vascularites nécrosantes avec des atteintes spécifiques rénales, pulmonaires ou neurologiques. Dans une série portant sur 26 patients atteints de vascularites nécrosantes admis en réanimation, Cruz et al. [2] ont également observé que dans 40 % des cas, le diagnostic de vascularite était porté en réanimation avec comme principal motif d admission une atteinte rénale ou respiratoire. Le réanimateur doit donc savoir évoquer le diagnostic de maladie systémique devant une défaillance viscérale révélatrice. 1. Dans quelles situations penser à une maladie systémique en réanimation? Nous n aborderons pas la situation où la maladie systémique est connue et où le motif d admission peut être en rapport avec une poussée de la maladie, une complication infectieuse ou une complication iatrogène, en soulignant qu il n est pas rare que ces différents mécanismes soient intriqués chez un même patient. Nous résumerons en revanche les situations pouvant révéler une maladie systémique inconnue jusqu ici. 1.1. L insuffisance respiratoire Elle peut être liée à plusieurs mécanismes : 1.1.1. Hémorragie intra-alvéolaire Elle se rencontre principalement au cours des vascularites et du lupus et est souvent révélatrice de la maladie systémique. Le lecteur se rapportera utilement à l article de Parrot et al. [3] qui détaille les caractéristiques de cette complication grave non exceptionnelle. 1.1.2. Embolie pulmonaire Elle peut révéler un lupus ou un syndrome des antiphospholipides (SAPL) primaire ou associé au lupus. Elle peut également s observer au cours de la maladie de Behçet mais est alors rarement révélatrice. Le diagnostic de la maladie de Behçet aura souvent été antérieurement porté devant des manifestations cliniques évocatrices (aphtose bipolaire, uvéite, pseudofolliculite). De même, une embolie pulmonaire peut compliquer une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) au cours d une sclérodermie mais le diagnostic de sclérodermie devrait normalement avoir été évoqué depuis plusieurs années devant des manifestations évocatrices cutanées (sclérodactylie) ou vasculaire (syndrome de Raynaud). Une HTAP peut également s observer au cours du lupus et du SAPL, qu il soit primaire ou associé à un lupus. 1.1.3. Pneumopathie infiltrative fibrosante Elles ont parfois une évolution foudroyante conduisant à une insuffisance respiratoire en quelques semaines. Une telle évolution s observe surtout au cours des polydermatomyosites et en particulier du syndrome des antisynthétases [4]. Il faut savoir évoquer un tel diagnostic devant une fibrose pulmonaire d évolution rapide et rechercher un déficit musculaire prédominant aux ceintures, associé à une élévation des CPK. En cas de dermatomyosite, des signes cutanés assez spécifiques sont présents se traduisant par un érythème liliacé des paupières, une éruption violacée sur les bandes d extension des doigts ou un aspect érythémateux à la sertissure des ongles. Au cours du syndrome des antisynthétases, l atteinte musculaire peut être très discrète voire absente. Il existe en revanche, des anticorps très spécifiques, les anti-jo1, qui permettent d orienter le diagnostic. Une pneumopathie infiltrative fibrosante peut également s observer au cours de la polyarthrite rhumatoïde et des autres connectivites (lupus, Sjögren, sclérodermie) mais le diagnostic de maladie systémique a généralement été porté antérieurement. 1.1.4. Paralysie diaphragmatique Elle peut s observer au cours du lupus et des polydermatomyosite et poser de difficiles problèmes de sevrage en cas de ventilation mécanique. 1.1.5. Asthme grave Il peut s observer au cours de l angéite de Churg et Strauss. Il est néanmoins rare que la sévérité de l asthme dans cette situation justifie l admission en réanimation. Il faudra néanmoins savoir évoquer ce diagnostic devant un asthme qui s aggrave associé à des manifestations extrarespiratoires (mononeuropathie multiplex, vascularite cutanée, sinusite) associées à une hyperéosinophilie souvent importante. 1.2. Atteintes cardiaques Une myocardite grave peut principalement s observer au cours du lupus, du SAPL, des vascularites nécrosantes et de la maladie de Still. Une péricardite avec tamponnade peut s observer au cours du lupus, de la PR et de la sclérodermie. Des atteintes valvulaires peuvent s observer au cours du lupus et du SAPL avec en particulier un épaississement de la valve mitrale. Il est néanmoins rare qu elles aient un retentissement hémodynamique et le risque de greffe oslerienne est faible. Elles peuvent en revanche, être la source de complications emboliques.

B. Godeau / Réanimation 14 (2005) 563 568 565 Une nécrose myocardique chez un sujet jeune n ayant pas de facteur de risque athéromateux doit faire rechercher un SAPL, une vascularite ou une maladie de Behçet. 1.3. Atteintes digestives Les atteintes digestives à type d ischémie mésentérique pouvant conduire à des infarctus mésentériques et des perforations peuvent révéler une vascularite et constituent un critère d extrême gravité comme le souligne l article de Guillevin [5]. Une pancréatite peut rarement s observer au cours du lupus. Devant des douleurs abdominales, il faudra également savoir évoquer une insuffisance surrénale par nécrose hémorragique des surrénales. Cette complication grave mettant en jeu le pronostic vital a été récemment décrite au cours du SAPL [6]. 1.4. Thrombose artérielle et veineuse Une thrombose artérielle ou veineuse pouvant toucher n importe quel territoire peut s observer au cours du SAPL [7]. Une maladie de Behçet peut également se révéler par des complications thrombotiques artérielles ou veineuses sévères entrant dans le cadre d un angio-behçet. 1.5. L atteinte rénale Une atteinte glomérulaire avec un syndrome néphritique se traduisant par une insuffisance rénale rapidement progressive avec protéinurie et hématurie est un motif fréquent d admission en réanimation au cours des vascularites systémiques et du lupus et il n est pas rare que cette complication soit révélatrice. Il faut souligner qu au cours du lupus, une atteinte rénale grave peut être en rapport avec une atteinte spécifique du lupus par dépôts d immuns complexes (glomérulopathie classe 3 ou 4 de l OMS) mais elle peut également être liée à des lésions de microangiopathie thrombotique d origine ischémique dans le cadre d un SAPL. Il existe alors une HTA sévère presque constante et une insuffisance rénale rapidement progressive. C est la biopsie rénale qui permet de faire la part entre ces deux mécanismes dont les modalités thérapeutiques sont très différentes. Une insuffisance rénale aiguë peut également révéler un syndrome des embolies de cholestérol qui peut prendre un aspect de «pseudopériartérite noueuse». On évoquera le diagnostic devant le contexte (sujet athéromateux, explorations vasculaires récentes) et la présence de signes cutanés évocateurs caractérisés par des lésions cyaniques au niveau des pulpes des orteils (blue toe syndrome) ou un livedo. Une atteinte rénale sévère peut s observer au cours de la sclérodermie dans le cadre d une crise rénale sclérodermique associant une HTA sévère, une insuffisance rénale et des signes de microangiopathie évoluant rapidement en l absence de traitement vers une insuffisance rénale définitive comme le souligne l article de Hachulla et al. [8]. Cette complication est cependant rarement révélatrice. Elle pourrait être favorisée par la corticothérapie. 1.6. Cytopénies Elles s observent principalement au cours du lupus et peuvent être révélatrices. Il peut s agir de cytopénies auto-immunes portant sur une ou plusieurs lignées (purpura thrombopénique, anémie hémolytique auto-immune, association anémie hémolytique thrombopénie au cours du syndrome d Evans). Elles peuvent également être en rapport avec une microangiopathie thrombotique et en particulier un purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT) ou syndrome de Moskowitz. Un tableau proche du syndrome de Moskowitz peut s observer au cours du SAPL dans sa forme catastrophique (QS infra) [9]. Une hémophagocytose peut également s observer au cours de la plupart des connectivites et en particulier du lupus. 1.7. Atteinte du système nerveux Avec l atteinte rénale et respiratoire, l atteinte du système nerveux central est une des principales atteintes spécifiques des maladies systémiques pouvant les révéler et justifier une admission en réanimation [10]. Les vascularites systémiques, qu il s agisse des vascularites des gros troncs (maladie de Horton, maladie de Takayasu) ou des vascularites des artères de moyen ou petit calibres (en particulier maladie de Wegener, PAN classique, polyangéite microscopique et angéite de Churg et Strauss) peuvent se révéler par une atteinte du système nerveux central à type d accidents ischémiques. Ce type d accident peut également s observer au cours du lupus et du SAPL. Une atteinte méningée, un processus expansif, une crise comitiale feront rechercher en priorité un lupus, une sarcoïdose ou une maladie de Behçet. Une atteinte du système nerveux périphérique sous la forme d une mononeuropathie multiplex s observe essentiellement au cours des vascularites des vaisseaux de moyen ou petit calibres. Il s agit cependant rarement d un motif d admission en réanimation. Une polyradiculonévrite peut s observer principalement au cours de la sarcoïdose et du lupus. 1.8. Fièvre spécifique Une fièvre spécifique peut s observer au cours de toutes les maladies systémiques dès lors qu elles sont en poussée. Il est néanmoins rare qu il s agisse d un motif d admission en réanimation. Il faut également souligner que la fièvre n est alors souvent qu un élément s intégrant dans le cadre d une poussée évolutive multisystémique au cours de laquelle il existe habituellement d autres signes d appel. Une fièvre nue isolée peut néanmoins parfois s observer au cours des vascularites et en particulier de la maladie de Horton. Une fièvre hectique évoluant depuis au moins trois semaines associée à des arthralgies, une éruption cutanée fugace et récidivante prédominant au niveau du tronc et une hyperleucocytose à polynucléaire neutrophile doit faire évoquer le diag-

566 B. Godeau / Réanimation 14 (2005) 563 568 nostic de maladie de Still [11]. Il s agit cependant d un diagnostic d élimination. La maladie de Still peut s accompagner de complications graves à type de myocardite, d atteinte hépatique sévère, d insuffisance respiratoire. Une élévation majeure de la ferritine et un effondrement de la ferritine glycosylée à moins de 5 % ont une valeur d orientation mais ne sont pas spécifiques. 1.9. Défaillance multiviscérale Elle peut s observer au cours de toutes les maladies systémiques et en particulier au cours des vascularites systémiques et du lupus. Il faut insister sur le SAPL dans sa forme catastrophique [12]. Cette complication grave dont la mortalité est voisine de 50 % est de description récente. Elle mérite d être connue du réanimateur malgré sa rareté en raison des enjeux thérapeutiques. Le syndrome catastrophique des APL a souvent un début brutal et peut révéler un SAPL méconnu jusqu ici [9]. Il peut être observé aussi bien au cours du SAPL primaire qu au cours du lupus. Un facteur déclenchant est souvent retrouvé tels qu une infection, un traumatisme, une intervention chirurgicale ou l arrêt récent d un traitement anticoagulant. Il se manifeste par un tableau de défaillance multiviscérale et associe à des degrés divers une atteinte cardiaque souvent grave qui représente la principale cause de décès, une atteinte respiratoire sous la forme d un syndrome de détresse respiratoire aiguë pouvant être associée à une hémorragie intra-alvéolaire, une HTA maligne avec insuffisance rénale et hémolyse avec présence de schizocytes, des signes neurologiques centraux pouvant entraîner un état de mal convulsif. Au plan biologique, une hémolyse mécanique avec présence de schizocytes et une thrombopénie sont habituellement présentes, associées dans les formes les plus graves à des signes de coagulation intravasculaire disséminée. Ce tableau clinicobiologique peut volontiers être confondu avec un purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT) ou syndrome de Moskowitz mais la physiopathologie en est différente et au cours du SAPL catastrophique, des anticorps antiphospholipides sont présents souvent à un titre fort alors qu ils sont habituellement absents au cours du PTT. 2. Comment confirmer le diagnostic de maladie systémique? Devant une complication viscérale grave ayant conduit un malade en réanimation et chez qui on suspecte une maladie systémique, les données de l interrogatoire et de l examen clinique ainsi que des examens biologiques simples qu il est possible d obtenir en urgence permettent généralement d orienter rapidement vers le diagnostic de connectivite ou d éosinophilie. 2.1. Les connectivites Elles touchent préférentiellement les femmes jeunes. Certaines d entre elles et en particulier le lupus peuvent être favorisées par la grossesse ou la prise d estroprogestatifs. La plupart des connectivites mais surtout le lupus peuvent être associées à un SAPL. Devant une complication viscérale grave inaugurale, il est donc très important de rechercher à l interrogatoire des arguments anamnestiques orientant vers un SAPL : phlébites récidivantes, perte fœtale au-delà de la dixième semaine d aménorrhée, fausses couches précoces récidivantes avant la di- Tableau 1 Principaux signes cliniques et biologiques observés au cours des connectivites

B. Godeau / Réanimation 14 (2005) 563 568 567 xième semaine d aménorrhée. Les principaux signes cliniques et biologiques orientant vers le diagnostic de connectivite sont résumés dans le Tableau 1. L examen clé pour orienter vers le diagnostic de connectivite est la mise en évidence d anticorps antinucléaires (AAN). Nous ne détaillerons pas ici les modalités de recherche des anticorps antinucléaires et leur interprétation précise. Le lecteur pourra utilement se reporter à l article de Lassoued et al. [12]. Très schématiquement, l absence d anticorps antinucléaires, examen simple qu il doit être possible d obtenir en moins de 48 heures, rend très improbable le diagnostic de connectivite. Il existe bien sûr des exceptions comme par exemple le syndrome des antisynthétases (QS supra) où le syndrome de Gougerot- Sjögren au cours duquel seuls des anticorps anti-ro (SSA) sont parfois présents. Si les anticorps antinucléaires sont positifs (titre nettement supérieur à 1/100), le diagnostic de connectivite est alors possible mais comme le soulignent Lassoued et al. [12], il existe de nombreuses situations pathologiques au cours desquels des anticorps antinucléaires d isotype variable (IgG ou IgM) peuvent être présents de manière parfois transitoire (endocardite infectieuse, prise de certains médicaments comme les anticomitiaux ou les β-bloquants, infection virale ou parasitaire, etc...). Dès lors que des anticorps antinucléaires sont présents à un titre significatif, il est capital d étudier leur spécificité en recherchant d une part des anticorps anti-dna dont la présence signe pratiquement le diagnostic de lupus et des anticorps anti- ECT également appelés ENA. Les anticorps anti-ect (ENA) peuvent correspondre à diverses spécificités orientant vers diverses connectivites (Fig. 1). On recherchera également une hypocomplémentémie (baisse du CH50 et des fractions C3 et C4) que l on observe en particulier au cours du lupus avec atteinte rénale sévère. Soulignons également l intérêt de rechercher des anticorps antiphospholipides dès lors que le diagnostic de connectivite est suspecté. La recherche d anticorps antiphospholipides comprend la recherche d anticorps anticardiolipides (test sérologique) et d un anticoagulant circulant de type lupique (test d hémostase). 2.2. Les vascularites Il n est pas question de détailler ici les différentes manifestations cliniques des vascularites mais il faut en revanche insister sur certaines manifestations qui peuvent se rencontrer au cours de presque toutes les vascularites systémiques et qui devront être recherchées devant une atteinte viscérale grave en apparence isolée. On soulignera l importance diagnostique d une mononeuropathie multiplex qui peut parfois être très discrète et être mise en évidence par l électromyogramme (EMG) systématique. La mise en évidence d une mononeuropathie multiplex à l EMG peut conduire à la réalisation d une biopsie permettant ainsi d authentifier une vascularite lorsque l atteinte viscérale révélatrice n est pas facilement accessible à un geste biopsique (poumon, reins ou système nerveux central par exemple). La mise en évidence de signes cutanés de vascularites peut également utilement orienter le diagnostic. On recherchera un livedo, un purpura nécrotique, des ulcères extensifs. L atteinte rénale est fréquente et constitue un signe de gravité comme le souligne l article de Guillevin [5]. Il faut donc rechercher une atteinte du sédiment urinaire et en particulier une hématurie microscopique et une protéinurie orientant vers une atteinte glomérulaire. Au plan immunologique, le diagnostic de vascularites systémique a été considérablement simplifié par la découverte des anticorps anticytoplasme des polynucléaires (ANCA). En immunofluorescence (IF), les ANCA peuvent prendre une fluorescence périnucléaire («p-anca») ou cytoplasmique («c-anca»). La présence d ANCA en IF doit faire étudier leur cible antigénique de manière plus précise par la technique ELISA. Les c-anca sont habituellement dirigés contre la pro- Fig. 1. Interprétation de la recherche d autoanticorps au cours des principales connectivites. Intérêt diagnostique de la recherche d autoanticorps. SS : sclérodermie systémique ; PM/DM : poly/dermatomyosites ; LED : lupus érythémateux disséminé.

568 B. Godeau / Réanimation 14 (2005) 563 568 téinase 3 («c-anca anti-pr3») et les p-anca contre la myéloperoxydase («p-anca anti-mpo») en sachant qu une concordance parfaite entre les données de l IF et de l ELISA n est pas toujours retrouvée. Au cours de la granulomatose de Wegener, des c-anca anti-pr3 sont présents dans 90 % et sont quasi spécifiques. Devant un tableau clinique évocateur, la présence de c-anca anti PR3 permet alors de poser le diagnostic et évite ainsi de réaliser une biopsie pulmonaire ou rénale dont il est inutile de souligner les dangers chez un patient souvent fragile. Au cours de la polyangéite microscopique et de la granulomatose de Churg et Strauss, des p-anca anti- MPO sont présents dans respectivement 70 et 40 % des cas. Les ANCA sont habituellement absents au cours de la PAN classique macroscopique. Il est donc clair que l absence d AN- CA n élimine pas le diagnostic de vascularite systémique. Une vascularite peut également avoir une origine infectieuse virale. Il faudra donc rechercher une infection par le VHC, le VHB et le VIH et rechercher une cryoglobulinémie dès lors que le diagnostic de vascularite est évoqué. 3. Conclusion Le réanimateur joue un rôle important dans la prise en charge des patients atteints de maladies systémiques. La réanimation a largement contribué à l amélioration du pronostic des maladies systémiques observée au cours des dernières décennies en aidant à surmonter les complications infectieuses parfois graves auxquelles ces patients immunodéprimés sont exposés et en permettant de palier aux complications viscérales ou hématologiques les plus graves qui peuvent être occasionnellement observées au cours des maladies systémiques les plus sévères. Il ne faut cependant pas oublier qu à côté de cette prise en charge «en aval» des services de médecine, le réanimateur a parfois un rôle «en amont» en pouvant être amené à diagnostiquer une maladie systémique devant une complication révélatrice suffisamment grave pour justifier l admission du patient en réanimation. Il est clair que dans cette situation, un diagnostic précoce permettra la mise en route rapide d un traitement immunosuppresseur qui est souvent l élément clé du pronostic. Références [1] Godeau B, Mortier E, Roy PM, Chevret S, Schlemmer B, Carlet J, et al. Short and long term outcome about patients with systemic rheumatic diseases in intensive care units: a prognostic study of 181 patients. J Rheumatol 1997;24:1317 23. [2] Cruz B, Ramanoelina J, Mahr A, Cohen P, Mouthon L, Cohen Y, et al. Prognosis and outcome of 26 patients with systemic vasculitis admitted to intensive care unit. Rheumatol 2003;42:1183 8. [3] Parrot A, Picard C, Fartoukh M, Vincent F, Mayaud C. Hémorragies intra-alvéolaires. Diagnostic et traitement. Réanimation 2005;7 (dans ce numéro). [4] Valeyre D. Syndrome des antisynthétases. Rev Med Interne 2004;25 (Suppl 1):S17 8. [5] Guillevin L. Urgences dans les vascularites. Réanimation 2005;7 (dans ce numéro). [6] Espinosa G, Santos E, Cervera R, et al. Adrenal involvement in the antiphospholipid syndrome. Clinical and immunologic characteristics of 86 patients. Medicine 2003;82:106 18. [7] Piette JC, Fois E, Costedoat-Chalumeau N. Syndrome des antiphospholipides. In: Godeau P, Herson S, Piette JC, et al., editors. Traité de Médecine, 4 ème édition. Paris: Flammarion; 2004. p. 148 54. [8] Hachulla E, Launay D, de Groote P, Moranne O, Tillie-Leblond I, Seguy D, et al. Les défaillances viscérales graves de la sclérodermie systémique. Réanimation 2005;7 (dans ce numéro). [9] Erkan D, Cervera R, Asherson RA. Catastrophic antiphospholipid syndrome. Arthritis Rheum 2003;48 (3320 3027). [10] Dechy H, Wechsler B, Hausfater P, Rancurel G, Piette JC. Atteintes neurologiques au cours des maladies systémiques. Paris: Flammarion Médecine Science; 2003. [11] Pouchot J, Vinceneux P. Manifestations cliniques et biologiques de la maladie de Still de l adulte. Presse Med 2004;33:1012 8. [12] Lassoued K, Coppo P, Gouilleux-Gruart V. Place des anticorps antinucléaires en pratique clinique? Réanimation 2005;7 (dans ce numéro).