Histoire de gastroentérologie. Bourdeloie Marion (interne) Service d Hépato-gastroentérologie CHBelfort Dr Fratte

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Transcription:

Histoire de gastroentérologie Bourdeloie Marion (interne) Service d Hépato-gastroentérologie CHBelfort Dr Fratte

Madame D âgée de 51ans se présente aux urgences pour douleurs épigastriques, vomissements sanglants évoluant depuis 15 jours. ATCD: Médicaux : hypothyroïdie Chirurgicaux : réduction mammaire, abdominoplastie, cure de cystocèle, césarienne. Allergies alimentaires (thon, kiwi, fraise, haricot) et acariens.

Traitements habituels : levothyrox/aerius/xanax. Pas de nouvelle prise de médicament, pas d AINS récent. HDM : selon la patiente, les symptômes sont apparus après avoir réalisé des travaux ménagés chez des amis : à type de brûlures bucco-pharyngées, puis douleurs épigastriques et vomissements devenus sanglants.

Examen clinique: Perte de 7kg depuis début des symptômes. Stabilité hémodynamique. Ulcérations labiales et buccales. Abdomen souple dépressible, sans masse palpable, sensible en épigastre. Pas de méléna au TR, pas de masse. Pas de crépitant sous cutané, BDC réguliers pas de souffle, mollets souples, pas de signe ICD ou ICG. Pas de signe de défaillance respiratoire, les plages pulmonaires sont libres. Les aires ganglionnaires libres.

Au niveau biologique: GB20,2G/l Hg16,1g/dl plaquettes149g/l TP90% Na140mmol/l K3,9mmol/l creat82µmol/l CRP138mg/l Sérologie CMV négative EBV inf ancienne HSV inf ancienne

Un TDM abdomino-pelvien est réalisé :

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Notre principale hypothèse devient: ingestion de caustique

1. Epidémiologie: en 2004 OMS estimait incidence d oesophagite caustique à 110/100 000personnes par an. mortalité à l échelle globale 310 000 personnes en 2004 soit 4,8/100 000 par an. En France 15 000 cas par an. ( Celerier M, Paris: Arnette-Blackwell 1995) 30% cas sont des enfants accidentel Chez adulte F>H suicide A la phase aigue = mortalité 1%.

2. Physiopathologie La nature et la gravité des lésions dépendent: ph du caustique sa consistance (liquide, visqueux, poudre, solide) quantité ingérée

2.a. Les bases fortes ph>12 (le plus fréquent chez les adultes): Viscosité plus importante Lésions plus sévères Liquéfaction de l épithélium et de la sous muqueuse Profondeur risque de perforation Exemples: soude caustique (NaOH),Potasse (KOH),Ammoniac (NH4OH) -Borja AR. J Thorac Cardiovasc Surg 1969 -Cardona JC. Ann Otol Rhinol Laryngol 1971

2.b. Les acides forts ph<2: Viscosité plus faible Nécrose ischémique (dite de coagulation) Escarre Superficiel Lésions gastriques (antrale = spasme du pylore) et duodénales Exemples : Acide chlorhydrique (HCl), acide sulfurique (H2SO4) -Ein SH, J Pediatr Surg 1987 -Friedman EM, Pediatr Gastroenterol Nutr 2001

3. Prise en charge initiale (recommandations de la SFED 2011) A proximité d une réanimation et d un plateau technique adapté. Quelque soit le produit ingéré, proscrire: SNG, vomissements, pas d antidote, boire, lavage gastrique. Récupérer un échantillon centre antipoison. Evaluation: Digestive ORL Pulmonaire

Clinique: signes de gravité (péritonite, hémorragie massive, détresse respiratoire, choc, ingestion massive>150ml). Biologique: pré-opératoire, gazométrie, toxicologie sang+urines. Radiographie de thorax centré sur les coupoles diaphragmatiques.

4. Evaluation des lésions digestives: Clinique: SF : douleur thoracique, hypersialorrhée, hémorragie, vomissement. SP: lésion buccale, emphysème sous cutané, contracture Biologie Endoscopie digestive, Hypersialorrhée, brûlures de la muqueuse buccale, et hyperleucocytose atteintes œsophagiennes sup (stade 2a).

Evaluation endoscopique: Gold standard pour évaluation de la gravité des lésions et guider la thérapeutique [6-24 ème heure] <6 ème heure sous estime >24 ème heure danger perforation Sous anesthésie générale. En présence du chirurgien viscéral ou du moins prévenu. Insufflation débit minimal Nasogastroscope si possible

Classification endoscopique des atteintes œsophagiennes: (Zagar et al, Gastrointest endosc, 1991) Stade 0: normal Stade1: érythème, œdème (volume <15ml) Stade2a: ulcérations superficielles, fausses membranes, hémorragies muqueuses (15-30ml) Stade2b: ulcérations creusantes et confluentes (>50ml) Stade 3a: nécrose focale (non circonférentielle) Stade 3b: nécrose diffuse (circonférentielle) Stade 4: perforation

La fibroscopie bronchique ne sera faite qu en cas de signes respiratoires et de lésions radiologiques. En cas de stade 3b endoscopique TDM thoracoabdominale décision oesophagectomie en urgence. Gault V, Gastroenterol Clin Biol, 2009

Étude Taiwanaise rétrospective incluant 273 patients ayant ingérés des produits caustiques. Cheng HT. et al, BMC Gastroenterology, 2008, Les différentes variables qui influencent la survie et les complications, sont corrélées au grade d atteinte endoscopique de la muqueuse.

Ingestion du produit t0 t6-24 ème heure: Évaluation endoscopique Destructions tissulaires entre 24 ème - 48 ème heure aggravée par la surinfection bactérienne 2 ème semaine: Élimination des tissus nécrosés 3-6 ème semaines: remaniement fibreux (adhérences, sténoses)

5. Traitement : Pas de référence. Journées de Gastroentérologie Paris 2005 (Dr Gormet). Sfed recommendations 2011. IPP pendant au moins 6 semaines (40mg/j IV puis relais per os). Rothstein FC et al, Pediatr Clin North Am, 1986 Pintus C et al, Pediatr Surg Int, 1993 Antibioprophylaxie : C3G+gentamicine (IV puis per os) pourrait sténose si atteinte sévère 2b de Jong AL et el Int J Pediatr Otorhinolaryngol, 2001. Pas de Corticoide dans la prévention des sténoses. (études contradictoires). Versant psychiatrique

Algorithme calqué sur la classification des lésions endoscopiques. Alimentation entérale par sonde nasogastrique Aussi bien tolérée que la sonde de jéjunostomie et sans effet sur le developpement de sténoses ultérieures. Kochhar R et Al, Gastrointest Endosc, 2009 Cabral C et Al, Surgical Endos, 2012

6. Complications aigues: Décès (1%des cas) Complications systémiques: défaillance/surinfection pulmonaire, complications métaboliques. Complications digestives: Hémorragies Perforation digestive Fistule aorto-entérique Fistule gastro-colique

7. Complications à long terme: Les sténoses: œsophagiennes, gastriques, pharyngées. Les sténoses œsophagiennes (longues, serrées, tortueuses, multiples): Cheng HT et Al, BMC Gastroenterology, 2008

Prise en charge des sténoses oesophagiennes Dilatation hydraulique au ballonnet ou à la bougie avec injection locale de corticoides [3-6 ème semaine]. Si trop tardif le nombre de séances, risque de perforation par séance, récidive, le décès. (Contini S et Al, Digestive and Liver Disease, 2009 études pédiatriques) Prothèses expansibles totalement couvertes et extirpables métalliques ou en polytétrafluoroéthylène Kim JH et Al, Eur Radiology, 2009

Efficacité des prothèses à 3 mois 58-100%, en revanche 33-21% d efficacité à 3-4ans: Proliférations tissulaires aux extrémités (retrait<6semaines) Migration fréquente Récidive après retrait 50-70% Douleur thoracique. Kim JH et Al, Euro Radiol, 2009 Song HY et Al, Radiology, 2000 Prothèse biodégradable non recommandée dans cette indication (55% échec dans l étude Repici A, Gastrointestinal Endoscopy,2010).

Carcinome épidermoïde 15-20 ans après l exposition, si œsophage en place. Risque est 1000 fois supérieur à la population générale. 1/3 moyen Incidence 2.3-6.2% Surveillance par endoscopie annuelle à tous les 3 ans, à partir de la 15-20 ème année post exposition (avec coloration acide acétique et lugol). Hopkins RA et Al, Ann Surg,1981 Kim YT et Al, Eur J Cardiothorac Surg, 2001

Pour revenir à notre cas clinique la patiente est toujours dans le déni, présente les complications d une ingestion massive attendues aux vues de la première endoscopie : Actuellement un traitement chirurgical pourrait être envisagé: oesophago-iléocolo plastie.

Take home message Pathologie peu fréquente Urgence médico-chirurgicale plateau technique Évaluation endoscopique entre 6-24 ème heure CAT Principale complication la sténose oesophagienne lourd retentissement sur la qualité de vie Chirurgie ayant un impact conséquent également Attention carcinome épidermoïde surveillance à long terme

MERCI Merci à l ensemble de l équipe d hépato-gastroentérologie de Belfort et au Dr Lachambre.