Troubles vésico-sphinctériens de la Sclérose en Plaque Typologie, principes de prise en charge et recommandations de suivi du GENULF (Groupe d Etude Neuro-Urologique de Langue Française) Les troubles vésico-sphinctériens (TVS) sont quasi-systématiques dans la Sclérose en Plaques (SEP) et évoluent précocement le long d une vie dont l espérance est peu impactée par la maladie. Apparaissant en moyenne six ans après le début des symptômes neurologiques, ils peuvent être présents chez 10% des patients dès le début de la SEP et affecteront 80 à 90% des patients au cours de son évolution. Le retentissement considérable des TVS sur les activités sociales, professionnelles, affectives, sexuelles en fait un des principaux facteurs d altération de la qualité de vie. Outre ce préjudice fonctionnel, les TVS sont également responsables de complications uronéphrologiques pouvant concerner plus d un patient sur dix les 20 premières années de la SEP. Ce lourd retentissement fonctionnel et organique justifie la mise en place précoce et l adaptation régulière de mesures de dépistage, de prise en charge et de suivi personnalisé des TVS dans la SEP. Typologie des TVS de la SEP [3,4,7,8]: Le polymorphisme et l évolutivité au cours du temps des TVS de la SEP sont caractéristiques de cette maladie. Le caractère multifocal des lésions de démyélinisation, l'évolution par poussées successives, l'existence conjointe ou secondaire d'une atteinte urologique et l'existence possible "d'épines irritatives" (escarres, fécalome, lithiase vésicale ou rénale) susceptible de modifier le comportement vésico-sphinctérien rendent compte de ce polymorphisme. Le tableau clinique le plus fréquent est l hyperactivité vésicale, caractérisée par une urgenturie, une pollakiurie parfois associée à une incontinence urinaire sur urgenturie. Sa prévalence, diversement évaluée en fonction du degré d évolution de la SEP, est comprise entre 37 à 99%. Les symptômes obstructifs arrivent en second plan, avec une prévalence de 34 à 79%, menant à une rétention urinaire chronique chez un quart des patients. Symptômes irritatifs et obstructifs peuvent être associés chez un patient sur deux. Le tableau cystomanométrique le plus fréquent est l hyperactivité du détrusor (médiane de survenue 65%), suivi par l hypoactivité du détrusor (médiane de survenue 25%) et le défaut de compliance (2 à 10% ). La dyssynergie vésico-sphinctérienne (DVS) est inconstamment et diversement estimée, avec une prévalence médiane de 35%. La cystomanométrie peut être considérée normale chez 1 à 34% des patients symptomatiques. L association des tableaux urodynamiques est fréquente leurs typologies peuvent se modifier au cours du temps indépendamment de la stabilité clinique neurologique et mictionnelle. La typologie clinique des TVS de la SEP donne n apporte que peu d arguments pour préciser la typologie urodynamique. Ainsi, le syndrome d hyperactivité vésicale peut traduire l existence d une rétention urinaire par hypocontractilité du détrusor ou DVS et non celle d une exagération du reflexe mictionnel par hyperactivité du détrusor. Dans la SEP, le résidu post-mictionnel (RPM) est méconnu par plus d un patient sur deux ou prendre le masque clinique de symptômes irritatifs, obstructifs comme infectieux. Cette faible spécificité des symptômes cliniques dans les TVS de la SEP justifie de recourir, parallèlement au suivi clinique, aux explorations complémentaires pour en satisfaire l expertise. Complications uronéphrologiques des TVS de la SEP [2-5,7-8]: Le pronostic uronéphrologique des neurovessies de la SEP a longtemps été considéré satisfaisant, au regard notamment de la dangerosité des neurovessies médullaires mal équilibrées. Cette relative bénignité pourrait en fait traduire le moindre dépistage de ces 1
complications, car l analyse exhaustive de la littérature révèle que plus d un patient sur dix est susceptible de développer une complication du haut appareil urinaire durant les dix-huit premières années d évolution de la maladie. Les infections urinaires basses sont rapportées chez 30% des patients en moyenne avec un taux de récurrence de 20%. L existence d un RPM > à 150 ml, le port de sonde à demeure et le sexe féminin pourraient favoriser leur survenue. Les altérations morphologiques du bas appareil urinaire (diverticules, trabéculations, épaississement pariétaux) sont observés chez 30% des patients. Des complications du haut appareil urinaire sont rapportées chez 12% des patients en moyenne, comprenant par ordre de fréquence les infections urinaires hautes, les dilatations et les reflux vésico-urétéraux. Les principaux facteurs de risque d altérations de l arbre urinaire sont les régimes de hautes pressions vésicales durant les phases de stockage et d émission des urines et la durée prolongée d évolution de la SEP. Le risque de cancer vésical, encore mal évalué dans la SEP, pourrait être majoré chez les patients en sondage permanent chronique (sonde à demeure ou cathéter sus-pubien) à long terme et ayant été traité par immunosuppresseurs [2]. Enfin, l insuffisance rénale de cause urologique n apparaît pas majoré par rapport à la population générale, mais la précocité des troubles vésico-sphinctériens dans la SEP pourrait réduire l espérance de vie à long terme. Les facteurs de risque uronéphrologique des neurovessies de la SEP méritent encore d être précisément étudiés. L analyse colligée des données de la littérature [3], majoritairement rétrospectives, suggère que trois facteurs puissent être corrélés à la prévalence de complications uronéphrologiques, la durée d évolution de la SEP avec une accentuation du risque dès la 15 ème année d évolution, les hautes pressions vésicales permanentes et le port d une sonde à demeure. Trois autres facteurs bénéficient d une présomption de preuve de sur risque, la dyssynergie vésico-sphinctérienne, l âge supérieur à 50 ans et le sexe masculin via la présence d indices urodynamiques péjoratifs. Suivi des neurovessies de la SEP : Des recommandations pour le suivi des neurovessies de la SEP, considérant la nature et le nombre de ces facteurs de risque, ont été récemment proposées par le groupe d expert en neurourologie francophone (GENULF) ([3]figure 1). Les éléments fondamentaux du suivi sont l interrogatoire dirigé, le calendrier mictionnel, le bilan urodynamique et l échographie vésico-rénale. L interrogatoire sera dirigé sur les symptômes vésico-sphinctériens, comprenant des données sur la miction (fréquence, nombre, volume estimé, facilité, impression de miction complète), sur la continence (fréquence et volume estimé des fuites, nécessité de garnitures), sur les symptômes évocateurs d infections urinaires, les symptômes ano-rectaux et génitosexuels. Le calendrier mictionnel, réalisé si possible sur une période de 48 à 72 heures, colligera les horaires, volumes, nombre des fuites et mictions, complété selon les cas d informations sur les apports hydriques, les garnitures et autres symptômes périnéaux. Le dépistage d un RPM, par échographie ou sondage évacuateur, s assurera du caractère complet ou non de la miction et constituera un élément fondamental du suivi et de l adaptation de la prise en charge thérapeutique au fil du temps. Le bilan urodynamique (BUD), incluant une cystomanométrie complétée ou non d une débimétrie et d une profilométrie, est justifié pour l expertise initiale du mécanisme des troubles et des facteurs de risque chez les patients symptomatiques. L individualisation de 2
facteurs de risques uronéphrologique méconnus par la seule exploration clinique justifient la réalisation précoce de cet examen afin d adopter la prise en charge thérapeutique. Le bilan initial comprendra également une échographie vésico-rénale, dépistant un RPM, une cause locale favorisante ou un retentissement organique précoce, un ECBU dépistant une infection urinaire et une évaluation de l impact des troubles vésico-sphinctériens sur la qualité de vie, qui pourrait relever du Questionnaire Qualiveen validé dans la SEP [1]. Le rythme et les modalités de surveillance ultérieurs seront définis en fonction des facteurs de risques uronéphrologique dépistés lors du bilan initial (figure 1). Chez les patients sans risque, un bilan annuel comprenant calendrier mictionnel, évaluation de la qualité de vie, débimétrie et mesure du RPM sera préconisée. Chez les patients à risque, il sera complété d une échographie de l arbre urinaire et d une mesure de la clairance urinaire de la créatinine. La rythmicité du suivi urodynamique sera guidée par la sévérité des facteurs de risque, incluant une cystomanométrie tous les 1 à 3 ans. Chez les patients présentant une altération du haut appareil urinaire ou à haut risque de préjudice uronéphrologique, une prise en charge multidisciplinaire incluant la concertation d experts en neuro-urologie sera préconisée de manière à définir les options thérapeutiques et de suivi optimales. CONCLUSION : La fréquence et le retentissement majeur des TVS dans la SEP nécessite un dépistage, une prise en charge et un suivi précoce et adapté à chacun. Des guides de suivi sont aujourd hui disponibles pour harmoniser la prise en charge. La stratégie thérapeutique sera personnalisée et adaptée au fil du temps selon chaque patient, en fonction de ses caractéristiques neuro-urologiques, de son statut d incapacité et de handicap et des ressources de son environnement, de manière à privilégier l option thérapeutique offrant le meilleur confort de vie, au sein d un arsenal thérapeutique aujourd hui large et efficace. 3
Références : 1.Bonniaud V, Bryant D, Parratte B, Guyatt G. Development and validation of the short form of a urinary quality of life questionnaire: SF-Qualiveen. J Urol 2008;180:2592-259 2.de Ridder D, Van Poppel H, Demonty L et al. Bladder cancer in patients with multiple sclerosis treated with cyclophosphamide. J Urol 1998; 159: 1881-1884. 3.de Sèze M, Ruffion A, Denys P, Joseph PA, Chartier-Kastler E, Perrouin-Verbe B, from the GENULF. The neurogenic bladder in multiple sclerosis: Review of the literature and proposal of management guidelines. Mult Scler 2007;13:915-928. 4.Fowler CJ, Panicker JN, Drake M, et al. A UK Consensus on the management of the bladder in Multiple Sclerosis. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2009;80:470-477. 5.Gallien P, Robineau S, Nicolas B et al. Vesicourethral dysfunction and urodynamics findings in multiple sclerosis: a study of 149 cases. Arch Phys Med Rehabil 1998; 79: 255-257. 6.Karsenty G, Denys P, Amarenco G, et al. Botulinum toxin A intradetrusor injections in Adults with neurogenic detrusor overactivity/overactive bladder : A systematic literature review. Eur Urol 2008; 53 (2): 275-287. 7.Koldewijn E L, Hommes OR, Lemmens WA et al. Relationship between lower urinary tract abnormalities and disease-related parameters in multiple sclerosis. J Urol 1995; 154:169-73. 8.Litwiller SE, Frohman M, Zimmern PE. Multiple sclerosis and the urologist. J Urol 1999; 161: 743-757. 4
Figure 1. Recommandations pour le diagnostic et le suivi des neurovessies dans la SEP PATIENT ASYMPTOMATIQUE VS Médecin traitant, Neurologue, MPR PATIENT SYMPTOMATIQUE VS Référent Neuro-urologie Evaluation minimale Interrogatoire dirigé Evaluation résidu PM (écho V) Symptômes vésico-sphinctériens? Evaluation initiale Calendrier mict 72 h Echographie vésico-rénale ECBU Bilan urodynamique (BUD) Clairance créatinine Qualité de vie Analyse des facteurs de risques Non Oui Patient sans risque Patient à risque Evaluation minimale Evaluation annuelle Evaluation annuelle (à chaque visite de suivi de la SEP) Calendrier mict 72 h Calendrier mict 72h Interrogatoire dirigé Débimétrie Résidu PM Résidu PM (écho V) Résidu PM (écho V) Echo vésico-rénale Clairance créatinine Qualité de vie Evolution des facteurs de risque BUD tous les 1 à 3 ans Non Oui BUD tous les 3 ans Nouveau BUD Risque de tumeur vésicale Altération haut appareil Cytologie urinaire Concertation pluridisciplinaire + cystoscopie annuelle Examens complémentaire 5