Paludisme grave d importation à Plasmodium falciparum traité par artésunate

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Ann Biol Clin 2012 ; 70 (6) : 733-40 Paludisme grave d importation à Plasmodium falciparum traité par artésunate Severe imported Falciparum malaria treated with artesunate doi:10.1684/abc.2012.0761 Marc Danguy des Déserts 1 Etienne Montelescaut 1 Laurence Di Costanzo 2 Diane Commandeur 1 Ba Vinh Nguyen 1 Mehdi Ould-Ahmed 1 Nicolas Taudon 3 Isabelle Drouillard 2 1 Fédération anesthésie réanimation urgences, Hôpital d instruction des Armées Clermont Tonnerre, BRCM de Brest, France <marc.danguy@gmail.com> 2 Fédération des laboratoires, Hôpital d instruction des armées Clermont Tonnerre, BRCM de Brest, France 3 Institut de recherche biomédicale des armées - Antenne de Marseille, GSBdD de Marseille Aubagne, France Article reçu le 21 mars 2012, accepté le 14 mai 2012 Le paludisme est une maladie infectieuse peu fréquente sous nos latitudes et qui n est donc pas toujours parfaitement connue des praticiens. Cependant, le paludisme notamment à Plasmodium falciparum est une maladie potentiellement mortelle dont la prise en charge ne peut souffrir aucun retard ou approximation. Des nouveautés sont apparues récemment dans sa prise en charge thérapeutique. Nous présentons ici un cas clinique de paludisme grave à Plasmodium falciparum traité par artésunate. Nous exposerons ensuite les particularités du diagnostic biologique et clinique, puis les données concernant l utilisation des dérivés de l artémisinine, nouveau traitement de référence du paludisme. L observation Monsieur R.V. est un patient de 61 ans, effectuant de nombreux voyages en zone rurale de la République Tirés à part : M. Danguy des Déserts Résumé. Le paludisme à Plasmodium falciparum est une maladie infectieuse potentiellement mortelle, imposant un diagnostic biologique sûr et rapide, une prise en charge thérapeutique précoce et efficace. À partir d un cas clinique de paludisme grave d importation à Plasmodium falciparum ayant bénéficié d un traitement par artésunate, les différents moyens diagnostiques du paludisme sont revus, ainsi que les caractéristiques clinico-biologiques du paludisme grave. Les récentes avancées concernant la prise en charge thérapeutique du paludisme par dérivés de l artémisinine sont également présentées, ainsi qu une étude pharmacocinétique menée au cours de ce cas clinique. Mots clés : paludisme, Plasmodium falciparum, artésunate Abstract. Falciparum malaria is a potentially deadly infectious disease, imposing a sure and fast biologic diagnosis, an early and efficient treatment. We report a case of severe imported Falciparium malaria who received artesunate, and we rewiew the different diagnostic methods of malaria as well as the clinico-biological characteristics of severe malaria. Recent data concerning malaria treatment are presented, as a pharmacokinetic study leaded during this case. Key words: malaria, Plasmodium falciparum, artesunate centrafricaine pour raisons professionnelles. Dix jours après le retour de son dernier séjour d une durée de 5 semaines au cours duquel il n a pris aucune chimioprophylaxie anti-palustre, il présente une fièvre pour laquelle il s automédique avec du paracétamol. La fièvre persistant, il décide de faire réaliser un frottis sanguin dans un laboratoire d analyses médicales «de ville». Ce frottis montre la présence de Plasmodium falciparum, avec une parasitémie de 11 %. Celui-ci consulte alors son médecin traitant qui lui prescrit un traitement ambulatoire par quinine per os. Devant la détérioration de son état de conscience 12 h après la prise de quinine par voie orale, son épouse l emmène le lendemain consulter aux urgences de l HIA Clermont Tonnerre. Au service d accueil des urgences, le patient est confus avec un score de Glasgow coté à 13, sans signe clinique de gravité : l hémodynamique est stable avec une fréquence cardiaque à 80 bpm, une tension artérielle à 130/70 mmhg sans amines vasopressives, la SpO 2 est à 98 % en air ambiant, l auscultation cardiopulmonaire est normale, il n existe pas de convulsions, pas d hémoglobinurie, pas de signe hémorragique. Un bilan biologique est réalisé (tableau 1) montrant un ictère avec Pour citer cet article : Danguy des Déserts M, Montelescaut E, Di Costanzo L, Commandeur D, Nguyen BV, Ould-Ahmed M, Taudon N, Drouillard I. Paludisme grave d importation à Plasmodium falciparum traité par artésunate. Ann Biol Clin 2012 ; 70(6) : 733-40 doi:10.1684/abc.2012.0761 733

Tableau 1. Suivi clinico-biologique. Date Temps Action Parasitémie Hémoglobine Plaquettes Leucocytes Bilirubinémie totale Créatininémie (% des hématies) (g/l) (G/L) (G/L) (C : conjuguée) ( mol/l) ( mol/l) 20/10/2011 J-12 Retour Centrafrique 28/10/2011 J-4 Fièvre 31/10/2011 J-1 Consultation médicale Quinine per os 01/11/2011 H 0 Admission Service d accueil des urgences 02/11/2011 H12 Admission Réa Intubation oro trachéale 02/11/2011 H24 Début hémodiafiltration continue 11 % - - - - - 1 % 125 43 6,3 55,5 (C : 23,9) 73 0,20 % 105 32 6,35 100,3 (C : 79,7) 123-120 60 10,43 - - 03/11/2011 H48 121 67 10,75 63,1 (C : 53,3) 174 04/11/2011 H72-101 63 7,15 177 05/11/2011 H96-105 85 9,2 23,1 (C : 23,0) 157 06/11/2011 H120 Arrêt des amines - 85 101 9,32 21,7 (C : 17,5) 241 et de la sédation 07/11/2011 H144 Conversion hémodiafiltration continue en hémodialyse séquentielle 80 140 8,51 261 08/11/2011 H168-79 212 9,67 15,2 (C : 10,9) 337 09/11/2011 J8-91 272 8,61-365 11/11/2011 J10-73 290 6,99-374 13/11/2011 J12 Extubation - 96 282 5,16-275 16/11/2011 J15 0 % 87 253 5,31 12,4 (C : 6,0) 451... 26/11/2011 J25 Arrêt des dialyses Sortie - 84 185 4,46-425 réanimation 734 Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012

Paludisme grave d importation traité par artésunate une bilirubinémie élevée à 55 mol/l sans autre signe biologique de gravité : anémie modérée (125 g/l), pas d hypoglycémie (5,5 mmol/l), élévation discrète du lactate plasmatique (3,09 mmol/l), pas d hyperparasitémie (1 %), pas d insuffisance rénale (créatininémie 73 mol/l). Un traitement par artésunate (Malacef ) par voie IV est débuté, puis le patient est adressé en réanimation pour prise en charge d un neuropaludisme. L évolution en réanimation est initialement défavorable, avec nécessité d une intubation orotrachéale à H12 de son hospitalisation devant la majoration des troubles de conscience. De plus, le patient présente une défaillance hémodynamique nécessitant l introduction rapide à H18 d amines vasopressives (noradrénaline). Une insuffisance rénale anurique d installation brutale à H24 impose une épuration extrarénale. Sur le plan respiratoire, le patient présente une pneumopathie d inhalation à Proteus mirabilis, secondaire à des troubles de déglutition dans ce contexte de neuropaludisme, traitée par amoxicilline-acide clavulanique durant 7 j. Le patient présente une hémolyse majeure (LDH : 617 UI/L), caractérisée par un ictère intense (bilirubine totale : 100 mol/l, bilirubine conjuguée : 80 mol/l) avec une anémie à 105 g/l, ainsi qu une thrombopénie profonde à 32 G/L. Néanmoins, le traitement par artésunate (AS) est rapidement efficace, avec une décroissance parasitaire rapide (0,2 % à H12, 0 % à H48). Ce traitement a été poursuivi durant 7 j par voie IV devant l absence de transit digestif fiable. Le soutien par amines vasopressives est arrêté à J6 de réanimation. L évolution respiratoire est ralentie par un épisode de pneumopathie à Pseudomonas aeruginosa sauvage à J10, traité par une antibiothérapie associant pipéracilline-tazobactam durant 7 j et amikacine pendant 3 j. Au niveau neurologique, la sédation IV est arrêtée à J6 de réanimation. L état de conscience du patient s améliore lentement par la suite, avec un réveil de qualité à J12 permettant son extubation le même jour, aucun déficit neurologique n étant retrouvé à l examen clinique. L insuffisance rénale est la dernière défaillance à se corriger avec une ultime séance d épuration extra-rénale réalisée à J24 de son admission en soins intensifs. Le patient sort du service de réanimation 25 jours après son entrée dans le service. Le point de vue du biologiste Diagnostic du paludisme Le diagnostic biologique de paludisme est un diagnostic urgent, dont le résultat parasitologique doit être rendu dans les 2 h [1], idéalement dans l heure. Le biologiste doit répondre à trois questions fondamentales : Y a-t-il présence de parasites? Quelle est l espèce plasmodiale en cause? Quelle est la densité parasitaire? Plusieurs outils biologiques existent pour répondre à ces questions, faisant appel à trois types de techniques : microscopiques, détection antigénique rapide (immunochromatographie) et biologie moléculaire. Techniques microscopiques Le frottis sanguin est la méthode de référence, pratiquée par l ensemble des laboratoires. Cette technique permet une identification d espèce et la quantification parasitaire. Les lames sont colorées au May Grünwald Giemsa et lues à l aide d un microscope optique. Son principal inconvénient est qu elle est longue, nécessitant 20 min de lecture attentive. La sensibilité de ce test est estimée à 100-150 hématies parasitées par microlitre. La goutte épaisse est une technique de concentration, plus sensible que le frottis sanguin. Ses inconvénients sont la nécessité de former des personnels à sa réalisation et sa lecture, car il ne s agit pas d une technique de routine. De plus, le diagnostic d espèce est parfois difficile. Enfin, la quantification parasitaire n est pas possible. Son seuil de sensibilité est de l ordre de 10 à 20 hématies parasitées par microlitre. Le Quantitative Buffy Coat (QBC ) combine deux procédés pour isoler les parasites : une centrifugation permettant de séparer les cellules sanguines selon un gradient de densité et une coloration fluorescente des acides nucléiques par l acridine orange. Les tubes capillaires ainsi préparés sont ensuite lus sur un microscope à fluorescence. Ses avantages sont une rapidité de réalisation (10 min, auxquelles il faut ajouter 15 min de lecture) et sa grande sensibilité. Ses inconvénients sont un coût non négligeable (environ 9 900 D HT pour l achat du système optique et de la centrifugeuse, et un coût de 4,30 D HT de consommables par test), l absence de possibilité de diagnostic d espèce et de quantification parasitaire. Ce procédé est la technique microscopique la plus sensible (10 parasites par microlitre). Les tests de diagnostic rapide Il s agit de tests immunochromatographiques rapides, en cassette, basés sur la mise en évidence d antigènes composant les Plasmodiums. Ces tests permettent de détecter plusieurs antigènes sur une même cassette (un à trois selon le type). Ces antigènes peuvent être soit spécifiques d une espèce (ex : protéine histidine rich protein 2 pour P. falciparum, enzyme P. vivax LDH pour P. vivax), soit non spécifique d espèce (ex : Pan-aldolase pour tous les Plasmodiums). Les atouts de ces techniques sont leur grande facilité et rapidité de réalisation, l absence de matériel technique supplémentaire nécessaire à leur utilisation. Leurs inconvénients sont une sensibilité moins fine que les techniques précédentes de l ordre de 50-100 parasites par microlitre et l existence de faux positifs (par exemple, une réaction Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012 735

croisée possible avec un facteur rhumatoïde). La lecture doit être faite rapidement après réalisation car au-delà de 30 min d incubation, des traits de «pseudo-positivité» peuvent apparaître. La polymerase chain reaction (PCR) La PCR à la recherche de séquences génomiques de Plasmodium est une technique qui permet un diagnostic de certitude dans les cas difficiles. Cependant, cette technique n est pas adaptée au cadre de l urgence et n est réalisable que dans des structures disposant d un plateau technique de haut niveau. Le seuil de détection est très bas, de 0,001 à 0,3 parasite par microlitre, selon les techniques et amorces employées [2]. Ces cinq types d examens sont complémentaires [3] et peuvent être utilisés selon différentes séquences, dont la plus appropriée est à définir pour chaque laboratoire en fonction de ses possibilités techniques et de son degré d expertise. Un algorithme est proposé au sein des recommandations pour la pratique clinique 2007 concernant la prise en charge et prévention du paludisme d importation à Plasmodium falciparum [1]. Au sein de notre structure, la séquence privilégiée est la réalisation conjointe d un test antigénique, du QBC et d un frottis sanguin. Le test antigénique rapide permet de donner une première réponse très rapide afin de débuter un traitement d urgence. Le QBC vient rapidement conforter ou mettre en doute ce diagnostic. Enfin, le frottis sanguin confirme ou écarte le diagnostic de paludisme, fait le diagnostic d espèce ainsi que l évaluation de la densité parasitaire. La biologie moléculaire, quant à elle, n est utilisée que dans les cas difficiles. La goutte épaisse n est pas utilisée au sein de notre structure. Propriétés pharmacologiques des dérivés de l artémisinine Rappels théoriques L AS est un dérivé de l artémisinine (AM). Il s agit d un remède de la médecine traditionnelle chinoise, issu de la plante Artemisia annua, dont le principe actif a été isolé en 1972 et a connu un regain d intérêt dans les années 1990 face à l apparition de souches plasmodiales résistantes à la quinine. L AM a de nombreux dérivés, mais l AS est le seul disponible en solution IV car il est le plus soluble dans l eau. L AS est une prodrogue, métabolisée en dihydroartémisine (DHA) qui est le composé actif obtenu par l action des estérases plasmatiques. Le DHA subit ensuite une glucuronoconjugaison hépatique. Le métabolisme de l AS en DHA est rapide (5 min) et la demi-vie d élimination de la DHA courte (30 min), ce qui fait de l AS un traitement d action très rapide [4]. Le mécanisme d action de l AS est mal connu mais semble reposer sur la création de radicaux libres toxiques pour les parasites à partir du pont peroxyde présent sur tous les dérivés de l AM et sur l inhibition de l ATPase calcium parasitaire. L AS est efficace sur des stades parasitaires jeunes et agit sur des stades plus précoces que la quinine [5]. Étude pharmacocinétique L originalité de ce cas clinique réside dans le suivi des concentrations sériques des dérivés de l AM au cours du traitement par AS. Des prélèvements plasmatiques ont été effectués aux pics et vallées, puis ont été analysés à l IRBA de Marseille. Les dosages d AS et de DHA ont été effectués sur une chaîne de chromatographie liquide à haute pression couplée à un détecteur électrochimique selon la méthode validée par le laboratoire. Les prélèvements ont subi une étape de prétraitement de type extraction sur phase solide avant analyse. Une modélisation pharmacocinétique des données a ensuite été réalisée avec le logiciel WinNonLin. L AS n a pu être détecté dans aucun des prélèvements. La figure 1 rapporte les résultats de dosage pour la DHA lors des prélèvements effectués 30 min après les injections d AS (signalées par des flèches). Des dosages de DHA ont également été effectués 30 min avant injection d AS et ont tous montré une concentration plasmatique inférieure à 2,5 ng/ml. L évolution des concentrations plasmatiques de DHA en fonction du temps est compatible avec un modèle à 1 compartiment. La figure 2 montre les valeurs observées et prédites après injections répétées d AS 200 mg en IV lente. Le tableau 2 présente les paramètres pharmacocinétiques obtenus à partir de la courbe des valeurs prédites par le modèle. Les concentrations plasmatiques de DHA mesurées peu après les administrations d AS, ainsi que les paramètres cinétiques sont cohérents avec les données de la littérature [4]. Le temps de demi-vie d élimination des dérivés de l AS étant très court, il serait intéressant dans le cadre de futurs suivis thérapeutiques de cibler une fenêtre de 4à6henpost-injection pour quantifier les concentrations résiduelles. Le point de vue du clinicien Particularités du paludisme grave en réanimation Ce cas clinique est une illustration du paludisme grave d importation en réanimation (figure 3). Le paludisme grave est défini par les critères de l Organisation mondiale de la santé (OMS) [6] selon les critères suivants, extraits des recommandations pour la pratique clinique 2007 concernant la prise en charge et prévention du paludisme d importation à Plasmodium falciparum [1]. Le paludisme d importation est défini par 736 Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012

Paludisme grave d importation traité par artésunate Concentration plasmatique de DHA (ng/ml) 1000 750 500 250 556,2 0 0 10 20 725,85 H0 H12 H24 30 : Injection de 200 mg d'as 940,8 544,8 529,8 336,97 40 50 60 70 80 90 100 110 120 130 H48 H72 H96 H120 Temps (h) Figure 1. Suivi des concentrations plasmatiques de DHA en fonction du temps. Concentration plasmatique DHA (ng/ml) 10000 1000 10 0.1 0.001 0 20 40 60 80 Temps (h) Concentration plasmatique DHA (ng/ml) 1000 900 800 700 600 500 400 300 200 100 140 150 160 170 0 100 120 140 0 20 40 60 80 100 120 140 observé H144 Temps (h) Figure 2. Concentrations plasmatiques de DHA en fonction du temps (à gauche : représentation logarithmique ; à droite : représentation linéaire). prédit H168 la survenue d un paludisme chez un patient caucasien voyageant occasionnellement en zone d endémie et donc non immun. Cette pathologie est peu fréquente mais n est pas exceptionnelle : près de 5 000 cas de paludisme d importation sont répertoriés par an en France [1]. Il s agit d une maladie infectieuse potentiellement létale, avec un taux de mortalité du paludisme grave d importation élevé, se situant entre 10 et 15 % [1, 7]. Il convient d évoquer ce diagnostic devant toute fièvre au retour de voyage en zone impaludée, de l écarter ou de l affirmer rapidement afin de Tableau 2. Paramètres pharmacocinétiques de l artémisinine. Paramètres Estimation Incertitude sur l estimation (%) Aire sous la courbe 1403 h * ng/l 11,6 Temps de demi-vie d élimination 1,3 h 4,8 Concentration maximale 705 ng/ml 13,6 Clairance 143 L/h 11,6 Volume de distribution à l équilibre 272 L 13,8 Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012 737

Pronostic Critères cliniques ou biologiques Fréquence (?) a Prostration : en règle, extrême faiblesse Thoubles de la conscience : score de Glasgow modifié b < 10 Détresse respiratoire : définition clinique seulement chez I enfant Convulsions répétées : au moins 2 par 24 h État de choc : pression artérielle systolique < 80 mmhg en présence de signes périphériques d insuffisance circulatoire Œdème pulmonaire (radiologique) : anomalies précisées chez l enfant Figure 3. Définition du paludisme grave [1]. Saignement anormal : définition purement clinique Ictère : clinique ou bilirubine totale > 50 µmol/l Hémoglobinurie macroscopique Anémie profonde : hémoglobine < 5 g/dl, hématocrite < 15 % Hypoglycémie : glycémie < 2,2 mmol/l Acidose : ph < 7,35 ou bicarbonates < 15 mmol/l Hyperlactatémie : lactates veineux plasmatiques > 5 mmol/l Hyperparasitémie : notamment parasitémie 4 % chez Ie non immun Insuffisance rénale : créatininémie > 265 µmol/l diurèse < 400 ml/j a Pas de données disponibles. b Le score de Glasgow modifié maximal est de 14 au lieu de 15 par suppression de l item «réponse motrice non orientée à la douleur». débuter le plus vite possible un traitement adapté et d éviter ainsi l évolution vers un paludisme grave comme dans le cas clinique que nous rapportons. Devant une parasitémie à 11 %, le patient aurait dû être orienté dans une structure hospitalière dans les plus brefs délais. Trois variables recueillies à l admission en réanimation sont associées à une hausse de la mortalité : l âge, les troubles de conscience calculés par le score de Glasgow et la parasitémie [7]. La défaillance d organe la plus fréquemment rencontrée dans le paludisme grave est l instabilité hémodynamique avec 61,7 % des patients nécessitant un remplissage vasculaire le premier jour d évolution et 27,2 % des patients nécessitant la perfusion d amines vasopressives au cours de leur séjour en réanimation. Des troubles de la conscience sont retrouvés chez 30,7 % des patients. Le recours à une ventilation mécanique est également fréquent (29,4 % des patients) pour une durée moyenne de ventilation de 6 j. Des co-infections sont diagnostiquées chez 24 % des patients. Une épuration extrarénale est nécessaire pour 20,2 % des patients [7]. Particularités du traitement par artésunate L originalité de ce cas clinique est l utilisation de l AS, dont peu de patients ont pu bénéficier en France à ce jour. Données de la littérature Les recommandations de l OMS concernant la prise en charge du paludisme grave ont évolué en 2006 [8] devant une diminution de mortalité de 38 % lors de l utilisation de l AS versus la quinine dans le traitement du paludisme grave de l adulte [9]. De plus, un essai récent a mis en exergue une diminution de la mortalité de 22,5 % en faveur de l AS sur la quinine dans la prise en charge du paludisme grave de l enfant africain [10], qui restait la seule situation 738 Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012

Paludisme grave d importation traité par artésunate où il n avait pas montré sa supériorité, faisant de l AS le traitement de référence du paludisme grave. Effets indésirables L AS présente des effets indésirables : allergiques : effet indésirable le plus grave se traduisant par une hypersensibilité de type 1 retrouvée dans une utilisation sur 3 000 et imposant l arrêt du traitement ; cardiovasculaires : bradycardie, allongements du QT inconstants imposant une surveillance électrocardiographique ; hématologiques : réticulocytopénie et neutropénie transitoires inconstantes ; rénaux : effet diurétique ; neurologiques : neurotoxicité, vertiges, acouphènes ; toxicité hépatique : élévation transitoire des enzymes hépatiques ; embryotoxicité notamment lors du premier trimestre ; troubles digestifs. Contre-indications Ses contre-indications sont une allergie à l AS ou à un de ses excipients et la grossesse. Concernant notre cas clinique, aucun effet indésirable n a été constaté. En particulier, l insuffisance rénale présentée par notre patient ne semble pas liée à l AS : il n a pas été constaté de polyurie mais au contraire une anurie malgré des apports hydriques adéquats. Autres indications Les autres indications de l AS incluent, outre le paludisme grave, la prévention de la bilharziose et font l objet de recherche en cancérologie et en virologie (effets sur certains Herpes virus, ainsi que les virus des hépatites B et C) [11]. En pratique L utilisation de l AS est simple. Le traitement dure 7 j, les trois premiers jours de traitement sont obligatoirement administrés par voie IV. Le premier jour comprend une double dose (une dose à H0, à H12 et à H24) puis le traitement est administré toutes les 24 h. Il peut être relayé par la voie orale au quatrième jour si la voie orale est possible et fiable, sinon le traitement est poursuivi par voie IV. La posologie est de 2,4 mg/kg par dose. Les flacons comprennent chacun 60 mg de principe actif. Son utilisation n est possible que dans le cadre d une Autorisation temporaire d utilisation (ATU). L ATU nominative est délivrée, pour une durée limitée, par l Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), à la demande du médecin prescripteur et est subordonnée par l Afssaps à la mise en place d un Protocole d utilisation thérapeutique et de recueil d informations (PUT). Dans le cadre de l ATU, le Malacef est réservé à l usage hospitalier. S agissant d un médicament utilisé dans des situations d urgence clinique, il est nécessaire que des stocks de Malacef soient constitués au préalable au sein de l établissement de santé. Pour ce faire, chaque pharmacien hospitalier susceptible de devoir dispenser du Malacef en urgence peut effectuer une demande d autorisation de détention de stock d urgence auprès de l Afssaps. Le CNR du paludisme de la Pitié-Salpêtrière, en charge du suivi national des patients traités par Malacef, informe les professionnels de santé souhaitant l utiliser, centralise toutes les informations recueillies dans le cadre du PUT, analyse toutes les informations recueillies et transmet un rapport de synthèse tous les 3 mois à l Afssaps. Conclusion Dans le cas clinique exposé, l utilisation de l artésunate a été un succès. Sa disponibilité immédiate (les démarches avaient été effectuées auparavant pour disposer d un stock au sein de la pharmacie de notre structure) et son profil pharmacocinétique d action rapide ont permis de délivrer sans délai à notre patient un traitement efficace. Son utilisation simple avec notamment une facilité de préparation du produit combinée à l absence de surveillance des dosages biologiques et l absence d effets indésirables ont permis une bonne tolérance du traitement par le patient et une adhésion immédiate de l équipe soignante à ce traitement. Conflits d intérêts : Références aucun. 1. Prise en charge et prévention du paludisme d importation à Plasmodium falciparum : recommandations pour la pratique clinique 2007 (révisions de la Conférence de consensus 1999). Texte long. Med Mal Infect 2008 ; 38 : 68-117. 2. Berry A, Benoit-Vical F, Fabre R, Cassaing S, Magnaval JF. PCR-based methods to the diagnosis of imported malaria. Parasite 2008 ; 15 : 484-8. 3. Brenier-Pinchart MP, Pinel C, Grillot R, Ambroise-Thomas P. Le diagnostic du paludisme dans les régions non endémiques : valeur, limites et complémentarité des méthodes actuelles. Ann Biol Clin (Paris) 2000 ; 58 : 310-6. 4. Morris CA, Duparc S, Borghini-Fuhrer I, Jung D, Shin CS, Fleckenstein L. Review of the clinical pharmacokinetics of artesunate and its active metabolite dihydroartemisinin following intravenous, intramuscular, oral or rectal administration. Malar J 2011 ; 10 : 263. 5. ter Kuile F, White NJ, Holloway P, Pasvol G, Krishna S. 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7. Bruneel F, Tubach F, Corne P, Megarbane B, Mira JP, Peytel E, et al. Severe imported falciparum malaria : a cohort study in 400 critically ill adults. PLoS One 2010;5:e13236. 8. Reyburn H. New WHO guidelines for the treatment of malaria. BMJ 2010 ; 340 : c2637. 9. Dondorp A, Nosten F, Stepniewska K, Day N, White N. Artesunate versus quinine for treatment of severe falciparum malaria : a randomised trial. Lancet 2005 ; 366 : 717-25. 10. Dondorp AM, Fanello CI, Hendriksen ICE, Gomes E, Seni A, Chhaganlal KD, et al. Artesunate versus quinine in the treatment of severe falciparum malaria in African children (Aquamat) : an open-label, randomised trial. Lancet 2010 ; 376 : 1647-57. 11. Efferth T, Romero MR, Wolf DG, Stamminger T, Marin JJG, Marschall M. The antiviral activities of artemisinin and artesunate. Clin Infect Dis 2008 ; 47 : 804-11. 740 Ann Biol Clin, vol. 70, n 6, novembre-décembre 2012