Emergence des résistances aux antipaludiques : mécanismes et conséquences
I-Introduction II-Le parasite et sa physiopathologie III- Le paludisme à travers l histoire IV-Les antimalariques et l émergence de résistances V- Le futur VI-Conclusion
Introduction
Problématique du Paludisme : 3,3 milliards de personnes vivent en zone d endémie palustre 300-500 millions d épisodes d accès palustre par an entre 650 000 et 700 000 décès annuels (2010-2011) dont 90% des cas en Afrique 90% d enfants de moins de 5 ans Priorité de l OMS et cela depuis sa création (1948)
I-Le Paludisme, physiopathologie
Maladie parasitaire potentiellement mortelle pour l homme due à des protozoaires du genre Plasmodium Transmission par les moustiques femelles du genre Anopheles 5 espèces de parasites du genre Plasmodium: P. malariae P. ovale P. vivax P. falciparum P. knowlesi
5 espèces différentes, 5 aires de répartitions différentes P. falciparum : Afrique sub-saharienne et Madagascar, Asie du Sud et Sud Est, Amérique centrale et du Sud P. ovale : Afrique centrale P. vivax : Moyen Orient, Afrique du Nord, Madagascar, Maurice, Amérique centrale et Sud, Asie tropicale P. malariae : Afrique tropicale et du Nord, Amérique centrale et du Sud, Iran P. knowlesi : Asie du Sud Est, découverte récente, maladie zoonotique (transmission à partir de macaques)
Répartition Globale
5 espèces différentes, 5 cliniques différentes P. falciparum : fièvre tierce maligne, rechutes limitée à 6 mois, complication possible : neuropaludisme, mortalité 30% par crise sans prise en charge P. ovale : fièvre tierce bénigne, rechutes pendant 5 ans P. vivax : fièvre tierce bénigne, rechutes pendant 2 ans P. malariae : fièvre quarte, rechutes jusqu à 10-20 ans, complications possibles (rares) : insuffisance rénale P. knowlesi : fièvre toutes les 24 heures, pas de rechutes, complications possibles (rares) notamment rénales et hépatiques, mortalité < 2%
II-Le Paludisme à travers l histoire
Le Paludisme à travers l histoire Origine probable : Transmis des grands singes à l homme en Afrique (à l origine souche aviaire) (à l exception de P. knowlesi) Date supposée : > -10 000 ans (pour P. falciparum)
Le Paludisme à travers l histoiree Dissémination avec les déplacements humains (en partie lié au fait que les Anopheles vecteurs ont développés des habitudes fortement anthropophiles) -10000 à -5000 ans : PO/Mésopotamie, Inde puis Asie du SE Nergal, Dieu Babylonien de la destruction et de la pestilence, est représenté sous forme d un insecte/moustique
Le Paludisme à travers l histoiree Dissémination avec les déplacements humains (en partie lié au fait que les Anopheles vecteurs ont developpés des habitudes fortement anthropophiles) -10000 à -5000 ans : PO/Mésopotamie, Inde puis Asie du SE Des momies égyptiennes présentent des splénomégalies paludiques. Les Egyptiens utilisent des moustiquaires et des répulsifs à moustiques à base d huiles essentielles. Le papyrus d Eber parle de fièvre morbide annuelle (lors de la saison des crues) Les symptômes de la malaria suite à une piqûre de moustiques sont décris avec précision dans les textes védiques Hindous (y compris fièvres tierces et quartes)
Le Paludisme à travers l histoire -5000 ans : Chine : Le Nei Jing (texte médical chinois) parle de fièvres paroxystiques répétées avec splénomégalie Un texte légal oblige les époux devant se rendre en zone à fièvre à donner l autorisation à leur(s) femme(s) de se re-marier La pharmacopée chinoise intègre des extraits d Artemisia comme «anti-fièvre» (-600 BC)
Le Paludisme à travers l histoire -2500/-2000 : Côte méditerranéenne Hippocrate décris les fièvres périodiques avec splénomégalie et fait le lien avec l eau stagnante (mais il parle d ingestion) (-400 BC) Les romains, conscients du caractère malsain des marais, drainent les zones marécageuses (César -50 BC) -1000/-500 : Europe centrale +300/+1000 Période des invasions et Moyen Age : Europe du Nord Paludismo vient du latin Palus (ou lagon) Malaria vient de l italien mal aria (mauvais air) Au 15 e siècle le paludisme est répandu de l Europe du Nord (St-Petersbourg, Londres) au Japon/Corée/Chine/Asie du SE et bien sûr en Afrique.
Le Paludisme à travers l histoire fin du 15 e siècle introduction du paludisme dans le nouveau monde (conquête espagnole et trafic d esclaves ) d abord dans les Caraïbes et AmSud puis au 18 e en Amérique du Nord en 1850 tout le continent est atteint du Canada au Chili A cette date le paludisme couvre la quasi totalité du globe De 1500 à 1750 la mortalité liée au paludisme dans certaines régions avoisine les 10% (jusqu à 30 à 50% annuels dans certains comptoirs africains)
Le Paludisme à travers l histoire 1650 introduction dans la pharmacopée de frères Jésuites au Pérou de l écorce de «l arbre à fièvre» (quinquina) pour lutter contre les crises de paludisme généralisation à partir de 1750 et production de la «poudre des jésuites» à partir de 1850 plantation en dehors de l Amérique du sud et disponibilité large chute de la mortalité de 50% de 1850 à 1950 : En 100 ans on estime la mortalité liée au paludisme entre 150 et 300 millions (soit entre 2,5 et 5% de la mortalité mondiale) Premières campagnes d éradication (via l OMS) : 1950
III-Les antimalariques et l émergence de résistances
Les médicaments anti paludiques jusqu à la 1 er Guerre Mondiale : quinine début des recherches pour molécules alternatives entre 1914-1918 en Allemagne poursuivies entre les 2 guerres : 4 et 8-aminoquinolines (primaquine, amodiaquine, chloroquine) ainsi que d autres composés type quinacrine ou les sulfonamides quinine primaquine chloroquine sulfadoxine
Les médicaments anti paludiques Fin de la guerre : retour à la quinine IIe Guerre Mondiale : utilisation de la quinacrine et de la primaquine (sortie du monopole de la quinine) et nouvelles recherches à cause de leur toxicité Anglais : Proguanil et pyriméthamine Américains : Mefloquine et Halofantrine proguanil pyriméthamine halofantrine
Les médicaments anti paludiques mécanismes d action Quinine-Choloquine-Mefloquine-Halofantrine Mécanisme d action non encore bien défini S accumulent dans la vacuole digestive du parasite et l empêcherait de détoxifier l hème de l hémoglobine Hb Quinine Choloroquine Mefloquine Halofantrine Hème toxique Hèmozoine Non toxique globine AA Trophozoite de Plasmodium
Les médicaments anti paludiques mécanismes d action Proguanil-Pyriméthamine-Sulfadoxine Interférent dans la voie des folates (synthèse de l acide folique) indispensable pour l étape ultime de transformation de l uracil en thymine Sulfadoxine Pyriméthamine proguanil DHPS : dihydropteroate Synthase DHFR : dihydrofolate Reductase
Les médicaments anti paludiques Mécanismes de résistance Essentiellement 5 gènes affectés Pfmdr1 (Plasmodium falciparum multiple drug resistance) Pfcrt1 (Plasmodium falciparum chloroquine resistance transporteur 1) Pfmrp (Plasmodium falciparum multidrug resistance associated protein) Ces 3 gènes codent pour des transporteurs membranaires d entrée ou de sorties. Pfdhfr et Pfdhps, les enzymes clés du métabolisme des folates
Les médicaments anti paludiques Mécanismes de résistance Pour Pfmdr1, Pfcrt1 et Pfmrp ces gènes codent pour des transporteurs qui jouent un rôle dans le flux des composés toxiques pour le parasite (y compris le surplus d hème ou les antimalariques) par expulsion active ou passive (pompes ou transporteurs à efflux) mécanismes de résistance : soit sur-expression, soit mutations ponctuelles améliorant le fonctionnement du transporteur Pour Pfdhfr et Pfdhps ce sont les cibles directes des antifolates mécanismes de résistance : mutations ponctuelles diminuant l affinité entre la drogue et l enzyme cible
Les médicaments anti paludiques Pourquoi l apparition de ces résistances
Les médicaments anti paludiques Pourquoi l apparition de ces résistances Tous ces médicaments sont disponibles dans les années 50-60 Choix d une molécule pour les campagnes de masse de l OMS : chloroquine et pyriméthamine en raison de leurs prix et absence de toxicité relative
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Premiers plans (sous contrôle OMS) : 1955 Basé initialement sur des pulvérisations massives extra et intra domiciliaires de DDT afin de casser le cycle de transmission Apparition dès 1956 de résistances chez les anophèles Idée : puisque insecticide seul pas assez efficace, ajout d un antimalarique choix : Chloroquine et Pyriméthamine But : faire un campagne de traitement de masse (mass drug administration ou MDA) en complément du DDT afin de casser le cycle de transmission (sigle en français : administration massive de médicaments ou AMM)
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Définition et méthodologie MDA : MDA direct : protection de l ensemble de la population d une région par administration d un traitement sous forme médicamenteuse, quel que soit son statu physiopathologique (malade/sain) Problèmes possibles : conservation des médicaments disponibilité des médicaments observance des patients accès aux zones isolées coût couverture de la population (doit être idéalement > 90-95%) dosage (malade = doses de traitement, sain = prophylaxie)
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Définition et méthodologie MDA : MDA indirect : protection de l ensemble de la population d une région par administration d un traitement sous une forme d additif alimentaire, quel que soit son statu physiopathologique (malade/sain) Problèmes possibles : stabilité du mélange principe actif-additif populations exclus en raison de leur régime alimentaire (enfants par exemple) dose journalière variable
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Choix de l OMS : Basé sur le succès précédant de MDA à l iode (contre le goitre) : Ajout de pyriméthamine ou de chloroquine dans le sel de cuisine Campagne menée en Asie du SE, Afrique et AmSud
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Problèmes : couverture des bassins de population variable selon que le produit est distribué gratuitement ou par des circuits commerciaux normaux concentration des produits dans le sel (0.3% acceptable, 0.6% trop amer) stockage du sel en zone tropicale humide administration aux enfants, premiers concernés par les épisodes palustres difficulté à estimer la dose journalière de sel consommé (variations ethniques, géographiques, familiales, individuelles..)
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Conséquences : Après une chute rapide du taux de transmission (6-9 mois) rééquilibrage de l endémie parasitaire avec : retour de la transmission à un niveau quasi normal émergence de souches résistantes à la chloroquine ou à la pyriméthamine ou aux 2 (21 sites de mutation sur Pfcrt1 conférant une résistance ont été décris) (5-6 sites de mutation sur Pfdhfr conférant une résistance ont été décris)
Programmes d éradication du paludisme par l OMS : Résistances à la chloroquine Asie du SE (1962 Thaïlande) puis dissémination aux pays limitrophes avec extension rapide (Malaisie 1963, Cambodge 1963, Vietnam 1964, Birmanie 1969) Amérique du Sud (1961). Même mécanisme Afrique : apparition plus tardive chez des populations migrantes non immunes en Afrique de l Est (1979) Résistances à la pyriméthamine détectées dès 1950 lors de campagnes de faible ampleur entre 1952 et 1954 progressions annuelles de 50 à 60% selon les pays Résistance croisée Chloroquine/Pyriméthamine/autres composés souche Multiple Drug Resistance (MDR) isolée en Thaïlande en 1964
Autres développements de résistances (non liés aux programmes MDA de l OMS) Utilisation du Proguanil (Paludrine) en prophylaxie à faible dose chez les travailleurs de plantation (caoutchouc) en Asie du SE et AmSud 100 % de réussite clinique en 1947, 25 % de réussite clinique avec triple dose en 1949 Emergence de résistances à la Quinine Plus tardives (années 1938 supposées, 1960 documentées) car plus complexes au niveau génétique avec nécessité d une sur-expression de transporteurs
Conséquences Résistance à la Chloroquine Forte ré-augmentation de la mortalité et perte du composé le moins cher (0.20 $ par comprimé) : grosse problématique notamment en Afrique Résistance à la Quinine Impact le traitement d urgence et entraine des résistances multiples (noyaux quinine = noyaux chloroquine = noyaux halofantrine et méfloquine ce qui expliquera l émergence rapide de résistances contre ces 2 composés pourtant plus récents) Résistance à la sulfadoxine et pyriméthamine Emergence et dissémination rapide, a nécessité une combinaison Sulf/Pyr mais sur une base de parasites déjà résistants à l un ou l autre composé et donc pouvant facilement acquérir la seconde résistance
Conséquences
Conséquences Essais de nouvelles combinaisons synergiques : Sulfadoxine-Pyriméthamine Efficace mais utilisée sur une base de parasites déjà résistants à la Sulfadoxine ou à la Pyriméthamine => résistants à la combinaison
Conséquences Introduction de «nouvelles» molécules : Halofantrine et Méfloquine : sur une base de parasites résistants à la quinine, acquisition rapide de résistance à ces 2 molécules
Conséquences Introduction de «nouvelles» molécules : Atovaquone : acquisition très rapide de résistance, à associer avec Proguanil
Les médicaments anti paludiques mécanismes d action Atovaquone Inhibiteur de la synthèse des pyrimidines par action au niveau mitochondrial
Conséquences Introduction de «nouvelles» molécules : Artémisinine : connue en Chine depuis 2000 ans, utilisée en pharmacopée européenne suite à la crise de la résistance à la chloroquine depuis 1990 En 2001 l OMS considère que l ART «est le plus grand espoir contre le paludisme» En 2002-2003 : Apparition des premières résistances
Les médicaments anti paludiques mécanismes d action Artémisinine et dérivés endopéroxyde se liant à l hème de l hématie et entrainant la libération de radicaux libres toxiques Hb -OH ADN Membrane cellulaire Métabolisme protidique Trophozoite de Plasmodium
Conséquences
Conséquences
V-Le Futur
Réflexions pour un traitement efficace dans le futur Monothérapies efficaces mais très transitoirement : association de plusieurs molécules Déjà commercialisées ou en cours d évaluation : Artesunate (ART) amodiaquine ART- luméfantrine ART- méfloquine ART- Proguanil-Dapsone ART-Proguanil-Atovaquone.
Réflexions pour un traitement efficace dans le futur Chimiothérapie insuffisante seule (surtout si molécules couteuses) : association avec une prophylaxie mécanique (moustiquaires imprégnées)
Réflexions pour un traitement efficace dans le futur Suivi des résistances avec des organismes de contrôle (WWARN : WorldWide Antimalarial Resistance NetWork) Recherche de nouvelles molécules (rare..) Recherche de nouvelles formes galéniques adaptées aux populations cibles (ex ART-luméfantrine ou Coartem nécessite l absorption concomitante d un corps gras, difficile en Afrique.) Education des praticiens et des populations locales pour éviter les sous dosages, les ruptures de posologie. Lutte contre la contre façon
Conclusion
L acquisition de résistance aux anti-paludiques dynamique et multi factorielle est un phénomène de part les erreurs de méthodologie des campagnes de traitement l adaptabilité et la plasticité génétique du parasite favorisant l émergence et la dissémination de mutations conférant un phénotype de résistance L effet «croisé» ou l effet «domino» des phénotypes de résistance (R [antimalarique1] favorise R [antimalarique 2]) le coût des traitements les plus efficaces poussant au maintien des TT les moins chers même lors d émergence de souches de sensibilité réduite
Les campagnes de contrôle du paludisme doivent résoudre un dilemme : distribution la plus large des antimalariques les plus efficaces vs minimiser et contrôler le développement et la dissémination des résistances Les nouvelles campagnes associent : traitement insecticide (lutte antivectorielle) prophylaxie mécanique améliorée (moustiquaires imprégnées) TT avec combinaison ART-XX Ces campagnes ciblant plusieurs phases du cycle de transmission parasitaire ont permis une forte diminution de la mortalité Méthodologie efficace