Biomécanique du pouce Docteur Pascal FOULON La main de l Homme a la particularité d être l organe distal d un membre qui s est libéré depuis l acquisition de la station bipède. Rappelons à ce sujet que les Primates actuels les plus proches de nous ont une station quadrumane, ils se déplacent en appui sur les pieds et les doigts des mains fléchis, ou en se suspendant aux branches par les doigts fléchis en crochets autour du support (brachiation) ; cela explique la différence de rapport de la longueur des membres chez les (autres) singes et l Homme, chez eux les membres supérieurs sont plus longs que les inférieurs, chez nous c est l inverse. Chez l Homme, hors situations particulières, la main n est pas en appui au cours de la déambulation. Cette libération a permis le développement de la préhension manuelle. Cette préhension est indissociable de la sensibilité, aussi bien tactile qui est extrêmement fine en particulier au niveau des pulpes que proprioceptive, sans laquelle elle ne peut se faire de façon correcte. Haut Vue antérieure Dh Lunatum Triquetrum Scaphoïde (tubercule) Trapéze (tubercule) Pisiforme Hamatum (hamulus) Squelette de la main (vue palmaire). Sur les photographies les os du carpe sont dissociés, le scaphoïde n est pas tout à fait de face. Trapézoïde Capitatum (tubercule)
Le pouce humain a la particularité d être opposable, c'est-à-dire que non seulement il peut venir en regard des autres doigts, mais que pour certaines prises fines sa pulpe peut venir au contact de celle des autres doigts. En réalité cette particularité n est pas propre à l Homme, et les Singes la possèdent (parfois même d ailleurs pour l hallux) mais à un degré de précision moindre. Cela est rendu possible par la longueur de ce pouce qui, lorsqu il est appliqué contre le bord radial de la main, arrive à la jonction ¾ supérieur- ¼ inférieur de la 1 e phalange de l index (attention : environ la moitié de cette phalange participe à la paume, fléchissez MP2 pour repérer l interligne!). Lorsqu il est plus court comme chez les Singes ou plus long comme dans certaines malformations cette fonction est perturbée. Cette longueur est liée à la longueur plus courte de son métacarpien, et surtout au fait que le pouce n a que deux phalanges. L ensemble du squelette du pouce est appelé colonne du pouce : scaphoïde, trapèze, 1 e métacarpien (MI), phalange proximale (P1) et phalange distale (P2) du pouce. Cette colonne du pouce n est pas dans le plan de la paume, mais en avant, en légère antéposition ; de plus, la face antérieure de MI regarde en avant et en dedans. Contrairement aux autres, MI ne s articule pas avec son voisin, et l impression que l on pourrait en avoir sur le dessin vient justement du fait que sa base se projette en avant de celle de MII ; cette nonarticulation contribue à sa plus grande mobilité. Arthrologie L articulation scapho-trapèzienne est une articulation plane ; elle n a qu une faible mobilité. L articulation carpométacarpienne du pouce ou articulation trapèzométacarpienne est une articulation en selle. Par rapport au plan frontal de la face antérieure de MI, la surface inférieure du trapèze est concave dans le plan frontal et convexe dans le plan sagittal (comme la 1 e commissure de la main), la surface supérieure de MI a une conformation inverse. Cette articulation a deux axes donc deux mouvements : F-E, Abd-Add, plus la circumduction. La capsule est mince, elle est renforcée par un lig. latéral, un lig. oblique antéromédial et un lig. oblique postéromédial. Cette articulation est la plus importante dans l opposition. Elle est enraidie et douloureuse dans la rhizarthrose du pouce (du grec ριζα [rhiza] = racine, d où rhizome, et arthrose, au sens pathologique)
L articulation métacarpophalangienne du pouce MPI est une articulation ellipsoïde. Le condyle de MI porte en avant deux petites surfaces pour les sésamoïdes du pouce, qui ne commencent à être visibles sur les radiographies qu au moment de la puberté. La cavité articulaire de la base de P1 est faiblement concave (parfois on y voit une ébauche de petite crête vers l avant) ; elle est complétée en avant par un fibrocartilage dont la face articulaire est encroûtée de cartilage : le lig. palmaire (ancien : plaque palmaire) dans lequel sont enchâssés les sésamoïdes. La MPI permet donc des mouvements de F-E, les mouvements d Abd-Add sont de faible amplitude, il y a une circumduction modérée, dont la composante principale est une rotation essentiellement vers le dedans (pronation) qui participe au mouvement d opposition. Les lig. sont des lig. collatéraux, leur insertion métacarpienne est très postérieure, chacun a un 2 e faisceau ant. sésamoïdien. L insertion métacarpienne très postérieure tend les lig. en flexion et les détend en extension. La capsule, lâche, a une couche synoviale qui ménage un récessus ant. et un post. L articulation interphalangienne du pouce (IP) est une articulation de type ginglyme (trochlée). NB : le mot ginglyme est masculin. La trochlée, portée par la tête de P1, est asymétrique, plus large en arrière, et plus haute en dehors. De ce fait, au mouvement de base de F-E, s ajoute une petite rotation automatique (comme au genou), dans le sens de la pronation, augmentant donc l opposition. Parfois, il peut y avoir un, rarement deux sésamoïdes dans le lig. palmaire de l IP du pouce. Muscles moteurs On les classe en extrinsèques et en intrinsèques. Des extrinsèques, un seul est antérieur : le long fléchisseur du pouce LF1, inséré sur le radius, dans le même plan que le fléchisseur profond des doigts. Son tendon accompagné par une gaine synoviale propre glisse sous le rétinaculum des fléchisseurs des doigts, puis entre les deux faisceaux du m. court fléchisseur du pouce, entre les deux sésamoïdes de MPI et se termine sur la face antérieure de la base de P2. Il est innervé par le nerf médian (C8-Th1), plus précisément par le n. interosseux antérieur, comme le faisceau destiné à l index du FPD : syndrome du n. interosseux antérieur = impossibilité de faire une pince pouce-index terminoterminale serrée en cas de compression ou de lésion de ce nerf. Il fléchit l IP, accessoirement la MPI.
Les trois autres appartiennent à la couche profonde de la loge postérieure de l avant-bras. Le m. long abducteur du pouce (LAb1) est inséré sur l ulna, déborde parfois sur la membrane interosseuse (MIO), son tendon glisse sur la face antérolatérale du processus styloïde du radius, et se termine sur la face post. de la base de MI. Il porte MI en dehors et en avant. Le m. court extenseur du pouce (CE1) est inséré sur le radius, déborde parfois vers le haut sur la MIO, son tendon glisse parallèlement à celui du LAb1 auquel il est accolé et se termine sur la face post de la base de P1 qu il étend, en portant le pouce un peu en arrière. Le m. long extenseur du pouce (LE1) est inséré sur l ulna et la MIO, son tendon glisse dans une gouttière propre en dedans du tubercule post. du radius qui l écarte des deux précédents, et se termine sur la face post de la base de P2 qu il étend ; sa position plus postérieure du fait de sa déviation par le tubercule accentue sa composante d extension de la colonne du pouce qu il porte en arrière, dans le plan de la paume voire légèrement en arrière. Ces trois muscles sont innervés par la branche profonde du nerf radial (C7-C8). Permettant d ouvrir la première commissure, ils sont indispensables pour prendre un gros objet, et lâcher la prise. Entre les tendons LAb1, CE1 d une part et LE1 d autre part, se situe la tabatière anatomique au fond de laquelle glissent les tendons des mm long et court extenseurs radiaux du carpe, et l artère radiale (non représentés). La situation de ces tendons, entourés d une gaine synoviale, les expose à une ténosynovite fréquente. Les muscles intrinsèques sont les quatre muscles de la loge thénar, auquel il faut ajouter le 1 e interosseux palmaire (dans la description où il y en a 4). Ils sont décrits du plus superficiel au plus profond. Le m. court abducteur du pouce (CAb) est inséré sur le tubercule du scaphoïde et le rétinaculum des fléchisseurs ; il reçoit souvent une expansion du LAb1. Son tendon se termine sur le tubercule latéral de P1 et sur le sésamoïde latéral, il envoie une expansion en arrière complétant en dehors la dossière des interosseux du pouce. Il est innervé par le rameau thénarien du nerf médian (C8- Th1) Le m. opposant du pouce (Opp) est inséré sur le tubercule du trapèze et le rétinaculum des fléchisseurs. Son corps charnu se porte en dehors vers le bord latéral de MI. Il est innervé par le rameau thénarien du nerf médian (C8-Th1)
Le m. court fléchisseur du pouce (CF) est formé de deux faisceaux : un superficiel, latéral, et un profond, médial. Le faisceau superficiel est inséré sur le bord inférieur du rétinaculum des fléchisseurs, cette insertion peut déborder en dehors sur le tubercule du trapèze ; le faisceau profond est inséré un peu plus bas, sur le trapèze et le trapézoïde. Ces deux chefs se jettent sur un tendon qui se termine sur le tubercule latéral de P1 et sur le sésamoïde latéral, et envoie une expansion en arrière complétant en dehors la dossière des interosseux du pouce. Entre le chef superficiel et le chef profond du court fléchisseur du pouce, passe le tendon du m. long fléchisseur du pouce. Classiquement, le chef superficiel est innervé par le rameau thénarien du nerf médian, le chef profond par le rameau profond du nerf ulnaire (tous deux C8-Th1) ; cette limite dans l innervation tronculaire, dont nous voyons qu elle ne correspond pas à une limite dans l innervation radiculaire, est en fait variable, et les deux chefs peuvent être innervés par l un ou l autre nerf. Le muscle adducteur du pouce (ADD) est lui aussi formé de deux chefs, un oblique et un transverse. Le chef oblique est inséré sur le capitatum, le trapézoïde, la base de MII ; le chef transverse a un faisceau principal sur le bord antérieur de MIII, parfois de MII, et quelques fibres insérées sur la face antérieure de la capsule de MPII, MPIII, parfois même MPIV, et les ligaments métacarpiens transverses profonds correspondant. De là les fibres charnues se portent sur un court tendon inséré sur le tubercule médial de P1 et sur le sésamoïde médial, avec une expansion postérieure pour former le versant médial de la dossière des interosseux. Il est innervé par le rameau profond du nerf ulnaire (C8- Th1) Plus profond, situé dans la loge des interosseux, se situe le m. interosseux palmaire du premier espace. Ce terme a l avantage sur celui de 1 e interosseux palmaire de ne pas être ambigu. En effet pour certains auteurs ce muscle n a pas d individualité propre, c est un faisceau de l adducteur, ou du chef profond du CF1, voire le chef profond du CF1 ; pour ces auteurs, il n y a que 3 IOP et le «1 e IOP» est donc le suivant, celui du 2 e espace, que les autres appellent «2 e IOP». Il est inséré sur la base de MI et de MII et se jette sur un tendon commun avec celui de l adducteur du pouce. Il est innervé par le rameau profond du nerf ulnaire (C8-Th1) Les muscles intrinsèques du pouce sont donc cinq : les quatre mm. thénariens et l interosseux palmaire; parmi eux l opposant s insère sur le bord latéral de MI, 2 sur le tubercule latéral de P1 et le sésamoïde latéral (mm. sésamoïdiens latéraux), 2 sur le tubercule médial de P1 et le sésamoïde médial (mm. sésamoïdiens médiaux).
Cette coupe transversale de la main passant par le corps des métacarpiens montre les muscles du pouce, à l exception du LAb1 qui se termine sur la face postérieure de la base de MI Cinésiologie. La prise nécessite d abord l ouverture de la main, grâce aux muscles postérieurs, qui écartent et étendent le pouce. Puis interviennent les intrinsèques pour creuser la paume et porter le pouce en opposition. L opposant porte le pouce en avant de la paume, en regard de MII. L opposition terminolatérale pouce - P3 de l index ne nécessite quasiment aucune flexion de MPI ni de IP ; l opposition terminoterminale (pulpopulpaire) pouce - P3 du petit doigt nécessite une flexion de MPI et de IP. Pour porter le pouce en opposition maximale, deux possibilités sont offertes (cf schéma) : la grande course d opposition, mettant en jeu successivement dans cet ordre les mm. LE, CE, LAb, CAb, Opp, puis CF et LF qui en fléchissant les phalanges du pouce permettent l opposition avec la face antérieure des phalanges de plus en plus proximales du petit doigt, jusqu à la base de P1 pour l opposition maximale ; la petite course d opposition qui est en fait une adduction du pouce contre le plan de la paume, grâce à ADD et IOP1. En clinique l intégrité de l opposition peut être appréciée selon la cotation de IA Kapandji de 0 (pouce au contact du bord latéral de P1 de l index, simple adduction) à 10 (pulpe du pouce au niveau du pli palmaire inférieur, repérant MPV) en passant par 3, 4, 5 et 6 (opposition terminoterminale avec la pulpe de l index, du médius, de l annulaire et de l auriculaire). L intégrité du nerf radial est indispensable pour l ouverture de la 1 e commissure. Le nerf médian permet l opposition et la prise terminoterminale de force avec l index et le médius, le nerf ulnaire l adduction (signe [du journal] de Froment= flexion de IP grâce au LF innervé par le nerf médian en cas de paralysie ulnaire pour tenir le journal serré entre la pulpe du pouce et l index), la prise terminoterminale de force avec l annulaire et l auriculaire met en jeu le nerf médian (pouce) et le nerf ulnaire (flexion de P3 par les faisceaux médiaux du FPD).