La transformation de bureaux en logements : un premier bilan PAR BRIGITTE JOUSSELLIN 1 Entre 1994 et 1998, plus de 500 000 m 2 de surfaces d activités ont été transformées en logements, permettant de résorber une partie du stock de bureaux vacants. Le mouvement s est ralenti depuis 1999, avec la reprise de l immobilier de bureau. Mais il reste toujours des surfaces de bureaux difficiles à commercialiser pour lesquelles la conversion en logements offre une solution permettant de satisfaire les besoins des acquéreurs privés, qui peuvent alors créer un logement personnalisé. Le mouvement de transformation des bureaux en logements a commencé à prendre de l ampleur en 1994, au plus fort de la crise de l immobilier de bureau. Il a contribué à la résorption du stock de bureaux vacants. Ce mouvement a été fortement soutenu par la Ville de Paris à travers ses sociétés d économie mixte et l Opac, agissant comme opérateurs, et par voie réglementaire en adaptant les dispositions du plan d occupation des sols. Des outils spécifiques ont été mis en place par une opération programmée d amélioration de l habitat (Opah) permettant aux opérateurs privés de bénéficier d aides pour réaliser les travaux de transformation nécessaires. Entre 1994 et 1998 à Paris, ce sont 530 000 m 2 de surfaces affectées à un usage autre que 1. Directrice des enquêtes et des études économiques, Observatoire des loyers de l agglomération parisienne. Cet article est la synthèse d une étude réalisée par Judith Corvellec et Brigitte Joussellin à la demande de la Ville de Paris par l Atelier parisien d urbanisme, la Direction des études du groupe Bourdais, et l Observatoire des loyers de l agglomération parisienne dans le cadre des travaux de cadrage d une opération programmée de l habitat «Bureaux-logements». l habitation qui ont été transformés pour créer environ 6 500 logements. Dans ce total, la conversion de bureaux domine : 300 000 m 2 ont permis de créer plus de 3 700 logements. Cela représente, sur les cinq années, l équivalent d une année de construction neuve de logements durant la même période (tableau 1). Tableau 1 Changements de destination de locaux vers un usage d habitation Affectation antérieure à Paris, entre 1994 et 1998 Nombre de permis de construire accordés Surface d habitation créée (m 2 ) Source : Bureau d information sur la construction, Ville de Paris. Nombre de logements Bureau 582 308 290 3 754 dont : opérateurs privés (surface > 50 m 2 ) 476 197 883 2 083 opérateurs sociaux (surface > 50 m 2 ) 60 109 045 1 638 opérations portant sur moins de 50 m 2 46 1 362 33 Autres activités 1004 220 680 2 758 1 586 528 970 6 512 34 IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N 30 - AVRIL 2001
Plus de 1 600 logements ont été créés par des opérateurs publics, presque 2 100 logements par le secteur privé. De multiples motivations La crise de l immobilier de bureau au début des années 1990 a mis au jour l existence d un stock de bureaux vacants «hors marché», c est-à-dire inadaptés aux exigences d une organisation moderne du travail. Il s agit de bureaux anciens, le plus souvent, de petite taille (moins de 250 m 2 ), dans des immeubles de standing plutôt moyen, en un mot obsolètes au regard de la demande des entreprises. En effet, cellesci recherchent plutôt des locaux neufs ou rénovés offrant de grands plateaux modulables, des faux plafonds techniques, l ascenseur, la climatisation, un parking, etc., le tout pour un loyer attractif. Délaissé par une demande globalement faible jusqu en 1997, le stock de bureaux obsolètes se caractérise par une durée de vacance longue : deux ensembles de bureaux sur trois, parmi ceux qui ont été convertis en logements, avaient été vacants plus de deux ans. Pour certains d entre eux, la transformation en logement est apparue comme la seule issue envisageable. Si la comparaison entre les loyers de bureaux et les loyers d habitation donne généralement l avantage au bureau et ceci est encore plus vrai dans le centre de Paris que dans les arrondissements périphériques, en 1999, les loyers d habitation étaient toutefois comparables à la frange inférieure des loyers des bureaux anciens non rénovés, ceci quel que soit l arrondissement. L avantage de la transformation en termes de loyer n est donc pas toujours assuré, mais c est surtout l occasion, pour les investisseurs institutionnels, de rendre à l habitation toutes les surfaces d un immeuble dans lequel habitation et activités étaient mixées jusqu alors («démitage»). Cependant, la transformation de bureaux en logements par les institutionnels est souvent la contrepartie de transformations de logements en bureaux ; cette dernière est soumise à autorisation préfectorale et doit s accompagner d une compensation en surfaces d habitation dans le même arrondissement. Les institutionnels cherchent ainsi à repositionner leur parc de bureaux dans les rues les plus prisées. Les opérations de compensation ne concourent donc pas à une création nette de logements. Elles représentent 45 % des logements créés par le secteur privé entre 1994 et 1998 (graphique 1). Graphique 1 Loyers des bureaux 1 et des logements 2 à Paris 3 500 3 000 2 500 2 000 1 500 1 000 500 0 1. Au 1 er janvier 1999. 2. Au 1 er janvier 1998. Sources : Bourdais et Olap. en F/m 2 /an Logement Bureau ancien Bureau neuf, restructuré ou rénové fourchette haute fourchette basse Le propriétaire qui transforme des bureaux vacants en logements garde la possibilité d un retour à l affectation antérieure en cas de reprise du marché. L affectation temporaire à l habitation est autorisée, avec retour au bureau possible dans un délai maximal de treize ans. Pour le particulier bailleur du bureau, la transformation en logement est parfois envisagée comme la sortie d une gestion difficile des baux commerciaux ou professionnels. Pour financer l opération, le propriétaire occupant du logement peut notamment obtenir un prêt bureau/ logement ou un prêt à taux zéro (avec condition de ressources), ou bénéficier d une réduction d impôts pour grosses réparations. Pour le particulier bailleur qui procède à la transformation, divers prêts sont disponibles (PBL, PLA, PLI), auxquels s ajoutent les subventions de l Anah, selon les cas avec ou sans loyer plafond. Enfin, et surtout, la transformation pour louer bénéficiait, comme le neuf, de l amortissement «Périssol» jusqu en 1999, et cela sans condition de loyer. L amortissement «Besson» a pris le N 30 - AVRIL 2001 - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - IEIF 35
relais, mais dans des conditions beaucoup moins intéressantes pour les investisseurs, puisque les avantages fiscaux sont assortis de conditions de loyer et d un plafond de ressources pour les locataires. Un prix de revient souvent avantageux Pour la majorité des propriétaires, l avantage principal de la transformation réside dans son coût de revient. Dans le cas d une transformation portant sur un lot isolé (un particulier achète et fait des travaux), il est généralement nécessaire de créer une cuisine et une salle de bains, de déplacer des cloisons, de refaire entièrement l électricité, la plomberie, le chauffage, les menuiseries. Le coût moyen des travaux pour un lot isolé s élève à 3 500 F/m 2 TTC. Pour un immeuble entier, les travaux peuvent aller du simple toilettage au désossage complet (déplacement d escaliers, de colonnes techniques, isolation, réfection des cours, ravalement, parfois création de parking, etc.). Ils reviennent en moyenne à 8 600 F/m 2 TTC. Le prix de revient de l opération peut être abaissé par le produit éventuel de la vente de la «commercialité» du local à un opérateur souhaitant faire une compensation. Le prix de revient (achat hors droits de mutation + travaux) pour un particulier qui a acheté, puis transformé un bureau isolé, est d environ 13 000 F/m 2, soit de 15 % inférieur au prix de vente moyen d un appartement à Paris (hors neuf). S il a acheté clés en main à un promoteur-marchand de biens qui a réalisé les travaux sur l ensemble de l immeuble, le prix de vente des logements rénovés est en moyenne de 22 500 F/m 2 et atteint 35 000 F/m 2 dans certains beaux quartiers (exemple : VI e et VIII e arrondissements). Il est équivalent au prix des logements neufs. De grands logements anciens dans le centre de Paris Les deux tiers des logements produits par le secteur privé sont issus d opérations portant sur des immeubles entiers : il s agit d opérations de marchands de biens destinées à la vente ou bien de celles d institutionnels destinées à la location. Les opérations portant sur un seul logement ne produisent que 13 % de l ensemble des logements issus de bureaux (cas typique du particulier acquéreur de son propre logement) (tableau 2). Tableau 2 Nombre de logements issus de la transformation de bureaux à Paris, entre 1994 et 1998, secteur privé 1. Résidences principales. Source : Enquête nationale logement 1996, Insee. Neuf fois sur dix, il s agit d immeubles construits avant 1948, qui retournent à leur affectation d origine. Ce caractère souvent haussmannien explique que, comparés à l ensemble du parc de logements à Paris, les appartements issus de bureaux se distinguent par leur grande taille, conséquence d un nombre de pièces plus important et d une superficie moyenne plus élevée pour chaque type de logement (tableau 3). Tableau 3 Surface moyenne des logements à Paris, en 1996, en m 2 1. Résidences principales. Logements issus de bureaux des logements 1 Effectif % % 1 pièce 310 15 22 2 pièces 540 27 31 3 pièces 495 24 22 4 pièces 365 18 15 5 pièces 196 10 5 6 pièces et plus 114 6 5 2 020 100 100 Logements issus de bureaux des logements 1 1 pièce 31 24 2 pièces 54 43 3 pièces 85 65 4 pièces 116 85 5 pièces 144 109 6 pièces et plus 217 168 85 59 Source : Enquête nationale logement 1996, Insee, tous statuts d occupation confondus. Les changements de destination sont concentrés dans la zone centrale de Paris : cinq logements sur dix sont situés dans les quartiers d affaires de la rive droite (I er, II e, VIII e et XVI e arrondissements, notamment en raison des nécessités de compensation), quatre sur dix dans les arrondissements limitrophes, et seulement un sur dix dans les arrondissements périphériques. 36 IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N 30 - AVRIL 2001
Un équilibre entre la location et la propriété occupante Environ 1 000 logements locatifs et 1 000 logements en propriété occupante ont été produits par les opérateurs privés entre 1994 et 1998. La moitié des logements locatifs appartient à des institutionnels, un quart a fait l objet d un achat à un promoteur-marchand de biens, un quart a été transformé par des travaux réalisés par le particulier acquéreur. Hors compensation, le locatif a été produit majoritairement par les institutionnels (plus de 300 logements contre environ 240 pour les particuliers). Les logements en propriété occupante proviennent, pour les deux tiers, d opérations de promoteurs-marchands de biens ; dans le dernier tiers des cas, l acquéreur a fait effectuer les travaux lui-même (tableau 4). Tableau 4 Statut d occupation logements issus de la transformation de bureaux à Paris, entre 1994 et 1998, secteur privé, en effectif Opération : Propriété occupante Locatif Source : Enquête nationale logement 1996, Insee. dans le cadre d une compensation 430 481 911 hors compensation 559 550 1 109 989 1 031 2 020 Les changements de destination des bureaux réalisés par les institutionnels sont, dans leur majorité, la conséquence de la réorganisation des affectations de surfaces dans des immeubles entiers, qui risque de trouver ses limites avec la reprise du marché de l immobilier de bureau. Les particuliers sont porteurs d une demande qui ne devrait pas faiblir, puisque la transformation d un bureau en logement leur permet, quand ils réalisent eux-mêmes les travaux, non seulement d avoir un appartement à un coût inférieur à celui d un logement ordinaire, mais aussi de l aménager à leur convenance ; et, pour ceux qui achètent un logement déjà transformé, d avoir des prestations comparables à celles du neuf dans des quartiers où l on construit peu. Les transformations ont déjà été facilitées par des modifications apportées au POS en 1995 (levée de l obligation de places de parking, règle du COS de fait). Cependant, la mise en œuvre d un changement de destination de bureaux reste une opération compliquée : l obligation d obtenir un permis de construire conduit à de nombreuses formalités et au respect de règles de construction et d urbanisme parfois difficiles à concilier avec un projet dans l existant. La mise en place d un dispositif d information abordant l ensemble des aspects techniques, juridiques et financiers devrait contribuer à soutenir le mouvement de transformation de bureaux en logements. Une alternative qui reste intéressante Le retournement de la conjoncture de l immobilier qui s est produit en 1999 s est traduit par une forte poussée de la demande de bureaux, une réduction du stock disponible et une réduction du taux de vacance. Depuis cette date, on observe une forte hausse des valeurs locatives des bureaux et des rendements, et l immobilier de bureaux attire à nouveau les investisseurs. Dans une moindre mesure, l immobilier d habitation a connu lui aussi un retournement de conjoncture : les logements parisiens ont vu leurs prix de vente s accroître, et la demande progresser. Mais les loyers des logements connaissent des variations beaucoup plus modérées que les loyers des bureaux. Dans ces conditions y a-t-il encore des raisons de transformer des bureaux en logements? 1. Le stock de bureaux «hors marché», d après les études de Bourdais, est passé de 350 000 m 2 au 1 er janvier 1999 à 214 000 m 2 au 1 er janvier 2000, soit un recul de 39 % en un an. Mais des bureaux hors marché, bien qu en moindre nombre, continueront vraisemblablement à ne pas trouver preneur. Il restera toujours un stock de bureaux obsolètes, pour lesquels le coût des travaux de remise à niveau excède les possibilités de gain futur. 2. La forte demande de bureaux dans le triangle d or entraîne des besoins de «compensation» : rappelons que, pour transformer des logements en bureaux (situés dans des quartiers intéressants), il faut apporter en compensation des surfaces au moins équivalentes de logements créés dans le même arrondissement (constructions neuves ou logements créés par transformation d autres locaux). Comme on l a vu précédemment, les opérations de compensation ont été à l origine de près de la moitié des N 30 - AVRIL 2001 - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - IEIF 37
créations de logements par transformation entre 1994 et 1998. 3. La demande de logements est soutenue et, dans une période de hausse des prix, il peut être plus avantageux d acheter un logement ou un bureau et d y faire des travaux importants de rénovation que d acheter un logement en bon état. Par ailleurs, la transformation de bureaux en logement répond aux besoins d une clientèle de cadres aisés, à la recherche de surfaces à transformer permettant de créer des appartements personnalisés. Cette clientèle a vu ses ressources croître fortement ces deux dernières années avec la reprise économique. 4. Des aides ont été mises en place par la Ville de Paris pour les propriétaires bailleurs et les propriétaires occupants (sous conditions de ressources). De plus, si le bailleur fait un investissement Besson, il peut cumuler aides et avantages fiscaux. Néanmoins, il ne faut pas cacher les difficultés inhérentes aux réglementations qui font que les démarches administratives pour effectuer une opération de transformation d un bureau en logement sont, pour un particulier, un véritable parcours du combattant. * Ainsi, la transformation de bureaux en logements reste une alternative intéressante au vieillissement du parc de bureaux, et permet d en résorber une partie en période de crise immobilière. Mais, plus largement, elle contribue au maintien d un équilibre entre bureaux et logements dans les centre-villes où le foncier est rare, voire inexistant. 38 IEIF - RÉFLEXIONS IMMOBILIÈRES - N 30 - AVRIL 2001