Prévention des Infections chez les Malades Atteints de Cirrhose

Documents pareils
Existe t il des effets pervers à l identification du portage de BMR?

Traitement antibiotique probabiliste des urétrites et cervicites non compliquées

THÈSE POUR LE DIPLÔME D ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE

Collection Avis et Rapports

INFECTIONS POST- TRAUMATIQUES SUR MATÉRIEL D'OSTÉOSYNTHÈSE. Accidentologie et épidémiologie bactérienne

Hépatites Auto-Immunes. Critères et Scores Diagnostiques

Quantification de l AgHBs Pouquoi? Quand?

Mise en place du contrôle du bon usage des carbapénèmes: expérience d une équipe pluridisciplinaire

Otite Moyenne Aiguë. Origine bactérienne dans 70 % des cas. Première infection bactérienne tous âges confondus

Les Infections Associées aux Soins

Virus de l hépatite B

L hépatite C pas compliqué! Véronique Lussier, M.D., F.R.C.P.C. Gastroentérologue Hôpital Honoré-Mercier 16 avril 2015

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE. Avis. 3 septembre 2008

Le RIVAROXABAN (XARELTO ) dans l embolie pulmonaire

Stratégies de dépistage des bactéries multirésistantes. Qui? Pourquoi? Comment? Après? L exemple des MRSA

LE SYNDROME DE BUDD CHIARI

Communiqué de presse. Direction Communication Externe/Interne Sylvie Nectoux TEL : sylvie.nectoux@boehringeringelheim.

Il est bien établi que le réseau d eau hospitalier peut

Jean-Christophe Richard Véronique Merle CHU de Rouen

Incontinence anale du post-partum

Streptocoque B :apports des tests en fin de grossesse, nouvelles propositions.

La stratégie de maîtrise des BHRe est-elle coût-efficace? Gabriel Birgand

Infections nosocomiales

Rapport d expertise. Caractérisation des antibiotiques considérés comme «critiques»

Résistance aux Antimicrobiens: Ensemble, nous pouvons réduire ce risque

ANTIBIOGRAMME VETERINAIRE DU COMITE DE L ANTIBIOGRAMME DE LA SOCIETE FRANCAISE DE MICROBIOLOGIE

SURVEILLANCE PROVINCIALE DES INFECTIONS NOSOCOMIALES

PLACE DES MARQUEURS NON INVASIFS DE FIBROSE ET DE L ELASTOMETRIE

Traitements de l hépatite B

Diagnostic et antibiothérapie. des infections urinaires bactériennes. communautaires de l adulte

Lecture critique. Maîtrise de la diffusion de la résistance aux antibiotiques l hôpital : le rôle de l hygiène hospitalière D. Lepelletier, N.

Prix et qualité des médicaments et de la prescription : les médicaments génériques et biosimilaires et la prescription en DCI

Laurence LEGOUT, Michel VALETTE, Henri MIGAUD, Luc DUBREUIL, Yazdan YAZDANPANAH et Eric SENNEVILLE

Leucémies de l enfant et de l adolescent

Situation Agent Schéma posologique*

Intérêt diagnostic du dosage de la CRP et de la leucocyte-estérase dans le liquide articulaire d une prothèse de genou infectée

Compétitivité des produits laitiers locaux: vers une standardisation du «fènè», un lait spontanément fermenté au Mali

Bulletin N 47 AU SOMMAIRE BLOC-NOTES ERRATUM. Octobre Trimestriel. Bloc-Notes. Erratum. Annuaire web du CCLIN Ouest.

Conflits d intérêts. Consultant: Financement d études: Optimer: fidaxomicine Astra Zeneca : Ceftaroline Novartis: daptomycine

Présentation générale du Programme

VACCINS ANTIPNEUMOCOCCIQUES

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE. 10 décembre 2008

PRISE EN CHARGE DE L HEPATITE CHRONIQUE C EN 2009

Dépistage du cancer colorectal :

Traitement de l hépatite C: données récentes

REVUE DE PRESSE PRESSE MEDICALE. février 2014

PSDP et usage des pénicillines - ESAC

Activité physique et diabète de type 2

QU EST-CE QUE LA PROPHYLAXIE?

Christian TREPO, MD, PhD

Item 95 Maladies sexuellement transmissibles : infections urogénitales à gonocoque et Chlamydia trachomatis (en dehors de la maladie de Nicolas-Favre)

Les Arbres décisionnels

PLACE DES NOUVEAUX ANTICOAGULANTS ORAUX CHEZ LE SUJET AGE

SPILF Mise au point DIAGNOSTIC ET ANTIBIOTHERAPIE DES INFECTIONS URINAIRES BACTERIENNES COMMUNAUTAIRES DE L ADULTE

Note informative. Table des matières SOMMAIRE. Agence d évaluation des technologies et des modes d intervention en santé

Mise au point sur le bon usage des aminosides administrés par voie injectable : gentamicine, tobramycine, nétilmicine, amikacine

L ANGINE. A Epidémiologie :

Complément québécois. C o m p l é m e n t q u é b é c o i s C o m p l é m e n t q u é b é c o i s C o m p l é m e n t q u é b é c o i s

INFECTIONS URINAIRES CHEZ L ENFANT

Prise en charge des effets secondaires des traitements de l hépatite C. Jean Delwaide CHU Sart Tilman Liège

Prévention anténatale du risque infectieux bactérien néonatal précoce

Comment se déroule le prélèvement? Il existe 2 modes de prélèvements des cellules souches de la moelle osseuse:

Y a-t-il une place pour un vaccin thérapeutique contre l hépatite B? H. Fontaine, Unité d Hépatologie Médicale, Hôpital Cochin

Bulletin n Cher adhérent, cher donateur,

PRISE EN CHARGE D'UN PATIENT ATTEINT OU SUSPECT DE CLOSTRIDIUM DIFFICILE

Prévenir la colonisation par Campylobacter chez les poulets de chair. Dr. Wael Abdelrahman Consultant technique, Probiotiques volailles

Vivre en santé après le traitement pour un cancer pédiatrique

LES NOUVEAUX ANTICOAGULANTS

Les anticoagulants. PM Garcia Sam Hamati. sofomec 2008

Nouvel audit du grephh : evaluation des précautions complémentaires

COMMISSION DE LA TRANSPARENCE AVIS. 19 octobre 2011

ALK et cancers broncho-pulmonaires. Laurence Bigay-Gamé Unité d oncologie thoracique Hôpital Larrey, Toulouse

Migraine et céphalées de tension: diagnostic différentiel et enjeux thérapeutiques

Réflexions sur les possibilités de réponse aux demandes des chirurgiens orthopédistes avant arthroplastie

Cibles Nouveaux ACO AVK. Fondaparinux HBPM HNF. Xarelto. Eliquis Lixiana. Pradaxa PARENTERAL INDIRECT ORAL DIRECT. FT / VIIa.

ACTUALITES THERAPEUTIQUES. Dr Sophie PITTION (CHU Nancy) Metz, le 2 Juin 2012

PRINTEMPS MEDICAL DE BOURGOGNE ASSOCIATIONS ANTIAGREGANTS ET ANTICOAGULANTS : INDICATIONS ET CONTRE INDICATIONS

Pratique de l'antibioprophylaxie en chirurgie

Peut-on réduire l incidence de la gastroentérite et ses conséquences dans les écoles primaires à l aide de solution hydro-alcoolique?

4eme réunion régionale des référents en antibiothérapie des établissements de Haute-Normandie

Neutropénies fébriles

Voies Respiratoires Supérieures

La campagne québécoise des soins sécuritaires volet prévention et contrôle des infections

Place de l interféron dans le traitement de l hépatite B chez le patient co-infecté VIH

AVIS de l Agence nationale de sécurité sanitaire de l alimentation, de l environnement et du travail

Douleur dentaire. LACAVITÉ BUCCALE constitue l habitat naturel de nombreux. est-elle d origine infectieuse?

DÉFICITS IMMUNITAIRE COMMUN VARIABLE

Maîtrise des phases critiques en élevage porcin : Comment améliorer la santé digestive du porcelet?

D. EVEN-ADIN - S. PLACE, Hôpital Erasme SBIMC - 26 octobre 2006

Chimioembolisation du carcinome hépatocellulaire : le retour?

JOURNÉE DE FORMATION. 75èmes JOURNÉES SCIENTIFIQUES DE LʼAFEF MÉDICALE CONTINUE EN HÉPATOLOGIE. ème PARIS LA DÉFENSE - CNIT - 27 SEPTEMBRE 2014

Don d organes et mort cérébrale. Drs JL Frances & F Hervé Praticiens hospitaliers en réanimation polyvalente Hôpital Laennec, Quimper

E8 - Faire l exercice d entraînement : Surveillance des infections nosocomiales en maternité : Produire les résultats avec des programmes

COMITE DE L ANTIBIOGRAMME DE LA SOCIETE FRANCAISE DE MICROBIOLOGIE


Comment devenir référent? Comment le rester?

LIGNES DIRECTRICES CLINIQUES TOUT AU LONG DU CONTINUUM DE SOINS : Objectif de ce chapitre. 6.1 Introduction 86

Le dropéridol n est pas un traitement à considérer pour le traitement de la migraine à l urgence

Infiltrats pulmonaires chez l immunodéprimé. Stanislas FAGUER DESC Réanimation médicale septembre 2009

Transcription:

EPU PARIS-DIDEROT, PARIS 7 JOURNÉE D HÉPATOLOGIE 11 JANVIER 2014 Prévention des Infections chez les Malades Atteints de Cirrhose Richard Moreau, 1,2 1 UMR S_1149, Centre de Recherche sur l Inflammation CRI, Inserm et Université Paris-Diderot, Paris 7 2 Service d Hépatologie, Hôpital Beaujon, APHP, Clichy richard.moreau@inserm.fr

Infections Bactériennes Chez les Malades Atteints de Cirrhose Sites % ISLA* : Infection urinaire : Infection cutanée : Pneumonie : Bactériémie spontanée : Autres : 25 19 13 9 6 28 *ISLA, Infection spontanée du liquide d ascite. Fernandez et al. Hepatology 2012;55:1551-61.

Infections par Translocation de Bactéries à Gram-négatif (BGN) Intestinales : Très Fréquentes

Destinée d une Charge Orale d E. coli Chez un Rat Cirrhotique Teltschik et al. Hepatology 2012;55:1154-63.

Pourquoi Prévenir? Dans la cirrhose les infections bactériennes sont : Fréquentes et sévères Mortalité x 4 A l origine de coûts élevés Arvaniti et al. Gastroenterology 2010;139:1246-56.

Comment Prévenir?

Principe Actuel de la Prévention: Prévenir la translocation intestinale des BGN en utilisant un antibiotique qui élimine ces bactéries et préserve la flore anaérobie Prototype : norfloxacine PO

Hémorragie Digestive Risque infectieux pendant 7 jours Antibioprophylaxie bénéfique : Prévention de l infection, contrôle de l hémorragie, prévention de la récidive hémorragique, survie Recommandations pour l antibioprophylaxie* : Début : après prélèvements ; avant ou immédiatement après endoscopie Durée 7 jours Norfloxacine PO : 800 mg/jour Ceftriaxone IV : 1g/jour Si présence d au moins 2 critères : ascite, malnutrition sévère, encéphalopathie, ictère *European Association for the Study of the Liver. J Hepatol 2010;53:397-417.

Risque infectieux chez les malades atteints de cirrhose traités par IPP? Niveau de preuve insuffisant Bajaj et al. Am J Gastroenterol 2010; 105:106-13.

Malades avec un Antécédent d ISLA Après un épisode résolutif d ISLA : risque élevé de récidive «spontanée» (60 % à 1 an) 1 essai randomisé : norfloxacine (400 mg/jour, PO) diminue le risque à 3 % Recommandations pour la prévention secondaire: Norfloxacine (400 mg/jour, PO) : traitement de choix Alternatives: Ciprofloxacine (750 mg, 1 fois/semaine, PO) Co-trimoxazole (800 mg sulfaméthoxazole + 160 mg triméthoprime/jour, PO) Moins d évidence Durée non définie TH doit être envisagée après un épisode résolutif d ISLA. European Association for the Study of the Liver. J Hepatol 2010;53:397-417.

Malades Sans Antécédent d ISLA Facteurs prédictifs d une première ISLA : Protides dans l ascite < 10-15 g/l Bilirubine > 55 µmol/l Plaquettes < 98 000/mm 3 2 essais, malades avec protides dans l ascite < 15 g/l 1 essai norfloxacine (N=35) contre placebo (N=33),* cirrhose sévère : Norfloxacine : diminue risque ISLA (de 61 % à 7 %) prévient SHR et améliore la survie (3 mois) 1 essai ciprofloxacine (N=50) contre placebo (N=50),** cirrhose modérée : Ciprofloxacine : ne prévient pas les infections *Fernandez et al. Gastroenterology 2007;133:818-24. **Terg et al. J Hepatol 2008;48:774-9.

Prévention Primaire de l ISLA : Recommandations En l absence d ATCD d ISLA mais protides dans l ascite < 15 g/l* : Si cirrhose sévère : Norfloxacine (400 mg/jour, PO) Durée? Si cirrhose modérée : Abstention *European Association for the Study of the Liver. J Hepatol 2010;53:397-417.

Chez les malades atteints de cirrhose L incidence des infections à bactéries multi-résistantes augmente Parmi ces infections, les plus fréquentes sont celles dues à des Enterobacteriaceae productrices de β-lactamases à spectre étendu (BLSE) Fernandez et al. Hepatology 2012;55:1551-61.

Facteurs de Risque des Infections Dues aux BGN Productrices de BLSE Facteurs Risque ATCD infection BLSE (6 derniers mois) X 10 Infection nosocomiale X 5 Prévention long-terme par norfloxacine X 4 Utilisation β-lactamines (3 derniers mois) X 3 Fernandez et al. Hepatology 2012;55:1551-61.

Pronostic de l ISLA : Influence de la Bactérie en Cause P <0.05 BGN susceptibles aux céphalosporines de 3ème génération BGN productrices de BLSE Cheong et al. Clin Infect Dis 2009:48;1230-6.

Sensibilité aux Antibiotiques des Souches E. coli Productrices de BLSE Dr. F Bert, Hôpital Beaujon.

Les souches productrices de BLSE sont résistantes aux quinolones. Les quinolones ne peuvent donc pas prévenir les infections causées par ces souches. Chez les malades à risque d infection «à BLSE», il n est pas raisonnable de proposer une prévention par les carbapénèmes.

Stratégies Alternatives Non Etablies Rifaximine Concentrations fécales élevées Pas absorbée Diminue les facteurs de virulence et le transfert plasmidique Modifie peu la microflore intestinale Il n y a pas d essais de prophylaxie comparant rifaximine à norfloxacine.

Stratégies Alternatives Non Etablies Autres traitements qui pourraient diminuer la translocation bactérienne intestinale : β-bloquants non-sélectifs Pentoxifylline Cisapride Probiotiques Il n y a pas d essais de prophylaxie les comparant à la norfloxacine.

Mécanismes des Infections Bactériennes Dans la Cirrhose

Conclusions Dans la cirrhose, les infections bactériennes sont sévères et doivent être prévenues. La norfloxacine est utilisée pour : la prévention des infections «post-hémorragiques», la prévention secondaire d ISLA et moins souvent la prévention primaire. L utilisation prolongée d antibiotiques est associée à l émergence de BGN productrices de BLSE, qui peuvent être à l origine d infections sévères. Il n y a pas d antibioprophylaxie établie pour ces infections.

Conclusions Il faut développer des stratégies de prévention des infections dues aux BGN d origine intestinale ; stratégies fondées sur une meilleure compréhension des mécanismes de ces infections.